Sophie Naveau
CREA — EA 370
Pour Mikhaïl Bakhtine, « grâce au roman les langages s'éclairent mutuellement, […] le langage littéraire devient un dialogue de langages, se connaissant et se composant les uns les autres. »1 Dans les romans de Jane Austen, cette polyphonie est aussi bien composée par les discours variés des personnages représentés que par la mobilisation de discours littéraires qui ont inspiré son écriture, tels que par exemple le roman sentimental ou le roman gothique. Cette polyphonie affecte la structure de l'intrigue et crée des effets d'attente, de surprise, de déception et de satisfaction. À travers les compositions et les recompositions des discours, les personnages sont mis en péril et le lecteur ne sait sur quel pied danser.
Le lecteur suit en effet le cours des erreurs des personnages. Il se trompe avec eux jusqu'au dénouement qui résout l'intrigue et donne la clé de l’interprétation à posséder, celle dont le lecteur était privé au début de sa lecture. L’erreur de lecture offre un surplus de plaisir au lecteur qui aime à se tromper et à être détrompé, suspendu à l’intrigue et au désir d’en connaître la fin. La mélecture apparaît ainsi dans un premier temps comme un simple outil narratif, permettant de créer un récit qui tient en haleine ses lecteurs, par la tension d’un suspens que la fin du récit apaise. C'est pourquoi, toute seconde lecture des romans de Jane Austen amène à relire l'intrigue avec un surplus de connaissances qui oriente l'attention d'une façon très différente de celle de la première lecture. Or même après une seconde lecture, le lecteur n'en a pas fini avec les romans de Jane Austen. Ils continuent d'interroger le lecteur même après la révélation de leur soi-disant secret. En ce sens, la révélation finale est-elle réellement le secret attendu par le lecteur ? Le cheminement mène-t-il réellement de la mélecture au dévoilement d'une clé de lecture imparable ?
Dans Northanger Abbey, Catherine Morland s'égare de mélecture en mélecture. Quelle est la fonction de cette représentation ? Ses erreurs proviennent notamment de sa nature incertaine, voire monstrueuse, selon Sandra M. Gilbert et Susan Gubar, pour qui « [h]eroines, it seems, are not born like people, but manufactured like monsters2 ». L'entreprise de création se révèle alors possédée la dimension d'un défi, car « [n]o one who had ever seen Catherine Morland in her infancy, would have supposed her born to be an heroine3 ». La créature se distingue par conséquent doublement des autres héroïnes. Elle ne répond pas aux mêmes attentes et en outre, son auteur qui s'inspire et converse avec Fanny Burney, Ann Radcliffe, Maria Edgeworth, Richardson, ou autres auteurs moraux et historiens ne s'identifie à aucun de ses interlocuteurs. L'énigme de Catherine Morland et de son auteur sont complètes. Leur style en train de s'élaborer devant les yeux du lecteur ne correspond à rien de connu. Pour l'héroïne, le problème est de taille. Si Catherine Morland n'est, pour ses lecteurs, aussi bien que pour son auteur, ni Camilla Tyrold, créature de Fanny Burney, ni Emily St Aubert, créature de Mrs. Radcliffe, elle n'en est pas elle-même convaincue. Elle croit pouvoir raconter son histoire dans le style gothique qu'elle a récemment découvert.
Invitée à résider à Northanger Abbey avec la famille Tilney, elle trouve dans cette opportunité une chance inattendue de devenir une héroïne gothique. Toutefois, l'architecture du lieu la déçoit, il ne correspond pas à ses attentes. Par exemple, alors que le général Tilney prétend avoir conservé l'architecture gothique des fenêtres, pour Catherine Morland, il s'agit en réalité d'une trahison à la lettre du style gothique. L'esprit en est certes maintenu — « the pointed arch was preserved—the form of them was Gothic » (NA, 162) —, mais l'essence en est perdue, car la lumière coule à flots : « every pane was so large, so clear, so light! » (NA, 162) Or, l'essence du gothique est précisément dans l'obscurité qui l'entoure, celle qui préside à l'arrivée d'Emily à Udolpho :
As the twilight deepened, its features became more awful in obscurity, and Emily continued to gaze, till its clustering towers were alone seen, rising over the tops of the woods, beneath whose thick shade the carriages soon after began to ascend4.
Cette obscurité, source de fascination et de terreur, accompagne Emily tout au long de son séjour à Udolpho. Catherine Morland est, quant à elle, confrontée à une remise en question de sa lecture du terme « Northanger Abbey. » Son caractère sublime s'éloigne à mesure que l'obscurité attendue se dérobe. Le château décrit dans The Mysteries of Udolpho est, quant à lui, tout à la fois « [s]ilent, lonely and sublime5 ». Il se présente dans sa massivité et échappe au regard. Sous couvert des arbres et de l'obscurité, il apparaît « fugacement sensible à travers les miroitements qui l[e] dérobent6 ». Il correspond ainsi, par son architecture massive dont l'essence ne se dévoile que par et dans l'obscurité, à la définition du sublime donnée par Baldine Saint-Girons, celle de « la résistance des choses à leur vision, à leur transformation en simples images7 » ou, en d'autres termes, « la chair du monde, rebelle à toute saisie8. » L'essence de Northanger Abbey n'est pas de cette nature. La mélecture de Catherine Morland la mène donc à renoncer au sublime, pour ouvrir les yeux sur le monde du quotidien, où les coffres servent à poser les chapeaux (NA, 165) et où les manuscrits sont remplacés par une liste de linges (NA, 172), un monde sans secrets et sans mystères.
Sa déception rappelle celle de Mrs. Dashwood et de ses filles lorsqu'elles arrivent devant le « cottage »9 qu'un cousin de Mrs. Dashwood a bien voulu leur prêter. Un décalage survient entre les attentes créées par ce mot et la réalité qu'il s'avère désigner : « as a cottage it was defective, for the building was regular, the roof was tiled, the window shutters were not painted green, nor were the walls covered with honeysuckles. » (SS, 28) Barton Cottage à l'instar de Northanger Abbey est mal nommé et induit en erreur sur sa nature véritable. Les mélecture sont en ce sens dues à l'écart « between meaning and saying10 » étudié par Jean-Jacques Lecercle dans le cadre d'un autre passage de Sense and Sensibility, auquel il faudra revenir. Les personnages manquent en tout cas de prudence à l'égard du langage et tombent dans le piège des mots qui suscitent en eux de « great expectations », pour reprendre le titre d'un roman de Charles Dickens. Selon Tony Tanner, la mise en scène de cette déception dans Sense and Sensibility sert à marquer combien « a good deal of the struggle in the book is between the proper use and the misuse of language ; among the thing we can learn from this book is the subtle lesson that a good deal of our happiness can depend on what we call things and how we name our experience11 ».
