Caroline Dauphin
Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3
Si on peut aisément estimer quel fut l’impact de The Origin of Species de Charles Darwin sur notre conception des animaux, on oublie parfois qu’à l’origine de L’Origine se trouve un autre Darwin. Erasmus Darwin (1731-1802), grand-père de Charles, est médecin de profession, mais cultive également un intérêt pour la physique, la géologie, l’histoire naturelle... et la poésie. De fait, c’est dans son premier grand poème, The Botanic Garden, publié dans sa version complète en 1792, qu’apparaît pour la première fois l’hypothèse de la transformation des espèces1. Il prolonge ce questionnement dans une somme théorique, Zoonomia, achevée en 1796, puis expose ses réflexions pré-évolutionnistes dans The Temple of Nature, publié de façon posthume en 1803, œuvre magistrale de plus de 1900 vers auxquels se greffent de multiples notes explicatives en prose. Son petit-fils le citera dans son introduction à The Origin of Species, dans une courte note hésitant entre l’apologie et la critique2.
Toutefois, Erasmus n’est pas Charles : si leur vision scientifique concorde, leur philosophie du vivant et surtout leur façon de l’appréhender par leurs écrits sont bien différentes. Charles Darwin, par une prose scientifique rigoureuse, veut montrer les lois de la sélection naturelle à l’œuvre, par de multiples exemples tirés de ses observations personnelles et d’autres ouvrages naturalistes. Erasmus Darwin, lui, choisit de présenter le règne animal à travers une poésie colorée : à ses yeux, l’évolution ne passe pas autant par un processus de sélection que par ce qu’on pourrait appeler une séduction naturelle. L’amour et l’attraction, présidant à l’union des êtres et des choses, sont au cœur de son système, dans une perspective harmonieuse du vivant imprégnée d’un idéal lucrétien. La maxime de la nature n’est pas adapt or die mais bien plutôt please and be pleased, pour atteindre un état de perfection qui serait l’équivalent biologique de l’ataraxie.
Le langage poétique redouble cette séduction des corps par une séduction du langage. Cerfs chevaleresques, coqs héroïques, chats amoureux... Sous la plume d’Erasmus Darwin, l’histoire naturelle se dédouble en histoires naturelles, faisant du grand récit de la vie une vaste fresque aux couleurs épiques. Le poète se plaît à recourir aux dieux et à l’imagerie mythologique pour exposer ses théories à travers des parallèles audacieux, associant le plaisir des sens au plaisir de la lecture. Il nous invite à ne pas craindre la vindicte divine, comme le préconisait Lucrèce, et à cueillir sans peur les fruits poussant sur l’Arbre de la Connaissance :
Next, where emerging from its ancient roots
Its widening boughs the Tree of Knowledge shoots;
Pluck’d with nice choice before the Muse they placed
The now no longer interdicted taste.3
Erasmus Darwin fait ainsi figure d’épicurien dans le jardin d’Eden : dans un milieu scientifique où domine encore la théorie d’espèces fixes depuis la Création, il introduit des idées nouvelles par le biais de la philosophie et de l’esthétique lucrétiennes, à travers une écriture enthousiaste et animée. On verra comment cette vision construit une nouvelle conception de l’animal, à la fois scientifique et poétique, marquée par l’optimisme et l’enthousiasme, et comment cette conception de l’animal a pu influencer le darwinisme moderne en bouleversant les réflexions sur le statut de l’homme par rapport aux animaux. On observera comment se bâtit une théorie de la séduction naturelle : une séduction opérant à la fois au sein du vivant et sur le lecteur.
Pour Erasmus Darwin, ce n’est pas un dieu qui préside à la création des animaux, comme c’est le cas dans la Genèse, mais une déesse : celle de l’amour, comme dans le De Rerum Natura de Lucrèce. Ce choix est capital pour comprendre le statut de l’animal chez Erasmus Darwin : alors que la Genèse impose l’homme comme chef-d’œuvre de la création conçu dès son origine à l’image de Dieu, ce qui légitime son pouvoir sur les animaux, Darwin, lui, présente l’homme non pas au-dessus, mais au cœur de la nature, sur laquelle règne Vénus. Animaux non inféodés à l’homme, dieu unique remplacé par une déesse païenne, hypothèse pré-évolutionniste combinée à l’atomisme de Lucrèce : telle est la voie choisie par Erasmus Darwin, avec une audace qui lui attirera les foudres des représentants de l’autorité religieuse de son village de Lichfield et une violente satire des journaux conservateurs londoniens4.
Lucrèce ouvre son ouvrage avec une invocation à « Alma Venus », mère de la volupté, qui transmet à tous les êtres vivants, hommes et animaux, le désir de perpétuer leur lignée : « toi par qui toute espèce vivante est conçue [...] plantant le tendre amour au cœur de tous les êtres, / Tu transmets à chacun le désir de propager l’espèce »5. Le poète latin évoque ensuite les atomes ou corps premiers qui composent la matière et explique les lois d’attraction de la physique. Erasmus Darwin, tout comme Lucrèce, ouvre The Temple of Nature avec une invocation à l’amour inspirée de l’atomisme :
Immortal Love who ere the morn of Time,
On wings outstretch'd, o'er Chaos hung sublime;
Press drop to drop, to atom atom bind,
Link sex to sex, or rivet mind to mind!6
Les jeux d'écho et les multiples parallélismes, rappelant les répétitions et épanadiploses qu'Erasmus Darwin affectionne dans sa poésie, reflètent l’union des atomes suivant les inflexions du clinamen, ce mouvement de dérivation à l’origine de la diversité des formes. Les effets de miroir et le rythme des pentamètres dessinent également une subtile harmonie, un équilibre universel qui s’impose face au « Chaos » primordial. On reconnaît l’influence de Lucrèce, mais aussi l’optimisme des Lumières, la confiance dans un monde ordonné tendant vers la perfection. En effet, les éléments cités présentent une gradation : corpuscules et atomes sont suivis de corps complexes, « sex to sex », puis atteignent leur apogée spirituel par l’union des esprits, « mind to mind ». Ainsi, comme le souligne Sophie Musitelli, la poésie d'Erasmus Darwin n'est « pas un simple ornement »7 mais un « acte de création radical »8 qui épouse le mouvement du vivant.
C’est également Vénus qui préside symboliquement à la naissance et à l’évolution de la vie : en effet, pour l’auteur, toute forme de vie organique vient de l’eau, à l’instar de la déesse de la beauté née au milieu des flots. La Terre aurait été couverte d’un océan primitif où seraient apparus les premiers êtres organisés. Après l’émergence des premiers îlots, ceux-ci sont ensuite devenus amphibies et ont poursuivi leur évolution sur la terre ferme :
ORGANIC LIFE beneath the shoreless waves
Was born and nurs'd in Ocean's pearly caves;
First forms minute, unseen by spheric glass,
Move on the mud, or pierce the watery mass;
These, as successive generations bloom,
New powers acquire, and larger limbs assume.9
La progression des vers, marquée par une série d’enjambements, suit pas à pas les grandes étapes de l’évolution animale, de l’embryon nageant dans un océan sans rivages à l’apparition des premiers continents et des nouvelles générations. Certes, le récit de la Genèse mentionne lui aussi un océan sans limites et les premières formes de vie apparaissant dans l’eau au quatrième jour, mais l’insistance sur l’évolution est trop marquée pour que le modèle biblique soit valable, et Erasmus Darwin précise que les formes de vie primitives sont microscopiques, « unseen by spheric glass ».
