Le romantisme (anglais) est un enthousiasme

Marc Porée

Ecole normale supérieure

Enough! Or too much!1 William Blake, The Marriage of Heaven and Hell

  1. Sous ses dehors affirmatifs, pour ne pas dire assertifs, l'énoncé qui nous sert de titre – Le romantisme (anglais) est un enthousiasme – se veut, pour partie du moins, défensif, et donc offensif par la même occasion. Il n'est pas, du reste, d'énoncé d'apparence simple qui ne révèle, en sous-main, son lot de complexités, d'arrière-pensées, voire de contradictions, inévitables chaque fois qu'il  y a débat, querelle ou controverse. Il en allait déjà ainsi pour l'ouvrage de Jean-Paul Sartre, L'existentialisme est un humanisme, prolongement d'une conférence publique prononcée quelques mois auparavant, en octobre 1945 à Paris. Sartre affirmait, mais c'était pour mieux batailler, apporter la contradiction, contredire. En l'occurrence, il contredisait ouvertement une double doxa critique, pour qui l'existentialisme, nouvellement apparu sur la scène, comme dans le champ, des idées, ne pouvait en aucune façon espérer s'apparenter à un humanisme. D'un côté, les marxistes et les penseurs communistes lui reprochaient, en vrac, de procéder d'une philosophie idéaliste et bourgeoise, non-engagée, subjective, aliénante, contemplative, pour ne pas dire quiète ; de l'autre les penseurs chrétiens mettaient en cause sa proximité avec des thèses d'inspiration nihiliste (au travers de sa fascination pour le sordide, le louche et le visqueux), athéiste, ou bien encore absurdiste, car niant la valeur transcendantale de toute valeur. Le propos sartrien, au départ, se voulait donc autant, sinon plus de réhabilitation que de récusation, en l'espèce une défense et illustration d'un vocable, le substantif « existentialiste », perçu au mieux comme synonyme de farfelu, au pire comme l'équivalent de désespéré, misérabiliste ou révolté. Par la grâce d'un renversement pour le moins saisissant («L'existence précède l'essence »), Sartre mettait ainsi en œuvre une réelle révolution philosophico-sémantique, au nom de l'humanisme, ceci indépendamment du caractère lui-même engagé de sa formulation, laquelle n'allait pas – et ne va peut-être toujours pas ? – plus de soi que les critiques qu'elle entendait battre en brèche.

  2. Toutes choses par ailleurs égales, le terme d'enthousiasme donna lui aussi lieu à plus d'un contentieux. En transposant, notre proposition cherche à faire sous-entendre, du moins dans le premier temps de la dialectique, que le romantisme n'avait pas vocation à être un « enthousiasme », au motif premier que nombreux furent les poètes à nier, avec la plus grande vigueur, toute parenté avec ce repoussoir absolu que constituait l'enthousiasme hérité des révolutions politique et religieuse du dix-septième siècle anglais (et sans doute même avant ce temps-là), celui-là même que les critiques contemporains ne cessaient de leur renvoyer à la figure. Dans un deuxième temps, une fois accompli le travail de dé-synonymisation, le mot et la chose redevinrent objets de revendication en propre, à l'image de ces termes d'opprobre en usage dans le champ de la sociologie politique – ainsi tory, insulte dépeignant les membres du parti conservateur sous les traits de voleurs de bétail. A partir d'un certain moment, mais aussi d'un certain niveau d'incriminations calomnieuses subies sans mot dire, ils se voient retournés comme un gant, mais aussi renvoyés telle une arme vers les diffamateurs en question, dès lors que les personnes incriminées acceptent de les prendre en bonne part.

  3. En ce sens, on pourrait avancer l'idée que les romantiques anglais, issus des deux générations confondues, se voulurent, en fonction du contexte, des sur-enthousiastes plutôt que des sous-enthousiastes. Des ultra Enthousiastes, en somme, ou bien encore des Pré-Sectariens – comme il y aura, plus tard, les peintres de la confrérie des Pré-Raphaélites, désireux de rompre avec l'académisme pictural, et partisans, en toute intransigeance, d'un retour, synonyme de renaissance morale, aux codes et aux pratiques des  prédécesseurs de Raphael, les primitifs italiens et flamands. Dans le cas qui nous occupe, la ligne de partage des eaux, du moins selon Edmund Burke, pas le plus impartial des juges en la matière, remonte à 16482. En aval de cette date, sous l'effet des dérives sectaires, on voit l'enthousiasme se charger, dans l'opinion publique, de tout un cortège d'associations plus négatives et dépréciatives les unes que les autres. Lesquelles iront crescendo, pour « cristalliser » une fois de plus, à l'occasion d'une nouvelle, et ô combien majeure, conjoncture historique, lors du déclenchement de la Révolution française. Pour nous aider à mettre le débat en perspective, on enrôlera la réflexion théorique d'un Michel Deguy. S'il se réclame d'un temps contemporain au nôtre, il n'en est pas moins proche, en effet, via le truchement de Heidegger, des romantiques allemands (de Hölderlin, en particulier, qu'il cite beaucoup) ; certains passages de ses traités de poétique donnent du reste parfois l'impression de prolonger les fortes thèses présentes dans la Defence of Poetry d'un Shelley. «Energie du désespoir», tranche-t-il pour sa part3, là où les poètes anglais, confrontés au désespoir et à l'échec post-révolutionnaire, en tenaient quand même pour l'espoir, contre vents et marées. Un espoir paradoxal, plus volontiers contrarié que comblé, mais qui persistait à trouver des raisons d'espérer, en puisant pour cela dans les fondements de l'enthousiasme. Mais trêve de préambules, et entrons dans le vif du sujet, qui est d'abord étymologique.

Enthousiasme et étymologie

  1. Contrairement à Blake, un Shelley, mais aussi un Coleridge, n'ont aucun scrupule à se réclamer de Platon. C'est d'ailleurs dans le dialogue intitulé Ion, mais le Phèdre ferait aussi bien l'affaire, qu'on trouve la plus directe des explications de ce qu'il faut entendre par enthousiasme :  

De même aussi la Muse fait des inspirés par elle-même, et par le moyen de ses inspirés d'autres éprouvent l'enthousiasme: il se forme une chaîne. Car tous les poètes épiques, les bons poètes, ce n'est point par un effet de l'art, mais pour être inspirés par un dieu et possédés qu'ils débitent tous ces beaux poèmes. Il en est même des bons poètes lyriques : comme les gens en proie au délire des Corybantes n'ont pas leur raison quand ils dansent, ainsi les poètes lyriques n'ont pas leur raison quand ils composent ces beaux vers ; dès qu'ils ont mis le pied dans l'harmonie et la cadence, ils sont pris de transports bachiques, et sous le coup de cette possession, pareils aux bacchantes qui puisent aux fleuves du miel et du lait lorsqu'elles sont possédées, mais non quand elles ont leur raison, c'est ce que fait aussi l'âme des poètes lyriques, comme ils le disent eux-mêmes4.

« Il se forme une chaîne» : et c'est ainsi que cette inspiration qui met en branle et puise aux fleuves du miel se retrouve dans les derniers vers de “Kubla Khan”, oeuvre d'un autre poète lyrique, anglais celui-là, appelé à puiser aux fleuves du miel et du lait:

And all who heard should cry, Beware! Beware! Beware!

His flashing eyes, his floating hair!

Weave a circle round him thrice,

And close your eyes with holy dread:

For he on honey-dew hath fed,

And drank the milk of Paradise5.

  1. Le tour de passe-passe qui voit le «je» de la première personne du poète-locuteur se muer insidieusement en une troisième personne, une non-personne, dirait Benvéniste, ne trompe personne. Conçue sur un mode agonique, pour ne pas dire mimétique, la rivalité entre un Khan bâtisseur et un Khan poète, si elle tourne court, à tous les sens du terme, n'en pose pas moins un cadre, celui de l'inspiration d'origine divine, en même temps qu'elle sous-entend une angoisse, celle de l'influence, dirait un Harold Bloom. Au risque d'entretenir, moyennant une certaine complaisance, la légende du poète dangereux pour les siens comme pour lui-même, Coleridge n'en rend la manifestation de l'enthousiasme que plus spectaculaire, en même temps qu'il la scénarise, l'inscrivant dans un temps incertain qu'on peine à situer dans le cadre du poème, tant elle surgit sans crier gare. C'est en tout cas un moment de crise aigüe. Crise textuelle (voir le statut du fragment, qu'accentue le décrochage strophique), crise poétique, celle d'un sujet lyrique qui s'énonce à la troisième personne, quand l'ombre portée de l'enthousiasme conçu comme possession et fureur fait retour.

