L’ Haptique déléguée : Gustave Roud et le toucher par procuration
Résumé
Soutenue par une sensorialité exacerbée, par un rapport au monde aussi intense que fébrile, l’œuvre du poète suisse romand Gustave Roud (1897-1976) fait une large place à l’expression du corps. Poésie métaphysique, certes, mais poésie pleinement située. Poésie ancrée dans un territoire, le Jorat — ou plus précisément encore, le Haut-Jorat — la poésie roudienne est également ancrée dans une expérience corporelle intime. Si les sphères intellectuelles, affectives et spirituelles sont puissamment investies, la sensorialité la plus immédiate affleure constamment. Sensorialité immédiate en effet, car le sujet lyrique des proses roudiennes ne manque jamais d’exalter la beauté et la force délicate des corps paysans à-demi vêtus et pleinement désirés. Sensorialité médiate aussi, car précisément ce sont ces corps, contemplés mais inaccessibles, qui cristallisent l’expression sensorielle voire sensuelle de la vie corporelle. Toucher au sens littéral, dès lors, ne caractérise plus prioritairement un sujet lyrique dont l’expérience tactile tend vers une idéalisation, une métaphorisation ou, à tout le moins, une abstraction : toucher devient figural, perdant son sens premier, sensitif, pour acquérir de nouvelles valeurs, imagées et spirituelles. Par conséquent, la réalisation haptique est presque tout entière contenue chez l’autre : celui que l’on regarde, celui qui vit — c’est-à-dire, dans l’esthétique roudienne : chez ce paysan non pas pur symbole mais être réel et incarné.
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