Isabelle Alfandary
Université de Paris Est Créteil
Dès l’introduction à La Déclosion, Jean-Luc Nancy donne le ton : le texte, qui ne se veut pas une défense du christianisme, se propose de faire l’examen de la part qu’il conviendrait de ne pas passer par pertes et profits :
S’il est besoin de le préciser, je ne prône pas le rétablissement public et publicitaire des indulgences. Mais il s’agit de ne pas se contenter d’un jugement de « primitivisme » et de « cléricalisme », ce qui revient donc à remettre en jeu et en question les paradigmes de la « rationalité », de la « liberté », ou de l’« autonomie », tels, du moins, que l’épopée de l’émancipation du genre humain nous les a transmis. Peut-être faut-il savoir s’émanciper d’une certaine pensée de l’émancipation qui y voyait la guérison d’une maladie honteuse1.
Il s’agit pour Jean-Luc Nancy d’opérer un double mouvement inhérent, semble-t-il, à son objet lui-même :
Cette affirmation, ou cette série d’affirmations, implique la possibilité non seulement de déconstruire le christianisme — c’est-à-dire de l’entraîner dans le mouvement par lequel la philosophie déporte, complique, démonte sa propre clôture —, mais de saisir en lui, en lui sortant de lui, de lui, l’excédant lui-même, le mouvement d’une déconstruction : le désajointement des pierres et le regard dirigé vers le vide (vers la chose-rien), leur écartement (21).
En recourant à l’article indéfini (« le mouvement d’une déconstruction ») l’auteur se garde en apparence de toute généralisation — généralisation qui pourtant semblait diffusément à l’œuvre dans les paragraphes qui précèdent. Nancy y liait passim le sort du christianisme à celui de la déconstruction en Occident.
Pour le moment, une remarque doit suffire, mais essentielle. Le christianisme ne désigne pas autre chose, essentiellement (c’est-à-dire simplement, infiniment simplement : dans une simplicité inaccessible), que l’exigence d’ouvrir dans ce monde une altérité ou une aliénation inconditionnelle. Mais « inconditionnelle » veut dire : non indéconstructible, et doit désigner la portée en droit infinie du mouvement même de la déconstruction et de la déclosion. (20)
Du christianisme Nancy retient un mouvement d’ouverture, l’exigence d’une brèche, la mise en acte d’un écartement dans ce qu’il appelle « ce monde », mouvement qu’il désigne du nom de « déclosion ». La thèse — si c’en est une — ou la prémisse à partir de laquelle, autour de laquelle, se tisse la réflexion suggère, non pas une alliance objective entre christianisme et déconstruction, mais pointe vers des affinités de structure entre les termes : cette identification s’éprouve — non sans provoquer d’ailleurs un certain malaise — plus qu’elle ne se donne à lire noir sur blanc, dans les tâtonnements successifs, les aveux d’incertitude, le diffèrement de l’argumentation, les départs brusques, les revirements inattendus.
La dernière sous-section de l’introduction intitulée « Ce qui suit » s’ouvre sur un retentissant avertissement :
Un simple avertissement pour ceux qui n’auront pas déjà jeté le livre avec fureur, pitié ou découragement : ce qui suit ne constitue pas le développement suivi et organisé qu’on devrait attendre. Ce n’est qu’une recollection, toute provisoire, de textes épars qui tournent autour du même objet sans le prendre de front. Il ne m’a pas paru encore possible d’entreprendre le traitement plus systématique de cet objet, et j’ai pensé souhaitable, en revanche, de mettre à l’épreuve des textes restés assez peu publics, même lorsque, pour la plupart, ils furent publiés. C’est que je ne me sens pas assuré dans cette entreprise : de toutes parts les pièges menacent. Je n’envisage pas tant les oppositions ni les attaques, et pas non plus les approbations empressées, que la marge de manœuvre extrêmement étroite dont peut disposer l’opération (si c’en est une) dont j’essaie de parler. Elle est philosophiquement étroite — par définition — et socialement étroite — prise qu’elle est entre des crispations et des complaisances de tous ordre. Mais c’est ainsi. (23)
L’anticipation de la réception d’une introduction intitulée, non sans quelque ironie, « Ouverture », justifie les termes et les motifs du « simple avertissement » : le moins que l’on puisse dire est que celui-ci n’a rien de simple, mais place le texte qui précède et ceux qui suivent sous le sceau d’une articulation complexe. Le lecteur que vise l’avertissement n’est pas le tout venant : il se définit négativement comme celui qui n’a pas cédé à une impulsion violente de rejet face au texte. Singulière captatio benevolentia que celle qui ouvre, ou plus précisément proroge l’« Ouverture ». Étonnamment, ce n’est pas sa perplexité que postule Jean-Luc Nancy chez son lecteur, mais des sentiments autrement passionnels : fureur, pitié, découragement. L’avertissement atteste que l’auteur n’ignore rien du terrain miné sur lequel il s’avance dans les pages de l’introduction. D’un geste rhétorique, il se défend de redouter la réception à laquelle il donne pourtant un corps et un visage dans la personne du lecteur furieux, dépité ou découragé, et fait mine de renvoyer dos-à-dos lecteurs hostiles et enthousiastes, pour ne considérer que ce qu’il appelle la « porte étroite » d’un dire philosophique inconfortable. C’est sur le fil du rasoir qu’il progresse dans ce texte liminaire. La « thèse » de La Déclosion, affichée comme précaire, retirée avant même d’avoir pris le temps de se formuler, menace, non seulement d’être critiquée, mais condamnée, d’exposer son auteur au-delà des limites de ce « simple » texte. L’ouvrage peut se lire comme une instance de mélecture, de proposition herméneutique menée en connaissance d’une cause qui aussi risquée soit-elle, n’arrête pas son auteur. De ce point de vue, la mélecture ne se conçoit pas comme une lecture frappée du sceau de la contradiction logique, lecture à contresens, mais modalité de lecture qui n’ignore pas sa condition problématique, lecture à contre-courant, qui ne s’ignore pas comme acte de lecture sujet à caution.
Une question demeure : pourquoi le philosophe s’embarrasse-t-il à ce stade de l’introduction de tant de précautions oratoires après s’être exposé de manière aussi imprudente dans les pages qui ont précédé ? La Déclosion, à l’en croire, ressortirait à une tentative aussi dangereuse qu’irrésistible d’aborder un objet obliquement, de formuler une thèse par la bande (« mais sans le prendre de front »). L’« opération » dont il s’agit est indissociable d’un geste herméneutique qu’il performe au détour d’une série de lectures plus ou moins explicites, d’une convocation de quelques intertextes épars mais significatifs.
Par son avertissement, Jean-Luc Nancy cherche à décevoir son lecteur par avance. Celui-ci se trouve doublement déçu par rapport à ce qui précède, que la suite ne viendra pas confirmer, ni conforter, par rapport à ce qui suit et dont l’auteur ne sait lui-même si elle s’avèrera consistante avec son objet. L’ouverture aussi élaborée que polémique, tonitruante qu’imprudente ne tiendra donc pas sa promesse. Elle promet de ne pas la tenir. Tel serait le sens de cet avertissement ambigu. Un avertissement en forme de fin de non-recevoir. Ce qui s’est donné à lire jusqu’ici, sans se dissiper, s’interrompt dans un mouvement discursif de retrait pour le moins inattendu. Un effet d’attente a bel et bien été créé : un horizon qui aura eu à peine le temps de se profiler que déjà il se rétracte. L’avertissement n’est cependant pas de pure forme : il place les textes qui suivent sous un régime conditionnel de réserve, de retrait ; il affecte insidieusement la lecture que Nancy propose de la déconstruction dans son articulation au christianisme.
