Vol. 8 No 1 (2016): Émouvoir
Que faire devant la puissance affective de l’œuvre littéraire ou plastique ? Comment articuler le logos critique avec l’expérience d’un pathos qui, tout en dépassant la compréhension, agit comme puissance motrice de notre désir de dire, d’écrire, de créer, de rendre compréhensible cette expérience elle-même ? Comment la littérature et les arts donnent-ils forme à l’émotion, et comment l’émotion à son tour travaille-t-elle leur forme ?
Ces questions impliquent le champ de l’expression, comme source ou ressource de l’œuvre, tout autant que celui de la réception, de la lecture. Elles engagent la relation d’un sujet — qu’il soit individuel ou collectif — à une expérience qui à la fois le déborde et le subjugue, car le mouvement d’émouvoir comprend simultanément action et passion. Aussi sa puissance implique dans le même temps une impuissance, produisant des effets souvent paradoxaux, voire contradictoires. La nature hétérogène des affects trouble dès lors l’expérience du temps linéaire ainsi que celle du corps où elle s’éprouve, avec des incidences sur l’œuvre qui tente d’en tracer les contours. Et lorsque l’on cherche à savoir qui est mu, par quoi, comment, et à quelles fins, rendre compte des formes de l’émotion appelle une pensée de l’histoire ainsi qu’une contextualisation à chaque fois singulière, afin de mieux en saisir les enjeux éthiques et politiques.
Autant de façons de se risquer à penser l’émotion, geste paradoxal qui met à l’épreuve les limites du savoir de et sur la littérature et les arts.
— Numéro coordonné par Juliana Lopoukhine et Naomi Toth