De quoi parle la littérature ? La littérature parle-t-elle de quelque chose ? La théorie aristotélicienne de la mimesis pose celle du rapport référentiel entre objet et représentation, entre monde et langage. Si pour Saussure le langage met fin au monde dans l’avènement ou la survenue du signe, est-il encore possible de dire qu’écrire, c’est décrire, ou même donner forme au monde, à l’expérience du monde ? Alors qu’il postule la préexistence d’un système de références stable comme pacte de lecture – lieux, événements, personnages, contexte historique et culturel – dont le texte littéraire se saisirait pour devenir l’espace métonymique d’un temps historique, le prisme référentiel tient-il encore face au pouvoir radical du langage, et à ce que ce pouvoir fait au monde ?

Ce numéro de l’Atelier souhaite interroger l’écriture comme médiation, comme ce qui arrive au monde, sa capacité à le transformer, le générer, mais aussi à se créer elle-même en lui et par lui. Il s’agira de penser la manière dont le présupposé d’un livre écrit au miroir du monde est mis en crise par tout ce qui échappe à la spécularité, c’est-à-dire tout ce qui arrive au texte dans le processus du poiein, voire fait disparaître le référent au profit d’une intransitivité, d’un autotélisme du langage : la métaphore, l’image, le figural, l’implicite, la traduction, la polysémie, l’hermétisme, l’instabilité des signes, la subjectivité, la modalité, l’affect, l’expérience, l’indéterminé, le possible, l’imaginaire, le fabulaire. Autant de procédés ou de modes qui déplacent le régime référentiel et en dévoilent l’illusion.

— Numéro coordonné par Isabelle Alfandary, Priyanka Deshmukh et Juliana Lopoukhine

Publiée: 2020-01-31