Les mots doivent correspondre à leurs objets et ne pas mentir sur leur nature exacte, comme le désir doit viser la réalité et non des fantasmes dangereux, car ces derniers mènent tout droit au malheur et à la déception. Les mots devraient servir non seulement à désigner, mais aussi à dire le vrai sur la nature de leur référent. La certitude de nommer le bon objet du désir et non pas un leurre serait alors assurée. En ce sens, langage et désir se révèlent indissociables et pour Tony Tanner une réflexion sur l'emploi du mot juste s'impose, dans un seul but : « to bring our preconceived image more into line with the existing realities12 ». Une telle précaution garantit au désir la visée du bon objet et permet d'éviter les fausses joies. Les mots suscitent un imaginaire et crée des attentes, ils suscitent le désir. Par conséquent, une mélecture est facilement induite par un usage abusif des termes. La prudence est de mise puisque cet imaginaire engendré par le langage risque fort d'être déçu, notamment dans le cas où l'objet est mal nommé.
Or, justement, Henry Tilney, auquel Catherine Morland se réfère constamment pour former son jugement maîtrise l'art de la nomination. Il est le maître des mots. Cette vertu lui vient d'une vaste culture, il a beaucoup étudié. Il établit lui-même la supériorité de sa formation sur celle de Catherine Morland, lors de leur promenade « round Beechen Cliff » (NA, 106), alors qu'ils sont encore à Bath, puisqu'il peut se targuer d'avoir étudié à Oxford (NA, 107). Il maîtrise les différentes formes de discours, tels que le discours historique, pictural ou poétique. Et Catherine ne peut que lui donner raison lorsqu'il critique son emploi de l'adjectif « nice » (NA, 107-108), ou qu'il interprète le rôle joué par le capitaine Tilney (NA, 150-153) ou encore lorsqu'il lui enseigne la manière correcte de parler des paysages (NA, 110-11). En somme, il a réponse à tout, parce qu'il sait quel mot doit être employé et à quel moment. Ses propos sont en adéquation avec la réalité. Les égarements et les mélectures de Catherine Morland à Northanger Abbey l'initient-elles à l'art de nommer ? Les mélectures de Catherine Morland ne visent-elles qu'à donner raison à Henry Tilney et à rejoindre ainsi l'idéal de l'auteur ?
Pour Tony Tanner, qu'un tel idéal ait pu être celui de Jane Austen se justifie par des raisons chronologiques, puisque « Jane Austen was sufficiently before our time to think that with an effort words could be made to coincide with things and that moreover a good deal of our dignity and peace of mind depended on making them so13 ». C'est pourquoi les mélectures de Catherine Morland ne peuvent qu'aboutir à son humiliation finale. Intriguée par la mort de Mrs. Tilney, Catherine tente d'en percer le mystère, à l'aide des références dont elle dispose, ici celle du modèle offert par The Mysteries of Udolpho. Cette référence lui permet de donner sens au monde qui l'entoure et qui la plonge dans un profond désarroi. L'imagination de Catherine est prisonnière du texte de The Mysteries of Udolpho, et les références au « black veil » (NA, 39), à « Laurentina's skeleton » (NA, 43) ou encore à « some traditional legends, some awful memorials of an injured and ill-fated nun » (NA, 141) en sont l'indice. Elles forment une interprétation toute prête pour faciliter à Catherine Morland la compréhension de la situation à laquelle elle est confrontée. Dans The Mysteries of Udolpho, les secrets d'une « injured and ill-fated nun » (NA, 141) sont révélés à Emily St Aubert. Elle apprend le rôle de cette nonne dans le meurtre de la tante d'Emily par son mari, le marquis de Villeroi. Et Catherine Morland, quant à elle, est persuadée que le général Tilney aurait volontairement causé la mort de sa femme. Cette supposition suscite la colère d'Henry Tilney. Il est choqué par cette hypothèse — « a surmise of such horrors as I have hardly words to— » (NA, 197) — à tel point qu'il en perd sa puissance verbale et ne parvient pas à finir sa phrase. Néanmoins, il se ressaisit pour donner à Catherine Morland une leçon cinglante. Il met en perspective « the dreadful nature of the suspicions you have entertained » (NA, 197) avec « the country and the age in which we live » (NA, 197) pour en montrer l'incompatibilité absolue. Leur nationalité — « we are English » (NA, 197) — et leur religion — « we are Christians » (NA, 197) — interdisent une telle association. Il accompagne ce sermon d’une injonction : « Remember » (NA, 197), après lui avoir demandé : « What have you been judging from? » (NA, 197). Son intervention a donc pour but de rappeler à Catherine Morland les dangers de l'imagination. Il lui rappelle l'importance d'un cadre rationnel, lui intimant de ne pas confondre fiction et réalité. Un jugement adéquat repose sur la prise en compte des données spatiales et temporelles qui le délimitent. Il doit s'appuyer sur un savoir que la mémoire, nourrie de connaissances, mobilise à bon escient. Pourtant, peu de temps après, Catherine est chassée de la maison des Tilney, sans autre cérémonie, sans même un mot d'explication. Pour le général Tilney, elle ne mérite plus la moindre attention, elle est devenue moins que rien, parce qu'elle n'est pas l'héritière qu'il la croyait être. Si la lettre du récit gothique à travers lequel Catherine Morland s'est efforcée de s'expliquer le climat de malaise qui règne à Northanger Abbey est erroné, qu'en est-il de l'esprit ? Ne faut-il pas reconnaître, avec Lionel Trilling, notre imprudence à juger que « Northanger Abbey invites us into a snug conspiracy to disabuse the little heroine of the errors of her corrupted fancy14 » ? Claudia L. Johnson n'hésite d'ailleurs pas à considérer que Northanger Abbey et les romans gothiques se rejoignent dans leur propos : « in depicting a strange world of broken promises and betrayed trusts, [they] denude familiar institutions and figures of their amiable façades in order to depict the menacing aspect they can show to the marginalized15 ». Dès lors, la mélecture de Catherine Morland se résume-elle à un emploi inadéquat des termes, au choix inadéquat de la situation d'énonciation ? Cette inadéquation, cette incapacité à nommer correctement qui aboutit à une mélecture grossière n'est-elle pas ce qu'elle prétend être, à savoir, une révélation, bien que déplacée par rapport à ce que croit Catherine Morland ?
