L'image, piège à regard : obsessions et illusions dans l'oeuvre de Robert Mapplethorpe

Auteurs

  • Jonathan Maho Université Paris VII

Résumé

Le concept d’exposition élaboré par Robert Mapplethorpe (1946-1989) était à l’origine pensé pour une confrontation à des images au contenu obscène. Conçue pour provoquer « un sentiment dans l’estomac », son œuvre devait permettre de recréer une sensation unique – celle ressentie lorsque, adolescent, il découvrit les magazines érotiques aux couvertures censurées. Ainsi selon Mapplethorpe l’image devait être considérée en tant que vecteur d’une émotion révélatrice. « Ce qu’[il] appelle le sentiment dans l’estomac, c’est le signal interne, physique, qu’un changement dans la conscience se produit, provoqué par des sensations, des émotions et des perceptions intensifiées ou intensifiantes », explique la critique Ingrid Sischy.

Afin de faire vivre cette expérience à d’autres, Mapplethorpe tentait d’attirer le spectateur vers ses images par l’exaltation des normes académiques. Ce désir de confrontation visant à recréer les conditions d’une expérience intense peut être interprété à travers l’analyse du regard développé par Jacques Lacan. Dans son Séminaire XI, Lacan a en effet expliqué que lorsque l’artiste peintre « invite celui auquel le tableau est présenté à déposer là son regard », il l’invite de fait à « dépose[r] les armes ». Chez Mapplethorpe, on peut ainsi comprendre la perfection dans la forme telle une main tendue ; pensées pour séduire celui ou celle qui les regarde, les œuvres invitent à baisser la garde face à un contenu difficile. La photographie de Mapplethorpe a ainsi cela de pervers qu’elle joue sur différents rapports : elle donne l’impression d’être belle (au sens où Freud l’entend) mais seulement en raison des conventions qu’elle appelle. Elle semble être une invitation à la contemplation, offrant un plaisir esthétique gratuit, alors qu’en réalité elle est conçue pour nous confronter à un contenu qui dépasse la métaphore et l’imagination.

Cette proposition perverse est formulée deux fois. À une échelle individuelle : la forme de l’image (sa composition équilibrée, ses contrastes...) est pensée pour séduire le spectateur et l’inviter à se confronter à quelque chose de terrible. À l’échelle de l’œuvre : les images agréables, celles qui paraissent innocentes, invitent le spectateur à s’approcher de celles qui le sont moins. Les photographies les plus sages font office d’escortes, accompagnant les images crues exposées à quelques centimètres. On peut ainsi légitimement penser que ce qui rend véritablement obscène la proposition formulée par sa photographie, c’est le fait que le renoncement, l’abandon (le « dépôt du regard », dirait Lacan), soit vendu sous une forme séduisante pour, en réalité, provoquer une confrontation terrifiante. 

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Publiée

2017-12-23