Le poète associe à l’émergence de la vie la naissance de Vénus dans une conque : la déesse de la beauté est elle-même liée à l’eau, et le poète y voit, sous forme symbolique, l’intuition des sages de l’Antiquité au sujet de l’origine marine de la vie. Il écrit ainsi dans ses notes sur The Temple of Nature : « The Venus seems to have represented the beauty of organic nature rising from the sea »10. Pour Erasmus Darwin, l’apparition de la vie animale sous l’eau, sous forme microscopique, est source d’émerveillement : tout comme Lucrèce, il admire la beauté de la nature sans craindre les dieux. Il ne craint ni le gouffre qui effrayait Pascal, ni les scrupules religieux qui retiendront Cuvier, mais il voit, à l’origine de toute forme de vie animale, une source de beauté constamment renouvelée. La déesse sortant de l’eau, représentant l’émergence de la vie animale, fait régner un état de plénitude totale élevant les êtres au-dessus du chaos originel et des éléments déchaînés :
So […] rose young DIONE from the shoreless main;
Type of organic Nature! source of bliss!
Emerging Beauty from the vast abyss!
Sublime on Chaos borne, the Goddess stood,
And smiled enchantment on the troubled flood;
The warring elements to peace restored,
And young Reflection wondered and adored.11
L’harmonie instaurée par la déesse, pourrait être rapprochée d’une ataraxie caractérisée par une profonde quiétude après l’affrontement des éléments premiers. Le verbe « smile » est exceptionnellement transitif ici pour faire, comme par magie, naître un calme enchanteur sur les flots agités, tandis que le redoublement du verbe « wondered and adored » joue sur les effets de symétrie comme pour mieux imiter Vénus admirant son reflet à la surface de l’eau apaisée.
Ainsi, le tableau darwinien de la Genèse représente l’apparition progressive de la vie animale, montrant l’infime corpuscule aquatique qui, après une longue évolution, deviendra un animal amphibie, puis un homme. La poésie du texte, tout autant que son contenu, témoigne d’un idéal naturellement plus proche du De Rerum Natura que de l’Ancien Testament, placé résolument sous l’égide de la déesse de la beauté et du plaisir, ce qui ne faisait que rendre Erasmus Darwin encore un peu plus provocateur au regard de son époque tout en repensant le statut de l’animal par rapport à l’homme.
On retrouve ce même enthousiasme dans sa prose, lorsque Erasmus Darwin évoque, dans un passage très théâtral de son traité Zoonomia, « the GREAT FIRST CAUSE »12, à grand renfort d'exclamatives, de gradations et de lettres capitales. Ce penchant pour la dramatisation n'exercera toutefois pas autant d'impression sur le jeune Charles Darwin que la Natural Theology de William Paley, comme le souligne Joanny Moulin dans sa biographie13. Le goût d'Erasmus Darwin pour la mise en scène de l'apparition du vivant, dont Vénus serait la dea ex machina, contraste avec ce qu'on pourrait appeler le deus est machina de Paley, pour lequel Dieu est comparé à un grand horloger dans une prose rigoureuse et méthodique. Ainsi la création darwinienne est-elle d'abord placée non sous l'égide d'un Dieu cartésien mais d'un principe vital dont Vénus, déesse du plaisir, est l'allégorie.
« Alma Venus! per te quoniam genus omne animantum / Concipitur, visitque exortum lumina coeli »14. C’est cette citation de Lucrèce que choisit Darwin pour accompagner le second chant de The Temple of Nature. Il conviendrait de souligner : genus omne, car Darwin ne développe pas seulement les amours des animaux mais aussi celles des plantes, sujet qu’il a développé en détail dans son premier grand poème, The Botanic Garden (1789-1791).
Pourtant, Erasmus Darwin n’est pas un épicurien tout à fait conventionnel. Alors que l’épicurisme antique vise l’ataraxie, juste équilibre entre peines et plaisirs, et que Lucrèce met en garde contre les dangers d’une passion trop brûlante, Erasmus Darwin, dans la deuxième partie de The Temple of Nature, souligne la notion de plaisir et vante les bienfaits de l’hymen pour l’ensemble des espèces vivantes. Peut-être plus hédoniste que véritablement épicurien, il loue les plaisirs de la sexualité, qu’il décrit comme le chef-d’œuvre de la nature. La reproduction sexuée est en effet pour lui une étape supplémentaire franchie sur le chemin du perfectionnement des espèces : « the larger and more perfect animals are now propagated by sexual reproduction only, which seems to have been the chef-d’œuvre, or capital work of nature »15. Les animaux dits inférieurs, eux, se reproduisent seuls : c’est le cas des polypes et des ténias16, mais aussi des champignons, qu’Erasmus Darwin, avec une intuition visionnaire, considère plus proches des animaux que des végétaux.
Quelles sont donc, au juste, les lois de la reproduction animale ? Erasmus Darwin avait-il en tête l’idée d’une sélection naturelle ? Dans ses travaux, il ne traite pas autant d’adaptation au milieu que de lutte des espèces. De fait, on retient souvent d’Erasmus Darwin les vers terribles du dernier chant de The Temple of Nature, où il décrit les relations de prédation inter-espèces qui forment la chaîne alimentaire : « From Hunger's arm the shafts of Death are hurl'd, / And one great Slaughter-house the warring world17! » Ces vers, certes remarquables, ont été cités pour dresser un parallèle commode entre les idées d’Erasmus Darwin et celles de son petit-fils, à travers le concept de lutte pour la vie, struggle for life, et son caractère impitoyable. Adapt or die. La théorie darwinienne revêt par là même un aspect tragique : tous les protagonistes, après avoir joué leur scène sur le tumultueux théâtre de la vie, sont irrémédiablement voués à la mort.
Cependant, il est dommage de réduire Erasmus Darwin à ces deux vers, et de ne voir en ses théories qu’une ébauche de celles que son petit-fils avancera un demi-siècle plus tard. Si Erasmus Darwin présente effectivement un tableau volontairement sombre et dramatique de la guerre entre les espèces, la séduction l'emporte sur la sélection. Son recueil des Loves of the Plants en est un bon exemple dans le domaine botanique : Erasmus Darwin y présente les mariages des différents organes sexuels des plantes, les pistils et les étamines. Point de tragédie du vivant ici : à l'inverse, le thème du mariage des fleurs, prétexte à de multiples petites scènes très pittoresques, tient plus du jeu sur le genre de la comédie, et se conclut généralement sur un happy ending.
