Vol. 16 No 1 (2025): Variations pronominales

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Ce numéro de L’Atelier se propose d’examiner les enjeux – anciens et nouveaux – qu’induit le choix du pronom dans le récit et, plus largement, au sein de la création littéraire. Kafka, selon Maurice Blanchot, est un de ceux qui « nous apprend que raconter met en jeu le neutre », neutre porté par un « ‘il’ incaractérisable », « une troisième personne qui n’est pas une troisième personne » ou encore un autre « qui n’est ni l’un ni l’autre ». En même temps qu’il suspend le rapport au référent, le récit instaure une indétermination qui concerne aussi bien la voix narrative que les sujets qu’il fait exister ; il ouvre un espace où la référence pronominale se voit livrée à une instabilité fondamentale. Le choix du pronom se dote d’un pouvoir proprement poétique à travers lequel peuvent s’explorer différentes postures subjectives et intersubjectives mais qui relève aussi de ce que Blanchot nomme « l’événement inéclairé de ce qui a lieu lorsqu’on raconte ».

On pourra s’intéresser à la dissociation entre forme pronominale et fonction pragmatique dans les récits jouant sur une ambiguïté référentielle : le même pronom peut renvoyer à deux entités distinctes ou inversement une même entité pourra se désigner par deux pronoms différents. A quoi ces glissements pronominaux œuvrent-ils ? A quelles fins la déconnection entre forme grammaticale et forme notionnelle peut-elle être exploitée ? La disjonction pronominale peut, sur un mode mimétique, se mettre au service d’un trouble ou d’une défaillance psychique, d’un traumatisme, d’une schize. Le passage de la première personne à la deuxième ou à la troisième personne peut dramatiser un sentiment d’étrangeté ou un phénomène de dissociation et perturber ce faisant les catégories narratives traditionnelles. Reste à envisager en quoi le choix de faire le récit à telle ou telle « personne » dépasse la question de la personne, de l’identité ou de l’identification, notamment dans les récits qui troublent ou mettent à mal l’illusion référentielle.

— Numéro coordonné par Sandrine Sorlin et Pascale Tollance

Publiée: 2025-04-17