  2. La modalité dionysiaque, Shelley la met à son tour en scène, à la faveur de la deuxième strophe de son Ode au Vent d'Ouest ; à l'évocation des nuages qui défilent au-dessus de sa tête, au sein de la deuxième strophe, succède, sans transition, la comparaison avec la chevelure des farouches Ménades et de leurs rites orgiaques. La possession, ou fureur poétique, a pleinement incorporé le plus sauvage et a-social de ses substrats, rappelant le démembrement subi par Orphée ainsi que l'ivresse chère à Bacchus. Une ivresse, de poésie plus encore que de vin, à laquelle Keats sacrifiera et qu'il cultivera sans réserve, et dont Blake ne cessera, pour sa part, de mettre en scène les plus sinistres avatars guerriers, conformément à l'air du temps, et en lien avec le motif du pressoir à vin de Los tel qu'imaginé au premier livre de son Milton6. Mais c'est Shelley qui apparaît au plus près de l'étymon grec : la présence en lui de Dieu, ou du divin, il la met au travail sous plus d'une forme. La forme impérative, à moins qu'il ne faille dire exclamative, quand le locuteur de l'Ode au vent d'Ouest enjoint à l'alizé d'être « moi7 », rêvant de s'approprier sa puissance de destruction et de préservation. La forme aphoristique, lorsque le théoricien invoque “the interpenetration of a diviner nature through our own” ou quand il affirme, sans autre forme de procès, que la poésie “redeems from decay the visitations of the divinity in man8”.

  3. En se réclamant d'un archéo-enthousiasme, d'un enthousiasme princeps, pour le dire encore autrement, les poètes lyriques de l'époque romantique se savaient compris dans un sillage. Un sillage que les travaux récents de Jon Mee, sur l'enthousiasme et sa régulation à la fois en poésie et par la poésie9, ont permis d'éclairer d'un jour nouveau. Ce dernier a établi que, loin de rompre avec la poésie du (long) dix-huitième siècle, les poètes romantiques n'ont souvent fait que prolonger, en l'accélérant, une mutation en cours du concept d'enthousiasme, de manière à prendre la mesure à la fois de l'enthousiasme révolutionnaire et de la démocratisation de la culture, et, partant, des affects populaires10 ̶  une mutation qui s'inscrit dans le cadre plus général de ce que Jacques Rancière nomme pour sa part le « partage du sensible11 ». Mais une mutation, pour finir d'introduire le débat, qui passe par l'ouverture d'un second front, historique et idéologique celui-là. Ainsi donc, si enthousiasme romantique il y a – et ce sera l'objet du présent article que de reprendre la question à nouveaux frais – ce ne peut être que sur fond de querelles et d'antagonismes souvent violents. Sur fond de critique12, d'un mot. Critique au sens conféré à ce mot par toute la philosophie d'un Emmanuel Kant ; mais critique, aussi selon l'acception coleridgienne, grand passeur de la philosophie allemande, et partisan, en cette circonstance comme en tant d'autres, de « désynonymiser » les concepts et les notions, aux fins d'y voir plus clair13.   

Enthousiasme et interpellation

  1. L'acception contemporaine commune du terme d'enthousiasme pèse de tout un coefficient de négativité sur le mot comme sur la chose. Quelques exemples suffiront à s'en convaincre. Blake est de ceux qui, pour le déplorer, formulent avec la netteté la plus grande l'usage diffamatoire qui est fait du terme. Les notes qu'il consigne rageusement dans la marge de son exemplaire des Discourses du peintre et académicien Joshua Reynolds enfoncent le clou, non sans une certaine monotonie : “It is evident that Reynolds Wish'd none but Fools to be in the Arts & in order to do this, he calls all Others Vague Enthusiasts or Madmen. What has Reasoning to do with the Art of Painting?14”; “The Purpose of the following discourse is to Prove that Taste & Genius are not of Heavenly Origin & that all who have supposed that they Are so, are to be Consider'd as Weak headed Fanatics15”. La hargne constante qui s'exprime à cette occasion, on s'en convainc aisément, se nourrit de la frustration de l'artiste en marge. Prompt à retourner “Scorn for Scorn16” Blake déverse sa bile, d'une noirceur d'encre, sur le symbole le plus éclatant de l'art officiel qu'est Reynolds. En cause, l'assimilation, certes ancienne mais toujours d'actualité, entre enthousiasme et fanatisme, génie et folie, telle que formulée par un artiste promu par Blake en adversaire déclaré de l'Inspiration, de la Vision—de la “Spiritual Perception”, d'un mot. A Reynolds qui affirme: “But as mere enthusiasm will carry you but a little way...”, Blake rétorque: “Meer Enthusiasm is the All in All!17”. L'antagonisme ne saurait être plus tranché. D'un côté, une défiance à la fois instinctive et prétendument raisonnable envers un enthousiasme assimilé au fanatisme (religieux autant que politique), et dont la durée de vie et l'impact sont de toute façon limités, de l'autre une approbation sans réserve envers ce qui est affiché comme un absolu. De fait, dans la formulation, comme dans la pratique, l'enthousiasme est l'absolu artistique selon Blake. A rebours du relativisme ambiant—synonyme de compromission et de médiocrité, selon Blake--, il n'est rien de plus haut, rien de plus entier. C'est aussi son absolu poétique, à preuve cet autre exemple, versifié celui-ci :

To bathe in the Waters of Life, to wash off the Not Human,

I come in self-annihilation & the grandeur of Inspiration,

To cast off Rational Demonstration by Faith in the Saviour,

To cast off the rotten rags of Memory by Inspiration,

To cast off Bacon, Locke and Newton from Albion's Covering,

To take off his filthy garments & clothe him with Imagination,

To cast aside from Poetry all that is not Inspiration,

That it no longer shall dare to mock with the aspersion of Madness

Cast on the Inspired by the tame high finisher of paltry Blots

Indefinite, or paltry Rhymes, or paltry Harmonies,

Who creeps into State Government like a caterpillar to destroy;

[…]

These are the destroyers of destroyers of Jerusalem, these are the murderers

Of Jesus, who deny the faith & mock at Eternal life,

Who pretend to Poetry that they may destroy Imagination

By imitation of Nature's Images drawn from Remembrance18.

  1. “Aspersion of Madness”: au propre comme au figuré, la guerre ouvertement déclarée à l'enthousiasme prend la forme d'une calomnie généralisée, reçue comme une projection (dont l'effet est de souiller) et perçue comme une diffamation, l'une et l'autre également abjectes. “Aspersion of Madness” relève bel et bien de ce qu'Althusser nommera « interpellation » (« Hé, vous, là-bas !19 »), soit une forme d'assignation à résidence linguistique, par idéologie interposée. Une assignation, première étape d'un assujettissement à venir, dont un Frantz Fanon dénoncera pour sa part les implications racistes et coloniales20. En butte au consensus critique sur la question de l'enthousiasme et en lutte contre lui, Blake incarne à lui seul le dissensus romantique. Polémique, prenant fait et cause contre la situation d'ostracisme faite aux enthousiastes de tout poil, il contre-attaque. Plus on l'interpelle (« Tiens, un Enthousiaste ! »), plus il sent, ou se figure, car la paranoïa n'est jamais loin chez lui, qu'on l'assimile, par exemple, aux Méthodistes honnis, et plus il se bat comme un beau diable, multipliant les provocations. C'est ainsi qu'il fait de la figure de Sainte Thérèse d'Avila, prise pour cible par les frères Hunt en raison de son enthousiasme baroquisant et mystique, une des figures positives de son panthéon poétique. Au reste, les linguistes et les philosophes le savent bien, il n'y a pas d'interpellation sans « contre-interpellation ».  