Quant aux descriptions du règne animal dans The Temple of Nature, Mars n’y est jamais loin de Vénus : la guerre au sein d’une même espèce prend des allures de tournoi chevaleresque où la séduction l’emporte sur la sélection. Le struggle for life est un struggle for love, la tragédie de la lutte pour la survie devient une comédie de mœurs qui se clôt sur un mariage. Le critique Desmond King-Hele emploie l’expression doublement heureuse de « survival of the happiest »18 pour souligner l’importance du plaisir, qui est plus forte chez les êtres plus évolués et plus complexes, et compense la cruauté de la lutte pour la survie. Loin de l’image sombre de l’« abattoir universel », le poète se plaît à livrer à la curiosité du lecteur une parodie lumineuse de littérature courtoise, où les preux chevaliers sont remplacés par des « coqs héroïques » :
Here Cocks heroic burn with rival rage,
And Quails with Quails in doubtful fight engage;
Of armed heels and bristling plumage proud,
They sound the insulting clarion shrill and loud,
With rustling pinions meet, and swelling chests,
And seize with closing beaks their bleeding crests;
Rise on quick wing above the struggling foe,
And aim in air the death-devoting blow.
[…] While female bands attend in mute surprise,
And view the victor with admiring eyes.
So Knight on Knight, recorded in romance,
Urged the proud steed, and couch'd the extended lance;
He, whose dread prowess with resistless force,
O'erthrew the opposing warrior and his horse,
Bless'd, as the golden guerdon of his toils,
Bow'd to the Beauty, and receiv'd her smiles 19
Le poète offre, par ce morceau de bravoure, une réinterprétation épique des combats de coqs, avec le champ lexical du combat, de nombreux verbes d’action ou encore les allitérations, « plumage proud » et « rival rage », par lesquelles une simple rivalité de basse-cour prend des allures de combat arthurien. La symétrie entre les coqs de combat et les chevaliers ne fait en tout cas guère de doute, stylistiquement renforcée par la répétition : « knight on knight » qui fait écho à « quails with quails », ou les parallélismes entre « struggling foe » et « opposing warrior », et par les jeux anthropomorphiques : le chant du coq devient un « insulting clarion ». L’issue tragique du combat est révélée à la fin : le vainqueur reçoit les faveurs des dames, ou des poules, qui ont suivi l’affrontement avec intérêt. Est-ce pour rehausser le coq... ou pour se moquer de l’homme, et ironiser discrètement sur les similarités entre cour et basse-cour ?
Il semblerait plutôt que cet anthropomorphisme, au ton délicieusement parodique, soit avant tout une grille de lecture pour interpréter les comportements des animaux à travers ceux des hommes, et non l’inverse. Erasmus Darwin a recours au modèle des joutes chevaleresques pour montrer les manifestations du rut chez les animaux dans un récit haut en couleurs : c’est bien l’animal qui prime sur l’homme. De même, lorsqu’il fait allusion aux périodes de rut des cerfs, quelques vers plus loin, Darwin ne recourt ni aux mythes de Saint Hubert, ni à la fable d’Actéon : il n’est pas ici question de métamorphoser l’homme en cerf, mais le cerf en homme, pour mieux comprendre, par analogie, les lois de la sélection. The age of chivalry is gone, se lamentait Burke... Quelle importance ? Répond Darwin. Dans la nature, il n’a jamais cessé d’être : c’est la théorie de la séduction naturelle.
La qualité parodique de certains extraits de The Temple of Nature, jouant avec les codes de la poésie courtoise, est avérée mais demeure discrète afin de garder une certaine cohérence dans le style résolument néo-classique de Darwin. Cette réserve est due à la crainte d’Erasmus Darwin à voir sa réputation de médecin mise à mal : il modérait ses élans pour la poésie comique, que certains de ses patients auraient pu juger indigne de sa fonction. Toutefois, d’autres poèmes moins connus mettent en scène la théorie de la séduction naturelle de façon plus ouvertement comique. Ces poèmes n'ont pas été publiés de son vivant : ils sont issus de sa correspondance privée et n'ont pas de caractère scientifique, contrairement au reste de son œuvre, mais témoignent d'un regard enjoué sur le monde animal. Dans ces poèmes, Erasmus Darwin peut laisser libre cours à toute sa verve pour composer d’autres petits morceaux de bravoure en toute liberté, sans craindre de s’attirer les regards hautains des aristocrates locaux ou du révérend Seward, à la tête de la paroisse de Lichfield.
Un de ces poèmes privés retiendra particulièrement notre attention : il s’agit d’un poème inscrit dans une lettre du 6 novembre 1780, écrit de la main d’Erasmus Darwin, mais signé d’un certain Snow Grimalkin, qui n’était autre que son chat persan. Ce dernier aurait dicté à son maître une lettre pour la chatte de la maison voisine, Po Felina, appartenant à Anna Seward, fille du révérend. Anna Seward cultivait, comme Erasmus Darwin une passion pour l’écriture poétique et devint plus tard connue sous le nom de « Swan of Lichfield ». Darwin, empruntant l’identité de Snow Grimalkin, adresse à sa voisine poétesse une lettre pleine de fantaisie en demandant à Po Felina de chanter cette chanson en son honneur. Citons simplement le refrain et deux couplets :
Cats ! I scorn who, seek and flat,
Shivers at a Norway-rat;
Smooths with nice care his silky fur,
Or fawns with soft seductive purr.
[Chorus] Rough and hardly, bold and free,
Be the cat that’s made for me.
If the treacherous swain does prove
Rebellious to my tender love,
My scorn the vengeful paw shall dart,
Shall tear his fur, and pierce his heart.
[Chorus] Soon another good as he
Shall be found the cat for me.20
Ce poème n’a pas été autant étudié que The Botanic Garden ou The Temple of Nature, sans doute du fait de son caractère comique très prononcé qui, au premier abord, contraste avec les longs poèmes d’Erasmus Darwin. À le lire, on croirait presque entendre un extrait des poèmes de l’Old Possum’s Book of Cats de T.S. Eliot qui inspira la comédie musicale Cats. Il n'est pas non plus sans rappeler le poème tragi-comique que Thomas Gray composa en hommage à Selima, la chatte de Horace Walpole, « Ode on the Death of a Favourite Cat, Drowned in a Tub of Goldfishes ». Le poème fut illustré par William Blake qui travailla également pour Darwin, réalisant plusieurs illustrations pour The Botanic Garden fin 1791.
