Wodwo ou l'errant : risquer l'être et risquer le langage

  • Sophie Elzière Université Paris-Sorbonne

Résumé

Dans Wodwo, Ted Hughes critique les hommes de la modernité qui, estimant qu’ils étaient au centre et au sommet d’un monde créé pour eux, ont abusé de tout et ont tout détruit. Le poète décrit des âmes damnées, des figures spectrales, sans relief ni reflet, hantées par des ombres plus puissantes et plus consistantes qu’eux. Le motif de la catabase, central dans le recueil, annonce une nécessaire conversion de toutes les valeurs. Lorsque du fond des enfers, le sujet humain se retourne, non plus pour contempler son vain reflet, mais, tel Orphée, pour croiser le regard d’Eurydice, il découvre ce qui fonde sa véritable singularité et la « présence de son absence infinie ». La pensée poétique de Ted Hughes et la poésie de la pensée de Maurice Blanchot semblent se rejoindre en ce point : l'épreuve imposée par la mort devient condition de l’œuvre et de son infini, infini qui est celui de l'être et de la parole poétique. Ainsi, Wodwo, est l’errant qui « risque » l’être et le langage. Sa parole, instable et étrangère, renvoie la singularité et l’individualité de l’homme à un reflet invisible, à une altérité intime mais inconnaissable. Wodwo et son langage ne font qu’un avec le monde naturel : en eux, résonne une musique inaudible qui bruit dans le vent et dont le sens demeure « ancré dans la roche ». La vérité de l’errant s’accorde au rythme total de la nature, dans la « tension d’un infini commencement » qui ouvre encore davantage les chemins du renouveau de l’être et du langage.

Publiée
2020-09-25
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