Catherine Morland est sans arrêt mal à l'aise en présence du général Tilney et sent confusément qu'il en va de même pour ses enfants. L'atmosphère est pesante. Au fur et à mesure, elle commence à comprendre de quoi il retourne. Par sa présence, le général empêche chacun d'être soi-même. Il étouffe la joie de vivre et la mort de Mrs. Tilney ne peut que résonner de façon sinistre dans un tel contexte. Catherine Morland se met alors à percevoir des bruits étranges : « various were the noises, more terrific than the wind, which struck at intervals on her startled ear » (NA, 170-171). Or ces bruits ont aussi une sonorité humaine : « [h]ollow murmurs seemed to creep along the gallery, and more than once her blood was chilled by the sound of distant moans » (NA, 171). L'abbaye est comme hantée par les plaintes des paroles que chacun est obligé de refouler en présence du général et de son humeur contraignante. La perception hallucinée de Catherine dévoile le caractère morbide d'une telle répression. De là découle la présence d'une menace que Catherine Morland sent peser sur elle : « [t]he very curtain of her bed seemed at one moment in motion, and another the lock of her door was agitated, as if by the attempt of somebody to enter. » (NA, 171) Son imagination l'empêche de percevoir l'origine exacte de cette menace et pourtant, c'est à raison qu'elle la perçoit, puisque la valeur de son existence est ultimement niée par les actes du général Tilney. Ainsi si le général n'a pas tué sa femme, il instaure un monde dans lequel chacun n'est pour lui qu'un objet de son bon plaisir, objet disponible à son usage, ou bon à faire disparaître, dépourvu d'une existence propre. Il est cruel, blessant et intéressé dans son rapport à l'autre. Il est coupable d'un crime à l'égard de la joie de vivre et du désir de vivre, ce qui est un crime commis au quotidien, non puni par la loi, pourtant bien réel. Nul n'est besoin de voyager ou de rencontrer des « banditti »16 pour affronter la menace d'un tel péril. Bien au contraire, au lieu de conclure que Catherine Morland doit être guérie de ses égarements littéraires, pour Lionel Trilling : « it is we who must be disabused of our belief that life is sane and orderly17. » En ce sens, Henry Tilney a tort de ne pas voir dans l'esprit du récit que Catherine Morland invente pour s'expliquer à elle-même son expérience le dévoilement de la présence d'un véritable mystère.
Une même raison est d'ailleurs à même d'expliquer les excès et les aveuglements auxquels tous deux sont menés, le désir à l'œuvre dans leur récit. Henry Tilney défend son origine, en refusant de faire de son père un criminel ou de reconnaître qui il est vraiment. Catherine Morland désire être une héroïne gothique alors qu'elle est une héroïne de Jane Austen. Le lecteur qui croit par conséquent pouvoir s'identifier à Henry Tilney pour partager les vues supérieures de l'auteur ne peut qu'être autant pris au piège que Catherine Morland l'est par son identification à Emily St Aubert, et ainsi « [t]he shock of our surprise at the disappointment of our settled views is of course the more startling because we believe that we have settled our views in conformity with the author's own18. » Lionel Trilling souligne ici l'absence d'une prise de position décisive susceptible d'être attribuée à l'auteur. Les nuances justes et exactes de l'interprétation de la situation ne sont apportées ni par Catherine Morland, ni par Henry Tilney, ni par le narrateur, ni par la figure de l'auteur. Elles sont laissées en suspens, ou à l'interprétation du lecteur. La mise en scène de la mélecture dans Northanger Abbey n'est donc pas seulement une propédeutique visant à son rejet pédagogique. Elle a une valeur en soi, laquelle ? Le véritable mystère est-il dans cette relation entre le mot et la chose précédemment évoquée ?
Par sa sensibilité au mystère, Catherine Morland attire l'attention du lecteur sur ce qu'elle signifie. Pour Giorgio Agamben,
[r]ien n’est en fait plus désespérant que la constatation qu’il n’y a pas d’énigme, mais seulement son apparence. Ce qui signifie, en réalité, que l’énigmatique ne concerne que le langage et son ambiguïté, non ce qui dans le langage est visé, et qui en soi, non seulement est absolument dépourvu de mystère, mais n’a rien à voir avec le langage qui devrait l’exprimer, et s’en tient à une distance infinie19.
Interpréter les aventures de Catherine Morland à partir de cette définition du mystère apportée par Giorgio Agamben s'avère plus éclairant que sa réduction à une leçon de choses. Catherine Morland n'est en effet pas tant intriguée par les choses que par le récit dans lequel elles sont prises. L'intérêt que Catherine Morland porte aux objets qui lui rappellent le récit gothique provient de l'histoire qu'ils lui permettent de raconter. Catherine Morland est intriguée par « a mysterious cypher » (NA, 164). Or, les lettres qu'elles voudraient discerner sont celles du nom de Tilney. Plus loin, le « high, old-fashioned black cabinet » (NA, 168) n'a de valeur que parce qu'elle veut croire que Henry Tilney a fait allusion à cet objet. Elle s'imagine être le personnage d'un récit gothique inventé par Henry Tilney, celui qu'il lui raconte avant leur arrivée à Northanger (NA, 158-160) et avec lequel il s'amuse à l'effrayer. L'attention de Catherine Morland n'est, par conséquent, attirée par un objet, que dans la mesure où il lui paraît avoir déjà été raconté par Henry Tilney : « Henry's words, his description of the ebony cabinet which was to escape her observation at first, immediately rushed across her » (NA, 168). En rejouant le scénario inventé par Henry Tilney, elle croit être fidèle à la lettre du discours de ce dernier et, en même temps, espère pouvoir en déchiffrer l'esprit. Le mystère qui l'obsède est celui de savoir qui est Henry Tilney. Qui sont ces Tilney chez qui elle réside ? Quelle est leur histoire ? Qu'en est-il du mystère de leur origine ? C'est pourquoi elle est conduite par cette inquiétude jusqu'à la chambre maternelle. Elle veut à la fois savoir qui est l'homme qu'elle aime et quelle est son histoire, afin de déchiffrer le récit qui détient le secret de son amour. Le détour par la littérature gothique la mène sur le chemin de son propre désir et des questions qu'elle n'ose pas poser, ni se poser. Elle est divisée entre son amour pour Henry Tilney et la perception du non-dit et de ce qui reste à éclaircir dans leur relation et dans celle de Henry à son père. Le mystère est celui du secret du hiéroglyphe que sont pour elles les Tilney et qu'elle ne sait pas comment déchiffrer.
La séduction exercée par le mystère des mots sur Catherine Morland s'est déplacée de l'écriture de Mrs. Radcliffe au récit gothique de Henry Tilney, à qui elle adresse cette exclamation paradoxale : « Oh! No, no—do not say so. Well, go on. » (NA, 160) Son propre désir est donc la source réelle de la peur qu'elle perçoit en elle. Sa confrontation au désir amoureux est marquée à la fois par une affirmation naïve et par un refus souterrain, une forme de méfiance, rendue évidente par son comportement étrange. Au-delà du refus et de la peur, le désir du mystère s'impose. Il est désir d'un discours et non de la chose elle-même, qui se révèle, comme Catherine Morland le découvre, vide de mystère, ne contenant que des objets triviaux. Le langage n'a pas pour finalité de résoudre le mystère des choses, puisque les choses mêmes n'ont rien à voir avec le mystère. Le mystère est une donnée essentielle du langage et surtout de la relation entre langage et désir. Le désir n'est pas imposé par l'objet, mais révélé par le récit qui en construit la valeur. Une relation intime s'établit entre mystère, récit et désir et donne aux mélectures de Northanger Abbey toute leur valeur. Le lecteur est le premier pris au piège, lorsqu'il cherche la voie de l'identification moralisatrice. Pour Lionel Trilling, « [t]his interference with our moral and intellectual comfort constitutes, as I say, a malice on the part of the author » et cette structure s'apparente à « an analogue with the malice of the experienced universe, with the irony of circumstance, which is always disclosing more than we bargained for20 ». La mélecture, plus qu'un ornement littéraire, est un élément constitutif d'une certaine représentation du monde. Elle permet d'interroger la valeur de l'objet du désir et invite à se pencher sur la façon dont elle est construite par le récit même, ainsi que sur l'importance du temps pour amener la perception du désir.
