Juliana Lopoukhine
Université Paris-Sorbonne, VALE EA4085
Jetant sur la page de son journal du 26 avril 1938 les toutes premières idées qui allaient mener à la rédaction de son dernier roman, Between the Acts, Virginia Woolf fait le projet d’un texte placé sous le signe du plaisir, du rire, de la joie : « But to amuse myself, let me note: Why not Poyntzet Hall: a centre: all literature discussed in connection with real little incongruous living humour: and anything that comes into my head »1. Et de fait, l’envie de s’abandonner à l’imaginaire tel qu’il advient, mobilisé pour faire émerger un humour authentique, un humour « incongru » et « vivant », fait la part belle dans Between the Acts aux cahots comiques et interruptions en tous genres. Incidents saugrenus, personnages hauts en couleurs traversent les pages du roman et les temps de « the pageant », le spectacle orchestré par Miss La Trobe par une belle journée de juin 1939, et dans lequel se produisent les villageois, représentant successivement les grandes phases, schématiquement définies, de l’histoire littéraire et culturelle de l’Angleterre.
C’est presque toujours comme un détail, un élément cocasse parmi d’autres, que le personnage d’Albert, l’« idiot du village », est cité par la critique qui s’est intéressée à Between the Acts et à ses aspects comiques2. Archétype à l’appellation anachronique qui entraîne dans son sillage des évocations archaïques, l’« idiot du village » est en effet avant tout une entité comique qui provoque le rire autant que le malaise des spectateurs. Or, il apparaît également comme une figure mystérieuse sur laquelle achoppent toutes les tentatives herméneutiques pour le saisir par le biais des catégories du savoir. En témoigne la dénomination d’« idiot du village », qui sonne comme une abdication de la fonction référentielle du langage devant ce qui lui échappe. À chacune de ses apparitions, « l’idiot du village » semble en effet reconduire sa propre résistance à toute appropriation par le savoir et ne cesse, tout au long du roman, de se livrer dans son énigme.
Parfaitement intégré, à première vue, à la communauté locale comme au spectacle dans lequel il assume un rôle burlesque, « he’s in the tradition »3 dit-on de lui, l’« idiot du village » apparaît cependant également comme une force de débordement inquiétante qui ne cesse d’excéder la fonction que lui assigne la catégorie de son nom et la tâche herméneutique à laquelle se livrent, entre les actes, les voix anonymes des spectateurs, posant sans cesse la question du sens. Corps immaîtrisable dont les entrées-sorties imprévisibles et fugaces zèbrent la scène de « the pageant », voix sibylline dont le discours poétique ne livre pas son sens mais seulement son mystère, l’« idiot » est ce point d’opacité qui résiste, autant qu’il génère les tentatives d’interprétation plurifocales et plurimodales. Prisme d’éclatement des points de vue et de démultiplication des voix qui tentent de le saisir, l’« idiot » agit comme une force qui déborde, déplace, et par là même interroge les catégories forgées par le langage. Il apparaît comme un tourniquet, ou un point de pivot imprévisible entre harmonie communielle dont la condition est le rire, et malaise devant la menace potentielle qu’il représente pour la bienséance.
Je propose de penser la manière dont, sous la plume de Virginia Woolf, les déterminations sociopolitiques de ce personnage archétypal volent en éclats sous l’effet de sa puissance, tout en maintenant actifs ses effets de malaise, et entière son énigme. Pour ce faire, l’« idiot » ne pourra être lu uniquement sur le versant d’un pathos, lié à ce que ce personnage aurait en moins, comme le symptôme clinique d’une inquiétude mortifère face au temps, ou d’une maladie du temps ainsi métaphorisée par la tare ou le retard mental, euphémisée par l’« idiotie », mais comme un en plus, comme ce que l’« idiotie » permettrait de potentialités créatrices, excédant sans cesse cette « tradition » dont il serait la pierre d’angle, mais qui réclame néanmoins qu’on l’interroge. Mon ambition est de faire de l’« idiot » non plus simplement un personnage comique et facétieux parmi d’autres, mais une figure emblématique de la pensée par laquelle Virginia Woolf met au travail de manière indissociable des dimensions poétiques et politiques, en lisant l’« idiotie » à la fois comme force qui transforme le texte woolfien par son énergie, et comme force d’inquiétude par sa puissance critique.
J’interrogerai l’inscription de l’« idiot du village » dans la communauté des villageois rassemblés, par le biais des regards et des discours qui le déterminent, entre inclusion et exclusion, entre rire et malaise, ainsi que la manière dont ces déterminations sont mises à mal. Je ferai également de cet enjeu herméneutique, présenté par l’énigme de l’« idiotie », le levier d’une interrogation sur le temps, en montrant comment le temps linéaire de la « tradition », ainsi que les forces mythologisantes qu’il génère, sont retraversés à contretemps par ce qui chez l’« idiot du village » échappe toujours à la maîtrise, qu’il s’agisse de l’opacité de son dire ou du régime de l’incident qui met à mal l’intentionnalité, et mobilise les forces créatrices. Enfin je me propose de faire une lecture à la fois du dire de l’« idiot » et de la manière dont les modalités de ce dire se disséminent dans la narration, puissance poétique qui tire son énergie d’une danse de l’idiotie, danse de joie dont s’anime aussi le texte.