  2. Mais avant d'aller plus loin, il nous faut faire l'archéologie du processus par lequel l'enthousiasme s'est retrouvé à figurer sur le banc des accusés, en ce début de dix-neuvième siècle. Cette dérive objective, allant dans le sens d'une forte altération du sens originel (voir plus haut), la critique anglo-saxonne l'a récemment prise en compte, ce qui a donné lieu à toutes sortes de contributions de nature à instruire le procès fait à l'enthousiasme, à décharge plus volontiers qu'à charge, du reste. Commençons par noter que ce qui est versé au passif de l'enthousiasme, découle pour une bonne part de la résurgence du phénomène au XVIIe siècle anglais, au travers de ses manifestations politico-religieuses. Associé aux emportements, proches du fanatisme, de type sectarien, il va être assimilé, sous la plume des adversaires de la Révolution puritaine, à une rhétorique où se mêlent la boursouflure lexicale, l'arrogance intellectuelle de qui s'affirme penser en conformité avec la pensée divine, ainsi qu'un débordement affectif ou passionnel. Le tout constituant un « ton » pour le moins caractéristique. Lequel ton, échauffé, n'est pas loin de rappeler le « ton grand seigneur » dénoncé par Kant dans son petit traité au titre éponyme21. Une hauteur de ton, liée à la tension, entendue dans la bouche des faux philosophes, des faux prophètes, des prêtres mystagogues, et dans laquelle Kant pressent la mort annoncée de la philosophie. Un ton où domine « la voix oraculaire qui recouvre la voix de la raison, la parasite plutôt, la fait défaillir ou délirer22 ». Hausser le ton, poursuit-il sous la plume de l'exégète Jacques Derrida, « c'est le faire sauter, c'est faire délirer la voix intérieure qui est la voix de l'autre en nous23 ». Et Kant de dénoncer, comme il se doit, la dépravation de la philosophie en poésie, par culte du mystère et de l'obscurité interposé. A l'entendre, Platon serait même le père du délire, de toute exaltation en philosophie. Par délire, il convient d'entendre tout à la fois vision exaltée, communication surnaturelle, illumination mystique, mais les prémices de sa critique sont également sociales et politiques.

  3. Ce qui conforte et complète le parallèle avec la critique, anglaise cette fois, d'un ton enthousiaste adopté naguère en philosophie politique. Dans les premières pages de ses Reflections de 1790, Edmund Burke semble vouloir télescoper deux révolutions, l'anglaise des temps anciens, et la française des temps présents, en en se montrant également critique à l'endroit des deux24. Il se juge autorisé à les amalgamer, par rapport à la résurgence d'un « style » qu'il juge pareillement tramé d'“exultation and rapture25”; “pulpit style”, c'est ainsi qu'il le nomme, “revived after so long a discontinuation [it] had the air of novelty, and of a novelty not wholly without danger26”. Datant avec précision—l'année 1648—la première apparition de cette Schwärmerei toute britannique, il en relève les prolongements contemporains chez les propagateurs anglais des thèses révolutionnaires parisiennes, dont le Dr Richard Price, théologien du non-conformisme, qu'il prend pour cible première. C'est la même absence de modération, le même déferlement d'animosités et de dissensions, déversé depuis la chaire, circonstance aggravante à ses yeux. Bien que plus ambivalente qu'il n'y paraisse, comme le fait observer Ross Carroll27, la critique burkienne de l'enthousiasme n'en est pas moins virulente à l'endroit d'un délire domestique prompt à confondre voix de la raison et voix de l'oracle et qui introduit la discorde au sein du corps social, au principal motif qu'il est source de dissonance. Verstimmen, le verbe kantien, signifie dérailler, détraquer, désaccorder, au sens de l'instrument à corde. Pénétrés de la même morgue, du même esprit de congrégation et de chapelle, les prédicateurs, tout comme les chefs révolutionnaires, croient « la voix qui leur parle en privé, à laquelle ils font dire ce qu'ils veulent28 ». Cette voix de l'oracle en soi, qui parle en privé, et qu'on suit aveuglément comme on suit ses désirs, voilà bien l'ennemi, pour le penseur whig qu'est Burke, par ailleurs théoricien du sublime, chez qui le mot comme la chose réveillent les vieux démons de l'histoire anglaise. Monnaie courante chez les imposteurs et les démagogues de tout bord, dont la séduction est à l'origine de mille et une fureurs – sans même parler de la Terreur, que Burke pressent dès 1790 –, la furia francese lui fait l'effet d'être la copie conforme du Rant véhiculé par les non-conformistes anglais29. Ennemis intérieurs et ennemis extérieurs auraient donc partie liée.

  4. Dans ces conditions, il devient légitime de flétrir l'enthousiasme, conçu comme le pendant des errements propres au catholicisme. Bien souvent, en effet, la querelle autour de la valeur à accorder à l'enthousiasme n'est qu'un rideau de fumée, masquant (plutôt mal) une véritable guerre de religion. A « l'erreur » de la religion catholique, qui tient dans son penchant inconsidéré pour la superstition, correspond l'erreur « protestante », telle que pointée par Hume et Locke, procédant d'une croyance excessive dans la conviction intime du croyant, qui se persuade, avant d'en persuader autrui par la force de son verbe, que son éloquence procède d'un rapport immédiat au divin, voire d'une proximité absolue avec lui, autorisant en retour toutes sortes de comportements de type hétérodoxe, pour ne pas dire (nouvellement) dissident. C'est ainsi qu'à mesure que se dessèche le contenu doctrinal et spirituel de l'anglicanisme et que finit de se « droitiser » son positionnement politique (de la part d'une religion établie), va se manifester une vigoureuse demande en matière d'émotion et d'affectivité.

  5. Celle-ci s'incarne à l'occasion du « réveil » méthodiste, largement amorcé par un autre prédicateur, George Whitefield, avant que John Wesley n'en prenne en charge l'organisation doctrinale et institutionnelle. Un méthodisme aux vives préoccupations sociales, capable de parler au peuple, appelé à devenir la cible favorite des attaques de tout bord politique. Ceci est de nature à expliquer à quel point l'anti-méthodisme semble la chose du monde la mieux partagée. Même William Hazlitt, peu suspect de préventions à l'endroit des thèses révolutionnaires, en ira de son couplet anti-méthodiste. Mieux, le méthodisme sert de prétexte pour dénoncer, et démolir, les prétentions poétiques. C'est le cas de Leigh Hunt, progressiste pourtant notoire, qui s'en prenant au méthodisme30, s'en prend à William Blake, et vice-versa. En cette fin de siècle, l'amalgame entre méthodisme et enthousiasme trouve encore à se renforcer à l'occasion de la parution de l'édition Boydell des œuvres de Hogarth en 1795. Une gravure en particulier, Enthusiasm Delineated (1761) – littéralement, l'enthousiasme dépeint, avec ses lignes et ses contours, mais on comprend que l'enthousiasme s'y trouve plutôt démarqué du reste du corps social –, focalise toute l'attention31. C'est encore une fois le méthodisme de Wesley qui est pris pour cible. Souvent commentée (tout récemment par Susan Matthews, sans oublier Ronald Paulson), l'illustration se veut emblématique des « travers » imputés au méthodisme.

  6. A commencer par l'état dans lequel le prédicateur exalté plonge ses ouailles : pâmoison, au premier plan, larmes, cris, effusion, désordre généralisé. Sur le côté droit de la gravure, deux baromètres – ou sont-ce des thermomètres ? –, surmontant une planche anatomique représentant un cerveau méthodiste, enregistrent le niveau d'enthousiasme religieux de la congrégation, tout à la fois assemblée (pour la forme) et désassemblée (sur le fond). La composition de l'image, multipliant les foyers de dévotion locaux et centrifuges, atomisant autant qu'elle la désaccorde l'humeur d'ensemble, accentue le sentiment de grande solitude à plusieurs qu'on éprouve devant l'image. Ce profond déséquilibre, spirituel autant que psychique, tout en étant proche d'autres gravures caractéristiques du faire hogarthien32, n'en est pas moins unique. Il illustre le profond discrédit dont fait l'objet l'enthousiasme – au point de même prêter le flanc aux critiques traditionnellement réservées – horresco referens – au papisme ! Plus généralement, il existe un enthousiasme visuel, iconophile, procédant de et par l'image – voir les pantins agités par le prédicateur dans la gravure de Hogarth – qui rappelle, de fait, l'idolâtrie reprochée à la religion catholique. L'enthousiasme de type « spectaculaire », telle est l'autre pomme de discorde.

