L’« idiot du village » selon Virginia Woolf : poétique d’une puissance intempestive
Mots-clés :
Woolf, Virginia, idiot, communauté, intempestif, Modernisme, RireRésumé
L’« idiot du village » qui apparaît de manière intermittente sur la scène du « pageant » mis en scène par Miss La Trobe dans Between the Acts, le dernier roman de Virginia Woolf (1941), engendre à la fois le malaise et le rire des spectateurs. L’objet de cet article est d’examiner la manière dont Virginia Woolf se saisit de la figure archétypale de l’« idiot du village » pour en faire une puissance critique et poétique, au rythme de ses apparitions intempestives, à la fois en tant qu’elles sont inconvenantes pour la bienséances, et en tant qu’elles interviennent à contretemps par rapport à la continuité du spectacle. L’énigme que représente la figure de l’« idiot du village » pour les membres de la communauté des villageois rassemblés donne lieu à des tentatives incessantes pour le saisir par le biais des catégories du langage. Ces tentatives d’interprétation se trouvent confrontées aux mouvements erratiques du personnage, à l’excès, à l’incongru, à l’imprévisible, à l’incident qui met en déroute l’intentionnalité, à l’opacité des paroles énigmatiques que l’« idiot » prononce sur scène, à l’échec des catégories du savoir devant ce qui ne fait que leur échapper. L’enjeu herméneutique, toujours reconduit par les apparitions de l’« idiot du village », se fait alors vecteur d’une interrogation sur le temps mythologisant de la « tradition » et ses archétypes. L’énigme d’un dire mystérieux, qu’accompagne une danse de joie, libère alors une puissance intempestive, puissance d’affirmation et d’être comme force de pensée poétique et politique.
The “village idiot” who appears intermittently in the “pageant” staged by Miss La Trobe in Between the Acts, Virginia Woolf’s last novel (1941), generates both unease and laughter from the audience. This article seeks to examine the way Virginia Woolf transforms the archetype of the “village idiot” into a critical and poetic force, as he appears in an untimely manner – both because he threatens propriety and because he appears unexpectedly in the course of the performance. The riddle that the figure of the “village idiot” poses to the community of villagers gathered for the show triggers constant attempts to seize him through the categories of language. These attempts at interpretation are confounded by the character’s erratic movements, by his incongruity, unpredictability and excessive nature and by the opacity of his enigmatic words, such that his appearance constitutes an incident that defeats intentionality and draws attention to the limits of categories of knowledge and to that which escapes them. The hermeneutical task triggered at each of the “idiot”’s apparitions becomes a way to question the mythologizing temporality of “tradition” and its archetypes. The idiot’s enigmatic speech and dance of joy liberate an untimely force, an affirmative power of being that generates political and poetic thought.
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