Dans une note en bas de page qui clôt l’introduction à la série de textes ainsi rassemblés, Jean-Luc Nancy ajoute :
Ceci était écrit un peu avant la mort de Jacques Derrida. La discussion que je pouvais espérer avec lui sur ce motif comme sur l’ensemble des motifs d’une « déconstruction » ou d’une déclosion du christianisme (ou bien d’autre chose encore, plus loin en arrière et en avant que le « christianisme » lui-même) n’aura donc pas lieu. Qu’il me soit seulement permis de dire qu’il avait témoigné être très sensible aux arguments des textes qu’on trouvera ici sous les titres « Le Judéo-chrétien » et « D’un Wink divin », qui l’un et l’autre, s’adressaient à lui. Je ne doute pas, pour autant, qu’il n’en eût pas moins persisté à me résister, comme il résistait aux motifs pour lui trop chrétiens de la « fraternité » ou de « générosité ». La question pourtant ne se limite pas à cette opposition entre nous, car l’enjeu est bien au-delà de ces débats, et il le savait, je crois, fût-ce malgré lui. C’est d’un tel savoir qu’il s’agit de s’approcher, si c’est un savoir : celui d’une très simple, élémentaire même, disposition envers le « hors du monde » au beau milieu du monde, envers une transcendance de l’immanence. (24-25)
Cette note de bas de page en manière d’hommage à l’ami disparu, en guise d’adresse à celui qui ne pourra répondre, est tout sauf anodine. Certains des textes rassemblés furent écrits alors que Jacques Derrida était mourant (« Consolation, désolation »), d’autres furent prononcés de son vivant, parfois même en sa présence (« Le Judéo-chrétien »). La Déclosion comme recueil relève toutefois d’une temporalité différente : les textes ont été colligés et préfacés après la mort du philosophe. Dans l’après-coup de sa disparition, Nancy réunit donc des conférences qui s’adressent à lui. Jacques Derrida est le destinataire d’une adresse dont il ne pourra jamais répondre, mais d’une adresse qui lui est faite malgré tout. On pourrait commencer par s’interroger sur la forme de l’adresse au disparu, question sur laquelle Jacques Derrida s’est lui-même attardé. L’adresse dont il s’agit ici ne relève pas de la catégorie du simple hommage dans la mesure où elle procède d’un acte rhétorique singulier :
Ce que nous contraint à penser, sans jamais y croire, un « ‘true’ mourning », s’il y en a, c’est l’essence du nom propre. Ce que, du fond de notre tristesse, nous appelons la vie de Paul de Man, c’est, dans notre mémoire, le moment où Paul de Man lui-même pouvait répondre au nom de Paul de Man et répondre du nom de Paul de Man. À l’instant de la mort, le nom propre demeure, nous pouvons nommer, appeler, invoquer, désigner à travers lui, mais nous savons, nous pouvons penser (cette pensée vient d’une mémoire mais elle ne se résume pas à la simple mémoire) que Paul de Man lui-même, le porteur du nom et le pôle singulier de tous ces actes, de toutes ces références, n’y répondra plus jamais, plus jamais lui-même, plus jamais qu’au travers de ce que nous appelons mystérieusement notre mémoire2.
Le recours par Jacques Derrida aux italiques (au nom de, du nom de) au sujet de Paul de Man contraste avec l’usage que Jean-Luc Nancy fait de l’incise dans la note en bas de page (« fût-ce malgré lui ») pour parler de Jacques Derrida. L’effet de l'italique qui opère une mise en abyme typographique du sujet nommé en tant qu’il répond de son nom et à son nom dans l’acte de parole et prend acte de son décès pour tenter dans un même mouvement de l’en relever, diffère de celui qui résulte de l’incise telle que la manie Jean-Luc Nancy. La comparaison entre les deux modalités posthumes de disposer du nom d’autrui n’est pas indifférente, ne serait-ce que parce que Jean-Luc Nancy, lecteur attentif de Derrida, ne peut pas ne pas avoir eu connaissance du texte de Mémoires et de manière plus générale de la problématique de l’adieu derridien telle qu’elle se décline notamment dans un recueil d’oraisons funèbres3. Jean-Luc Nancy « fait » parler Jacques Derrida par sa bouche, et littéralement à son corps défendant : « fût-ce malgré lui ». La Déclosion, pour tout ou partie, est ainsi adressée à Jacques Derrida, nonobstant sa réticence posthume et postulée à certaines des thèses qui s’y dessinent. Ce que fait l’incise est rien moins que d’arracher un consentement que rien ni personne n’autorise. Préjuger de la pensée secrète ou inavouable d’un vivant pourrait déjà passer pour un acte impardonnable, pourquoi l’interlocuteur et l’ami se risquerait-il à présumer de la pensée d’un disparu ? C’est au nom de Jacques Derrida que Nancy prend — ponctuellement — la parole, au double sens du terme — et ce, au risque d’offenser la mémoire d’un mort : en tant qu’il fait parler Derrida in absentia, en tant qu’il parle en son nom, sous couvert du nom « Jacques Derrida ». En prenant la parole pour Jacques Derrida, en lieu et place de Jacques Derrida, il se trouve prendre la parole contre lui, pour le faire se dédire, le mélire.
Ce dispositif d’adresse mis en œuvre à la fin de l’introduction n’est ni commun, ni anodin. Il inaugure et pèse à la manière d’un pacte de lecture infrapaginal sur le recueil et particulièrement deux chapitres: « Le Judéo-chrétien », « D’un Wink divin ». Ces deux textes concernent Jacques Derrida et le mettent en demeure de répondre, mise en demeure qui coïncide exactement avec l’impossibilité dans laquelle il se trouve de pouvoir répondre à cette invite. C’est cette gageure que nous voudrions tenter de relever en faisant répondre Jacques Derrida autant que faire se peut depuis quelques-unes des positions et des propositions qu’il a pu lui arriver de soutenir, en nous proposant de le mélire à notre tour.
Jean-Luc Nancy veut ne pas douter de la réponse de Jacques Derrida, d’un assentiment obtenu par-delà ses réticences, littéralement arraché à l’au-delà et au nom d’un enjeu supérieur d’ailleurs passé sous silence. Nancy présume rien de moins, dans un acte performatif dont il faut mesurer la force et même la violence, étant donné le contexte posthume, que de la réponse de l’ami, connu mieux que lui-même. C’est à partir de cet acte interprétatif que nous voudrions penser la notion de mélecture, dans son articulation singulière à l’adresse posthume. Mélire deviendrait le paradigme du lire, conçu comme relève d’un texte saisi dans l’absence de son auteur. Radicalisant l’acte de lecture, la mélecture pourrait se concevoir une épure de lecture. Mélire, notons-le au passage, est une activité inconnue du français alors que son usage est couramment attesté en anglais. Quel est donc ce « savoir » (« C’est d’un tel savoir qu’il s’agit de s’approcher ») avec lequel il faudrait que Jacques Derrida tombe d’accord « fût-ce malgré lui » ?