  7. Dans un contexte aussi hostile, réhabiliter l'enthousiasme ne sera pas une mince affaire. Une double stratégie voit le jour. La première consiste à revendiquer l'appellation honnie, à l'image de ce qui se pratique assez couramment dans le champ socio-politique. Il en ira donc du vocable “enthusiast” comme il en est allé, et en ira, d'autres termes désobligeants, comme tory, queer, ou bien encore nigger33. Plus l'enthousiasme est décrié, et plus il se voit conforté dans sa place centrale : “Enthusiastic Admiration is the first principle of Knowledge & its last34”. De Blake on n'attendait pas moins. Il est le seul dont les sympathies avec les courants enthousiastes séculiers et religieux qui pullulaient à Londres à l'époque sont avérées35. Proche du méthodisme, il est le seul, encore, à soutenir que l'enthousiasme procure à ceux qui sont au ban de la société « un moyen d'expression36 » dont ils manquent cruellement par ailleurs. Est-ce à dire que l'enthousiasme sert d'opportune pierre de touche, permettant d'évaluer le rapport qu'entretiennent les poètes romantiques au peuple ? Sans doute, mais à ce compte il serait assurément trop facile, et trop cruel, de montrer combien le peuple manque dans la poésie de Wordsworth, de Coleridge, une fois leur période radicale révolue. Ces derniers sont passés maîtres dans l'art et la manière de réguler l'enthousiasme – et tel est, du reste, l'objet de la deuxième stratégie.

  8. Sa finalité vise à repoétiser l'enthousiasme, en le délestant de ses accents politico-religieux. Bénéficiant de l'apport de la critique shafsteburienne de l'enthousiasme, celle-ci débute loin en amont, avec les productions de James Thompson et d'Edward Young37. Complémentaire par rapport à la thèse de Jerome McGann sur la Romantic Ideology38, l'ouvrage de Jon Mee, Romanticism, Enthusiasm and Regulation. Poetics and the Policing of Culture in the Romantic Period, met en lumière une volonté sur le long cours de policer l'enthousiasme, en le purgeant de ses ressorts passionnels et plébéiens les plus débridés. La réhabilitation ainsi proclamée, comment ne pas la voir à l'œuvre  dans les propos théoriques de Wordsworth, dans sa Préface aux Lyrical Ballads ? En deux temps, et à cinq ou six pages de distance, on passe de l'enthousiasme spontané à l'enthousiasme repris en main—du “spontanenous overflow of powerful feelings” à l'émotion “recollected in tranquillity39”. Un contrôle s'exerce, qui ne dit pas son nom, placé sous le signe de la tempérance et de la purification. Presque caricaturalement, le parcours poétique de Wordsworth porte la marque d'un « dés-enthousiasme », pour forger un néologisme. Il n'en réserve pas moins, soyons juste, de beaux moments d'intensité poétique, quand le poète remonte au plus près de la source de ses élans créateurs (voir plus bas).

  9. L'enthousiasme, et on terminera provisoirement sur ce point, est donc une histoire d'intensité : l'enthousiasme ou comment le préserver (plutôt que de s'en préserver). Comment s'en prévaloir sans que l'emporte sa dimension par trop répulsive, car effusive, extravagante ou éruptive? Chaque poète romantique apportera sa réponse. Coleridge laissera volontiers refluer le ton exalté des “Religious Musings” de 1794-1796, sans renoncer à militer pour une piété bien ordonnée, capable de servir de rempart contre les assauts conjugués du radicalisme et de l'infidélité, tandis que Keats s'efforcera de cultiver, en toutes circonstances, un enthousiasme issu du gusto cher à Hazlitt, autrement dit un investissement libidinal, quasi érotique, dans la chose passionnément appréhendée, imaginée ou goûtée, quelle qu'elle soit40. A l'origine d'une forme de too-muchness dont ses adversaires dénoncent les accents Cockney41, mais Keats préfèrerait parler de variations et de gradations sur son “pleasure thermometer42”, une telle intensité se distingue pour autant de « l'enthousiasmerie » vulgaire en ce qu'elle ne cesse de travailler à son raffinement, “in a finer tone43”.   

Enthousiasme et circonstance

  1. Il y aurait, pour citer Michel Deguy, deux manières d'être, « d'être-à, au vent, au monde ». « Manières disjointes, souvent indifférentes ou hostiles. Il y a ceux qui ne veulent pas entendre parler du vent. Et un monde où le vent souffle, parfois : événement, histoire du vent. La poésie ‘suggère’ (Mallarmé) la deuxième manière d'être, celle où le vent que je sens sur ma joue dit le souffle spirituel44 ». Ce vent qui souffle, annonciateur d'une ère nouvelle, souffle sur la joue de William Wordsworth, au seuil du Prelude :

Oh, there is blessing in this gentle breeze,

That blows from the green fields and from the clouds

And from the sky; it beats against my cheek,

And seems half conscious of the joy it gives.

[...] 

Nay more, if I may trust myself, this hour

Hath brought a gift that consecrates my joy;

For I, methought, while the sweet breath of heaven

Was blowing on my body, felt within

A corresponding mild creative breeze,

A vital breeze which travelled gently on

O’er things which it had made, and is become

A tempest, a redundant energy,

Vexing its own creation. ’Tis a power

That does not come unrecognised, a storm

Which, breaking up a long-continued frost,

Brings with it vernal promises, the hope

Of active days, of dignity and thought,

Of prowess in an honorable field,

Pure passions, virtue, knowledge, and delight,

The holy life of music and of verse45.

  1. La brise qui se lève, en passe de devenir tempête, en cette « heure » bénie autant que consacrée, prend la forme d'une énergie extérieure, d'essence printanière, se redoublant d'une puissance interne correspondante (« corps-répondante », écho d'un écho, respiration confondue du corps et de la pensée) ; elle constitue assurément, comme le soulignait M. H. Abrams dans un texte déjà ancien, la métaphore reine du romantisme anglais46. Vent et enthousiasme, le signe d'égalité entre les deux termes de l'équation ne fait aucun doute. Ce faisant, la poésie confirme qu'elle est « principe d'hospitalité », comme le soutient Michel Deguy47. En effet, en cette manière qu'elle a de surprendre, mais aussi de s'annoncer comme l'essence de ce qui commence, en ce (re)commencement du monde qu'est la naissance au poème48, la poésie lie son sort à celui de la circonstance, en s'en faisant l'hôte privilégié. Et c'est ainsi que le poète met à son tour le pied dans l'harmonie et la cadence, « l'oeil égaré dans les plis de l'obéissance au vent », pour le dire avec les mots d'un autre poète, Victor Hugo49. Un égarement qui prélude à une réorientation en cours, mais ne se départit pas de sa part d'ombre et de vexation. Le “vexing” du vers 48 dit en effet la féconde ambivalence du phénomène : entre redondance et contrariété, l'enthousiasme n'est pas sans contretemps ni contradictions. C'est dire s'il est à la fois intempestif... et de tous les temps.       

  2. Nombreux sont les poètes romantiques à avoir détourné à leur avantage ce grand vent qui vient, en tentant de l'enrôler. Au point d'en faire l'emblème du soulèvement marquant de l'époque, celui occasionné par la Révolution française, « la première émotion historique de l'époque moderne », comme la nomme Jean-Christophe Bailly, parlant pour sa part des Romantiques allemands50. Un soulèvement dont une exposition récente, conçue et organisée par George Didi-Huberman, au Musée du Jeu de Paume, a entrepris de décliner, au pluriel, l'ensemble des manifestations, historiques et esthétiques51. Soulèvement, préféré au signifiant « insurrection », eu égard à sa polysémie plus étendue, moins immédiatement politique car tramée d'éléments, de gestes, de mots, de conflits et de désirs, et donc consubstantiel aux forces du mouvement, voire indissociable de ce que l'essayiste romantique Thomas de Quincey appellera bien plus tard “the glory of motion52”. Un soulèvement dont les déceptions encourues, la trahison des idéaux révolutionnaires, la volonté d'en finir avec l'histoire, ne feront jamais retomber l'ardeur. Persiste toujours en effet, dans le sillage de l'ébranlement initial, une fidélité à ce moment où la Révolution apparut à l'horizon: “The French Revolution as It Appeared to Enthusiasts at Its Commencement”:  

Oh! pleasant exercise of hope and joy! 


