Les étranges objets décoratifs de « Choseville » (Villette, Charlotte Brontë, 1853)

Auteurs

  • Isabelle Hervouet-Farrar Université d'Auvergne

Résumé

Dans l’autobiographie fictive de Lucy Snowe, postérieure à l’Exposition universelle de 1851, le romantisme flamboyant de Jane Eyre (1847) a cédé la place à un réalisme toujours ardent, mais également préoccupé de matérialité. Cet article questionne la place faite à l’objet, parfois à la « chose » dans Villette (Charlotte Brontë, 1853) en s’appuyant sur la mention d’objets domestiques brodés, cousus ou peints par les femmes : quelques robes, ainsi que deux écrans à feu, une pelote à épingles et une chaîne de montre. Puisque Lucy a elle-même fabriqué la plupart de ceux-ci, la critique analyse souvent l’objet dans Villette comme la matérialisation d’éléments épars de la psyché de l’héroïne, psyché qu’il serait donc possible de reconstruire et de décrire en interprétant ces objets comme métaphores. Dans un récit marqué par la difficulté à exprimer l’intime, Brontë porte d’ailleurs un très grand intérêt à la classique analogie textile-textuel. Il est nécessaire cependant de dépasser une lecture classique des objets comme métaphores de la psyché de Lucy dans la mesure où, si Brontë les utilise comme relais de l’intime, elle semble finalement les poser en concurrence avec le sujet et son langage. Au-delà de l’animisme, Brontë transforme ces objets décoratifs en fétiches dépositaires d’une histoire qui restera tue. Villette rejette même l’opposition binaire sujet-objet pour mettre en scène le contrôle du discours et la réification, parfois la création de l’humain par des vêtements cousus, des bibelots brodés ou peints. Dans le cas de Lucy, la domination opérée par les « choses » oscille entre protection et menace : si à la conclusion du roman Lucy est placée à l’abri au milieu d’objets, elle est elle-même devenu l’un d’eux.

 

Mots-clés : Charlotte Brontë, Villette, objet, chose, « travaux de dame », animisme, fétichisme

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Publiée

2024-10-13