Dans le texte de sa conférence dont le chapitre « Le Judéo-chrétien » est tiré, conférence prononcée en sa présence4, Nancy assigne à Jacques Derrida une identité éponyme, certes fragile et problématique : « Aujourd’hui donc pour nous, le judéo-chrétien, ce sera Jacques. Et ce sera, de quelque manière qui reste à discerner, un fil ou un trait d’union secret qui pourrait relier le Jacques autour duquel ou au prétexte duquel nous sommes réunis ici et qui est un autre judéo-chrétien, ou bien qui est un autre judéo-helléno-chrétien » (70). Dans son texte, il est constamment question de deux « Jacques » : l’auteur de l’Epître néo-testamentaire et « l’autre », Derrida, convoqué au titre de son essai Foi et savoir. Nancy ne résiste pas au plaisir de passer d’un Jacques à l’autre5, d’un Jacques chrétien à un Jacques juif, à moins que celui-ci ne soit « judéo-chrétien ». De la duplicité des Jacques, Jean-Luc Nancy use et abuse depuis la première note de bas de page du chapitre à telle enseigne qu’à chaque nouvelle occurrence, un trouble, une incertitude, aussi ténue que passagère, s’empare du lecteur forcé le cas échéant de (se) corriger : le Jacques dont il s’agit dans la plupart des cas est celui de l’Epître. Le texte de Nancy n’en joue pas moins sur la possibilité de la méprise, sur les effets de sens inédits qu’emporte le mélire. Le prénom du philosophe ainsi décliné clignote à tout instant sous celui de l’apôtre. Aussi inactuelle ou délirante soit-elle, la possibilité d’un tel mélire est en puissance dans le dispositif de la confusion des prénoms.
Le prénom « Jacques » que le texte mentionne cite à l’envi, et plus que de raison, par lequel il interpelle obliquement Derrida, n’est d’ailleurs pas le prénom de naissance — pas même le prénom de circoncision ainsi qu’il s’en est expliqué6 — du philosophe, mais celui-ci qu’il prit — qu’il se donna à lui-même — à un tournant de son parcours éditorial, comme nom de baptême philosophique. « Jacques » que Derrida substitue à « Jackie » comme nom de plume n’est pas simplement la version francisée de son prénom, mais également un prénom biblique, le nom d’un patriarche, d’un apôtre, un prénom par définition « judéo-chrétien ». « Jacques » est en effet le double de « Jacob ». Jacques et Jacob sont tirés du même mot hébreu qui signifie « talon ». La légende biblique veut que Jacob serait né en tenant son frère Ésaü par le talon. Une autre racine étymologique est attestée qui lie Jacob au verbe « supplanter », allusion au plat de lentilles par lequel celui-ci prit son droit d'aînesse au même Ésaü. Le prénom Jacques dont Jean-Luc Nancy joue tout au long du chapitre n’est pas exempt d’une sémantique du double, et de la duplicité.
Ce jeu de va-et-vient entre les prénoms, d’abord repérable, finit par perdre le lecteur insensiblement : quand il est question de l’interprétation par « Jacques » du geste d’Abraham, les deux Jacques, l’apôtre et le philosophe français, se trouvent pris dans une concurrence exégétique pour le moins anachronique. Les lecteurs de l’œuvre de Derrida qui connaissent le commentaire que celui-ci a livré du geste abrahamique dans Donner la mort7, doivent suspendre leur jugement jusqu’à ce que la phrase suivante vienne infirmer leur hypothèse de lecture pourtant plausible: c’est de l’autre Jacques, celui de l’Epître, dont s’entretient Nancy en relation avec cet autre lecteur de la parole christique dont les interprétations performatives ont marqué et informé la tradition : Paul. « Contrairement à Paul (Romains, IV), Jacques tient qu’Abraham est justifié par son œuvre, qui est ici précisément désignée comme l’offrande d’Isaac » (78). Notons au passage, et ce alors même que Jean-Luc Nancy, délibérément ou non, ne s’y arrête pas, que la lecture paulinienne sur ce point d’exégèse8 rejoint celle que Jacques Derrida donne de l’épisode du sacrifice d’Isaac dans le chapitre « Pardon de ne pas vouloir dire ». De ce strict point de vue, Jacques Derrida se sépare du Jacques de l’Epître pour se rapprocher de Paul, lequel avait en partage avec lui, à la naissance, la même religion de l’Alliance.
Le judéo-chrétien dont il s’agit, entre autres, est, ou comme le dit Nancy « sera », Jacques Derrida, découvreur de la déconstruction. Deux pages plus tôt, au détour d’une parenthèse, Nancy s’est essayé à la double définition d’une déconstruction et de la déconstruction.
(Parenthèse pour deux axiomes : 1) une déconstruction est toujours une pénétration ; ce n’est ni une destruction, ni une remontée vers l’archaïque, ni une suspension d’adhésion ; c’est une intentionnalité de l’à-venir enserré dans l’espace par lequel la con-struction s’ajointe ; 2) la déconstruction appartient donc à une construction comme sa loi ou comme son schème propre : elle ne lui vient pas d’ailleurs). (68)
Par le biais du « judéo-chrétien », Jean-Luc Nancy lit la déconstruction comme effet de construction, comme toujours déjà inscrite dans le tiret d’un substantif dont les deux termes tiennent ensemble en même temps qu’ils invitent à penser leur différence : ce sur quoi le « judéo-chrétien » ouvre, ce à quoi il invite, est une conjonction inséparable d’une disjonction, une disjonction conjonctive. Le sens du judéo-chrétien, tel que l’entend Jean-Luc Nancy, est à chercher dans le trait d’union, ce qu’il appelle également « la possibilité du cum considéré pour lui-même » (68).
Le judéo-chrétien, au-delà de la figure de style, des guillemets, prend figure dans la personne du Christ. Le Christ est par définition le premier judéo-chrétien de la tradition. Au cœur de la figure christique, le tiret est au travail et ce, jusque dans son martyr. Jésus est cette figure par laquelle une religion s’articule à l’autre pour devenir autre :
Il se produit ici une déconstruction avant la construction, ou pendant la construction, et en son cœur. Elle n’annule pas la construction, et je n’ai pas l’intention de refuser, au nom de Jacques, l’examen ultérieur de la construction chrétienne — selon le geste de « ressourcement » et de « purification » de l’origine, si obsessionnel dans le christianisme, dans le monothéisme et dans l’Occident. Mais cette déconstruction — qui, précisément, ne sera pas un geste rétrocédant vers une sorte de lumière matinale — appartient dès lors au principe et au plan de la construction. Elle est dans son ciment : elle est dans le trait d’union, elle est du trait d’union. (84)
Au point de bascule de l’argumentation se donne à lire un double-entendre indémêlable : « au nom de Jacques ». En cette occurrence précise, il est impossible d’assigner à « Jacques » un visage plutôt qu’un autre. Le prophète aussi bien que le philosophe peuvent s’entendre également ici. Il semble même qu’en ce lieu précis les deux options de lecture, loin de s’exclure, se superposent. « [Et] je n’ai pas l’intention de refuser, au nom de Jacques, l’examen ultérieur de la construction chrétienne » : l’incise résonne comme la réitération d’une revendication déjà rencontrée dans l’avertissement. Ce que Jean-Luc Nancy cherche à faire valoir est la consistance intrinsèque du christianisme et de la déconstruction. Le sous-entendu de la formule, par-delà l’ambigüité qu’elle recèle, est de confesser combien le « nom de Jacques » aurait pu faire obstacle à un tel questionnement. Invocation toute paradoxale, « au nom de Jacques » est le speech act du passer-outre, comme si le nom de Jacques (Derrida) avait pu empêcher à la manière d’une interdiction surmoïque qu’une hypothèse ne se formule ou ne s’explore. La Déclosion peut aussi se lire entre les lignes comme l’effet d’une levée d’inhibition dans l’après-coup de la disparition d’une figure quasi-paternelle.