L’« idiot du village » apparaît avant tout comme le produit de la communauté dans laquelle il s’inscrit de fait, et qui le constitue par le biais de ses discours, toujours sous le signe du paradoxe. En effet, il y a d’une part le rire bienveillant des spectateurs de la pantomime de l’« idiot », un regard indulgent qui reconnaît l’« idiot » dans une certaine fonction ; d’autre part, il y a le discours dans lequel s’inscrit le nom de « village idiot »4, dont les déterminations figées par l’archétype n’en sont pas moins forces d’assignation, ainsi que les effets de malaise qu’engendre chez certains spectateurs chacune de ses apparitions. À la fois ressort de la comédie et vecteur d’embarras, voire de crainte devant le risque d’un comportement imprédictible qui menacerait les convenances, l’« idiot du village » ne cesse, par les affects paradoxaux qu’il déclenche, de se soustraire à la force d’appropriation de la communauté.
Tout au long du « pageant » dans lequel les villageois travestis tiennent les rôles de souverains ou de figures allégoriques, les passages de farce burlesque se mêlent étroitement à des moments où l’illusion théâtrale semble suspendre la réalité pour laisser place à un pur émerveillement, comme lorsque Eliza Clark, qui tient le débit de tabac local, apparaît en reine Elisabeth. La frontière qui sépare le grotesque du sublime, qui sépare le rire devant le cocasse du travestissement, du rire d’émerveillement, est ténue. Dans ce contexte, les apparitions de l’idiot du village offrent aux spectateurs comme au lecteur des sommets de comédie mêlée de ravissement : « What were they laughing at? At Albert, the village idiot, apparently. There was no need to dress him up. There he came, acting his part to perfection. He came ambling across the grass, mopping and mowing. » (53) Par sa pantomime grotesque et pourtant « parfaite », « to perfection », la figure de l’« idiot » apparaît bien, de fait, comme le garant, ou la pierre de touche, d’une certaine harmonie : s’inscrivant « parfaitement » dans la dynamique du pageant, il fait l’objet d’un rire bienveillant qui l’inclut dans un certain être-en-commun, à la fois comme ce qui se différencie d’une certaine homogénéité et comme ce qui la fonde par son exception. La « perfection » avec laquelle l’« idiot » joue son propre rôle, remplit sa propre fonction, signe l’adéquation paradoxale de cette figure anachronique, qui, par cet anachronisme même, inscrit une forme de continuité présentée comme naturelle.
Pourtant cette « perfection » demande à être interrogée5, dans la mesure où elle révèle aussi, paradoxalement, l’archétype et son anachronisme. L’idée selon laquelle l’idiot serait le seul à ne pas avoir besoin de se travestir, dans un « pageant » où le travestissement est de mise, expose la nudité du personnage qui à son tour fait exploser le rôle de composition. On distingue bien la réduction de l’« idiot » à un habit, mais aussi, en même temps, déjà la ligne de fuite par laquelle il échappe, par la nudité de son être même, à tout codage collectif ou culturellement déterminé de sa fonction. En d’autres termes, ce qui s’entremêle dans cette phrase, ce qui coexiste en une friction continue, c’est à la fois la violence de la dénomination, figée par la « perfection » du mythe, « étalé dans l’évidence »6, et la pure présence de l’« idiot » qui échappe à sa propre fixation anachronique et revitalise le présent : « There he came ». La force de présentification du déictique qui convoque le regard déborde d’un coup les archétypes sociopolitiques pétrifiés qui assignent à une place. La « perfection » de la pantomime de l’« idiot » devient alors quelque chose d’autre qu’une simple obéissance à une injonction de remplir un rôle : elle parle de la puissance de transformation de l’illusion et du rire, alors que la paronomase, « Mopping and mowing », redonne vie au langage, le dégageant des effets sclérosants du mythe.
De fait, les apparitions de l’« idiot » ne laissent jamais s’installer cette « clarté heureuse » du discours mythologisant par lequel « les choses ont l’air de signifier toutes seules »7. L’harmonie se renverse en force d’inquiétude devant le comportement imprévisible du personnage :
He skipped along the front row of the audience, leering at each in turn. […] He was enjoying himself immensely.
« Albert having the time of his life, » Bartholomew muttered.
« Hope he don’t have a fit, » Lucy murmured.
[…]
« The village idiot, » whispered a stout black lady — Mrs. Elmhurst — who came from a village ten miles distant where they, too, had an idiot. It wasn’t nice. Suppose he suddenly did something dreadful? There he was pinching the Queen’s skirts. She half covered her eyes, in case he did do — something dreadful. (54)
Rire et malaise, plaisir et inquiétude se mêlent en une oscillation qui n’est jamais appropriée par un seul point de vue mais reste éclatée entre les différents regards et les différents discours, tandis que son opacité hermétique à la régie narrative le maintient toujours dans un écart par rapport à une « communauté des émotions » identifiables et reconnaissables8. D’un comportement qui engendre la crispation des bien pensantes du village voisin, se couvrant les yeux pour se protéger du choc que constituerait une atteinte irréversible aux convenances, s’il prenait à l’« idiot » d’avoir un geste radical, à une adresse frontale aux spectateurs qu’il semble convoquer à quelque chose tout en les montrant du doigt, les apparitions d’Albert sont des moments où même la farce comique menace de se retourner sur le versant du malaise.