For mighty were the auxiliars which then stood


Upon our side, we who were strong in love!


Bliss was it in that dawn to be alive,


But to be young was very heaven!--Oh! Times,


In which the meagre, stale, forbidding ways


Of custom, law, and statute, took at once


The attraction of a country in romance!


When Reason seemed the most to assert her rights,


When most intent on making of herself


A prime Enchantress--to assist the work


Which then was going forward in her name!


Not favoured spots alone, but the whole earth,


The beauty wore of promise, that which sets


(As at some moment might not be unfelt


Among the bowers of paradise itself )


The budding rose above the rose full blown.


What temper at the prospect did not wake


To happiness unthought of? The inert


Were roused, and lively natures rapt away!


They who had fed their childhood upon dreams,


The playfellows of fancy, who had made


All powers of swiftness, subtilty, and strength


Their ministers,--who in lordly wise had stirred


Among the grandest objects of the sense,


And dealt with whatsoever they found there


As if they had within some lurking right


To wield it;--they, too, who, of gentle mood,


Had watched all gentle motions, and to these


Had fitted their own thoughts, schemers more wild,


And in the region of their peaceful selves;--


Now was it that both found, the meek and lofty


Did both find, helpers to their heart's desire,


And stuff at hand, plastic as they could wish;


Were called upon to exercise their skill,


Not in Utopia, subterranean fields,


Or some secreted island, Heaven knows where!


But in the very world, which is the world


Of all of us,--the place where in the end


We find our happiness, or not at all!53

  1. Tout dans ce fragment composé par Wordsworth en 1805 proclame la volonté d'héroïser la circonstance : l'emploi du prétérit, qui renvoie dans une sorte d'illo tempore mythique le commencement en question, la solennité auguste des termes, d'origine latine, comme il sied à l'entame d'un chant épique, l'emphase extatique de la conclusion, etc. Ipso facto, l'enthousiasme en question se voit dés-historicisé ; ses origines françaises se trouvent comme transcendées ou sublimées, pour relever à proprement parler du domaine du merveilleux, de la romance—ce qu'attestent les livres français du Prelude wordsworthien, du moins à leurs débuts. En tout état de cause, la mythologisation du processus confirme, si besoin était, l'appréciation portée en son temps par Horace Walpole. A savoir que la Révolution, et c'est ce qui fait qu'elle fut le maître signifiant du temps, consacre un « enthousiasme sans religion54 », dépouillé des attributs du divin et du religieux. Un enthousiasme séculier, du coup, pour ne pas dire profane, mais aussi un “latter-day enthusiasm” aux accents initialement et indéniablement apocalyptiques et à ce seul titre des plus singuliers55. D'où la volonté des uns et des autres, soit de réenchanter à tout prix le processus, en lui insufflant l'équivalent d'un supplément d'âme, soit de ne surtout pas chercher plus loin la renaissance attendue de l'âge d'or de la Romance. Cela donne d'un côté Wordsworth, romantique de la première génération, et de l'autre Shelley, romantique de la seconde (voir l'ouvrage de David Duff, Romance and Revolution, 1994). Et c'est ainsi, grâce largement à cette relève par la romance, mais aussi par le mythe, que l'enthousiasme survit à la déception comme à la trahison, à l'entrée dans la marge comme aux conséquences de l'âge. Persiste une constance à ce qui fait office de « conducteur56 ». Conducteur, le terme est d'origine électrique, en lien avec la quête d'une intensité maximale57, et c'est cette même accumulation constitutive d'une conjoncture historique exceptionnelle qu'un Shelley croit pouvoir identifier, en cette année 1821:

For the literature of England, an energetic development of which has ever preceded or accompanied a great and free development of the national will, has arisen as it were from a new birth. In spite of the low-thoughted envy which would undervalue contemporary merit, our own will be a memorable age in intellectual achievements, and we live among such philosophers and poets as surpass beyond comparison any who have appeared since the last national struggle for civil and religious liberty. The most unfailing herald, companion, and follower of the awakening of a great people to work a beneficial change in opinion or institution, is poetry. At such periods there is an accumulation of the power of communicating and receiving intense and impassioned conceptions respecting man and nature58.

  1. Poursuivant sur la lancée de sa préface à Laon and Cythna, où il s'efforçait de prendre toute la mesure du moment présent, aux fins de renverser – d'abréagir – l'abattement et la mélancolie consécutifs à l'échec de la Révolution française et au retour de la Sainte Alliance, Shelley se laisse emporter par un enthousiasme qu'il imagine contagieux. Prendrait-il ses désirs pour des réalités ? Toujours est-il que l'auteur de la Défence entreprend de répliquer vertement à son ami T.L. Peacock pour qui la poésie procède d'un “rant of unregulated passion59”, et se prête trop souvent à n'être qu'un vulgaire instrument au service des démagogues et des fanatiques qui entendent mener les gens par le bout du nez. Entièrement acquis à la cause de “the enthusiasm of virtue, love, patriotism and friendship60”, Shelley affirme au contraire le fondement moral, on dirait éthique de nos jours, de la poésie.

  2. Sans qu'il y ait besoin de faire appel à un bien improbable « tournant » linguistique, force est de constater que l'enthousiasme n'est pas grand-chose sans sa prise en charge par la langue. Ainsi que le dirait le philosophe Clément Rosset, les manifestations de l'enthousiasme shelleyen doivent tout à la langue dans laquelle il trouve à s'exprimer. Ses métaphores et comparaisons plus exaltées les unes que les autres, et dont toutes ne sont pas forcément compatibles entre elles (la poésie est fontaine mais elle est aussi éclair), son « haut-dire », d'essence longinienne, démesurément hyperbolique, pose en effet la question de leur rapport au « réel ». Gonflant le volume de ce dont elle parle, la parole shelleyenne risque à tout moment de « manquer61 » le réel, voire de le faire entièrement disparaître. La thèse de Rosset, qu'on ne développera pas ici tant elle est connue, incite à s'interroger avec lucidité sur le statut de la grandiloquence romantique. S'il existe toujours un certain écart entre le réel et sa représentation, la grandiloquence signale, elle, ce que Rosset appelle « un écart critique », un écart maximal impliquant « destruction et disparition de la chose représentée62 ». On s'abstiendra toutefois de généraliser: si elle est souvent à l'origine de la méfiance, voire de la défiance éprouvées envers l'enthousiasme, la grandiloquence shelleyenne excelle à saisir une « idiotie » d'un autre type, des plus paradoxales par ailleurs, celle qui caractérise l'évocation de l'“intense inane63” sur laquelle s'achève le troisième acte du Prometheus Unbound. Ainsi, pour le dire avec une certaine ironie, le trop-plein de l'enthousiasme s'accommode-t-il parfaitement d'un trop-vide!

Enthousiasme et transport

  1. L'enthousiasme est un transport. “Away! Away! For I will fly to thee”, s'écrie le locuteur de l'Ode au Rossignol, au comble de l'ivresse participative. “Already with thee”, renchérit-il, s'imaginant de plain-pied avec l'oiseau, voire se confondant avec son être propre jusqu'à s'y perdre (“To thy high requiem become a sod64”). Avant de déchanter. C'est qu'il y a une temporalité propre à l'enthousiasme, fatalement fugitif et/ou intermittent, dont tout poème romantique digne de ce nom programme la nature entropique. Et nul mieux que Keats ne sera parvenu à rendre le moment de bascule, ou de renverse, quand l'enthousiasme reflue. L'envers de l'enthousiasme, c'est bien évidemment la Dejection coleridgienne, qui en serait l'antithèse la plus explicite, mais c'est encore le creux de la vague enthousiaste, quand celle-ci décroît jusqu'à disparaître. Son être est de passage. Il a un commencement, on l'a vu plus haut ; il a surtout une fin. Retombée, l'excitabilité, qui n'est guère éloignée, chez Keats, d'une érectilité, se retire ; la voici franchissant à rebours, et pour la dernière fois, les seuils spatiaux et temporels par lesquels elle était passé. Et la strophe VIII de l'Ode d'exhiber, comme autant de trophées, la ribambelle de prépositions adverbiales (back, Past, over, Up, In) ponctuant le mouvement de retrait(e). Le matérialisme keatsien, lui, se nourrit tout autant du soubassement humoral, thymique, dans lequel puise et s'enracine son ardeur, que de l'humus langagier, prépositionnel mais également syntaxique, où elle prend corps. C'est dire si le transport est, prioritairement, transport dans la langue; « le transporter en poème et dans le poème – malgré les apparences65 ».