Le « judéo-christianisme » s’entend donc comme une déconstruction, déconstruction du judaïsme, mais d’une déconstruction qui n’exclut tout à fait la possibilité de sa destruction dans la forme de sa relève non exempte de négativité. A l’occasion de la lecture de l’Epître de Jacques, Jean-Luc Nancy suggère plutôt qu’il ne la soutient la thèse selon laquelle la déconstruction serait chrétienne, le christianisme se donnant comme toujours déjà pris dans le mouvement de sa/la déconstruction. Ce qui ressortit à une hésitation, une oscillation grammaticale que manifestaient déjà les deux définitions axiomatiques livrées dans l’introduction constitue le point de bascule de l’argumentation comme point aveugle: le glissement plus ou moins insensible d’une déconstruction (« une déconstruction est toujours une pénétration ») à la déconstruction (« la déconstruction appartient donc à une construction comme sa loi », 68). La légitimité d’un tel glissement du défini à l’indéfini, des conditions de possibilité de cette généralisation ne vont pas de soi. Si l’on peut présumer que la déconstruction comme force est à l’œuvre dans toute déconstruction particulière, le lecteur de La Déclosion est conduit à s’interroger sur le point de savoir si la déconstruction du christianisme est une déconstruction parmi d’autres ou la déconstruction elle-même. La question aussi irrépressible soit-elle menace de se révéler spécieuse : se peut-il qu’il existe des déconstructions ? La déconstruction n’est-elle pas tout entière en jeu dans toute déconstruction ? Le déterminant, quel qu’il soit, piège. Jean-Luc Nancy n’en juxtapose pas moins, sans chercher à les commenter, ni à les articuler, les deux termes.
Il insiste cependant pour que la dé-construction se lise comme articulée autour d’un trait d’union qui rend saillante sa dimension d’édification. La déconstruction n’est pas une destruction, mais la loi de toute construction. Elle est définie comme la condition de possibilité de tout édifice, la règle de l’articulation de ses parties, de l’ajointement de ses pierres. Ce qui fait tenir ensemble les éléments est ce précisément qui les sépare, les oppose, les désunit. Le trait d’union est la marque typographique d’une articulation qui ne veut, ni ne peut s’effacer dans une relève oublieuse des termes d’une résistance, d’une incompatibilité originaire et fondatrice de ses constituants. La métaphore du ciment qui précède celle du trait d’union et avec lequel le trait d’union finit par se confondre, sinon littéralement se fondre, se justifie par le tropisme de l’édification. Le léger forçage grammatical auquel se livre Nancy qui substitue à l’article défini un partitif (« du trait d’union ») peut aussi se lire, au-delà de la qualité matérielle et paradigmatique ainsi mise au jour, comme l’indice d’un devenir-non-singulier. Le trait d’union fait plus que réunir ou articuler, il cimente, fond et confond. Il se perd lui-même comme instance de médiation, lieu d’une articulation repérable, d’un entre-deux : ce qui se perd dans la disparition de l’article défini (« le trait d’union ») est la possibilité d’identifier un espace à mi-chemin entre les termes, le lieu de la différance. Le trait d’union entre les mots, voire à l’intérieur des mots (dé-construction) comme le ciment entre les pierres finit par s’effacer alors que leur existence leur est respectivement indispensable.
Malgré son horizontalité, ou précisément du fait de son horizontalité, le trait d’union fait tenir ensemble les pièces, les pierres d’un édifice. Un autre prénom d’apôtre que Nancy ne nomme pas traverse l’horizon du chapitre à la manière d’un spectre homophonique et comme par effraction : Pierre. Un intertexte semble irrépressiblement convoqué à sa suite : la parole du Christ qui lie l’apôtre au destin de l’Église et l’ob-lige : « Et moi, je te dis que tu es Pierre, et que sur cette pierre je bâtirai mon Église, et que les portes du séjour des morts ne prévaudront point contre elle. Je te donnerai les clefs du royaume des cieux : ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux, et ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux9 ». Pierre et les apôtres, au nombre desquels Jacques, sont institués par Jésus pour servir de fondations, de pierres « vivantes » à son Église. La métaphore de la maçonnerie sous-tend celle de l’Église conçue comme maison commune et celle, sous-jacente, de la pétrification. La construction n’est pas un sémantème comme les autres, car toute construction fait potentiellement signe vers l’Église.
Le ciment de la dé-construction est pénétrant. Le trait d’union figure une horizontalité qui pourrait masquer une relève, elle, verticale. Comment dans ces conditions penser le trait d’union comme co-existence, et non comme négativité absorbante ? Le trait d’union, en cimentant les pierres, ne les laisse pas intactes, mais s’insinue entre elles. On ne saurait trop parier sur l’innocence, l’innocuité d’un trait d’union. On ne peut catégoriquement exclure qu’il s’avère une figure de la relève, une figure christique de dialectique, même si Jean-Luc Nancy dit vouloir se garder de ce terme avec vigueur10. Dans le « judéo-chrétien », le second terme fait courir au premier le risque d’un dépassement, d’un devenir qui pourrait s’avérer plus destructeur que prévu. Le christianisme ne serait-il pas seul à « relever » du « judéo-christianisme » ? Équation singulière du judaïsme, à-venir imprévisible et imprévu de celui-ci, le « judéo-chrétien » ne signerait-il pas l’opération de relève du judaïsme qui s’appelle couramment christianisme ? Le risque inhérent au vocable « judéo-chrétien » que l’on pourrait opposer à l’auteur de La Déclosion est d’accréditer la thèse selon laquelle le christianisme opèrerait une synthèse quasi-hégélienne du judaïsme.