L’« idiot » se présente ainsi comme cette puissance incongrue qui jamais ne se laisse totalement inclure ou totalement exclure. Alors que la communauté cherche à s’en saisir pour en faire l’un des lieux où elle pourrait se fonder, ainsi qu’en atteste le génitif de la désignation, « idiot du village », Albert, lui, demeure ce point opaque, imperméable à toute appropriation affective ou hostile, comme à toute appropriation par un point de vue, qu’il s’agisse du regard attendri du Révérend Streatfield à la fin du pageant (« The good man contemplated the idiot benignly. His faith had room, he indicated, for him too. He too, Mr. Streatfield appeared to be saying, is part of ourselves », 115), ou bien du rejet qui assigne à la pathologie (« But not a part we like to recognize, Mrs. Springett added silently, dropping her sixpence », 115)9. Ainsi par le biais de l’écheveau de voix silencieuses qui, autour de l’« idiot », s’entremêlent en éclatant le point de vue, le « nous », « ourselves » (« He too […] is part of ourselves ») ne se fait jamais homogène, sans cesse mis en crise par les effets de malaise qui viennent se glisser dans la doublure du rire communiel.
Les mouvements erratiques de l’« idiot », qui débordent la scène, et se retrouvent dans les mouvements bondissants du langage, « Hoppety, jiggety, Albert resumed, / In at the window, out at the door » (54), entraînent acteurs et spectateurs dans leur tourbillon, tout en résistant à l’assimilation par une communauté qui ne peut se fonder ni autour d’un affect hostile, ni autour d’un attendrissement, puisque ces deux émotions contradictoires se retournent sans cesse l’une dans l’autre. La dimension clownesque, mais aussi « le spasme – furtif, à peine ressenti – de l’étrange »10 coexistent sans jamais se figer, dans les mouvements excentriques, ex-centriques pourrait-on dire, de l’« idiot » qui, de fait, ne se tient jamais au centre de la scène, contrairement à d’Eliza Clark par exemple, qui, elle, joue bien le jeu de l’illusion théâtrale et de la reconstitution historique en incarnant la reine Elisabeth I. Albert, lui, ne fait que traverser la scène, entrer et sortir, sans jamais l’occuper : « The idiot scampered in and out. Hands joined, heads knocking, they danced round the majestic figure of the Elizabethan age personified by Mrs. Clark, licensed to sell tobacco, on her soap box. » (57) Dans cette ronde communielle et festive, les mouvements en zigzag de l’« idiot » désaxent la rotation de la danse en ramenant la « figure majestueuse de l’âge élisabéthain », placée en son centre, à son humanité. S’il entre bien en résonance avec la fonction politique traditionnelle du fou du roi, qui destitue l’ordre fondé, c’est cette fois non plus par le biais de gestes irrévérencieux, mais par sa simple présence à contretemps, par son énergie incongrue, dans le sens où elle n’a pas de congruence avec la logique de la scène historique, mais au contraire crée l’occasion d’une « rencontre entre deux processus hétérogènes »11.
Les apparitions de l’« idiot » redonnent ainsi de l’hétérogène dans le « processus », alors que les acteurs forment à une « procession » pour sortir de scène. Ceci est caractérisé de manière emblématique par des mouvements qui passent sans cesse de l’intérieur à l’extérieur et de l’extérieur à l’intérieur, « in and out », un paradigme que l’on retrouve également dans la chanson aux accents burlesques :
In and out and round about, a-maying, a-maying. . . . […] Then, at a sign from Miss La Trobe behind the tree, the dance stopped. A procession formed. […] with Albert the idiot playing in and out, and the corpse on its bier concluding the procession, the Elizabethan age passed from the scene. (58)
Les déplacements ludiques, « in and out », désaxent la ligne droite de ces gaies funérailles que l’on peut lire en regard de la procession solennelle des « hommes éduqués » que Virginia Woolf, dans son essai de 1938, Three Guineas – achevé, ainsi qu’en témoigne son journal, juste au moment où l’idée de Between the Acts germe dans son esprit – choisit de ne pas rejoindre ; le paradigme historique d’une « exclusion incluse » des femmes, exclues d’une société patriarcale dont elles sont aussi les pierres de touche, y est renversé en une position de résistance à l’assimilation12. Dans le cas de l’« idiot » de Between the Acts, ce sont ses mouvements, qui sans cesse passent de l’intérieur à l’extérieur, sans jamais rester dehors ou dedans, sa manière d’arpenter le seuil en dansant, qui font de ce personnage une véritable manière de penser, par le biais de l’écriture romanesque, cette exclusion incluse woolfienne, sur un mode différent de celui de l’essai.
De fait, par un écart maintenu à l’intérieur de la communauté, et qui la disjoint d’elle-même, les mouvements, la démarche, le corps de l’« idiot » se font forces de démythologisation qui se dérobent sans cesse à l’essentialisation naturalisante de l’« idiotie » ou à l’assignation à une fonction. Objection constante à une possible autosatisfaction de la communauté, sa présence défait la « tradition » mortifère, et ses figures archétypales, maintenues de manière sourde dans le discours des bigotes du village voisin : « they, too, had an idiot. » (68) En défaisant les régimes d’aliénation et d’assimilation qui cherchent à figer une condition sociopolitique en appropriant ce qui échappe et reste opaque, cet « idiot » dont le « corps de faiblesse »13 dérègle de ses mouvements intempestifs la vectorisation du « pageant », opère une déstabilisation continue des formes de la communauté.