  2. Ce transport s'accompagne de toute une « économie tropologique66 » ; au premier rang de ces figures obligées, se tient la comparaison, « l'être-comme » pour le dire avec Michel Deguy. Un poème comme “To a Skylark”, de Shelley, illustre cette évidence, avec les quatre comparaisons en réponse à la question: “What is most like thee ?67”. Elle se chargent d'évoquer, des vers 32 à 60, l'être et le devenir de l'alouette, aussi analogiquement, et fidèlement, que faire se peut. D'autant plus que le transport du blithe Spirit (v. 1), mixte d'allégresse et d'exaltation, mais aussi oxymore placé dans une gorge non humaine (“harmonious madness”, v. 103), se veut métonymique de l'enthousiasme qu'il y a à l'imaginer, à le saisir dans les mots et les rythmes du poème – une exaltation que “The Windhover” de G.M. Hopkins reproduira à l'identique, à propos d'un oiseau tout autre puisque d'essence rapace, lui. Outre qu'elles rappellent le Phèdre de Platon, comme on l'a dit plus haut, les envolées poétiques, aux allures de prosopopée, suscitées par la trajectoire ascensionnelle d'un oiseau demeurant à jamais invisible témoignent de la viabilité d'un dé-lire: maîtrisée de bout en bout, la sortie du sillon tient lieu de levain ; elle fait (se) lever la pâte poétique, prise dans un mouvement identique à la “passion for reforming the world68” qui anime le même Shelley.

  3. Qu'on ne vienne pas nous dire, à propos de la science métrique et prosodique du poète, que  l'enthousiasme y est régulé, policé, domestiqué – tenu en laisse, en somme. Adressé à l'oiseau, l'impératif qui clôt un poème continûment exclamatif (“Teach me half the gladness69”) exprime tout au contraire la volonté de se soumettre corps et âme au créateur du “Chorus Hymenaeal70” (v. 66), et à ce qui fait son irréductible différence, à commencer par sa nature intempestive d'animal qu'on ne saurait discipliner, encore moins saisir ou encager. Tout au plus compose-t-on avec lui au sein d'un poème redoublant (parachevant ?) son caractère ouvertement métapoétique par des modalités elles-mêmes méta-ou hyper-enthousiastes.  

  4. William Blake se plaît, lui aussi, à représenter le barde reprenant en choeur un chant triomphal: “The Bard replied : ‘I am Inspired! I know it is Truth! For I Sing/ According to the inspiration of the Poetic Genius/Who is the eternal all-protecting Divine Humanity,/To whom be Glory & Power & Evermore. Amen71”. Assimilé au “Poetic Genius”, l'enthousiasme se confond avec une forme aggravée d'annihilation de soi—extinction du moi faillible né pour la mort, comme le figurent deux planches du même Milton (1804), représentant pour l'une William frappé au pied gauche par une étoile filante, et pour l'autre, également percuté par une éclatante comète, Robert, le frère du premier, décédé en 1787, mais que le graveur imagine conversant avec lui depuis sa mort. Sur les deux images, la mort semble saisir le vif, à l'origine d'un collapsus, qui tiendrait plus de la syncope que du furor poeticus. Cet événement donne également lieu à une étonnante parabole poétique, figurant la « descente » de Milton sur terre, son entrée dans un corps de chair et d'os :    

But Milton entering my Foot, I saw in the nether

Regions of the Imagination—also all men on Earth

And all in Heaven saw in the nether regions of the Imagination

In Ulro beneath Beulah—the vast breach of Milton's descent.

But I knew not it was Milton, for man cannot know

What passes in his members till periods of Space & Time

Reveal the secrets of Eternity: for more extensive

Than any other earthly things are Man's earthly lineaments.

  1. Le processus mythopoétique d'ensemble est complexe qui voit Blake entreprendre de corriger, en la révisant, l'erreur de John Milton, assurément le plus grand des poètes chrétiens, mais cependant coupable, pour simplifier, d'avoir tout sacrifié au culte de la Raison. Dans la scène ci-dessus, figurant l'un des tournants majeurs du poème, l'instance qu'est Milton se pose sur le tarse de Blake pour se diffuser ensuite dans son corps. Pourquoi le tarse ? Pourquoi le pied gauche ? On y a vu, répond Armand Himy, une allusion directe à Paul de Tarse, au chemin de Damas, et à la forme de religion puritaine dont Milton doit se libérer. « Ainsi revenu sur terre, poursuit-il, Milton doit parcourir à nouveau le cheminement de sa propre vie – préalable à la phase de réconciliation avec ce qu'il a écarté de lui-même72 » Il n'y a rien à redire à la lecture d'Armand Himy ; tout au plus pourra-t-on faire remarquer que cette façon pour le moins hétérodoxe et idiosyncratique de figurer la modalité par laquelle l'inspiration entre, non par la tête, mais par le pied, permet de rebattre avantageusement les cartes. En court-circuitant la trajectoire traditionnelle de l'inspiration de type cérébral, en fléchant le parcours de l'influx poétique de bas en haut, depuis un point d'entrée dont les connotations sont a priori prosaïques, privilégiant, en remontant, l'ensemble des zones dites inférieures (implicitement génitales), Blake rééquilibre adroitement l'enthousiasme de tête (comme il est des voix de tête) en l'ouvrant sur un hypo-enthousiasme, un enthousiasme d'en bas ou d'en dessous, qui, pour être humble, n'a rien de pédestre pour autant. Bien au contraire, en prenant en compte la totalité des voies d'accès au corps (les fameuses “doors of perception”), cet hypo-enthousiasme devient un hyper-enthousiasme à mesure qu'il gagne en profondeur et en stabilité avant de déboucher sur l'union entre Milton et sa part féminine, Ololon. Ainsi se démarque-t-il mieux, du « délire de têtes qui s'exaltent73 » dénoncé par Kant. Sans compter que l'entrée par le pied, peu suspect de délire, ouvre la voie à une autre refondation, poétique celle-là, du fait de l'homonymie entre pied et mètre, autre jeu sur les mots parfaitement intégré dans la trame du texte blakien, permettant à ce dernier de « mettre pied dans l'harmonie », pour reprendre une dernière fois les termes du Ion.  

  2. Cherchant un point d'Archimède depuis lequel tout faire bouger, Blake finit par le trouver dans un ailleurs – de nature utopique – qu'il s'est inventé pour le compte du géant Albion et auquel il donne le nom de Jerusalem. « S'envoyer ailleurs, c'est l'utopie », affirme Michel Deguy74, mais nous avons, poursuit-il, à partir d'un contexte et une conjoncture assurément fort différents, où la Révélation n'est plus du tout à l'ordre du jour, « à inventer quelque chose comme un moyen aujourd'hui de nous y rejoindre 'quand même'... pour la trêve75 ». Cet ailleurs fait poème, à moins qu'il ne faille parler d'un poème promu au rang de non-lieu, Blake l'invente dans les planches dernières de Jerusalem, à la faveur de la conjonction (conjugaison, serait tout aussi approprié, sinon plus) entre une conversation commune (“And they conversed together in Visionary Forms dramatic which bright/Redounded from their Tongues in thunderous majesty”) et l'identification de toutes les formes humaines (“even Tree, Metal, Earth & Stone: all/ Human Forms identified, living, going forth & returning wearied […] And then Awakening into his Bosom in the Life of Immortality76”).

