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Devenirs de l'objet

2023-05-05

Pour son numéro 15.2, à paraître en juin 2024, la revue en ligne L’Atelier lance un appel à contributions sur le thème « Devenirs de l'objet ». 

Si l’objet a pour caractéristique d’intéresser une grande variété de champs disciplinaires allant de l’anthropologie à la philosophie, de l’ingénierie à l’histoire de l’art, de la sémiotique aux études culturelles, son importance dans les sciences humaines, où il s’agit de penser en premier lieu l’homme ou le sujet, ne va pas d’emblée de soi. Là, notamment dans les arts ou la littérature, parler de l’objet revient en premier lieu à considérer la place qui lui est faite dès lors qu’il se pose non seulement en relation mais potentiellement en concurrence avec le sujet humain. On pourrait dessiner un devenir de l’objet qui le ferait passer de l’ombre à la lumière : admis dans le champ du visible, l’objet peut cesser d’être un élément du décor ou un détail anodin pour devenir un élément troublant et perturbateur, chargé de sens, tenant intimement celui qui croit le (dé)tenir, jusqu’au moment où il rayonne, triomphe seul et devient le « sujet » même du tableau, du poème ou du récit. Alors que nous sommes invités à penser toujours davantage le non-humain et le post-humain, la littérature et les arts opèrent ou accentuent ce geste paradoxal qui consiste à offrir à la contemplation un objet qui ne doit rien à une main humaine et qui survit à l’humain ou se transforme indépendamment de tout regard.

Ce qu’il en est de l’objet et ce qu’il advient de lui s’avère signifiant à diverses échelles. L’objet peut constituer un point d’entrée ou un prisme privilégié pour décrire certains moments artistiques ou littéraires, observer continuités et ruptures d’un genre, d’une esthétique ou d’un mouvement à un autre : du conte de fées au réalisme, du réalisme au surréalisme, du modernisme au postmodernisme, du Nouveau roman à la fable écologique. Dans une perspective plus transversale, la grande labilité de l’objet se mesure à la variabilité du statut et de la valeur qui lui sont attachés. L’objet que l’on façonne patiemment passera de main en main pour être parfois dérobé, collectionné, exposé, ou au contraire oublié. Objet sacré ou objet magique, il peut devenir objet fétiche, mais peut aussi aisément, d’objet d’adoration, se transformer en objet de détestation, objet exécré ou objet abject. Tantôt lié à l’ordinaire, au banal ou à une familiarité rassurante, il pourra tout aussi bien se faire envahissant et revêtir une inquiétante étrangeté. La représentation n’a pas manqué de refléter la multiplication et la reproduction potentiellement infinie de l’objet à l’ère technologique et industrielle ; dans le même temps le geste littéraire ou artistique n’aura eu de cesse de tenter de soustraire l’objet à son instrumentalisation en donnant à appréhender la « chose » à travers ou à la place de l’objet. Parmi les devenirs de l’objet, il faut donner une place toute particulière sans doute à la longue histoire de cette distinction entre « chose » et « objet ». Celle-ci ouvre un vaste pan de la philosophie au sein de laquelle la « chose en soi » de Kant et la « choséité de la chose » de Heidegger tout particulièrement ont nourri la lecture de textes ou d’œuvres détachant l’objet de son inféodation au sujet humain.