Si la valeur de l'objet est construite par le récit, comment s'y retrouver lorsque les récits se multiplient ? Willoughby, par exemple, est au croisement de plusieurs récits. Quel est celui qui lui correspond vraiment ? Il apparaît d’abord comme le parfait héros romantique, ensuite comme un vil séducteur, manipulateur et digne de son ancêtre Lovelace, puis enfin comme un homme malheureux et repenti, plus à plaindre qu’à condamner, car victime de la pression sociale et soumis à ses passions. Dans Interpretation as Pragmatics, Jean-Jacques Lecercle éclaire la complexité de ce personnage par l'étude d'une lettre écrite par Willoughby à Marianne Dashwood. Il se sert de cette lettre pour illustrer le sens qu'il donne au terme de « metalepsis21 », à savoir qu'un changement de contexte n'est pas simplement « an external process involving two occurrences of the same text in different conjonctures, but an internal intratextual one22 ». En d'autres termes, situer les parties d'un texte dans un contexte différent change leur valeur. De fait, l'analyse précédente a montré que le fonctionnement des références aux Mysteries of Udolpho est modifié par leur recontextualisation. Un même texte peut être transformé par la simple variation de sa situation d'énonciation, comme l'exemple de la lettre de Willoughby le montre aussi (SS, 183). Par son style froid et détaché, Willoughby entend se montrer sous le masque d'un auteur « formal and polite23 », dont le but est simplement de s'excuser, « with faint heart for an unwitting slight24 ». Il devient, par ce biais, un étranger pour Marianne et ce changement instaure une situation d'énonciation fictive visant à remplacer celle de l'histoire du lien intime entre Willoughby et Marianne. Une telle dénégation, une telle posture sont inacceptables, car comme Jean-Jacques Lecercle le rappelle : « we know the context and we know that he cannot mean this because he had no right to occupy the place from which the expression of such meaning is permissible. »25 Willoughby triche et prétend dans cette lettre n'avoir jamais été l'objet du récit de Marianne. Pourtant leur rencontre lui avait conféré la valeur d'un partenaire idéal, seul remède possible au désespoir amoureux précoce de Marianne :
Marianne began now to perceive that the desperation which had seized her at sixteen and a half, of ever seeing a man who could satisfy her ideas of perfection, had been rash and unjustifiable. Willoughby was all that her fancy had delineated in that unhappy hour and in every brighter period, as capable of attaching her ; and in his behaviour declared his wishes to be in that respect as earnest, as his abilities were strong. (SS, 48)
Il prend en effet, avec une facilité remarquable, la place du manque que, par son projet amoureux, Marianne Dashwood a élaboré en son cœur. L'apparence de Willoughby, ses manières et son comportement sont adéquats avec ceux du héros sentimental sans lequel une femme n'a aucune chance de devenir l'héroïne d'une grande histoire d'amour. En outre, il s'accorde avec Marianne pour laisser parler son cœur, sans le réfréner :
He was exactly formed to engage Marianne's heart, for with all this, he joined not only a captivating person, but a natural ardour of mind which was now roused and increased by the example of her own, and which recommended him to her affection beyond every thing else. (SS, 48)
À Londres, le décor change et le caractère de Willoughby est dénaturé. Son ardeur et la spontanéité de ses propos laissent place à la politesse toute formelle qui présage du ton de sa lettre. Il se met en scène dans un nouveau rôle, non plus celui de l'homme idéal, tout droit sorti d'un roman sentimental, mais celui d'un « cold-hearted jilt, a blackguard, who adds insult to injury in the way he addresses Marianne, in the way he denies the reality of previously acknowledged feeling26 ».
Cependant, le mystère « Willoughby » ne s'arrête pas là. Il est relancé lorsque Willoughby se présente aux yeux d'Elinor, dans ce lieu où Marianne repose, alitée, à peine sortie d'une maladie qui aurait pu lui coûter la vie. Willoughby est alors pris dans un contexte digne d'un roman gothique — « The night was cold and stormy. The wind roared round the house, and the rain beat against the windows » (SS, 316) — qui convient parfaitement à l'idée qu'Elinor se fait de lui à ce moment, celui du « villain of the piece27 ». À sa vue, Elinor est saisie d'une terreur digne d'Emily St Aubert. Il entre, telle une menace : « Elinor, starting back with a look of horror at the sight of him, obeyed the first impulse of her heart in turning instantly to quit the room » (SS, 317). Qui est-il cette fois ? Il vient demander pardon et surtout révéler qu'il n'est pas l'auteur de la lettre, qui a été écrite par sa femme. Aucun lecteur n'aurait pu le deviner pas plus que la relation secrète qui lie Frank Churchill et Jane Fairfax dans Emma. Jean-Jacques Lecercle remarque qu'au sein de cette nouvelle situation d'énonciation : « [t]his new author is jealous and cattish, and her aim is to crush her rival but also to inflict punishment on her faithless suitor28 ». L'auteur change d'identité et par là même son adresse s'en trouve modifiée. À travers cette lettre, Mrs Willoughby s'adresse autant à Marianne qu'à Willoughby lui-même. Or, Willoughby n'est pas seulement passif dans cette rédaction et il devient même : « an author […], although at one remove ». Il assume en effet la responsabilité de son acte, dans un but clair et précis : « to destroy himself out of self-disgust, to be cruel to himself in order to be kind to Marianne29 ». Par ce procédé et dans la mesure où il se sert des mots de sa femme, il s'adresse à lui-même, autant qu'à Marianne. Néanmoins, les rôles ne sont plus les mêmes, bien qu'il s'agisse des mêmes personnages : « the put-down rival is now the receiver of kindness, of a sort of inverted love letter, and the punished suitor a heroic felo de se30 ». Pour Jean-Jacques Lecercle, le texte est donc : « a fine example of abyme: its meaning resides in a series of processes of interpellation and subjection, and it is an ironic reflexion on such processes. »31
Le renversement de situation est complet. Le texte n'est pas le produit de l'auteur, mais l'auteur est le produit du texte, tout comme le lecteur lui-même. Les positions de l'auteur et du lecteur sont interchangeables, à partir d'un même texte, par la simple variation des situations d'énonciation. L'instabilité d'un même discours en fonction du récit qui l'encadre empêche de se positionner à partir des catégories du vrai et du faux, pour déterminer le cadre d'une lecture vraie et rejeter les autres du côté de la mélecture. Willoughby reste, de façon décisive, insaisissable, d'où la pertinence du questionnement final proposé par Jean-Jacques Lecercle : « when […] this Protean narrator claims to turn into stable author by providing the last interpretation of Willoughby's letter, we can only ask the question: what sort of a gull are we this time32? » Le mystère essentiel à partir duquel le désir du récit se construit n'est pas à chercher dans un quelconque référent, à partir duquel vrai et faux seraient amenés à se séparer tels le bon grain de l'ivraie. Au contraire, ce mystère est une dimension intrinsèque du récit, en tant que promesse d'un désir. Dès lors, la multiplicité des récits entraîne le lecteur vers une perte complète de repères et le plonge dans le désespoir d'une mélecture constante, sans espoir de parvenir à une lecture digne de ce nom. Le lecteur est condamné à sa propre destruction. Tout comme les héroïnes de Jane Austen, pour lesquelles Sandra M. Gilbert et Susan Gubar, prédisent la voie possible de l'auto-destruction — « like monsters they seem fated to self-destruct33 ». Par quel biais la mélecture entraîne-t-elle la destruction des héroïnes et les rend-elle monstrueuses ?