Le poème de Darwin met en lumière plusieurs aspects dignes d’intérêt : tout d’abord, sa qualité de parodie préfigure les jeux plus subtils de détournement opérés dans ses longs poèmes. Les couplets héroï-comiques des chansons sur les chats préparent les couplets dits « héroïques », pilier de la poésie néo-classique anglaise, sur les combats chevaleresques des coqs et les joutes arthuriennes des cerfs. Déjà, les amours de Po Felina et Snow Grimalkin, dans un brillant exercice de style, font fusionner le lexique de la galanterie et celui de l’anatomie féline avec jubilation, transformant les miaulements de chats en chaleur en serments d’amour tragi-comiques : la main vengeresse de l’amante trahie devient « vengeful paw », et sa vengeance « shall tear his fur, and pierce his heart ».
En outre, Darwin met en scène la différence entre chat sauvage et chat domestique, pour montrer, non sans humour, le caractère implacable de la nature. Les allitérations ronronnantes du premier quatrain, « smooths with nice care his silky fur » et « soft seductive purr », représentent le chat d’intérieur livré à l’oisiveté, qui n’est pas prêt à se battre contre ses rivaux pour gagner le cœur de sa belle. Les refrains mettent en scène, à l’inverse, une esquisse de la survie des plus adaptés dans la nature et de la concurrence intra-espèce : « rough and hardly, bold and free / Be the cat that’s made for me ».
Enfin, cette rhétorique de la séduction par le truchement de deux chats pourrait être révélatrice d’un double jeu de séduction, proprement humain. Certes, l’ensemble de la lettre se prête au badinage : Snow Grimalkin commence à adresser à Po Felina les compliments d’usage, en avouant que, en la voyant faire sa toilette sur le rebord de la fenêtre des Seward, son cœur fut touché par la flèche de Cupidon. Or, en cette fin d’année 1780, Erasmus Darwin avait fait le deuil de sa première épouse et courtisait Elizabeth Pole. Desmond King-Hele suppose dans sa biographie qu’Anna Seward avait des sentiments pour Erasmus Darwin et aurait souhaité qu’il demandât sa main. La voix féminine de la chanson serait-elle donc destinée à reproduire celle d’Anna Seward sur un mode plus enjoué ? Le « treacherous swain », rebelle à son amour, « rebellious to my tender love », pourrait-il être Erasmus Darwin partagé entre des sentiments contradictoires et se moquant de lui-même ?
Qu’ils soient ou non révélateurs des véritables sentiments que les deux poètes éprouvaient l’un pour l’autre, ces poèmes s’inscrivent en tout cas dans une tradition de représentations sociales par le biais de la métaphore zoomorphe, comme Balzac le ferait plus tard avec les Peines de Cœur d’une Chatte Anglaise, et font naître la séduction par l’humour plus encore que par l’amour. Erasmus Darwin y dévoile ici une veine comique qu’il n’osera pas exploiter en profondeur dans les poèmes qu’il publiera ultérieurement, mais aussi un attachement amusé pour les animaux domestiques qui lui sont proches. Il entretenait un rapport affectueux avec les animaux qui l’entouraient, se plaisant à appeler son cheval « Doc », comme si c’était l’animal le véritable docteur et non le médecin qu’il traînait en voiture. Autant de métamorphoses comiques qui attestent, par le biais du jeu littéraire, de la proximité entre homme et animal, qui prépare le terrain pour The Temple of Nature où des liens plus étroits encore apparaissent pour unir l’homme au reste des animaux, littérairement et biologiquement.
Si la séduction est à la fois humaine et animale et se place au cœur du système du vivant, qu’en est-il de la sensibilité animale ? Comment Darwin, qui apparaît jusqu’alors comme le poète de la séduction universelle, se plaçant sous l’égide de Vénus et de Lucrèce, laisse-t-il aussi une place à la douleur, et comment explique-t-il la mécanique du plaisir ? Cette question fut longtemps l’objet des plus vives controverses et, contrairement aux échanges enjoués de Snow Grimalkin et Po Felina, prêtait peu à rire. On se souvient de Malebranche qui, en guise de démonstration de son matérialisme radical, frappa sa chienne sous les yeux choqués de Fontenelle en lui disant : « éh bien ! Ne voyez-vous pas que cela ne sent point »21? Cependant, à l’époque d’Erasmus Darwin, les théories mécanistes cartésiennes avaient fait l’objet de plusieurs réfutations : en France, Condillac avait ainsi consacré un traité à l’étude de la sensation animale (Traité des Animaux, 1755) et en Angleterre, David Hume avait deux chapitres à ce sujet dans son Traité de la Nature Humaine en 1739 (Livre II, Des Passions, I, 12 et II, 12). En outre, les dénonciations de maltraitance vis-à-vis des animaux domestiques se multipliaient en Angleterre et en France, comme en témoignent le célèbre questionnement de Bentham sur la souffrance animale et les gravures « The Four Stages of Cruelty » par Hogarth. On peut donc affirmer que cette époque correspond au moment d’une prise de conscience accrue de la sensibilité animale.
Erasmus Darwin est au fait de ces questions et consacre un chapitre dans Zoonomia (XXXIV, III, « Why dogs and swine cry out in pain ») à l’analyse de la douleur des animaux. Contrairement à Malebranche, il établit des similitudes entre les réactions humaines et animales face à la douleur : pour ces deux espèces, la tentative d’alléger la douleur se fait par l’exercice d’un effort physique compensatoire. Cet effort se manifeste sous la forme de cris et serrements de dents, issues de deux actions premières : l’effort fait pour respirer et parler, en faisant circuler de l’air à travers le larynx, et celui de mastiquer les aliments pour séparer les parties molles des parties dures. Les premières expériences de la douleur sont contrebalancées par ces efforts naturels exacerbés, qui deviennent des réactions de réflexe défensif. On peut dire que c’est, en quelque sorte, la réalisation concrète de l’épicurisme : tendre toujours vers un juste équilibre des plaisirs et des peines.
Toutefois, ce passage a valeur d’exception. En effet, les exemples choisis par Darwin mettent bien moins souvent en scène la souffrance que le plaisir animal : c’est le cas dans sa prose, et davantage encore dans sa poésie. Le terme « pain » est statistiquement bien moins fréquent que celui de « pleasure » : sans pour autant renier la réalité de la douleur animale, Erasmus Darwin privilégie la peinture du plaisir à celle de la souffrance, pour donner à voir à son lecteur une autre facette de la sensibilité des bêtes, et peut-être, par le plaisir donné par la poésie, l’inviter à partager ce plaisir sous une autre forme. Une étude statistique de Desmond King-Hele comparant les termes récurrents chez différents poètes révèle que, parmi les plus souvent cités chez Erasmus Darwin, se trouvent « bright », « beauty » et « bosom »22.