Si depuis longtemps l’objet est entré en résistance au sein de la création littéraire et artistique, on pourra aussi s’intéresser dans ce numéro à des devenirs plus récents de l’objet. Le désir de (re)placer l’accent sur l’objet s’affiche dans le nom même que se donnent certaines théories : « Thing Theory » (Bill Brown), « Object Oriented Ontology » (Graham Harman). La place de l’objet est aussi privilégiée dans une pensée « néo-matérialiste » aux visages multiples, même si l’inspiration deleuzienne s’y avère prédominante. Ce parti-pris de la matérialité qui s’érige contre un matérialisme consumériste que Jane Bennett dénonce comme étant « antimatérialiste » dans Vibrant Matter ne se contente pas de remettre à sa place le sujet humain, mais conduit à des déplacements qui affectent l’objet lui-même. Placé dans un circuit où il est recyclable mais aussi dans un continuum où il s’appréhende comme matière prenant temporairement forme, l’objet devient jeu de forces, nœud relationnel, concentration d’intensités. « Acteur » au même titre que le sujet selon Bruno Latour, il échappe à l’inertie et à la fixité qu’on lui associe et participe à des « réseaux d’actants » en constante reformation. Dans quelle mesure cet objet en devenir ou cet « objet-devenir » s’impose-t-il comme nouveauté ou comme résurgence dans la production littéraire ou artistique ? Que reste-t-il de l’objet-livre, et, singulièrement de l’objet d’art, à l’ère de la dématérialisation. Jusqu’à quel point sont-ils des objets parmi d’autres ou des objets comme les autres au sein de ce devenir ?

Les articles (30 000-55 000 caractères) pourront être rédigés en français ou en anglais.

Les propositions détaillées (300-500 mots) sont à envoyer à Marie Olivier (olivier.marie@ymail.com), Pascale Tollance (pascale.tollance@univ-lyon2.fr) et Anne Ullmo (anneullmo1@gmail.com), pour le 15 septembre 2023.

Les articles sont attendus pour le 15 janvier 2024.

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Numéro courant

Vol. 14 No 2 (2023): L'Incongru

Inattendu, surprenant, parfois déplacé ou inconvenant, l’incongru contrevient aux usages tant esthétiques que moraux ou linguistiques et déroge à la norme, qu’elle soit sociale, narrative ou intellectuelle. Surgissement d’un désordre, l’incongru agit comme un punctum qui vient faire saillie dans « l’étendue, […] l’extension d’un champ que je perçois assez familièrement en fonction de mon savoir, de ma culture » (Roland Barthes, La Chambre claire, 47). Il arrête le regard, le décale, ébranle l’équilibre qui puise sa source dans un familier construit par un savoir, une culture, des attentes. En d’autres termes, il fait effet et déclenche des émotions auxquelles les lecteurs ou spectateurs n’étaient pas nécessairement préparés : étonnement, lorsque par exemple un détail inattendu vient infléchir le cours d’une narration, rire, lorsque se produisent des décalages qui dérèglent la machine, effroi aussi parfois, lorsque le non familier vient bousculer la compréhension du monde. Comme le suggère le préfixe -in, l’incongru apparaît comme une paradoxale soustraction, ce qui vient s’opposer à la convenance, en priver l’instant, tant sur le plan quantitatif que moral et le fait en se parant d’un supplément visuel, sonore, sémantique. Il vient faire effraction dans le sens dont il perturbe la construction et la compréhension en exhibant une disjonction bien souvent sensorielle, en créant la dissonance, en pratiquant des sauts de registres dans lesquels se manifeste parfois un inconscient dont les rêves mettent à mal toute unité ou pensée close de la réalité.

— Numéro coordonné par Sylvie Bauer et Juliana Lopoukhine

Publiée: 2023-10-04
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L’Atelier se veut revue critique en ce sens précisément qu’elle se conçoit comme un espace d’élaboration et de réflexion sur la mise en œuvre de méthodes critiques.

L’Atelier ambitionne d’être un chantier intellectuel où la critique se trouve interrogée, mise à l’épreuve, en même temps qu’est interprétée l’œuvre vers laquelle elle se tourne. Il encourage donc la diffusion d’articles où la théorie interprétative ne s’applique pas à son objet comme s’il lui pré-existait mais, dans tous les sens du terme, s’explique avec lui. Il vise à promouvoir les lectures d’œuvres qui invitent à la réflexion sur la pratique critique sans perdre de vue ce qui la suscite ainsi que celles portant sur les régimes de représentation et les phénomènes de reprise intertextuelle et trans-artistique.

Les articles soumis à L’Atelier pourront mettre en jeu divers champs théoriques sans exclusive, si la démarche correspond aux exigences de cohérence et d’engagement méta-critique de la revue.

ISSN: 2109-9103