Emma Woodhouse est sans doute de toutes les héroïnes la plus monstrueuse, par sa nature complexe et insaisissable. Cette nature se dévoile peu à peu, à partir de ses mélectures justement. Sa lecture des signes est réduite à néant par les autres récits qui s'opposent à celui qu'elle s'efforce de voir triompher. Malgré ses efforts répétés, les signes finissent par voler en éclats, pour lui révéler qu'elle n'a pas su les lire. Mr. Elton n'est pas amoureux d'Harriet Smith, Harriet Smith n'est pas amoureuse de Frank Churchill et, comble du comble, Frank Churchill n'est pas réellement amoureux d'elle, Emma, bien qu'il se plaise à le laisser entendre.
Elle cherche à marier Harriet Smith, persuadée que le mariage de sa gouvernante et amie, Miss Taylor, avec Mr. Weston est son œuvre. Elle confie ainsi à son père : « I made the match myself34 ». Lors de cette même conversation, elle rassure son père en lui promettant de ne pas se marier (E, 12). Elle est convaincue d'avoir sur ce point bien pesé le pour et le contre. Tout d'abord, elle ne craint rien, contrairement à Miss Bates, qui ne s'est jamais mariée, elle ne sera pas ridicule, car « it is poverty only which makes celibacy contemptible to a generous public. » (E, 845) Emma est riche et la richesse est en soi un pouvoir qui impose le respect. En outre, elle ne s'ennuiera pas : « If I draw less, I shall read more; if I give up music, I shall take to carpet-work. » (E, 85) Elle ajoute qu'elle sera toujours entourée par sa famille et notamment par ses nièces (E, 85-86). Une telle précision rappelle les propos de Constance Hill, l'une des nièces de Jane Austen, qui elle-même ne s'est jamais mariée. Constance Hill se souvient de la jalousie qu'elle éprouvait à l'égard de ses sœurs, lorsque leur tante s'enfermait avec elles pour lire ses manuscrits : « I and the younger ones used to hear peals of laughter through the door, and thought it very hard that we should be shut out from what was so delightful. »35 Plus Emma souhaite marier les autres et écrire leur histoire, plus elle se rapproche de son auteur. Toutefois, Emma, prisonnière du récit qui s'écrit pour elle, révèle l'autre face de sa dénégation, celle de son désir inconscient. La référence mélancolique est dissimulée par la tonalité hautement comique de ce paradoxe. L'effet comique est produit parce que, comme Wayne C. Booth le souligne, malgré son refus de se marier, « Emma always think of marriage for others as their highest good, and in fact unconsciously encourages her friend Harriet to fall in love with the very man she herself loves without knowing it36 ». Ainsi son refus du désir amoureux révèle-t-il de façon ironique son désir de se marier et avec qui.
Le refoulement est dû à une contrainte, celle du désir paternel. Emma Woodhouse est entravée par la demande exigeante de son père, dont l'impuissance est le revers de la puissance autoritaire du général Tilney, mais dont les conséquences sont les mêmes. Emma Woodhouse et Catherine Morland sont parasitées par le désir du père. Il les tient prisonnières par la façon dont il se nourrit d'elles, Mr. Woodhouse de la santé de sa fille et le général de la fortune imaginaire de Catherine Morland. Elles sont pour eux des soutiens, la matière à partir de laquelle ils assurent ou cherchent à assurer leur propre existence. Le rôle d'entremetteuse d'Emma apparaît dès lors comme un retour du refoulé, tout comme le récit gothique de Catherine Morland fait entendre d'une façon détournée ce que le général veut supprimer — le mensonge par lequel il croit faire entendre à Catherine Morland une réelle considération, alors qu'il convoite son argent. L'ignorance du désir est la raison première des égarements du récit et il ne s’agit pas tant d’une erreur que d’une illusion, au sens donné à ce terme par Freud. Ce dernier distingue en effet l’erreur de l’illusion en montrant qu’une illusion « dérive de souhaits humains37 ». Elle marque une implication directe du désir dans la perception et la compréhension de la réalité et montre que le désir construit l'objet. Les mélectures d'Emma Woodhouse, Catherine Morland ou Marianne Dashwood sont le produit de leurs illusions. Elles se trompent sur la nature de leur désir en s'identifiant à un désir qui n'est pas le leur, à une histoire qui n'est pas la leur. Marianne n'est pas l'héroïne d'un roman sentimental, ni Catherine Morland d'un roman gothique, ni Emma Woodhouse la bienfaitrice d'Harriet Smith. La mélecture est le produit d'une illusion et non d'une erreur. L'illusion est un principe de l'ironie, par lequel le désir nié est révélé au lecteur.
Par la mise en évidence du caractère illusoire de la mélecture, l'héroïne n'a plus à se plaindre que d'elle-même. Elle n'est plus la victime passive de forces extérieures qui abusent de sa faiblesse, morale et physique. Marianne reconnaît sa responsabilité et interprète ainsi la maladie à laquelle elle s'est condamnée en voulant renoncer à la vie, après avoir perdu Willoughby : « [h]ad I died,—it would have been self-destruction. » (SS, 345) Emma, quant à elle, n'est face à aucune adversité. Rien ne s'oppose à son bonheur. Et pourtant, elle est malheureuse. Elle se rend elle-même malheureuse et n'a pas d'autres ennemis qu'elle-même, ce que Wayne C. Booth décrit en ces termes :
The only threat to her happiness, a threat of which she is unaware is herself: charming as she is, she can neither see her own excessive pride honestly nor resist imposing herself on the lives of others. She is deficient both in generosity and self-knowledge38.