La ligne en zigzag qui traverse, à chaque apparition de l’« idiot du village », la scène du « pageant » devant laquelle les villageois sont rassemblés semble désarticuler le temps vectorisé de l’histoire comme processus. L’anachronisme même de la figure de l’« idiot du village » prend dans Between the Acts une valeur temporelle qui dépasse la simple notion de décalage par rapport au savoir qu’aurait acquis une époque sur la pathologie mentale, ou d’un « retard » qu’aurait cet « idiot » sur le savoir. Chez Virginia Woolf, l’anachronisme de cette appellation prend une valeur d’interrogation du temps, que l’on pourrait appeler « inactuelle » en se référant à Nietzsche, chez qui ce terme est parfois traduit en français par « intempestif »14, et pour qui l’« inactuel », « Unzeitgemässe », la non-conformité avec le temps, est une force, une puissance d’agir sur son temps, en pensant à rebours de son temps15.
L’opacité illisible d’une figure qui se livre chaque fois dans son énigme inentamée, toujours entière, mérite que l’on s’y attarde. Sa récitation mystérieuse dont le sens ne se livre pas mais menace sourdement les spectateurs par une allusion elliptique à des « secrets », qui seraient connus et risqueraient d’être révélés sur cette scène, devant la communauté assemblée, « What don’t I know? / All your secrets, ladies, / And yours too, gentlemen . . . » (54), s’interrompt avant que n’éclate la crise, ou le scandale. Alors que l’« idiot » vient désarçonner le premier rang des spectateurs, « He skipped along the front row of the audience, leering at each in turn » (54), la scène se retourne à nouveau sur le versant de la farce : « Now he was picking and plucking at Great Eliza’s skirts. She cuffed him on the ear. He tweaked her back. He was enjoying himself immensely. » (54) Par ces deux valeurs indécidables, entremêlées et co-existantes du rire et du malaise, les paroles énigmatiques, ainsi que la pantomime burlesque de l’« idiot du village » répondent dans une certaine mesure à un rôle traditionnel, construit par la culture communautaire, ainsi que le formule William Dodge, « he’s in the tradition » (68), tout en débordant cette même tradition, en venant substituer à la scène de la transmission collective une inquiétude diffuse quant à la divulgation de secrets individuels16.
Cette tradition, à la fois historique et littéraire, évoque de fait le fou du roi shakespearien, cette figure à double fond, qui dans Le Roi Lear est à la fois « sweet and bitter fool »17. Son rôle, qui n’est pas tant comique que politique, d’accompagner le souverain pour le ramener, par une attitude irrévérencieuse mais paradoxalement tolérée, à son humble humanité, est ici pris en charge sur le mode burlesque. On peut lire également son étrange discours, directement adressé à l’audience, comme un pastiche de cette forme de sagesse incongrue, communiquée par le biais d’énoncés opaques, formes interrogatives, aphorismes sybillins. Mais le fou de la tradition littéraire devient sous la plume woolfienne un clin d’œil intermittent (comment ne pas entendre un jeu de mots signalant la présence déplacée dans le langage de la figure tragique de « Lear » avec cette paronomase joueuse, « leering at each in turn » ?) : au lieu d’une filiation inscrite dans la référence, la tradition se fait ligne sonore ludique et intempestive, sans jamais se stabiliser ni se laisser approprier, tant la figure de l’« idiot » malmène et déborde sans cesse cette tradition, ne s’y prêtant que pour s’y dérober avec un iconoclasme jubilatoire qui « arrach[e] […] la tradition au conformisme qui est sur le point de la subjuguer »18, dans les termes de Benjamin. En ce sens, les apparitions de l’« idiot » agissent bien en faveur du « vivant », « life », que Virginia Woolf pensait sous le signe de la créativité, du sensible, de l’animalité.
Ainsi l’« idiot du village » n’apparaît plus simplement comme un emblème d’incongruité pathologique, mais comme une puissance, comme l’un des lieux où se pense et s’écrit l’« inactualité » woolfienne. Les apparitions intempestives, inactuelles de l’« idiot du village », à la fois en tant qu’elles sont inconvenantes et en tant qu’elles résistent à l’inscription temporelle, viennent inquiéter le chronos comme temps de l’histoire monumentale et ses figures, et le muthos comme temps de l’histoire fondée. De fait, l’« idiot » est peut-être l’un des seuls personnages du roman à ne pas être inscrit dans une généalogie20. N’étant pas l’un des relais de cette logique de transmission verticale qui remonte l’arbre du temps, n’étant pas l’héritier d’un lignage, il apparaît plutôt comme « [u]n trait intensif [qui] se met à travailler pour son compte, […] et l’hégémonie du signifiant se trouve remise en question. »21 Identifié uniquement par un prénom et par un signifiant sur lequel il est replié autant qu’il l’excède, il ne se laisse pas saisir par les lignes quadrillées d’un savoir historique ou généalogique, ni par celles d’une temporalité linéaire.
