Le chant en réserve : lecture de deux poèmes de Louise Glück
Résumé
Dans un court essai intitulé « Au séminaire » de 1974, Roland Barthes affirme que le texte est « en même temps une folle dépense et une réserve inflexible ». Or, c’est dans le tiraillement entre « folle dépense » et « réserve inflexible » que cet article propose de lire deux poèmes de la poète américaine contemporaine Louise Glück : l'aria de « Penelope's Song » du recueil Meadowlands (1996) confesse l'impossibilité même de la confession alors que son lyrisme semble jeter le dire sans aucune réserve. Le poème dit, par sa forme même, la contra-diction, l'opposition comme l'entrelacs entre chant et poème, entre la parole et le corps d'une écriture toujours déjà épuisée. Dans « A Sharply Worded Silence » de Faithful and Virtuous Night, (2014) la parole se trouve prise dans le mince écart entre l'urgence de raconter et le diffèrement infini du dire et de son objet, gardé précieusement en réserve. Cet article se propose de voir comment la poétique de Glück oscille entre écriture et oralité, entre expansion narrative et repli du sujet lyrique sur lui-même. Il s’agit d’étudier comment celle-ci explore ce qui semble être un à-côté du lyrisme sans jamais s’en déprendre.
In a short essay titled "To the seminar" (1974) Roland Barthes stated that the text is "both an irrational expenditure and an inflexible reserve." This article proposes a reading of two poems by contemporary American poet Louise Glück. It explores how these are torn between "an irrational expenditure" and "an inflexible reserve." "Penelope's Song" (Meadowlands 1996) confesses the utter impossibility to confess anything while casting Romantic lyricism away in an ironic aria. The poem and its form are caught in a literal contra-diction, interweaving song and poem, speech and writing. In "A Sharply Worded Silence," (Faithful and Virtuous Night 2014) speech is caught between the urgency of saying something and the endless deferring of the saying itself. Its writing preciously holds meaning in reserve, underneath language while keeping it at bay. This article means to show how Glück's poetics oscillates between writing and orality, between narrative expansiveness and the folding of the lyrical instance on itself. It explores how her poetics examine the very margin of lyricism without ever giving it up.
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