La mort de Jacques Derrida occupe une place tout sauf incidente dans La Déclosion, basse continue, loi de composition thématique de l’ouvrage. L’article « Consolation, désolation », singulièrement placé en son cœur, est l’éloge funèbre que Jean-Luc Nancy lui rendit dans le Magazine Littéraire11. La Déclosion peut à la limite se lire comme un « journal de deuil » dans tout ce que le deuil comporte d’ambigu : hommage à l’ami défunt, bilan de la déconstruction et pourquoi pas règlement de comptes avec le disparu qui du fait de sa défection, même involontaire, est tenu pour coupable de laisser le champ de la déconstruction excessivement vide, désolé — libre. A la fin de « Consolation, désolation », alors que Jean-Luc Nancy évoque l’« insupportable » loi de la mortalité, il cite Jacques Derrida d’une manière qui n’est pas sans faire lointainement écho au geste de l’introduction : « Qui donc vivrait, enfin, sans pratiquer, fût-ce sans le savoir, ce que je désigne ici d’une citation prélevée par force et mise hors contexte : “un hymne, une louange, une prière” tournés vers l’autre de la vie présent dans la vie même, “une imploration de surrection, de résurrection” telle que c’est elle-même, l’imploration qui est la résurrection ? » (152, mes italiques)
Le mélire à l’œuvre dans La Déclosion tient à la mise en œuvre non pas d’une force extrinsèque de lecture, mais d’une force dans la lecture, procède de l’exercice d’une force dans l’acte de lire, d’un exercice de la force qui peut à l’occasion s’apparenter à un passage en force. La citation « hors contexte » du philosophe ayant lui-même théorisé le principe de la réitérabilité du signe ne surprendra pas le lecteur, à ceci près que cette citation qui, en tant qu’elle est prise dans le mouvement de réitération échappe par définition au contexte non réitérable de son inscription première et de toute intentionnalité originaire, est dite avoir été « prélevée par force ». Pourquoi « par force » ? Pourquoi cette violence faite au lieu même de la parole élégiaque ? Quel besoin d’en appeler à la force et de rappeler l’évidence cruelle du « hors contexte » qui fait signe vers la mort ? Pourquoi mettre en scène un geste aussi commun que celui de la citation ? Pourquoi faire parler Jacques Derrida à son corps (défunt) défendant et le faire acquiescer à une thèse évidemment étrangère ? La force qui s’exerce porte sur le corpus derridien, corpus définitivement coupé du corps de son auteur. La corporéité du texte ne tient pas à la seule catachrèse du corpus, mais se trouve ici ravivée par l’identification de l’acte de citation comme « prélèvement ». Au corpus derridien ne correspond plus, ne correspond pas, n’a sans doute jamais correspondu un corps qui puisse répondre de son nom, de son autorité d’auteur. L’expérience de la défection de l’auteur est rendue plus patente, plus irrémédiable dans le cas de sa disparition réelle et définitive. La mort de l’auteur n’est toutefois, ainsi que Derrida l’a lui-même soutenu, qu’un cas particulier du défaut dans lequel tout auteur se tient par rapport à son texte :
Mon nom propre me survit. Après ma mort, on pourra encore me nommer et parler de moi. Comme tout signe, « je » inclus, le nom propre comporte la possibilité nécessaire de pouvoir fonctionner en mon absence, de se détacher de son porteur : et selon la logique qu’on a déjà expérimentée, on doit pouvoir porter cette absence à un certain absolu, qu’on appelle la mort. On dira donc que, même de mon vivant, mon nom marque ma mort. Il est déjà porteur de la mort de son porteur. Il est déjà nom d’un mort, la mémoire anticipée d’une disparition12.
C’est cette possibilité de « me nommer après ma mort et parler de moi » qu’explore Jean-Luc Nancy, c’est à partir de cette possibilité qu’« il s’aventure » (156), une possibilité dont procède le principe de toute signature en ce qu’elle appelle « contresignature », laquelle note Geoffrey Bennington, est à entendre dans tous les sens, y compris au sens polémique de la préposition « contre ». Dans La Déclosion, Nancy touche à la signature de Jacques Derrida, en l’effleurant, la caressant aussi bien qu’en la contredisant, la forçant. Dans les chapitres qu’il lui consacre, il lit contre Jacques Derrida, au plus près de lui, au point de s’autoriser de l’intimité qui l’unissait à lui pour retourner le texte derridien pratiquement contre lui-même. C’est comme si pour Nancy, lire Derrida fidèlement, au nom de la fidélité à l’ami et à l’aventure de la déconstruction, impliquait de lire contre lui, d’exposer le texte derridien à des contextes incalculables, à un à-venir à haut risque. Le mélire pourrait s’entendre comme forme ultime, sublime de fidélité, d’une fidélité prête à courir tous les risques jusque et y compris celui de l’injustice. Dans les deux occurrences qu’il nous a été donné de pointer, le nom de Jacques Derrida est l’objet d’une mention au service d’une fin qui l’excède, le dépasse: qu’il s’agisse, comme dans la citation, d’un texte réel, ou comme dans l’introduction, d’un sous-texte soufflé, d’une lecture entre les lignes.
Dans sa glose de la thèse derridienne de la signature, Geoffrey Bennington13 se montre d’ailleurs curieusement réservé : « je », en dépit de ce qu’il suggère, n’est pas un signe comme les autres au regard de la survie du nom. Si son devenir n’est pas sensiblement différent, il est incontestablement plus radical que celui de tous les autres signes. Plus que tout autre, « je » est non seulement susceptible de se détacher, mais se détache de fait de son auteur aussi bien que de son nom dans l’opération pronominale. Pour que Jacques Derrida devienne « je » à lui-même, pour qu’il puisse prononcer ce signe à son endroit, se manifester à travers lui, exister en et par lui, il lui a fallu, comme à tout sujet d’énonciation, renoncer à s’appeler « Jacques Derrida » dans son propre discours. Il appartient à la structure du signe d’être détachable ; dans le cas du pronom sujet, il est toujours déjà détaché de son porteur. « Je » ne fait sens, ne fait signe qu’à celui et qu’à partir de celui qui a disparu à son nom propre.
La mort n’est jamais qu’un cas particulier et extrême de l’absence de l’auteur au texte qu’il a signé et a de facto abandonné sous l’effet de sa signature. En apposant cette marque en effet, l’auteur se dessaisit de son écrit. La signature de l’auteur qui se lit sur la couverture ou au bas du contrat d’édition signe son départ de sa position de sujet d’énonciation, marque sa régression à une place de tiers, agit son auto-exclusion. Ce texte qui est le sien ne peut lui appartenir qu’à la condition expresse qu’il s’en défasse. Exister pour un texte suppose le défaut, la défection, la défaillance de la personne de l’auteur. Le texte contient la mort dans sa structure, a la mort pour structure en ce qu’il postule l’absence à soi comme dispositif : d’où l’idée que l’expérience de l’écriture communique à son auteur le schème du mourir.
Le mourir sur lequel se conclut « Le Judéo-chrétien » relève pourtant d’une tout autre logique. L’onction sur laquelle Jacques clôt son épître diffère radicalement de la signature. Alors que dans la non-présence de l’auteur aux signes, la mort n’est jamais un cas particulier de l’absence, elle est dans le cas de l’onction la règle même de l’existence, qui met l’existant aux prises avec une présence conçue, non comme d’emblée dérobée, mais au contraire comme tension vers, expérience-limite. La différence tient ici au statut de la présence, à son orientation sur la ligne du temps : dans l’écriture, celle-ci est toujours déjà perdue, objet d’un deuil à soi en tant que dessaisi, démuni, alors qu’elle est dans la foi expérience de l’Autre selon la modalité de l’espérance, sans cesse relancée, indéfiniment en passe d’être touchée et manquée. Si l’écriture a en commun avec la mort d’être « inappropriable », elle diffère radicalement d’elle du point de vue de « la proximité de la présence » (87) qu’elle ignore.
C’est-à-dire que l’onction signe, non pas ce qu’on appellera plus tard une vie éternelle au-delà de la mort, mais l’entrée dans la mort comme dans la parousie finie qui se diffère indéfiniment. L’entrée dans l’inadéquation incommensurable. En ce sens, chaque mourant est un messie, et chaque messie est un mourant. Le mourant n’est plus le mortel dans sa distinction d’avec les Immortels. Le mourant est le vivant dans l’acte de la présence incommensurable. Toute onction est extrême, et l’extrême est toujours proche : on ne cesse d’y toucher. La mort est liée au péché : ce qui veut dire, à la déficience d’une vie qui ne pratique pas la foi – qui ne peut pas la pratiquer sans défaillir – à la hauteur incommensurable du mourir. Mais la foi donne malgré tout, elle donne justement le mourir (« donner la mort », dit-il) dans son incommensurabilité : un don qu’il n’est pas question de recevoir pour le garder, pas plus que l’amour, la pauvreté, ni la véridicité (qui sont, pour finir, la même chose que le mourir). (86)
L’onction signe, mais non pas au sens de l’écriture. L’auteur n’entre pas dans la mort car la mort ne relève pas pour lui d’un à-venir singulier, mais ne se communique métonymiquement à lui qu’en tant que l’absence — dont la mort est une modalité parmi d’autres — est inscrite de la structure du signe. Si l’absence est la loi du signe, la présence est paradoxalement une catégorie pratiquement non pertinente dans le champ de l’écriture. Quoiqu’il en soit, l’extension de la catégorie du mourant au vivant, l’identification du mourir à « l’amour, la pauvreté, la véridicité », comme un lointain écho aux vertus cardinales du christianisme, peuvent surprendre sous la plume du philosophe athée. Si la mort « met [le vivant] en présence de l’exister même » (87), elle est posée comme loi du christianisme, vérité de la vie chrétienne : « Il [l’homme] devient le mourant d’un mourant qui double le temps de sa vie » (85). Le christianisme pense la mort comme connaissance de la limite de la présence, in-connaissance de la présence à laquelle elle touche, dédoublement aussi paradoxal qu’arithmétique du temps de la vie vouée au mourir.