  3. Les accents de Révélation qu'on y entend, comment ne pas les lire au prisme du « pli apocalyptique77 » analysé par Derrida, partisan d'y voir la résultante la plus authentique qui soit d'une opération de démystification conduite aussi loin que possible. L'Apocalypse sans apocalypse ni menace, sans crainte ni tremblement, sans la tromperie agogique, sans le « ton grand-seigneur », sans l'eschatologie fumeuse des prophètes auto-proclamés, etc. De même, aux fins de prolonger l'analogie, y a-t-il nécessité pour Blake à s'enthousiasmer en faisant l'économie de l'enthousiasme de type Schwärmerei. A la fièvre des enthousiastes et autres mystagogues, épris d'invisibilité, donc d'opacité et de mystère, il oppose la visibilité, extrême et absolue, de ses formes humaines réincarnées. Clairement identifiées comme telles, saisies en plein jour, elles procèdent moins d'un désir de clarté, de lucidité, de vigilance, hérité de l'Aufklärung, que d'une promesse faite « au nom d'une lumière de la lumière, d'une lumière plus lumineuse que toutes les lumières qu'elle rend possibles78 ». Celle d'un dévoilement, d'une épiphanie, qui font la vérité de l'apocalypse, laquelle est « vérité de la vérité79 ».

  4. Porté à ce sommet d'exigence, on peut, sans craindre de se tromper, affirmer que le romantisme est un enthousiasme – ou alors il n'est pas. Tel est le sens du combat de Blake, car c'en fut un (“I will not cease from Mental Fight80”), pour que vive l'enthousiasme, pour qu'il ne cesse jamais: “That Enthusiasm and Life may not cease; arise, Spectre, arise!81” (Jerusalem, Plate 9, 31). Son œuvre, dans laquelle Jon Mee voit à juste titre un démenti apporté à la prudence, au compromis, à la régulation, est une œuvre « à angles droits82 », le mot ne cesse de revenir sous la plume du critique, ennemie de toute forme de lissage et d'harmonisation. Blake ne fait que répéter cela, sur tous les tons, à tous les modes, à l'image, encore, de ses « Proverbes de l'Enfer », parmi lesquels se trouve ce pur condensé d'enthousiasme à la sagesse paradoxale : “The road of Excess leads to the palace of Wisdom83”. Mais c'est un autre énoncé, d'apparence tranquille bien que pareillement hétérodoxe, qui s'imposera au titre de la conclusion, en raison de ses enjeux esthétiques de plus large portée, mais, surtout, eu égard à une construction grammaticale analogue à celle qui nous avait fourni notre point de départ : “Exuberance is Beauty84”.  

  5. La cause serait donc entendue : tous les poètes romantiques sont également enthousiastes, mais certains (Blake, Shelley) sont plus égaux que d'autres pour ce qui est du vierge, du vivace et du bel enthousiasme...  

Œuvres citées

 

ABRAMS, M. H. The Correspondent Breeze: Essays on English Romanticism. New York, London: Norton, 1986.

BAILLY, JEAN-CHRISTOPHE. La légende dispersée Anthologie du romantisme allemand [1976]. Paris : Christian Bourgois, 2001.  

BLAKE, WILLIAM. Complete Writings. Edited by Geoffrey Keynes. Oxford: OUP, 1957.

BURKE, EDMUND. Reflections in the Revolution in France [1790]. Edited by Conor Cruise O'Brien. Harmondsworth: Penguin Books, 1987.

CARROLL ROSS. “Revisiting Burke's Critique of Enthusiasm”, History of Political Thought, Vol. XXXV, number 2, Summer 2014.

https://www.academia.edu/6641031/Revisiting_Burkes_Critique_of_Enthusiasm Consulté le 7 avril 2018.

CLARK, TIMOTHY. The Theory of Inspiration: Composition as a Crisis of Subjectivity in Romantic and Post-Romantic Writing. Manchester: Manchester UP, 2001.

COLERIDGE, S. T. Coleridge's Poetry and Prose. Selected and Edited by Nicholas Halmi, Paul Magnuson, and Raimonda Modiano. New York, London: Norton, 2004.

DEGUY, MICHEL. L'énergie du désespoir. Paris: Puf, 1998.

DE QUINCEY, THOMAS. Confessions of an English Opium-Eater and Other Writings. Edited by Grevel Lindop. Oxford: OUP, 1998.

DERRIDA, JACQUES. D'un ton apocalyptique adopté naguère en philosophie. Paris : Galilée, 1983.

DIDI-HUBERMAN, GEORGES. Soulèvements. Avec des essais de Nicole Brenez, Judith Butler, Marie-José Mondzain, Antonio Negri et Jacques Rancière. Paris : Coédition Gallimard/Jeu de Paume, 2016.

DUFF, DAVID. Romance and Revolution: Shelley and the Politics of a Genre. Cambridge: Cambridge University Press, 1994.

FANON, FRANTZ. Peau noire et masques blancs. Paris : Seuil, 1952.

GARCIA, TRISTAN. La vie intense. Une obsession moderne. Paris : Autrement : 2016.

HAZLITT, WILLIAM. The Selected Writings of William Hazlitt. Edited by Duncan Wu, with an Introduction by Tom Paulin. London: Pickering & Chatto, 1998.

HEYD, MICHAEL.  ‘Be Sober and reasonable’- The Critique of Enthusiasm in the Seventeenth and Early Eighteenth Centuries. Leyde, New York, Cologne : Brill, 1995.

HIMY, ARMAND. William Blake peintre et poète. Paris : Fayard, 2008.

IRLAM, SHAUN. Elations: The Poetics of Enthusiasm in Eighteenth-Century Britain. Stanford : Stanford University Press, 1999.

KEATS, JOHN. The Complete Poems. Edited by John Barnard. Harmondsworth: The Penguin Books, 1977.

-- The Letters of John Keats, 1814-1821. Edited by Hyder Edward Rollins. Cambridge: Harvard UP, 1976.

MATTHEWS, SUSAN. “'Happy Copulation': Blake, visual enthusiasm and gallery culture”, Romanticism on the Net, Number 46, May 2007 Romantic Spectacle Guest-edited by John Halliwell and Ian Haywood.  

 https://www.erudit.org/en/journals/ron/2007-n46-ron1782/016140ar/ Consulté le 13 avril 2018.

McFARLAND, THOMAS. The Masks of Keats: The Endeavour of a Poet. Oxford: OUP, 2000.

McGANN, JEROME. The Romantic Ideology: A Critical Investigation. Chicago: The University of Chicago Press, 1983.

MEE, JON. Dangerous Enthusiasm: William Blake and the Culture of Radicalism in the 1790s. Oxford: Clarendon Press, 1992.

-- Romanticism, Enthusiasm and Regulation. Poetics and the Policing of Culture in the Romantic Period. Oxford: OUP, 2005.

MORTON, LESLIE. The Word of the Ranters: Religious Radicalism in the English Revolution. Hackney Wick: Lawrence & Wishart, 1979.

PAULSON, RONALD. The Beautiful, Novel and Strange. Baltimore and London: The Johns Hopkins University Press, 1995.

PLATON. Oeuvres complètes, t. V. Première partie. Ion, Ménexène, Euthydème. Paris : Les Belles lettres, 1964.

RANCIERE, JACQUES.  Le partage du sensible, esthétique et politique. Paris : La fabrique, 2000.

ROSSET, CLEMENT. Le réel - Traité de l'idiotie. Paris : Editions de Minuit, 2004.

RUSHDIE, SALMAN. Imaginary Homelands: Essays and Criticism 1981-1991. London: Granta Books, 1991.

SARTRE, JEAN-PAUL. L'existentialisme est un humanisme [1946]. Paris : Folio Essais Gallimard, 1996.

SHELLEY, P. B. The Major Works. Edited by Zachary Leader and Michael O'Neill. Oxford: OUP, 2003.   

WORDSWORTH, WILLIAM. William Wordsworth. Edited by Stephen Gill. Oxford, New York: The Oxford Authors, 1984.