En effet, si l’« idiot » inquiète le public autant qu’il l’attendrit, c’est parce qu’il vient glisser dans le temps planifié sa puissance imprédictible, qui défait les formes de ce qui est prévu à l’avance, comme lorsqu’il décroche, ou est soupçonné d’avoir décroché les affiches qui annoncent « the pageant » : « The first had been blown down, or the village idiot, who always tore down what had been nailed up, had done it, and was chuckling over the placard under the shade of some hedge. » (19) C’est la première apparition de l’idiot dans le roman qui se donne à lire ici, avant le début de « the pageant », et il est intéressant de voir que c’est sous une forme non actualisée qu’il apparaît pour la première fois, comme une alternative possible à l’action aléatoire du vent ; comme si la poétique woolfienne jouait avec l’irréalité même de son anachronisme en tant que personnage, et en faisait d’emblée une puissance assimilée aux éléments naturels dont les aléas interrompent le spectacle. Telle une impression fugace sur la page, l’« idiot » gloussant d’une joie comique à l’ombre d’un buisson s’inscrit en potentialité : non seulement comme probabilité logique, reposant sur un comportement récurrent, toléré bien qu’inconvenant, et qui permet dans une certaine mesure d’en limiter la puissance d’aléatoire, mais également, et peut-être surtout, en puissance. Ce qui ne cherche pas à s’actualiser renferme ainsi une puissance de vie latente, un rire en réserve, la joie comique comme possibilité donnée à chaque instant, contenue en puissance dans le temps.
Le comportement prévisible, qui pourrait donner lieu à une saisie typologique par le discours médical, est ainsi ressaisi par une puissance du temps qui, paradoxalement par cette action de « toujours » décrocher ce qui est a été accroché au mur, a fortiori ici les affiches qui annoncent l’événement à venir, défait les formes du temps planifié. Relais potentiel du vent qui, tout au long du roman, est étroitement lié au rire qu’il attise ou disperse, l’idiot en partage la facétie, la force inconvenante et libératrice, comme lorsque le vent rend inaudibles les paroles du chœur ou arrache aux acteurs leurs costumes, fait tomber la coiffe de la « reine Eliza » (53). On retrouve dans ces caractéristiques partagées du vent et de l’« idiot du village » une puissance « intempestive » qui agit, selon Nietzsche, « contre le temps, donc sur le temps »22. Dans l’essai de 1874 dont est extraite la citation et qui a pour titre « considération intempestive », ou « inactuelle », Nietzsche, dans l’après-coup de la guerre victorieuse contre la France, lance un avertissement contre ce qu’il appelle « la maladie historique »23 qui consiste à voir en toutes choses le résultat d’un « progrès » ou d’un « processus »24, et qui étouffe la vie. On retrouve cette préoccupation dans la critique du progrès et de la civilisation que fait Walter Benjamin dans ses thèses « Sur le concept d’histoire », rédigées dans les premiers mois de 1940, parfaitement contemporaines de Between the Acts ; comme si, dans le cas de ces trois pensées du temps, philosophiques ou littéraires, la mise en crise de l’idée de l’histoire comme processus, et du concept de « civilisation », était radicalement liée à l’urgence d’un contexte historique, soit l’après-coup d’une guerre, même victorieuse dans le cas de Nietzsche, soit la hantise d’une guerre imminente ou déjà commencée, dans le cas de Benjamin et Woolf.
À la lumière de ces considérations, « l’idiot du village » dans Between the Acts peut se lire comme une puissance d’agir contre l’idée du temps comme processus et comme transmission, qui vient « brosser l’histoire à rebrousse-poil »25, selon l’expression de Benjamin. « [À] rebrousse-poil » aussi dans la mesure où les effets de malaise déclenchés par sa présence, son existence-même, portent cette inquiétude quant à l’idée du progrès compris comme une « norme historique »26 dont Benjamin dit qu’au lieu de combattre le fascisme, il lui permet de garder toutes ses chances27, le fascisme dont la stigmatisation des pathologies mentales constituait justement l’un des axes idéologiques, sous les traits de l’eugénisme. Puissance d’aléatoire aussi libératrice qu’inquiétante, la présence de l’« idiot » dans le « pageant », forme théâtrale populaire qui, justement, s’articule étroitement à l’idée d’une célébration de la « civilisation », vient introduire le doute, comme une question lancée au temps par les voix plus ou moins anonymes qui traversent le roman : « “But surely,ˮ said Mrs. Parker, and told Giles how creepy the idiot – “We have one in our villageˮ – had made her feel. “Surely, Mr. Oliver, we’re more civilized ?ˮ » (68) La phrase, où les discours et les voix s’enchevêtrent autour du malaise enkysté, grammaticalement enchâssé, se dessine en une chaîne brisée, hantée par l’inquiétude qui témoigne d’un ébranlement des certitudes face au temps.
