"A Striking Bore" : le style affectif de l’ennui dans Parts of Some Sextets (1965) d’Yvonne Rainer
Mots-clés :
Yvonne Rainer, danse postmoderne, performance, histoire de l'art, art contemporain, avant-garde américaine après 1945, John Cage, Fluxus, Dick Higgins, ennui, émotion, style affectif.Résumé
Une appréhension du réel qui met l’accent sur le détail ordinaire, le rien ou le pas grand‑chose, les petites actions banales. Un temps qui dure, qui s’étend, qui pèse, qui n’évolue pas. Un flux gestuel qui se déploie dans une continuité plate, sans inflexions. Nivelant les saillances affectives, favorisant des états toniques atones et étales, dans les années 1960, l’œuvre chorégraphique de la danseuse, chorégraphe, cinéaste, poète et théoricienne américaine Yvonne Rainer fait émerger une tonalité émotionnelle très particulière. Nous proposons de rapporter cette forme d’expérience kinesthésique à l’émergence d’une nouvelle sensibilité dans le champ de l’avant-garde à New York : dans le sillage de Marcel Duchamp et de John Cage, la décennie 1960 voit en effet s’imposer l’ennui à la fois comme stratégie esthétique et comme style affectif, façonné par les normes et les valeurs partagées par cette communauté artistique. Dans l’œuvre de Rainer, la tonalité émotionnelle de l’ennui devient prégnante, et influe sur la fabrique même du geste dansé, à partir de la pièce Parts of Some Sextets (1965): tous les matériaux constitutifs de la danse y semblent imprégnés d'ennui. Simple coloration affective ou véritable stratégie d’avant-garde, comment interpréter le recours à l’ennui dans Parts of Some Sextets ? Au-delà, que nous enseigne ce dispositif sur le rapport au matériau émotionnel dans la danse de Rainer ?
"A Striking Bore": the Affective Style of Boredom in Yvonne Rainer's Parts of Some Sextets (1965)
A perception of reality emphasizing ordinary detail, nothingness and small mundane actions. Time which lasts, draws on, weighs down, and does not evolve. A flow of movement that progresses in flat continuity, without inflections. Equalizing affective saliences, foregrounding blank, flat and still states, the work of the American dancer, choreographer, filmmaker, and writer Yvonne Rainer in the 1960s brought out a very singular emotional tonality. This article links this kind of kinesthetic experience to the rise of a new sensibility in the New York avant-garde: indeed, in the wake of Marcel Duchamp and John Cage, boredom increasingly came to the fore in the artistic practices of this period, both as an aesthetic issue and an affective style, shaped by the shared standards and values of this artistic community. In Rainer's work, the emotional tonality of boredom first became significant in Parts of Some Sextets (1965), affecting the way the movement itself was fabricated and pervading the dance material. How are we to interpret the use of boredom in Parts of Some Sextets? As simply an emotional coloring or as a truly avant-garde strategy? And beyond that, what can this choreographic apparatus teach us about the relation to emotional material in Rainer's work?
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