Emma Woodhouse en arrive même à être responsable de priver Harriet Smith de son bonheur. Elle est aussi cruelle lorsqu'elle se montre dure à l'égard de Miss Bates, lors de leur promenade à Box Hill (E, 370-371). Si comme Mr. Knightley le reconnaît plus loin, Miss Bates est parfois ridicule, se moquer des plus faibles est une offense grave. Mr. Knightley tente ici, comme il l'a déjà fait à de nombreuses reprises, de s'opposer au penchant cruel d'Emma. Les tentatives de manipulation d'Emma et sa cruauté la rendent comparable au général Tilney et pourtant elle reste aimable. Par quelle magie cela est-il possible ? Wayne C. Booth souligne lui-même cette difficulté en écrivant que : « the problem with a plot like this is to find some way to allow the reader to laugh at the mistakes committed by the heroine and at her punishment, without reducing the desire to see her reform and thus earn happiness39. »
La solution proposée pour résoudre le paradoxe est le point de vue choisi dans Emma : « the sustained inside view leads the reader to hope for good fortune for the character with whom he travels, quite independently of the qualities revealed40. » Wayne C. Booth met en évidence ce procédé en interrogeant le lecteur sur les possibilités de raconter la même histoire du point de vue d'un autre personnage. Celui de Jane Fairfax, par exemple, serait, bien entendu, au grand désavantage d'Emma Woodhouse. Jane Fairfax est secrètement fiancée à Frank Churchill et souffre d'être réduite au statut de spectatrice devant le jeu de séduction engagé par Frank Churchill et Emma Woodhouse. Cette réflexion dévoile l'un des secrets fondamentaux de n'importe quel récit : impossible pour celui qui lit ou écoute d'échapper au point de vue de celui qui écrit ou dit. Cette idée est soutenue par Anne Elliot, lorsqu'elle s'entretient avec le capitaine Harville dans Persuasion. Elle n'admet pas que les livres puissent exprimer la vérité de l'identité féminine, puisqu'ils ont été écrits par des hommes, mais ceux écrits par des femmes ne seraient pas moins libres de tout préjugé car « each begin probably with a little bias towards [their] own sex, and upon that bias build every circumstance in favour of it which has occurred within [their] own circle41 ». La volonté de tout auteur, qu'il soit personnage, narrateur ou écrivain, est d'induire le lecteur en erreur, par la façon dont le récit doit le servir dans sa représentation construite, désirée de lui-même ou des autres. En outre, le secret du désir est indissociable du récit en train de s'écrire ou de se dire. En effet, les mélectures d'Emma Woodhouse ne la mènent pas seulement à découvrir son désir pour Mr. Knightley. De façon plus profonde, l'orientation de son désir est construite par ses mélectures, de telle manière à lui donner une dimension nécessaire et non plus hasardeuse. Sans cette construction, choisir Mr. Martin, Mr. Elton, Frank Churchill ou Mr. Knightley serait arbitraire, sans fondement. La voie des mélectures et les conséquences qu'elles entraînent distinguent, en ce sens, les couples formés par le héros et l'héroïne de ceux à l'intérieur desquels les partenaires sont interchangeables, à l'instar, par exemple, de Mr. et Mrs. Collins ou de Mr. et Mrs. Elton. Mr. Elton, rejeté par Emma Woodhouse, n'est pas moins à cours de ressources que Mr. Collins, lorsque ce dernier apprend que Jane Bennet en aime un autre. Il se contentera tout aussi bien d'Elizabeth Bennet ou de Charlotte Lucas. L'essentiel est pour lui, d'avoir un partenaire, tout comme pour Mr. Elton qui se remet vite de ses déboires : « he would soon try for Miss Somebody else with twenty, or with ten. » (E, 135) Tout discours ne mérite donc pas d'être rejeté du côté du relativisme, et ce en raison des choix spécifiques qui le gouvernent. Il faut au contraire porter une attention toute particulière à la façon dont un discours ne peut être évalué qu'au regard des conditions précises de son élaboration et de son énonciation. Savoir qui le prononce est une étape essentielle de ce travail, sans négliger un fait essentiel : l'identité est relative à une situation d'énonciation.
Les mélectures des personnages et du lecteur dans les romans de Jane Austen interrogent cette question de l'identité et de l'unité. Chacun croit être ce qu'il n'est pas et tente d'ignorer la réalité de ses propos et de ses actes, pour s'inventer autrement, parfois même contre la volonté du narrateur, bien que la partie soit perdue d'avance. Ces mélectures mettent en scène la tension entre le désir d'identité et l'impossibilité de s'identifier de façon absolue à un rôle ou à un discours. Elles participent par conséquent de la représentation d'un désir amoureux aussi nouvelle que celle des héroïnes. Le désir amoureux n'est pas immédiat et même la rencontre de Catherine Morland et d'Henry Tilney subit une mise à l'épreuve. C'est pourquoi ce désir ne peut se découvrir qu'au détour des mélectures. En somme, il n'est pas de désir réel sans expérience dans les romans de Jane Austen, sans une élaboration inscrite dans le temps d'un récit, ponctué de mélectures qui orientent la nature et l'essence même du désir qui se révèle. Les mélectures, cependant, apportent aussi une scansion ironique aux romans et pointent vers la nature monstrueuse et auto-destructrice des héroïnes. L'auto-destruction est toujours ultimement évitée, par un concours de circonstances heureux. Le lecteur n'oublie pas qu'il lit des comédies. Néanmoins, quelle position du lecteur est légitimée à la fin, alors que les dénouements évitent avec soin de présenter un discours révélateur d'une vérité ultime et d'offrir au lecteur un confort moral et moralisateur ? Par exemple, si le dénouement de Mansfield Park apporte satisfaction à l'amour de Fanny Price et d'Edmund Bertram, l'arrière-plan n'en est pas moins cruel. Maria Bertram, cousine de Fanny Price et sœur d'Edmund, est réduite au statut de femme déchue, divorcée. L'enfer sur terre l'attend en la compagnie de sa tante Mrs. Norris avec qui elle est condamnée à finir ses jours. De manière générale, les héroïnes sont tout aussi bien que Catherine Morland, dans les termes de The Madwoman in the Attic, « rescued for felicity by an end no less aggressively engineered than that of most sentimental novels42 ». Comment croire d'ailleurs à une unité alors que dans une lettre à sa nièce, Fanny Knight, Jane Austen écrit : « pictures of perfection as you know make me sick & wicked43 » ? L'accélération du rythme du récit au moment du dénouement est révélateur de ce traitement ironique de l'intrigue du mariage.
Pour Dorothy Van Ghent, la première phrase de Pride and Prejudice — « It is a truth universally acknowledged, that a single man in possession of a good fortune, must be in want of a wife44. » — a d'emblée un sens ironique :
What we read in it is its opposite—a single woman must be in want of a man with a good fortune—and at once we are inducted into the Austen language, the ironical Austen attack, and the energy, peculiar to an Austen novel, that arises from the compression between a barbaric subsurface of marital warfare and a surface of polite manners and civilized conventions45.