Erasmus Darwin reconnaît l’existence de structures du sensible communes aux hommes et aux bêtes : « By the words spirit of animation or sensorial power, I mean only that animal life, which mankind possesses in common with brutes »23. Darwin souligne ainsi que le « sensorium » est commun à l’ensemble du règne animal, et du règne végétal également dans une certaine mesure, car les plantes sont toutes sensitives, comme il l’affirme dans son poème The Loves of the Plants en 1789, illustration magistrale des théories linnéennes sur la sexualité des végétaux : « hence on green leaves the sexual pleasures dwell », écrit-il encore dans The Temple of Nature24. La sensation de plaisir est ainsi considérée comme un des plus petits dénominateurs communs du vivant, passant à travers le double prisme du matérialisme et du sensualisme. L' « irritation » et la « sensation » se retrouvent sur tout l’éventail du vivant, y compris parmi les micro-organismes. Toutefois, les êtres plus complexes sont ceux qui connaissent des formes de plaisir plus intenses ou plus profondes : les mammifères connaissent leur première source de plaisir en goûtant au lait du sein maternel. Darwin affirme même que c’est ce premier contact avec la sensation de plaisir qui va déterminer toute notre conception esthétique, le goût pour les courbes et les formes rondes, rappelant la forme du sein maternel, devançant ainsi les premières hypothèses freudiennes sur la naissance du désir et la relation œdipienne de l’enfant à la mère, ce qui explique que « bosom » soit un des termes les plus fréquents dans ses œuvres poétiques.
Enfin, comment Darwin présente-t-il le plaisir dans ses poèmes ? On a vu que le choix des images et des jeux sur les répétitions harmonieuses et les sonorités agréables pouvaient jouer sur l’imagination du lecteur pour refléter cette séduction naturelle à l’œuvre dans le vivant. Une évocation particulière retiendra notre attention : il s’agit d’une des descriptions du premier chant de The Temple of Nature, qui dresse un plan général du temple et des lieux qui l’entourent, en offrant une cartographie métaphorique des sensations. Le lecteur est invité à s’y promener à travers les « bosquets du plaisir », « the bowers of pleasure » :
HERE o'er piazza'd courts, and long arcades,
The bowers of PLEASURE root their waving shades;
Shed o'er the pansied moss a checker'd gloom,
Bend with new fruits, with flow'rs successive bloom.
Pleas'd, their light limbs on beds of roses press'd,
In slight undress recumbent Beauties rest;
On tiptoe steps surrounding Graces move,
And gay Desires expand their wings above.25
On trouve dans cette description une sensualité diffuse avec l’image des nymphes, des grâces et des chérubins profitant de la fraîcheur des bosquets, de la douceur de la mousse et du parfum des lits de roses. Erasmus Darwin offre une description harmonieuse, à la fois visuelle et sensuelle, véritable projection topographique et mythologique du plaisir qui sera associé aux plantes et aux animaux.
Or, ces bosquets rappellent par bien des aspects le bosquet d’Eden abritant Adam et Eve dans Paradise Lost. La mention des plantes fleurissant à tour de rôle, « flowers successive bloom », est un renvoi à la liste des fleurs ornant ce bosquet, le « blissful bower »26, expression qui sera d’ailleurs employée par Darwin plus tard dans le poème comme une référence explicite à Milton. De même, le lit de roses n’est autre qu’une allusion au lit de roses sur lequel le serpent trouvera Ève endormie au livre VIII de Paradise Lost.
Toutefois, Darwin s’érige ici en contre-Milton : alors que Milton spécifie que ces « blissful bowers » ne sont pas accessibles aux animaux, « other Creature here / Beast, Bird, Insect, or Worm durst enter none »27, Darwin les ouvre à l’ensemble du vivant dans le reste du poème. De plus, alors que Milton stipule que les nymphes et les faunes sont interdits de séjour : « PAN or SILVANUS never slept, nor Nymph, / Nor FAUNUS haunted »28, Darwin peuple ses bois de personnifications du désir et de nymphes accortes « in slight undress », comme une ultime provocation. Ainsi, Erasmus Darwin s’ingénie à subvertir le mythe biblique et miltonien du jardin d’Eden pour passer, dans un mouvement blakien, de l’innocence du « blissful bower » à l’expérience du « bower of PLEASURE ». Par ce biais, il souligne que le plaisir est une caractéristique commune du vivant, qui montre non l’exception humaine, comme chez Milton, mais son inclusion dans le règne animal. En vertu de la séduction naturelle et des lois d’animation et d’attraction, les bosquets du plaisir sont ouverts à l’ensemble du vivant.
On peut supposer que l’héritage principal d’Erasmus Darwin fut de livrer à son petit-fils, par l’intermédiaire de ses écrits, la première ébauche de ce qui deviendra la théorie évolutionniste. Il convient de nuancer cette affirmation : plus qu’une idée, Erasmus Darwin transmit également à son petit-fils une méthode scientifique et une fascination littéraire qui opérèrent comme une « séduction » au sens étymologique du terme : se-ducere, conduire hors du chemin, ou en l’occurrence, hors des sentiers battus et des idées préconçues, pour s’ouvrir à l’expérimentation et à l’émerveillement.
Dans un chapitre de Zoonomia, Erasmus Darwin s’intéresse de plus près à la variété des races de chien produites par l’élevage et la sélection (XXXIX, IV, 8). Si cette partie semble assez anodine aujourd’hui, elle n'en est pas moins décisive dans l'élaboration de ce qui deviendra plus tard, sous la plume de son petit-fils, la théorie de l'évolution par sélection naturelle. En montrant la sélection artificielle opérée par l'homme, Erasmus Darwin montre que la transformation d’une espèce est un phénomène réel, observable et reproductible dans des conditions expérimentales sur plusieurs générations.
When we think over the great changes introduced into various animals by artificial or accidental cultivation […] in dogs, which have been cultivated for strength and courage, as the bull-dog; or for acuteness of his sense or smell, as the hound and spaniel; or for the swiftness of his foot, as the greyhound…29
Cette assertion conforte l’hypothèse de l’évolution naturelle des espèces, observable par les fossiles et beaucoup plus étalée dans le temps, qu'Erasmus Darwin évoque ensuite, expliquant que les trois fins du vivant, « lust », « hunger » et « security », peuvent stimuler ces transformations physiques d'une espèce. Ainsi, le cerf va développer des bois à la fois pour vaincre ses rivaux et se défendre contre ses agresseurs. En cela, Erasmus Darwin demeure toutefois plus proche du transformisme d'un Lamarck, puisque les moyens (les bois) sont adaptés aux fins (se reproduire et être en sécurité)30. Charles Darwin, lui, accorde une place prépondérante au hasard : les mutations, elles-mêmes aléatoires, sont favorables ou pas à la survie dans un milieu donné à un moment donné, et seront reconduites d'une génération à l'autre si les individus concernés se trouvent favorisés, c'est-à-dire s'ils sont à même de survivre et se reproduire31. Il serait donc plus juste de parler d'une théorie évolutive pour Erasmus Darwin que d'une théorie évolutionniste, théorie propre à son petit-fils.