Un intertexte derridien est convoqué passim sur un mode plus libre que jamais, simple clin d’œil qui ne s’embarrasse, ni ne s’oblige d’aucune glose sur l’identité d’ailleurs explicite de son auteur « dit-il » (86). « Donner la mort » telle que l’envisage Derrida, lecteur de l’épisode du sacrifice d’Isaac, n’est aucunement assimilable, ni même comparable au don de la mort dont s’entretient Jean-Luc Nancy à ce point précis de son argumentation. Au-delà même de la pertinence, le sens de la convocation interroge. L’intertexte derridien semble faire retour, presque malgré lui, en écho à la formule qui se propose sous la plume, à moins que la formule de Nancy (« elle donne justement le mourir ») ne soit elle-même dérivée de la pensée d’un tiers dont le philosophe salue la mémoire lorsqu’elle lui revient. Certes Abraham, dans la lecture qu’en livre Jacques Derrida, ne peut pas ne pas pratiquer sa foi sans risquer de défaillir au moment de porter le coup mortel, cependant la foi qui l’anime et le retient dans un mouvement presque contemporain, est indépendante de la question du péché.
La convocation de l’intertexte a toutefois ses limites : la question de la foi telle qu’elle se pose pour Derrida ne peut être immédiatement mise en dialogue avec la perspective de Nancy dans ce chapitre. Elle est pour l’auteur de Donner la mort et de Foi et savoir inséparablement liée à la problématique du messianisme sans messie et aux actes performatifs que sont le parjure et la promesse dont ce dernier procède14. Ultimement replacée à la fin du chapitre par Nancy dans la perspective de la déconstruction du christianisme, elle est conçue comme pierre de touche de ce que le philosophe appelle « la composition d’une décomposition de la religion » : « Comment la foi a entamé un jour, avec l’Occident, la composition d’une décomposition de la religion, voilà ce qui met ce jour-là encore devant nous, ni juif, ni chrétien, ni musulman non plus — mais comme un trait tiré pour espacer cette union » (87).
Dans Mal d’archive, Jacques Derrida avait posé la question d’une autre articulation problématique qui n’est pas sans rappeler l’un des enjeux tacites de La Déclosion : il y interrogeait la relation de parenté, de filiation, d’affinité entre judaïsme et psychanalyse. Cette question, il ne l’abordait pas en son nom propre, mais par le biais de Sigmund Freud. Dans les pages que Derrida consacre à cette question, il semble avoir répondu par anticipation à la thèse nancéenne, lorsqu’il évoque le « secret de Freud, [de] sa pensée dissimulée ou inavouable selon laquelle la psychanalyse serait un judaïsme sans Dieu15 ». A moins qu’il ne faille lire le texte de La Déclosion comme l’interpellation posthume de Nancy au Derrida de ces quelques pages de Mal d’archive, texte dont Nancy ne fait aucune mention.
L’auteur de La Déclosion ne va pas jusqu’à soutenir que la déconstruction est, serait chrétienne. Cette thèse, formulée de la sorte, rien qu’au titre de son essentialisme, serait irrecevable, sinon absurde. Cependant une thèse implicite, que je serais tentée de qualifier d’hypo-thèse, que certains embarras rhétoriques paraissent trahir, thèse qui ne peut ni ne veut s’énoncer en toutes lettres lie cependant le christianisme à la déconstruction. L’idée en revanche selon laquelle la déconstruction serait au principe même du christianisme est plus qu’une suggestion susurrée, se trouve formulée avec précaution mais clarté. Son corrélat flotte quant à lui à la manière d’un spectre sur l’introduction et « Le Judéo-chrétien » : si la psychanalyse a pu être dite juive, la déconstruction serait-elle chrétienne ? La foi qu’évoque Nancy dans les derniers mots de l’article relèverait-elle d’une foi (chrétienne) sans Dieu ? Comment interpréter la communauté performative à laquelle se rapporte le pronom de la première personne du pluriel (« nous ») : « nous, ni juif, ni chrétien, ni musulman non plus » (87) ?
Jean-Luc Nancy se retrouverait ainsi face à Jacques Derrida dans la position dans laquelle Yerushalmi s’est trouvé face à Freud : Derrida, Freud, morts, sont convoqués pour répondre d’une intuition pratiquement inénonçable, dont la formulation même pose problème, la possibilité théorique laisse perplexe, l’idée enfin fait légèrement frémir leurs auteurs. Nancy comme Yerulshalmi obtiennent une réponse à leur suggestion dans un texte antérieur à leurs questions respectives, comme par effet d’après-coup. Dans un cas comme dans l’autre, il semble que le « fantôme du patriarche » de la psychanalyse, comme celui de la déconstruction, adressent à leurs disciples une réponse au futur antérieur.
Tout d’abord, il apparaît qu’en privé, j’y insiste, dans une lettre privée, Freud avait déjà donné, pour l’essentiel, la réponse même que Yerushalmi semble attendre ou fait semblant d’attendre, en promettant de la garder pour lui, comme s’il voulait avoir en secret pour lui, ici, pour lui-même, Yosef Hayim Yerushalmi, le principe d’une réponse aussi privée que Freud avait déjà faite (soixante-cinq ans auparavant) à Enrico Morselli. Comme s’il voulait partager avec Freud, tout seul, un secret que Freud avait déjà confié à un autre, avant même la naissance de Yerushalmi : « En 1926, écrit Yerushalmi, vous déclariez en privé à Enrico Morselli n’être pas certain que la psychanalyse soit, comme il le pensait, un produit de l’esprit juif, mais si c’était le cas, vous n’en seriez pas “honteux”16 ».
Quelle serait alors la réponse de Derrida à la question informulée de Jean-Luc Nancy, à l’équation inavouable de La Déclosion ? Elle semble se trouver noir sur blanc à quelques pages de là. La fin de non-recevoir qu’il adresse comme par avance à La Déclosion et non sans ménager certaines réserves tient au caractère originaire et éminemment problématique de l’archive en tant que fondatrice:
Une science, une philosophie, une théorie, un théorème, dans la structure classique de leur concept sont ou devraient être intrinsèquement indépendants de l’archive singulière de leur histoire. On sait bien que ces choses (la science, la philosophie, la théorie, etc.) ont une histoire, une histoire riche et complexe qui les porte et les produit de mille façons. On sait bien que, de façons diverses et compliquées, les noms propres et les signatures comptent. Mais la structure de l’énoncé théorique, philosophique, scientifique, et même quand il concerne l’histoire, n’a pas, ne doit pas avoir en principe un besoin intrinsèque et essentiel de l’archive, et de ce qui lie l’archive sous toutes ses formes à du nom propre ou à du corps propre, à de la filiation (familiale ou nationale), à des alliances, à des secrets. […] Mais dès qu’on parle de science juive, quoi qu’on entende sous ce nom […], l’archive devient un moment fondateur de la science comme telle. […] Il s’agit rien de moins que de prendre au sérieux la question de savoir si une science peut dépendre de quelque chose comme une circoncision17.