Cette nécessité pour une femme de se marier et la nécessité de prendre en compte la question financière est d'ailleurs prégnante dans Pride and Prejudice. Mrs. Bennet ou Charlotte Lucas sont des personnages qui rappellent de façon régulière le poids de cette pression sociale. Mrs Bennet est révoltée par « an entail » (PP, 62) qui prive ses filles de leur héritage. Mrs. Bennet ne retient que la cruauté de cette loi. Elle est révoltée d'être, autant que ses filles, la victime d'une telle injustice. Pourquoi accorder l'héritage à un être insignifiant — « a man whom nobody cared anything about » (PP, 62) — quand les besoins familiaux vont croissant — « a family of five daughters » (PP, 62) ? Rien ne pourrait être plus absurde. Charlotte Lucas, quant à elle, a conscience qu'à vingt-sept ans, son mariage avec Mr. Collins est une chance et un soulagement pour sa famille, notamment pour ses frères : « relieved from their apprehension of Charlotte's dying an old maid. » (PP, 122) La sécurité, sur un plan social, est autant morale que financière. L'idée du mariage que se fait Charlotte Lucas est donc d'ordre général. Elle ne s'attend pas à l'amour : « [w]ithout thinking highly either of men or of matrimony » (PP, 122) et pourtant, « marriage had always been her object. » (PP, 122) Le paradoxe se résout dès lors qu'il devient évident que pour elle, la seule préoccupation réelle est d'assurer sa survie. Or, le mariage est bien : « the only honourable provision for well-educated young women of small fortune, and however uncertain of giving happiness, must be the pleasantest preservative from want. » (PP, 122-123) Charlotte Lucas instrumentalise le mariage parce qu'elle craint de se retrouver dans le besoin. Elle est dominée par cette crainte et accorde ainsi plus d'importance au fait de se marier qu'à la question de savoir avec quel partenaire. La question des ressources de ce dernier est la seule qui vaille. Par opposition à ces considérations peu romantiques, Elizabeth Bennet défend l'idée que l'amour prime sur toute autre considération d'ordre pratique en ce qui concerne le mariage, lorsqu'elle s'oppose sur ce point à Charlotte Lucas (PP, 21-23). Cependant, elle accepte le conseil de sa tante qui la met en garde contre un attachement imprudent à Wickham, puisqu'alors leur union serait désargentée (PP, 144-145). Elle défend les vues de Wickham sur Miss King, dès lors que « her grandfather's death made her mistress of this fortune » (PP, 153). Elle accepte aussi les allusions du Colonel Fitzwilliam qui ne peut se permettre de choisir une épouse, sans prendre en considération cette question matérielle. Il résume sa situation en ces termes : « Younger sons cannot marry where they like. » (PP, 183) Les lois sociales s'imposent donc aux amoureux. À tel point que la proposition de mariage de Mr. Darcy amène Elizabeth Bennet à considérer ce qu'elle a manqué, par son refus, en termes de richesse et de statut social. Elle prend conscience du pouvoir que son acceptation lui aurait conféré : « had she chosen it, she might by this time have been presented to [Lady Catherine], as her future niece » (PP, 210) et elle ne peut songer « without a smile, of what her ladyship's indignation would have been. » (PP, 210) Dans sa visite à Pemberley, cette rêverie est poussée à son comble : « and at that moment she felt, that to be mistress of Pemberley might be something! » (PP, 245) Ainsi, bien qu'Elizabeth Bennet incarne l'idéal d'une véritable rencontre amoureuse, elle n'en est pas moins sensible aux biens matériels, voire même séduite par la richesse et la grandeur de la famille Darcy. En ce sens, la fortune devient bien un critère décisif de la rencontre amoureuse entre Elizabeth Bennet et Mr. Darcy. En d'autres termes, la question suivante posée par Elizabeth Bennet à sa tante — « what is the difference in matrimonial affairs, between the mercenary and the prudent motive ? Where does discretion end, and avarice begin? » (PP, 153) — est la question fondamentale auquel Pride and Prejudice ne répond justement pas. L'ambivalence demeure. Cette question parcourt même toute l'œuvre de Jane Austen ainsi que le souligne Samuel L. Macey : « Austen always wrestles with the problem of finding a proper balance between love and prudence in the approach to marriage46. » D'un côté, la prudence exige que des motivations financières entrent en ligne de compte dans le choix amoureux. De l'autre, l'amour exige la pureté des intentions, l'amant veut être aimé pour lui-même.
Comment une rencontre amoureuse pourrait-elle faire droit à la fois à la prudence et à l'amour ? Les deux termes ne s'excluent-ils pas mutuellement ? Un tel mélange est en effet difficile, car le lecteur est habitué à devoir choisir entre intentions pures et intéressées. Cependant, la réflexion de Jean-François Lyotard sur le problème du différend permet d'y voir plus clair. Il approfondit ce concept pour comprendre une difficulté propre au contexte juridique, celle d'« un cas de conflit entre deux parties (au moins) qui ne pourrait pas être tranché équitablement faute d’une règle de jugement applicable aux deux argumentations47 ». L'intérêt du propos de Lyotard est surtout de montrer que dans leur affrontement, chacune peut avoir les mêmes droits à prétendre à la vérité, car « [q]ue l’une soit légitime n’impliquerait pas que l’autre ne le soit pas. »48 Dès lors, aucun roi Salomon ne pourrait avoir le droit de trancher entre les deux, si ce n'est qu'alors « on cause un tort à l’une d’elles (au moins, et aux deux si aucune n’admet cette règle)49. » Entre la prudence et l'amour, le cas serait alors celui d'un « différend ». La tension entre prudence et amour ne pourrait pas en ce sens être résolu, mais au contraire devrait être maintenue. En effet, si le conflit fait bien rage entre les deux, la prudence menaçant de nier l'amour, comme l'amour menace de nier la prudence, il n'en reste pas moins que la légitimité est autant du côté d'un discours inspiré par la prudence, que d'un discours inspiré par l'amour. La tentation est alors de ne considérer que l'un de ces deux discours, à première vue, inconciliables. Le caractère monstrueux des héroïnes est en ce sens aussi, celui des romans, pris entre la comédie légère de la romance et la cruauté, sans cesse perceptible entre les lignes. La tonalité ironique en soutient le principe et rend dès lors la lecture indécidable, tout en dévoilant la nature hautement polyphonique des romans de Jane Austen. La polyphonie n'est pas à prendre en tant que simple donnée formelle de ces romans. Son travail sous-tend, au contraire, chacun des romans et leur confère l'originalité de leur tonalité, monstrueuse, parce que les discours en présence se refusent à tout accord, à toute unité. Même Elinor Dashwood, en apparence absolument lisse, n'échappe pas à la remise en question de sa perfection par l'ironie. Bien qu'elle s'oppose à sa mère et à sa sœur, elle n'en est pas moins séduite par Willoughby. Elle se prend à regretter la perte de son caractère passé, tout comme Marianne l'avait fait en apprenant sa conduite libertine à l'égard de Eliza Brandon, la protégée du colonel Brandon : « She felt the loss of Willoughby's character yet more heavily than she had felt the loss of his heart » (SS, 212). Cette phrase écrite pour Marianne, vaut finalement autant pour Elinor, qui voudrait retrouver en lui : « that person of uncommon attraction, that open, affectionate, and lively manner which it was no merit to posses; and […] that still ardent love for Marianne, which it was not even innocent to indulge. » (SS, 333) Ainsi, tout comme Lionel Trilling l'éprouve, « [j]ust when we have concluded in Sense and Sensibility that we ought to prefer Elinor Dashwood's sense to Marianne Dashwood's sensibility, Elinor herself yearns toward the anarchic passionateness of sensibility50. »