L’incertitude, la perplexité, sont les réactions qui dominent parmi les spectateurs à chacune des apparitions de l’« idiot », alors que la régie narrative modalise un doute interprétatif qui retraverse les certitudes à contretemps : « apparently » (53), « or » (19) « as if his turn was over » (54). Ce qui est toujours latent, c’est l’aléa sous sa forme mortifère (« in case he did do – something dreadful », 54) ou joyeuse, comme lors de la scène représentant l’ère victorienne, où animées par les mouvements erratiques de l’idiot, les pattes arrière de l’âne se mettent à s’agiter, interrompant la récitation religieuse de Mr. Hardcastle : « Here the hindquarters of the donkey, represented by Albert the idiot, became active. Intentional was it, or accidental? » (101) On peut faire de cette question du public un énoncé métatextuel : l’« idiotie » apparaîtrait alors comme une non-souscription à un schéma écrit à l’avance et qu’il faudrait exécuter, brouillant la frontière entre l’incidentel et l’intentionnel, tandis que c’est l’instantané qui mobilise les forces créatrices : « “Look at the donkey! Look at the donkey!ˮ A titter drowned Mr. Hardcastle’s prayer » (102) Lorsque les pattes arrière de l’animal entrent en mouvement, les forces vives de l’intempestif qui irriguent les corps et les esprits se substituent ironiquement à la sagesse divine, tandis que Mr Hardcastle tente de poursuivre sa récitation : « bodies refreshed by thy bounty, and minds inspired by thy wisdom ». En lieu et place d’une sagesse divine, c’est l’idiotie qui vient réintroduire, par le biais de l’incident, « les aspérités, […] les soubresauts » du temps que la tradition avait aplanis28. Le devenir-animal de l’« idiotie », au lieu d’une abjection, d’une monstration ou d’une sujétion, apparaîtrait alors plutôt comme un devenir-créatif de la vie sensible, toujours en puissance, prête à devenir « active » comme antidote au mythe, ainsi que l’écrit Benjamin : « Dans le personnage du bêta, [le conte] nous montre comment l’humanité se protège du mythe en “faisant la bête” »29. Sa présence n’est pas gouvernée par un schème prévisible ou pré-écrit, ne souscrit pas aux directives de Miss La Trobe, mais se fait multiplicité déliée qui libère les formes du temps, ouvrant de nouvelles possibilités au langage.
La critique n’a pas manqué de souligner à quel point Between the Acts est, malgré son titre qui convoque la forme visuelle du spectacle, un texte pour l’oreille30. Le discours de l’« idiot du village » ne déroge pas à cette observation, animé de toutes les secousses qui sont aussi celles de son corps et génèrent une cascade de verbes de mouvement. L’« idiotie » devient alors cette mise en œuvre d’une joyeuse « folie » poétique articulée au rire, « the voice of folly and frivolity » dont Virginia Woolf, dans l’un de ses premiers essais, avait fait l’apologie31, rejoignant ainsi l’opposition nietzschéenne entre la sagesse et la vie. Je choisis de lire l’« idiot du village » non pas comme le symptôme d’une dégénérescence des temps, non pas comme une gargouille du temps inquiété qui « ricane et grimace »32, mais comme une figure de l’« impouvoir », puissance d’affirmation qui suspend le temps du savoir historique pour participer à l’invention d’une poétique sous la forme d’une danse intempestive.
La multiplicité des discours, des questionnements ou des affects que l’ « idiot » génère sur son passage atteste, on l’a dit, d’un effort pour pénétrer, circonscrire par le biais d’un savoir, l’opacité résistante qu’il constitue, et sur laquelle achoppent toutes les tentatives herméneutiques. A la fin de « the pageant », alors que les spectateurs se dispersent et s’éloignent peu à peu du lieu où s’est tenue la performance, les écheveaux de voix, bribes de commentaires constellées d’ellipses, cherchent sans relâche à forger une interprétation, c’est-à-dire à remonter jusqu’à l’intention de Miss La Trobe, et à reconstituer un savoir : « Did you understand the meaning? Well, he said she meant we all act all parts. . . . He said, too, if I caught his meaning, Nature takes part. . . . Then there was the idiot. . . . » (117) Pris dans les rets de ces fils de questionnement enchevêtrés mais sans se laisser saisir, l’idiot semble être le point aveugle où s’abîment, dans l’ellipse et le silence, les phrases articulées cherchant à construire un savoir, et qui, jusqu’à la fin du roman, vient inquiéter l’interprétation. De nouveau, à la page suivante : « The aeroplanes, I didn’t like to say it, made one think. . . . No, I thought it much too scrappy. Take the idiot. Did she mean, so to speak, something hidden, the unconscious as they call it? » (118) Le signifiant même d’« idiot » semble brouiller, déplacer sa propre référence (« something hidden, the unconscious as they call it? »), alors que se disséminent, dans l’air qui vibre des fragments de conversation, les termes renvoyant implicitement à un brouillage de la ligne continue d’un temps du savoir et de la civilisation qui, comme la phrase qui ne se déploie plus mais ne fait que se différer, involue vers l’archaïque : « It’s true, there’s a sense in which we all, I admit, are savages still. » (118) Retourner au degré zéro du savoir pour dessiner une ligne cheminant à rebours vers l’archaïque, voilà la manière dont la poétique woolfienne « [dessine] au centre d’elle-même l’infini d’une implosion temporelle »33, jusqu’à l’ironie de cette bribe de phrase qui commente le malaise ressenti lors de la scène finale où des miroirs sont présentés aux spectateurs : « One feels such a fool, caught unprotected . . . » (118). Ce qui est aussi « exposé » dans cette phrase, ce qui y est « unprotected », c’est le repli les unes sur les autres des catégories établies, qui font imploser leurs propres carcans jusqu’à mettre à nu celle du « fool », qui révèle un système de savoir érigé en système de pouvoir
Poser la question de l’idiotie en regard de la question du savoir et de son pouvoir sur la régie des corps et des places paraît presque trop évident à première vue, tant les deux notions sont traditionnellement opposées selon le paradigme d’une pathologie présumée, justement censée relever d’un retard, d’un contretemps par rapport à un savoir. Dans la poétique woolfienne cependant, cette question est posée de manière ironique par le biais d’un renversement du discours du savoir du côté de la figure de l’« idiot », qui fait du verbe du savoir et de la connaissance à la fois un motif anaphorique de son dire poétique, et le lieu où ce dire s’enraye :
I know where the tit nests, he began
In the hedgerow. I know, I know —
What don’t I know?