Jacques Derrida ne cherche pas à nier pas l’existence de relations historiques entre judaïsme et psychanalyse. La déconstruction, pourrait-on nous objecter n’est pas une science — mais sans doute la psychanalyse n’est-elle pas une science non plus, tout au moins pas une science comme une autre, malgré l’effort de Sigmund Freud pour la fonder comme telle —, la déconstruction n’est pas même une philosophie à part entière : elle n’en est pas moins un mouvement qu’il faudrait entendre non pas au sens restrictif d’école philosophique, mais au sens de force à l’œuvre dans les textes. Pas plus chrétienne que juive, la déconstruction est traversée autant qu’issue d’un complexe de traditions qui sont autant d’archives contradictoires que le terme de « judéo-chrétien » pourrait bien recouvrir mais auquel elle ne peut pas être identifiée. Mais, il n’est possible, ni même « sérieux » de soutenir que la déconstruction puisse être une science chrétienne, ni juive d’ailleurs, ni relever d’aucune origine historique assignable. La déconstruction en tant que science de l’interprétation des textes, dont le littéralisme méthodologique rappellerait le travail de la tradition talmudique, a pu de manière également intenable être dite d’inspiration, sinon d’origine juive. Mais la déconstruction de ce point de vue est comme la langue, elle n’appartient pas : si elle croise l’archive, la frôle, la redouble, la traverse, elle ne peut en aucun cas, ni à aucun titre, se soutenir d’elle, ni s’en réclamer, encore moins s’en autoriser.
Nancy se garde bien de sauter le pas et de qualifier la déconstruction de chrétienne, et ce, malgré le sous-titre, « Déconstruction du christianisme », qui semble inviter au renversement dans l’antimétabole « christianisme de la déconstruction ». La thèse du trait d’union développée dans « Le Judéo-chrétien » fait signe vers l’archive, et tend non à fonder la déconstruction dans le christianisme, mais (s’)autorise à penser la déconstruction dans son lien organique (« nom propre », « corps propre » dit Derrida) avec le christianisme. Le trait d’union met certes la nature exacte du lien, le sens de la relation, au secret. Le génitif (« de ») dans l’expression « Déconstruction du christianisme » semble procéder de manière analogue, sans qu’il soit possible de démêler le génitif objectif du génitif subjectif.
Comment alors lire La Déclosion ? Etant donné le pacte de lecture philosophique que l’ouvrage propose, peut-on faire autre chose que le mélire, sinon le mi-lire ? C’est sur le statut même de la thèse, la possibilité de l’hypo-thèse, d’une thèse au secret que je voudrais pour finir m’interroger. Jean-Luc Nancy en donne peut-être la clé dans le chapitre dans lequel il commente un commentaire de Jacques Derrida : « D’un Wink divin ».
Nous y reviendrons : le Wink est un signe d’attente, ou bien il est l’attente en position de signe. Il suspend entre espérance et déception. Il fait attendre une interprétation, mais cette attente est, par elle-même déjà, une mobilisation, et sa mobilité ou sa motricité importe plus que son interprétation finale. Le modèle le plus courant du Wink (modèle au sens d’exemple ou bien de modalisation) est donné dans le clin d’œil. Un clin d’œil est toujours à traduire, mais il a déjà, en même temps, dépassé sa traduction par son geste. Il a sauté d’un coup, en un clin d’œil, par-dessus le sens qu’il fait attendre. (158)
La thèse de La Déclosion demeure suspendue, remise, différée, insituable, inénonçable sur un mode thétique, diffuse et cependant introuvable. « Le privilège du Wink consiste en somme dans ce fait que sa signification s’épuise dans le passage aussitôt dérobé, dans l’esquisse aussitôt esquivée d’un sens qui s’éclipse et dont la vérité consiste à s’éclipser » (161). L’hypo-thèse de La Déclosion, si l’on suit Nancy ici, si l’on se fie à lui pour le lire, serait non l’existence d’une thèse au secret, mais bel et bien l’éclipse de la thèse. Le lieu de la thèse serait délibérément laissé vide à la faveur d’un battement ininterrompu des paupières. Le texte se relance, de chapitre en chapitre, d’un suspens qui n’est pas exempt de suspense philosophique. Il ne quitte pas la ligne de crête sur laquelle il s’écrit. Le motif du Wink que Nancy élève au rang de philosophème corrobore étrangement l’expérience de lecture de La Déclosion à la manière d’un méta-commentaire, d’une métalepse. Les textes réunis sous ce titre se situent dans l’entre-deux d’un battement de paupières qui suspend, qui sous-entend, qui s’adresse à un tiers dans le temps même où il s’aveugle à lui-même, au lieu même de ce que Nancy appelle par néologisme un « clin ». Dans le Wink, le témoignage est conditionné par la suspension de la possibilité d’exercer son regard, le renoncement à la faculté de fixer son interlocuteur. Cligner suppose de perdre de vue pour donner à voir, signifier à autrui au moment où le sujet du Wink n’est plus en situation d’exercer un sens intentionnel. Le signe adressé passe par l’aveuglement momentané de soi, la disparition d’autrui. La lecture qui s’entend aussi bien comme commentaire que simple déchiffrage — et non pas seulement la traduction dont parle Jean-Luc Nancy — procède d’un clignement, clignement qui suppose que le texte s’éclipse à la faveur d’un battement de cils : toute lecture ne peut s’opérer sans que le texte soit perdu de vue.