Néanmoins, ces observations auront pu donner une idée essentielle à Charles Darwin : montrer d’abord les évolutions des espèces produites artificiellement par l’homme, pour mieux démontrer ensuite l’évolution des espèces sauvages produite par la sélection naturelle. De fait, il adoptera une démarche scientifique similaire à celle de son grand-père, en consacrant le tout premier chapitre de The Origin of Species aux variations produites par l’élevage. Il remplace l'exemple des chiens par celui des pigeons, adhérant même à deux « London pigeon clubs » pour la cause. Après avoir observé de nombreuses variétés de pigeons connues, il réussit à en établir clairement les parentés à partir de leur espèce commune, le biset, columba livia : « I am fully convinced that the common opinion of naturalists is correct, namely, that all pigeons have descended from the rock-pigeon (columba livia) »32. La filiation entre les deux Darwin est, elle aussi, avérée, par une démarche de démonstration scientifique tout à fait similaire : montrer que l’élevage sélectif atteste de la possibilité de l’évolution par sélection naturelle, comme une reproduction en laboratoire.
Pourtant, deux distinctions majeures séparent les deux Darwin : une opposition de fond, et une opposition de forme. En premier lieu, l’opposition de fond : aux yeux d’Erasmus Darwin, l’évolution n’est pas une suite d’adaptations hasardeuses plus ou moins adaptées à l’environnement. Elle tend vers une forme de perfection : en cela, la théorie d’Erasmus Darwin se distingue de celle de son petit-fils. Héritier des Lumières, Erasmus Darwin croit en un élan universel de perfectibilité. « Perhaps all the productions of nature are in their progress to greater perfection ! » déclare-t-il dans ses notes, ajoutant qu’un tel principe serait « consonant to the dignity of the creator of all things »33. Si Erasmus Darwin n’a pas les frayeurs d’un Pascal devant la complexité de la vie microscopique, il fait néanmoins le même pari que lui : déiste convaincu, il croit en l’existence d’une force première à l’origine de toutes choses, par laquelle la vie tendrait naturellement vers la perfection. Charles, lui, se montrera toujours d’une extrême méfiance envers cette théorie : l’évolution est un phénomène constant, qui ne connaît pas d’aboutissement, principe en vertu duquel il est impossible d’établir qu’une espèce est au-dessus d’une autre.
En second lieu, une opposition de forme. Le déisme d’Erasmus Darwin et sa confiance en la perfectibilité du monde font de lui un esthète enthousiaste : au sens étymologique aussi, dans la mesure où il voit en lui comme en chaque être vivant l’empreinte de la « grande cause première » qu’il nomme Dieu. Cet enthousiasme est manifeste dans le style de sa poésie, à la fois marqué du sceau de la rigueur prosodique néo-classique, dans la veine de Pope, et d’une tendance à l’épanchement lyrique, par cette accumulation de métaphores colorées, d’allitérations généreuses, de répétitions formant autant d’échos harmonieux de vers en vers. Erasmus Darwin est peintre et poète autant qu’il est scientifique : sa poétique de la profusion et son goût pour le pittoresque présentent un contraste singulier avec l’écriture rigoureuse de Charles, modèle de prose scientifique. Alors que Charles Darwin adoptera un style caractérisé par sa sobriété, son grand-père veut transmettre à son lecteur une partie des sensations qu’il décrit par le plaisir poétique. Il nous invite ainsi à prendre part au grand banquet de la vie, cette « intellectual feast »34.
Car toute la vie est une fête : Erasmus Darwin aura cette superbe formule pour décrire les fossiles et les couches de roches sédimentaires formant les montagnes : « monuments of past delight ». Le sable et les roches calcaires étant formés de l’accrétion de débris de coquilles, soit d’êtres vivants étant le fruit d’une longue chaîne de reproduction ininterrompue :
Thus the tall mountains, that emboss the lands,
Huge isles of rock, and continents of sands,
Whose dim extent eludes the inquiring sight,
Are mighty Monuments of past Delight;
Shout round the globe, how Reproduction strives
With vanquish'd Death, — and Happiness survives. 35
Il serait donc aisé de supposer qu’à cette vision presque hédoniste d’une évolution fondée sur le plaisir a succédé une vision plus froide : le principe fondateur n’est plus la succession de plaisirs mais une maîtrise parfaite des lois de la nature exposées avec dépouillement. Le processus de transformation des espèces ainsi mis à nu donnerait une vision certes plus juste de l’ensemble des animaux, mais ferait perdre à l’animal, dans ce qu’il a d’unique et de singulier, une partie de ses couleurs. Serait-on passé, d’Erasmus à Charles, de l’épicurisme au stoïcisme ?
Cela serait un jugement fort sévère pour Charles Darwin. Il serait juste de rappeler que L’Origine des Espèces est un ouvrage scientifique qui, sans être une œuvre de vulgarisation, fut conçue pour être accessible à tous. Charles Darwin se refuse à employer du jargon : si son style est sobre, c’est qu’il se veut d’abord simple, et qu’hier comme aujourd’hui, chacun peut y avoir accès. Cela ne l’empêche pas d’abandonner parfois sa prose à des élans poétiques, comme dans ce passage sur ce qu’on a nommé plus haut la « séduction naturelle » : après avoir repris l’exemple des combats de coqs, qui avait justement été choisi par son grand-père pour traiter de ce sujet, il décrit les effets du rut chez plusieurs espèces :
Male alligators have been described as fighting, bellowing, and whirling round, like Indians in a war-dance, for the possession of the females; male salmons have been observed fighting all day long; male stag-beetles sometimes bear wounds from the huge mandibles of other males; the males of certain hymenopterous insects have been frequently seen […] fighting for a particular female who sits by, an apparently unconcerned beholder of the struggle, and then retires with the conqueror.36
Le tableau dépeint par Charles est ici à la mesure de ceux de son aïeul : les répétitions étourdissantes de participes présents, la comparaison avec les Indiens, le champ lexical de la bataille et des tournois et l’image de la dame repartant avec le vainqueur, tout cela rappelle les techniques littéraires d’Erasmus Darwin lui-même, jouant sur l’analogie avec les romans de chevalerie. A ceci près que les références de Charles sont plus exotiques, nourries par son tour du monde à bord du Beagle : c’est tout naturellement qu’il évoque Indiens et alligators. Erasmus, lui, préfère pour cette scène le bestiaire des forêts et des basses-cours. Dans les deux cas, la séduction opère, et on retrouve, chez l’un comme chez l’autre, le même émerveillement devant la nature, la même énergie et le même enthousiasme à en décrire les phénomènes.
Quelle est la place de l’homme dans le système darwinien ? Observons d’abord que la parenté de l’homme avec les animaux, et en particulier avec le singe, avait déjà fait l’objet de multiples interrogations. Buffon avait émis l’hypothèse d’une origine commune, mais dans l’autre sens : le singe aurait été un « homme dégénéré ». Lord Monboddo avait songé à une parenté commune entre l’homme et les grands singes, s’intéressant également aux systèmes de communication et au développement du langage par imitation : autant de théories qui inspireront Erasmus Darwin, qui lui rendra hommage dans les notes de The Temple of Nature.