All your secrets, ladies,
And yours too, gentlemen . . .
[…]
« I know . . . I know . . . » Albert tittered, skipping round the soap box. (53-54)
C’est un discours qui se façonne d’une matière opaque, tout en plaçant paradoxalement le verbe du savoir en son cœur, jusqu’à ce qu’il en perde toute référence et en devienne presque illisible. Ce savoir sans objet et sans sujet ne se déplie ni dans le temps ni dans la phrase, en une explication de lui-même, mais reste à l’état de noyau, alors même que sa réitération, y compris sous forme de question, se fait appel à la création, trace d’un désir. C’est un savoir inappropriable, opaque et diffus, qui ne fait que s’interrompre ; un sens qui toujours se dérobe, qui « demeure en-deçà […] de tout « vouloir-dire », de toute intention de signifier »34. Le procès de la connaissance est alors transformé en pure musicalité, en trope poétique qui fait bégayer le savoir par le biais de la rime. La répétition peut alors s’entendre comme l’élan dynamique d’un savoir qui cherche son propre objet mais s’interrompt dans les points de suspension, et, par ce même élan qui n’a pas de finalité, comme la pure potentialité de quelque chose qui n’advient pas, ne s’actualise pas, mais se diffère à l’infini et reste contenu en puissance, en gestation dans le langage. Une puissance qui vient sourdre avant de jaillir en un éclat de rire, qui n’est pas sans rappeler le rire « barbare » par lequel Benjamin métaphorise la table rase de l’expérience, ce rire avec lequel l’humanité « s’apprête à survivre à la culture »35. Par ce rire sans objet de l’« idiot », ce qui était un défaut de savoir se retourne en dépense énergétique et poétique, une danse dionysiaque qui déborde les frontières temporelles et celles de l’individualité.
Contrairement aux autres acteurs de « the pageant », et malgré les multiples interruptions auxquelles leurs tirades dramatiques sont soumises, le dire présenté par l’« idiot du village » n’est pas articulé à une intrigue, qu’il s’agisse de l’intrigue historique représentée sur scène, de l’intrigue mythique dans laquelle il jouerait son propre rôle, ou de celle d’un récit qu’il livrerait à l’assemblée36. Son dire échappe d’emblée à toute prise du symbolique, traversé et animé de toutes les secousses où la parole comme puissance opère son frayage :
Hoppety, jiggety, Albert resumed,
In at the window, out at the door,
What does the little bird hear? (he whistled on his fingers.)
And see! There’s a mouse. . . .
(he made as if chasing it through the grass)
Now the clock strikes!
(he stood erect, puffing out his cheeks as if he were blowing
a dandelion clock)
One, two, three, four. . . .
And off he skipped, as if his turn was over. (54)
Une force d’excès anime la mimesis ludique qui figure les soubresauts du temps, lignes brisées d’une danse entrelaçant étroitement le grotesque et le sublime, à chaque verbe de mouvement dont les « lignes segmentaires explosent dans une ligne de fuite »37. Les signes de ponctuation qui prolifèrent viennent redoubler les tressaillements du langage au travail, interrompant sans cesse de leurs ellipses, de leurs zébrures, le dire qui ne devient jamais parole mais plutôt demeure en état de gestation, de potentialité sans cesse remise en œuvre. La musicalité des allitérations, des assonances, des onomatopées, rappelle les « nursery rhymes » traditionnels, un devenir qui fait signe vers une enfance qui serait aussi celle du langage. La phrase semble pouvoir être interrompue et reprise à l’infini, convoquant les réserves du fabulaire sans les entamer, et puisant à la réserve sans fond d’un langage libéré des contraintes du signifiant pour devenir pure phonè ; non pas « la langue sacrée d’une fondation et d’un serment »38 qui fonderait une communauté autour d’un sens, mais un « mode d’irruption absolu »39, « le « jaillissement » du poème dans sa possibilité, c’est-à-dire dans son « énigme » »40.