Lire du point de vue du Wink, c’est forcément lire de travers, mé-lire. « Il y a toujours excès, défaut ou bien courbure du sens : winken, en effet, c’est d’abord courber, se courber, biaiser, vaciller, chanceler, incliner » (158). Le mé-lire n’est d’ailleurs jamais à l’abri du dé-lire, d’une sortie de sillon étymologique : « De fait, un Wink, un clin d’œil, déroge à l’ordre établi de la communication et de la signification en ouvrant une zone d’allusion et de suggestion, une échappée d’invite ou d’adresse, de séduction ou d’égarement : mais cette dérogation fait signe, en somme, vers le sens ultime du sens ou vers sa vérité. Ici, souverainement, le sens s’excepte du sens : tel est l’avertissement » (159). La définition que l’auteur donne de l’avertissement renvoie réflexivement et rétrospectivement à l’avertissement de l’introduction : « Un simple avertissement pour ceux qui n’auront pas déjà jeté le livre avec fureur, pitié ou découragement : ce qui suit ici ne constitue pas le développement suivi et organisé qu’on pouvait attendre » (23). Par ces mots de l’« Ouverture », Jean-Luc Nancy interrompait d’un geste souverain le mouvement de la pensée amorcé, suspendait sine die et de manière singulièrement dérogatoire les exigences de l’argumentation discursive. C’est de la violence inouïe de ce geste que la possibilité d’une lecture — comme mélecture — l’exercice d’une souveraineté, se fonde : « Lorsqu’il y a exception, il y a souveraineté » (158). Par cet acte performatif de l’avertissement, Jean-Luc Nancy dérogeait non seulement aux modalités de la parole philosophique, mais créait les conditions implicites d’un pacte de lecture unilatéralement consenti. La violence de « l’avertissement » tient à son caractère d’absolu : « Pour être absolu, le pouvoir doit s’absolutiser, c’est-à-dire s’absoudre de tout lien et de toute responsabilité autre que celle de répondre de soi et de s’autoriser soi-même » (162). Le texte de La Déclosion winkt en cet endroit précis : il adresse à son lecteur un « signe d’intelligence », d’abord inintelligible :
Rien n’est plus topique de la majesté souveraine que le froncement de sourcil, le clin d’œil, le geste que l’on dit « imperceptible » et auquel répond ce qu’on appelle un « signe d’intelligence », au sens où dans cette intelligence, la connivence précède et excède la compréhension, au sens où une complicité aura par avance entendu ce qui, précisément, n’est pas proprement donné à entendre, mais à attendre. Le Wink ouvre une attente en même temps qu’une impatience à laquelle répond, en un clin d’œil, la décision d’entendre sans attendre. (160)
L’hypo-thèse de l’ouvrage relève de ce principe formulé en ce qu’elle n’est jamais strictement donnée à « entendre », qu’elle n’est donc pas strictement discutable parce qu’inarticulée, mais elle est implicitement donnée à « attendre » (« on devrait attendre » disait l’avertissement). L’écriture du Wink postule le mélire car dans sa structure même il détermine une lecture en avance sur un dire toujours différé, déformé. De ce point de vue, le Wink participe d’une logique que l’on pourrait se risquer à qualifier de perverse (« L’ambivalence est constitutive de la souveraineté » écrit Nancy, 162) : la thèse de La Déclosion procède d’un sous-entendu hurlant dont il est difficile de rendre raison, à peine de pointer sans qu’il ne s’esquive, ne se retourne contre son imprudent commentateur, alors même que celui-ci est traversé par une intime conviction inassignable mais persistante : « Le Wink déclenche, il acte et il actionne un jeu de forces en sous-main ou en contrepoint du sens » (163).
Tout lecture en tant qu’elle se conçoit comme à-venir d’un texte l’expose et l’aliène. Conscient de ce risque, Jean-Luc Nancy s’engage en toute connaissance de cause, mais également dans l’ignorance complète de l’issue qui se propose à lui, de ce que l’à-venir de sa propre lecture lui réserve. De ce point de vue, La Déclosion est un texte qui participe de la déconstruction à plus d’un titre : texte qui non seulement porte sur la déconstruction, mais qui l’actualise en ce qu’il se donne comme texte en déconstruction, sujet à un mouvement de l’écriture qui prend la forme d’un à-venir ouvert et qui s’écrit de page en page sans savoir d’avance ce qu’il engage, ni sur quels chemins escarpés, glissants, ne menant peut-être nulle part. Dans une note au chapitre « D’un Wink divin » adressé à Jacques Derrida et qui s’ouvre sur une glose d’une glose derridienne de Heidegger, Nancy écrit à la manière d’un aveu : « Si je parais m’inscrire dans une direction très différente, voire opposée, c’est moins affaire de conflit d’interprétation que de dénivellation entre une interprétation, comme s’y engage Courtine [commentateur d’Heidegger], et un libre usage ou une extrapolation, comme je m’y aventure » (156). De part en part, l’auteur de La Déclosion ne cesse de qualifier, d’interrompre, d’amender, de commenter, d’autoriser sa démarche.
L’irresponsabilité structurelle de tout texte, a fortiori de toute œuvre, orpheline comme l’appelait Nietzsche, l’expose à toutes les violences, tous les prélèvements, toutes les décontextualisations, « libre usage » et « extrapolation ». Lire implique l’exercice d’une force qui confine à la violence, parce que lire désigne l’acte par lequel un lecteur s’autorise littéralement à répondre en son nom propre, à répondre en lieu et place du nom propre de son auteur manquant. La moindre des ironies n’est pas que Jean-Luc Nancy conclue son oraison funèbre sur la notion d’exactitude dont il remercie Jacques Derrida de l’avoir crédité18. C’est la nature singulière de l’acte de lecture que Jean-Luc Nancy tient à mettre au jour au moment d’adresser à l’ami et à l’œuvre un dernier salut, un adieu ambigu. Lire n’est pas rendre justice.
Derrida, Jacques. Mémoires pour Paul de Man. Paris : Galilée, 1988
Derrida, Jacques. Mal d’archive. Paris, Galilée, 1995.
Derrida, Jacques. Foi et savoir. Paris, Seuil, 1996.
Derrida, Jacques. Donner la mort. Paris : Galilée, 1999.
Derrida, Jacques. Chaque fois unique, la fin du monde. Paris : Galilée, 2001.
Derrida, Jacques, et Geoffrey Bennington. Jacques Derrida. Paris : Seuil, 1991.
Nancy, Jean-Luc. La Déclosion : déconstruction du christianisme : 1. Paris : Galilée, 2005.
1 J.-L. Nancy, La Déclosion. 19.
2 J. Derrida, Mémoires pour Paul de Man, 62.
3 J. Derrida, Chaque fois unique, la fin du monde, 2001.
4 Conférence prononcée à l’occasion du colloque « Judéités. Questions à Jacques Derrida » organisé par Joseph Cohen et Raphael Zagury-Orly en 2000 à Paris.
5 « Et si je voulais passer d’un Jacques à l’autre, je dirais que la foi comme praxis d’une poesis ouvre dans celle-ci l’inadéquation à soi qui peut seule constituer le ‘faire’ et/ou l’agir’ ». Dans ce cas, Jean-Luc Nancy traduit dans la langue de Jacques Derrida la parole de Jacques, auteur de l’Epître. (Op.cit., 77)
6 J. Derrida, « Circonfession ». Jacques Derrida, 1991.
7 J. Derrida, Donner la mort, 161 et sq.
8 « Selon Paul, l’important est qu’Abraham a cru que Dieu pouvait, contre l’évidence naturelle, lui donner un fils » (Op. cit., 78- 79).
9 Matthieu, 16.18-19.
10 « Ce que l’anastasis veut désigner dans l’essai que j’ai fait d’en déconstruire ou d’en détourner la valeur entendue comme ‘résurrection’, ce n’est pas autre chose que ce redressement (anastasis), cette levée (et non ‘relève’) du sens abîmé en vérité lancée, appelée, annoncée et saluée ». (« Consolation, désolation ». Op.cit., 150)
11 Magazine littéraire 430 (2004), spécial « Jacques Derrida ».
12 G. Bennington et J. Derrida, Jacques Derrida, 140.
13 Ibid.
14 « Nul à-venir sans quelque mémoire et quelque promesse messianiques, d’une messianicité plus vieille que toute religion, plus originaire que tout messianisme. Point de discours ou d’adresse à l’autre sans la possibilité d’une promesse élémentaire. Le parjure et la promesse non tenue réclament la même possibilité. Point de promesse, donc, sans la promesse d’une confirmation du oui. Ce oui aura impliqué et impliquera toujours la fiabilité ou la fidélité d’une foi ». (J. Derrida, Foi et savoir, 72).
15 J. Derrida, Mal d’archive, 78.
16 Ibid., 80-81.
17 Ibid., 73.
18 « L’exactitude, c’est un mot dont il bien voulu me créditer de l’avoir “ressuscité” » (Op.cit., 153).