1 W. Blake,  The Complete Writings of William Blake, 152.  

2 E. Burke, Reflections on the Revolution in France, 94.

3 « Mais quelle est l'énergie proprement poétique ou en poème, c'est la difficulté si on ne veut pas se contenter de vagues emprunts à la physiologie ou à l'électricité. Je l'appelle parfois énergie du désespoir »., M. Deguy, L'énergie du désespoir, 88.

4 Platon, Oeuvres complètes, t. V. Première partie. Ion, Ménexène, Euthydème, 35.

5 S. T. Coleridge, Coleridge's Poetry and Prose, 183.

6 W. Blake, op. cit., Milton, Book 1, plate 27, 513.

7 P. B. Shelley, Percy Bysshe Shelley The Major Works, 414.

8 P. B. Shelley, ibid., 697, 698.

9 J. Mee, Dangerous Enthusiasm : William Blake and the Culture of Radicalism, 1994 ; Romanticism, Enthusiasm and Regulation. Poetics and the Policing of Culture in the Romantic Period, 2003.

10 J. Mee, Romanticism, Enthusiasm and Regulation. Poetics and the Policing of Culture in the Romantic Period, 294.

11 J. Rancière, Le partage du sensible, esthétique et politique, 2000.

12 Voir, entre autres, l'ouvrage de M. Heyd, ‘Be Sober and reasonable’- The Critique of Enthusiasm in the Seventeenth and Early Eighteenth Centuries, 1995.

13 S. T. Coleridge, op. cit., 417.

14 W. Blake, op. cit., 458.

15 W. Blake, ibid., 445.

16 W. Blake, ibid., 457.

17 W. Blake, ibid., 477.

18 W. Blake, ibid., 513.

19 L. Althusser, cité par P. Macherey, « Deux figures de l'interpellation », La philosophie au sens large, 12 février 2012, https://philolarge.hypotheses.org/1201 Consulté le 6 avril 2018.

20 F. Fanon, Peau noire, Masques blancs, 115.

21 E. Kant, D'un ton grand-seigneur adopté naguère en philosophie (1796).

22 J. Derrida, D'un ton apocalyptique adopté naguère en philosophie, 33.

23 J. Derrida, ibid., 33.

24 Il est plaisant de songer que Mary Wollstonecraft fut amenée à stigmatiser chez Burke... le ton excessivement enthousiaste avec lequel ce dernier pourfendait les thèses de Paine. On n'échapperait donc pas à l'enthousiasme, même quand on cherche à le pourfendre chez autrui. On est toujours, en quelque sorte, l'enthousiaste de quelqu'un !

25 E. Burke, op. cit., 93.

26 E. Burke, op. cit., 95.

27 R. Carroll, “Revisiting Burke's Critique of Enthusiasm”.

https://www.academia.edu/6641031/Revisiting_Burkes_Critique_of_Enthusiasm Consulté le 7 avril 2018.

28 J. Derrida, op. cit., 32.

29 C. A. L. Morton, The Word of the Ranters Religious Radicalism in the English Revolution, 1970.

30 “An attempt to shew the Folly and Dangers of Methodism” (1809), James Henry Leigh Hunt.

31 Jamais publiée sous ce titre, par crainte des réactions hostiles du clergé, la gravure sera re-légendée un an plus tard “Credulity, Superstition, & Fanaticism : A Medley”.

32   cf. “A Midnight Modern Conversation” (1732).

33 Dans un tout autre contexte, Salman Rushdie aura procédé de même : “Central to the purposes of The Satanic Verses is the process of reclaiming language from one's opponents”, Imaginary Homelands, 402.

34 W. Blake, op. cit., 458.

35 J. Mee, op. cit., 257.

36 J. Mee, ibid., 262.

37 Voir à ce sujet l'ouvrage de  S. Irlam, Elations : The Poetics of Enthusiasm in Eighteenth-Century Britain, 1999.

38 J. McGann, The Romantic Ideology: A Critical Investigation, 1983.

39 W. Wordsworth, William Wordsworth, 598, 611.  

40 “Gusto in art is power or passion defining any object”, William Hazlitt, The Examiner, May 26th, 1816.

41 C'est T. McFarland qui a théorisé la notion de “too-muchness” chez Keats, dans The Masks of Keats : The Endeavour of a Poet, 2000. Son troisième chapitre, “The Mask of Hellas”, est le plus explicitement consacré à l'enthousiasme keatsien.

42 “It set before me at once the gradations of Happiness even like a kind of Pleasure Thermometer”, To John Taylor, 30 January, 1818, The Letters of John Keats, 1814-1821, 1976, 218.

43 “And this consideration has further convinced me, - for it has come as auxiliary to another favorite speculation of mine, - that we shall enjoy ourselves hereafter by having what we called happiness on earth repeated in a finer tone and so repeated”, To Benjamin Bailey, November 22nd, 1817, ibid., 185.

44 M. Deguy, op. cit., 15.

45 W. Wordsworth, op. cit., 375.

46 M. H. Abrams, The Correspondent Breeze : Essays on English Romanticism, 1986.

47 M. Deguy, op. cit., 116.

48 M. Deguy renomme ce principe d'inchoativité, ce commencement du commencement, “escence”, ibid., 82.

49 Cité par M. Deguy, ibid., 15.

50 J.-C. Bailly, La légende dispersée Anthologie, 13.

51 « Soulèvements », Musée du Jeu de Paume, 18/10/2016 – 15/01/2017.

52 C'est au seuil de l'essai “The English Mail-Coach or the Glory of Motion”, paru en 1849, que De Quincey mentionne cette gloire cinétique, d'origine animale (les chevaux de poste), mais on aurait tort de la considérer comme exclusivement organique. Elle résume à elle seule un Zeitgeist romantique, condamné par la marche du temps, Confessions of an English Opium-Eater And Other Writings, 1998, 184-233.

53 Reprinted from The Friend, 1805 ; The Prelude, XI, 105-44.  

54 Cité par J. Mee, op. cit., 84.

55 Cité par J. Mee, ibid., 8.

56 J.-C. Bailly, op. cit., 21.

57 Intensité, tel est le mot fétiche de T. Garcia, quand il cherche à caractériser d'un point de vue philosophique la modernité qui naît à l'époque romantique, La vie intense, 2016.

58 P. B. Shelley, A Defence of Poetry, op. cit., 700.

59 Cité par T. Clark, The Theory of Inspiration: Composition as a Crisis of Subjectivity in Romantic and Post-Romantic Writing. 2001, 150.  

60 P. B. Shelley, op. cit., 698.

61 C. Rosset, Le Réel Traité de l'idiotie, 82.

62 C. Rosset, ibid., 100.

63 P. B. Shelley, op. cit., 294.

64 J. Keats, The Complete Poems, 347.

65 M. Deguy, op. cit., 117.

66 M. Deguy, ibid., 27.

67 P. B. Shelley, “To a Skylark”, op. cit., 464.

68 P. B. Shelley, Preface to Prometheus Unbound, ibid., 232.

69 P. B. Shelley, ibid., 466.

70 P. B. Shelley, ibid., 465.

71 W. Blake, “Milton”, Book the First, l. 51-54, op. cit., 495.

72 A. Himy, William Blake, 192.  

73 L'expression est celle du traducteur de Kant, Louis Guillermit, que cite Derrida, op. cit., 34.

74 M. Deguy, op. cit., 22.

75 M. Deguy, ibid., 115.

76 W. Blake, Jerusalem, Chapter 4, Plates 98, 99, op. cit., 746-747.

77 J. Derrida, op.cit., 42.

78 J. Derrida, ibid., 63.

79 J. Derrida, ibid. 67.

80 W. Blake, Préface à Milton, op. cit., 481.

81 W. Blake, Jerusalem, Chapter 1, plate 9, op. cit., 628. C'est dans la préface à Jerusalem qu' on lit : “The Enthusiasm of the following Poem, the Author hopes no Reader will think presumptiousness or arrogance when he is reminded that the Ancients entrusted their love to their Writing, to the full as Enthusiastically as I who Acknowledge mine for my Saviour and Lord ; for they are wholly absorb'd in their Gods.”, op. cit., 621.

82 J. Mee, op. cit., 283.

83 W. Blake, The Marriage of Heaven and Hell, op. cit., 150.  

84 W. Blake, ibid., 152.