De telles idées ne sont pas sans poser un obstacle théologique majeur : l’homme, considéré comme un parent du singe, chuterait inéluctablement de sa place de maître et possesseur de la nature institué par le Dieu de la Genèse au rang de simple créature liée à l’ensemble des êtres vivants par une origine commune. Dans The Temple of Nature, Erasmus Darwin ne craint pas de présenter sans détours ses théories les plus audacieuses, bousculant les croyances et les préjugés de son époque sur la place de l’homme. Allant délibérément plus loin que Buffon et Monboddo, il l’associe aux reptiles et aux insectes à la fin du Chant III :
— Say, did these fine volitions first commence
From clear ideas of the tangent sense;
From sires to sons by imitation caught,
Or in dumb language by tradition taught?
[…] Wise to the present, nor to future blind,
They link the reasoning reptile to mankind!
— Stoop, selfish Pride! survey thy kindred forms,
Thy brother Emmets, and thy sister Worms! 37
La raison, faculté-maîtresse de l’homme qui est censée le placer au-dessus des animaux, par sa faculté à penser, juger et raisonner dans un langage abstrait, n’a plus de valeur ici. En effet, Darwin remet en question la supériorité du langage raisonné pour le faire remonter aux systèmes de communication primitifs des animaux et à l’imitation, comme on l’a vu précédemment avec l’exemple des chiens. Il opère un déplacement inattendu de l’adjectif « reasoning », qu’on s’attendrait à voir accolé à « mankind », vers le « reptile ». Précisons toutefois que la faculté des animaux à raisonner avait déjà été explorée philosophiquement par Condillac... et poétiquement par Milton : « know’st thou not / Their language and their ways, they also know, / And reason not contemptibly » 38.
En outre, par « reasoning reptile », Erasmus Darwin envoie une pique aux théologiens : tout en étant une illustration scientifiquement valable de la théorie darwinienne, cette image est chargée de symboles, avec, là encore, un renvoi possible à Milton. Le « reasoning reptile » évoque le serpent dont Satan a épousé la forme pour séduire Eve dans la Genèse : capable de langage, il « raisonne » pour la persuader d’outrepasser l’interdit. Darwin présente donc un tableau doublement sacrilège des origines de l’homme, en le plaçant au niveau des autres animaux et en en faisant le parent du serpent, représentant symbolique du péché originel. Il invite ensuite l’homme à l’humilité en le plaçant auprès des vers et des insectes : « thy brother Emmets, and thy sister Worms ».
Cette formule est pleine d’une subtile et poignante ironie envers les défenseurs d’une humanité élue par Dieu pour régner sur le vivant. Erasmus Darwin ne nie pas pour autant l’existence d’une cause première : il s’agirait d’un Dieu immuable qui, comme les dieux de Lucrèce, vit dans une perpétuelle ataraxie, au-delà des plaisirs et des peines. L’homme, à l’inverse, est soumis aux lois de l’évolution et de la perfectibilité : Darwin aime à se moquer de la fierté humaine et, par la comparaison avec les fourmis et les vers, fait de l’homme un animal à la fois rieur et risible, homo risibilis. Cette comparaison fraternelle avec les « frères fourmis » et les « sœurs vers », empreinte d’un humour discret, invite aussi à respecter l’ensemble des êtres vivants, tous liés à l’homme par le premier filament doué de vie. Darwin la reprendra mot pour mot dans le chant suivant, en IV, 3, en ajoutant un trait d'union graphique et symbolique entre hommes et insectes, avec l’injonction suivante :
That man should ever be the friend of man;
Should eye with tenderness all living forms,
His brother-emmets, and his sister-worms. 39
On pourrait s’attendre à ce que Charles Darwin reprenne cette image-clé « brother-emmets » et des « sister-worms » dans The Origin of Species. Peut-être peut-on y voir une réminiscence dans un des derniers paragraphes, où Darwin présente à ses lecteurs l’image d’un rivage grouillant de vie, où s’agitent des vers, des insectes et des oiseaux, qu’il décrit comme si différents et pourtant reliés par les lois de l’évolution et de la variabilité :
It is interesting to contemplate a tangled bank, clothed with many plants of many kinds, with birds singing on the bushes, with various insects flitting about, and with worms crawling through the damp earth, and to reflect that these elaborately constructed forms, so different from each other, and dependent upon each other in so complex a manner, have all been produced by laws acting around us.40
On retrouve l’image des vers et des insectes... mais qu’en est-il de l’homme ? Charles Darwin, conscient des violentes polémiques que son œuvre pourrait susciter, a pris la précaution de ne pas le mentionner dans The Origin of Species en 1859 : il a réservé ce sujet pour un ouvrage ultérieur qui y est entièrement consacré, The Descent of Man, and Selection in Relation to Sex, publié plus de dix ans plus tard, en 1871. Cette mesure de prudence n’a pas empêché les plus ardents débats théologico-scientifiques dès la sortie de The Origin of Species, dont le célèbre débat entre Huxley, le « bouledogue de Darwin », et l’évêque Wilberforce. Il est intéressant de constater que, malgré son caractère rigoureusement scientifique, The Origin of Species fera une concession à la religion, dans sa toute dernière phrase :
There is grandeur in this view of life, with its several powers, having been originally breathed [by the Creator] into a few forms or into one; and that, whilst this planet has gone circling on according to the fixed law of gravity, from so simple a beginning endless forms most beautiful and most wonderful have been, and are being evolved.41
La mention « by the Creator » a été mise entre crochets car elle n’apparaît pas dans la toute première édition : elle est un ajout de la seconde, ajout qui perdurera jusqu’à la dernière révision de l’ouvrage par son auteur (sixième édition). Faut-il y voir une tentative de réconciliation avec la religion, comme on veut le croire... ou une réminiscence tardive d’Erasmus Darwin ? Ce dernier avait connu des déconvenues avec les autorités religieuses similaires à celles de son petit-fils un demi-siècle plus tard, mais était resté déiste jusque dans ses derniers poèmes, convenant que l’hypothèse d’une cause première présentée sous forme d’un dieu créateur n’était pas incompatible avec la transformation des espèces.
Toutefois, si ce dieu existe bel et bien, ce n’est pas le dieu vengeur de la Genèse qui a en main le destin des hommes, mais un dieu lucrétien, qui a fait grâce du mouvement aux premiers corpuscules, le clinamen aux atomes, et repose bienheureux en laissant sa création évoluer d’elle-même. Un dieu qui, en somme, n’est pas à craindre, mais est source de beauté et de plaisirs constamment renouvelés, « the rose of beauty blows [...] and the long line of being never ends » 42. On trouve dans la dernière phrase de Charles Darwin l’enthousiasme de son aïeul devant le spectacle grandiose de la nature : l’enthousiasme étant, étymologiquement, « porter dieu en soi », et être capable d’accéder à une vision grandiose de la nature par la révélation de ses lois.