La séparation entre « sense » d'une part, qui serait incarné par Elinor, et « sensibility », qui le serait par Marianne, ne tient pas. En somme, le choix est impossible et Sense and Sensibility ne choisit pas entre Marianne et Elinor, ni entre les couples incarnés par Marianne et Willoughby ou plus tard entre Marianne et le colonel Brandon, ainsi que Elinor et Edward. En ce sens, la polyphonie des romans de Jane Austen n'instaure pas de réelle hiérarchie entre les voix, une hiérarchie qui permettrait de trancher entre mélecture et lecture. En réalité, si une logique est pertinente dans un cas, ce n'est jamais que jusqu'à un certain point et ainsi tout discours a ses limites. Dès lors qu'un discours se fige dans une pose, il perd sa pertinence et son efficacité. Marianne se perd en allant jusqu'au bout de sa propre logique et son refus de dissimulation, d'autant plus qu'elle ne s'aperçoit pas elle-même de ses propres contradictions. En effet, pas un seul instant, elle ne parle à sa mère et à sa sœur de ce qui se joue vraiment entre Willoughby et elle. Elle est pour la sincérité et pourtant elle accepte que rien ne se dise entre Willoughby et elle. Elinor a donc raison de s'étonner, alors que « every circumstance except one is in favour of their engagement; but that one is the total silence of both on the subject, and with me it almost outweighs every other. » (SS, 80) Cependant, Elinor, par la dissimulation de ses difficultés et des ses sentiments personnels entraîne Marianne à sa perte. Elinor apparaît à cette dernière comme dépourvue d'émotion, froide et trop parfaite et l'empêche ainsi de se confier à elle. Elle reconnaît l'importance de la parole et pourtant ne parle pas à Marianne. Elle se condamne et Marianne avec elle à une cruelle solitude. La complexité polyphonique tient à l'impossibilité dans laquelle chaque discours se trouve d'échapper au risque d'être contredit ou de se contredire, dès lors que les limites de sa validité sont outrepassées. La polyphonie des discours est travaillée par l’ironie de telle manière que, selon l'analyse de Mikhaïl Bakhtine, « percevoir et décrire tout cela comme les indices linguistiques d'un prétendu langage unique de l'auteur, est aussi inepte que d'attribuer au langage d'un auteur les fautes de grammaire, montrées objectivement d'un de ses personnages51 ! »
Vouloir confronter les discours pour chercher le discours vrai, celui de l'auteur, celui auquel la lecture doit aboutir pour se dissocier de la mélecture implique donc de nier le différend à l'œuvre dans les romans de Jane Austen. Le discours de Charlotte Lucas est, par exemple, tout autant justifié que celui d'Elizabeth Bennet et ce qui les distingue n'est pas tant leur qualité que les conditions dans lesquelles ils sont proférés. La situation d'énonciation de Charlotte Lucas est construite d'une façon radicalement distincte par rapport à celle d'Elizabeth Bennet. Un même discours inscrit dans des situations d'énonciation distinctes est susceptible d'entrer dans un tel différend avec lui-même. En outre, l'ironie qui soutient le différend invite à reconsidérer chaque discours dans les limites de sa validité ou de son invalidité. La polyphonie n'a donc pas vocation à être réduite, mais au contraire à être envisagée dans sa complexité, voire ses contradictions. Ce serait donc mélire les romans de Jane Austen que de les renvoyer à la pureté d'un discours unifié, alors que demeure notamment cet écart « between a barbaric subsurface of marital warfare and a surface of polite manners and civilized conventions52 ».
Le choix d'un partenaire sert souvent, dans les romans de Jane Austen, les intérêts de la sécurité financière. Il ouvre donc seulement à la jouissance d'un bien, à sa possession et à son usage, comme c'est le cas pour Mr. et Mrs. Elton ou pour Mr. et Mrs. Collins. À l'intérieur du discours de ces personnages, la question de l'amour ne se pose même pas. Mais les personnages qui suivent la voie des mélectures découvrent l'amour. Les mélectures des personnages construisent la réalité de leur désir et permettent au désir d'échapper à l'arbitraire de la simple jouissance, celle d'avoir un partenaire ou d'avoir de l'argent. Le choix final révélé au moment du dénouement se trouve en ce sens à chaque fois pleinement justifié et même rendu nécessaire par l'intrigue, tel le mariage entre Emma et Mr. Knightley. Il devient essentiel, inévitable.
Cependant, ces mélectures construisent aussi une polyphonie remarquable par sa tonalité ironique et par la façon dont elle mène à la prise en compte d'un différend qui interroge les limites de tout discours et la visée même du récit. En effet, l'amour, toujours menacé par des considérations financières, risque sans arrêt d'être détruit par les règles de la prudence. Et pourtant, il n'existe pas sans la prise en compte de cette même prudence. Il s'agit de ne renoncer ni à l'un, ni à l'autre. Au cœur de ce différend, qui invite à ne pas s'en tenir au dénouement, le conflit subsiste, le mystère est laissé en suspens.
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1 M. Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, 212.
2 M. S. Gilbert et S. Gubar, The Madwoman in the Attic, 129.
3 J. Austen, Northanger Abbey, 13.
4 A. Radcliffe, The Mysteries of Udolpho, 210.
5 Ibid., 210.
6 B. Saint Girons, Fiat Lux Une philosophie du sublime, 207.
7 Ibid.
8 Ibid.
9 J. Austen, Sense and Sensibility, 23.
10 J.-J. Lecercle, Interpretation as Pragmatics, 86.
11 T. Tanner, « Original Penguin Classics Introduction », Sense and Sensibility, 372.
12 Ibid.
13 Ibid.
14 L. Trilling, The Opposing Self, 182.
15 C. L. Johnson, Women, Politics, and the Novel, 43.
16 A. Radcliffe, ibid.
17 L. Trilling, Ibid.
18 Ibid.
19 G. Agamben, Idée de la prose, 96.
20 L. Trilling, ibid., 182-183.
21 J.-J Lecercle, ibid, 80.
22 Ibid.
23 Ibid., 83.
24 Ibid.
25 Ibid.
26 Ibid.
27 Ibid., 84.
28 Ibid.
29 Ibid.
30 Ibid.
31 Ibid., 86.
32 Ibid., 88.
33 S. M. Gilbert et S. Gubar, ibid., 129
34 J. Austen, Emma, 11.
35 D. Kaplan, « Circle of support », Pride and Prejudice, 372.
36 W. C. Booth, The Rhetoric of Fiction, 261.
37 S. Freud, L'Avenir d'une illusion, 31.
38 W. C. Booth, ibid., 244.
39 Ibid.
40 Ibid., 246.
41 J. Austen. Persuasion, 234.
42 S. M. Gilbert et S. Gubar, ibid., 132.
43 J. Austen, Jane Austen's Letters, 335.
44 J. Austen, Pride and Prejudice, 3.
45 D. Van Ghent, « On Pride and Prejudice », 301.
46 S. L. Macey, Money and the Novel, 151
47 J.-F. Lyotard ; Le Différend, 9.
48 Ibid.
49 Ibid.
50 L. Trilling, ibid.
51 M. Bakhtine, ibid., 212.
52 D. Van Ghent, ibid.