Ainsi, tout autant que certains fondements de la théorie évolutionniste, c’est un sens de l’émerveillement qu’Erasmus Darwin a transmis à son petit-fils, émerveillement transmis au lecteur lui-même par la forme poétique, qu’il s’agisse des pentamètres exaltés de The Temple of Nature ou des méditations contemplatives de The Origin of Species. On retrouve aussi dans le paragraphe de clôture de The Origin of Species l’émerveillement d’un Lucrèce devant la beauté infinie du monde qui lui est révélée par Épicure :
Dès que ta doctrine se met à proclamer
La nature des choses conçue par ton esprit divin,
Les terreurs de l’âme s’enfuient, les remparts du monde s’écartent.
Je vois dans le vide infini s’accomplir toutes choses.
Apparaît la majesté des dieux, en leurs calmes séjours.43
Endless forms most beautiful. Darwin, ou l’apprentissage de l’émerveillement.
C’est donc une vision originale de l’animal que propose Erasmus Darwin, dans le sillage de la pensée épicurienne, du matérialisme et du sensualisme, mais surtout avec deux caractéristiques majeures : la confiance sereine en une perfectibilité du monde, héritée des Lumières, et l’éblouissement devant la diversité du vivant, source de beauté et de plaisir constamment renouvelée. Ce n’est pas par l’image des chiens battus de Malebranche et de Hogarth qu’il s’interroge sur la sensibilité animale, mais par les joutes chevaleresques des cerfs. Erasmus Darwin a transmis à son petit-fils à la fois ses principes théoriques sur l’évolution et ce sens de l’émerveillement communiqué au lecteur par les vers ou par des élans de prose poétique. Chez l’un comme chez l’autre, c’est le même effort pour mieux appréhender la beauté du monde par la connaissance de ses lois et le renoncement à la crainte des dieux, ce qui s'inscrit chez Erasmus Darwin dans une perspective résolument épicurienne. Les métamorphoses comiques de coqs de basse-cour en nobles chevaliers ou de chats du voisinage en courtisans galants attestent de son humour, et peut-être aussi dans une certaine mesure de la place toute relative de l’homme parmi le règne du vivant : un animal parmi d’autres qui a quitté le jardin d’Eden pour partir à la recherche de la nature des choses.
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Darwin, Erasmus. The Temple of Nature, or: The Origin of Society: A Poem, with Philosophical Notes. London: J. Johnson, 1803.
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Darwin, Erasmus. Zoonomia, or: The Laws of Organic Life (2 vol.). London: J. Johnson, 1796 [première édition du premier volume publiée en 1794, remaniée en 1796].
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1 En examinant des fossiles d’ammonites, Erasmus Darwin se demande ce qui peut expliquer la disparition de ces créatures : « do they still reside at inaccessible depths in the sea? Or do some animals change their forms gradually and become new genera? ». Botanic Garden, 120. Ajoutons que, si la date de publication indiquée dans l'édition originale est 1791, l'ouvrage ne sera véritablement publié qu'en 1792.
2 Charles Darwin écrira en effet :« It is curious how largely my grandfather, Dr. Erasmus Darwin, anticipated the views and erroneous grounds of opinion of Lamarck in his "Zoonomia" ». Origin of Species, 54.
3 E. Darwin, Temple of Nature, 78.
4 Le journal The Anti-Jacobin, or Weekly Examiner, publia en 1798 sous la direction de George Canning une parodie de The Loves of the Plants intitulée The Loves of the Triangles caricaturant les théories d'Erasmus Darwin.
5 Lucrèce, De La Nature, 53 (traduction de José Kani-Turpin).
6 E. Darwin, Temple of Nature, 4.
7 S. Musitelli, « De la pierre à la chair : Science et poésie d'Erasmus Darwin à William Blake », 185.
8 Id.
9 E. Darwin, Temple of Nature, 26.
10 Ibid., 34.
11 Id.
12 E. Darwin, Zoonomia, vol. 1, 509.
13 J. Moulin, Darwin : Une scandaleuse vérité, 51 : « La vision de Paley lui semble éminemment plus plausible, plus conforme à ses propres intuitions. Cela n'a rien à voir avec les rêveries poétiques et les hypothèses enthousiastes d'Erasmus Darwin dans sa Zoonomie. » Telle est du moins l'impression du jeune Charles Darwin avant de partir à bord du Beagle et de concevoir sa propre théorie de l'évolution.
14 Cité par E. Darwin, Temple of Nature, 52. La citation est tirée de Lucrèce, De Rerum Natura, 53 : « Alme Vénus […] toi par qui toute espèce vivante est conçue / puis s’éveille, jaillie de l’ombre, au clair soleil » (traduction de José Kany-Turpin).
15 E. Darwin, Temple of Nature, 36.
16 Erasmus Darwin identifie chez le ténia le phénomène de reproduction qu'on nommera plus tard la parthénogenèse. Cependant, il associe ce phénomène au mâle alors qu'on sait aujourd'hui qu'il a lieu chez les femelles (Zoonomia, vol. 1, 493).
17 Ibid., 134.
18 D. King-Hele, Erasmus Darwin: A Life of Unequalled Achievement, 338.
19 E. Darwin, Temple of Nature, 67-69.
20 D. King-Hele, Erasmus Darwin's Poems of Lichfield an Derby, 26.
21 L’anecdote est rapportée, selon Élisabeth de Fontenay, par le « bouche à oreille philosophique » (Le Silence des bêtes, 409). Pierre Serna montre qu’elle était populaire à la fin du XVIIIe siècle et soulevait l’indignation, à un moment où le sensualisme de Condillac s’était imposé (L’Animal en république, 73).
22 D. King-Hele, Erasmus Darwin and the Romantic Poets, 248. « Bright » revient 246 fois sur 10000 vers, « beauty » 146 fois et « bosom » 109 fois.
23 Id.
24 E. Darwin, Temple of Nature, 63.
25 E. Darwin, Temple of Nature, 10.
26 E. Darwin, Temple of Nature, 121 et Milton, Paradise Lost, Livre IV, 438.
27 J. Milton, Paradise Lost, 438.
28 Id.
29 E. Darwin, Zoonomia, vol. 1, 504.
30 E. Darwin, Zoonomia, vol. 1, 508 : « [Such changes] have been delivered to their posterity with constant improvement of them for the purposes required ».
31 C. Darwin, Origin of Species, 130-131 : « This preservation of favourable individual differences and variations, and the destruction of those which are injurious, I have called Natural Selection, or the Survival of the Fittest » .
32 Ibid., 83.
33 E. Darwin, Temple of Nature, 54.
34 E. Darwin, Temple of Nature, 78.
35 Ibid., 165.
36 C. Darwin, Origin of Species, 136-137.
37 E. Darwin, Temple of Nature, 120.
38 J. Milton, Paradise Lost, 516.
39 E. Darwin, Temple of Nature, 163.
40 C. Darwin, Origin of Species, 459.
41 Ibid., 459-460.
42 E. Darwin, Temple of Nature, 44.
43 Lucrèce, De Rerum Natura, 181; 183.