Sous l’effet de cette danse de joie, le temps se fait ligne de fuite dont jaillit une ligne de vitesse : « And off he skipped, as if his turn was over » (54). C’est une intensité fulgurante qui traverse la page, et dans laquelle on peut voir l’« image vraie du passé » dont parle Benjamin, celle qui « passe en un éclair. […] [U]ne image qui surgit et s’évanouit pour toujours à l’instant même où elle s’offre à la connaissance »41. Le temps serait alors, dans la poétique woolfienne de l’ « idiotie », ce qui toujours échappe à la connaissance et ne se constitue jamais en savoir, une fuite métaphorisée par la « clôture virtuelle »42 de la phrase, par une fin qui n’en est pas une, « as if his turn was over » (54), mais reste du côté de la spéculation, de l’inactualisé, ou de l’inactuel. La voix de l’idiot transforme le temps en matière mobile, mouvante, où la menace d’une interruption est constamment allégée par la puissance d’affirmation du mouvement bondissant qui ramène le langage vers son enfance43. C’est une comptine qui, justement, fait le décompte du temps, un temps métaphorisé par un jeu de mots par lequel l’horloge devient un pissenlit, emblème de l’éphémère : « Now the clock strikes! / (he stood erect, puffing out his cheeks as if he were blowing a dandelion clock) / One, two, three, four. . . . » (54) La voix de l’ « idiot » à la fois égrène les coups du temps et les suspend, ou les lance sur la ligne brisée des points de suspension44, par laquelle la « phrase lutte avec une folie d’ordre temporel. »45 La fuite du temps, qui s’abîme dans l’ellipse, est à la fois menace, « mouvement d’une chute dans le temps »46, et allègement du temps dont il transforme les coups d’airain, métaphorisés par l’horloge et par la rigidité du corps d’Albert, en matière organique dispersée au vent. Albert partage alors avec la figure du poète, au sens où l’entend Agamben, la capacité à « empêche[r] le temps de se rassembler »47, pour maintenir dans cet écart une poiesis à l’œuvre. Sa danse du corps est aussi une danse de la voix, puissance d’affirmation et puissance d’être, un flux dionysiaque qui agit bien « contre le temps », « sur le temps », et peut-être pour « alléger »48 le temps, le « délivrer »49, le « décharger »50 en « [faisant] de la vie la légère et l’active »51, pour reprendre les mots de Gilles Deleuze : « Affirmer, c’est alléger. »52
Si le nom d’« idiot » signale la nudité radicale d’une condition sociopolitique assignée à une place, il ne renvoie cependant à aucune autre fonction que celle d’être. L’« idiot du village » n’apparaît plus comme un « corps docil[e] » foucaldien,53 soumis aux « moyens de redressement », mais plutôt comme une pure puissance d’être, « un corps sans organes qui ne cesse de défaire l’organisme, de faire passer et circuler des particules asignifiantes, des intensités pures, et de s’attribuer les sujets auxquels il ne laisse plus qu’un nom comme trace d’une intensité »54. C’est de cette « trace d’intensité », qui émane de sa propre nudité, que se soutient son affirmation poétique, une nudité qui ne renvoie plus à la simplicité évidente du mythe, ou à une « vie nue […] exclue et exposée à la mort »55, mais plutôt la nudité d’un « impouvoir » d’une « très petite force »56 qui se constitue à la fois dans l’opacité impénétrable qui réserve le sens, et dans l’intensité insignifiante de ses objets, oiseau, souris, pissenlit, autant de matériaux du temps éphémère. Parole des « incomptés dans l’espace où ils sont comptables comme incomptés »57, la voix inactuelle de l’« idiot du village » dans Between the Acts se fait entendre à rebours de toute « parole tragique, [ou] parole de démesure »58, et se propose plutôt comme « ce pur – jamais pur – insolite, ce don de rien ou ce présent de rien »59. Un « don de rien » qui constitue la matière première de la récitation dérisoire de l’« idiot », à rebours de la solennité qui empreint parfois de manière comique le discours des autres acteurs ; un « présent de rien » qui retraverse de ses accents toniques la dimension de pathos liée à son inscription sociopolitique ; un « présent de rien », enfin, qui n’est pas un déficit de savoir, sur le versant d’une carence sociopolitique, mais plutôt une résistance vive, elle-même à la recherche du « vivant ».
Sa danse saccadée peut se lire comme un « geste pathétique [qui devient] puissance d’agir »60, une « célébration de l’impouvoir »61. Sous l’effet de cette puissance d’affirmation et d’être, ce qui se produit n’est pas un de ces soulèvements qui font l’histoire, mais une micro-énergie qui met en mouvement les forces non-historiques et engendre une « situation dynamique puissante »62, qui donne lieu à la création. « L’impasse » que constitue le pathos, « impasse du langage, de la pensée, de l’acte, de la liberté, de la transcendance »63, vole en éclats, et avec elle toute dimension victimaire et tout discours d’apitoiement. C’est de son « impouvoir » même, celui de sa condition sociopolitique, que jaillit la « joie » au sens que lui donne Deleuze dans l’Abécédaire, et qui est « l’effectuation d’une puissance »64, à rebours de tout « pouvoir » qui s’exercerait pour soumettre.
La figure de l’idiot et sa danse poétique dont l’affirmation légère vient « décharger » le temps historique n’apparaît pas à proprement parler comme un antidote au temps de l’histoire tragique dont le coup menace la poétique woolfienne dans Between the Acts, ainsi que l’écrit Chantal Delourme65. Voix d’un « savoir » qu’il ne détient pas, qui ne renvoie qu’au vide de l’ellipse et à l’énigme du rire, l’« idiot » échappe à l’archétype de l’« idiot » historique et littéraire comme détenteur d’une sagesse naturelle. Il n’est pas le « récitant » du mythe fondateur qui se donne à voir « disant, ou chantant, ou mimant le récit »66, mais peut-être partage-t-il l’anachronisme inactuel du « conteur » benjaminien dont « l’art […] consiste pour moitié à savoir rapporter une histoire sans y mêler d’explication »67. Son anachronisme proviendrait alors peut-être de cet « univers artisanal d’où provient le conteur »68, que l’on peut concevoir comme le creuset d’un poiein où s’inventent de « nouvelles formes de vie »69. Son anachronisme inactuel se retourne alors en kairos, à la fois occasion politique, invention d’« existences qui sont en même temps des inexistences ou des inexistences qui sont en même temps des existences »70, et comme occasion poétique qui agit sur le langage pour le transformer.
Á cet égard, la dernière apparition de l’« idiot du village » est emblématique de ce double kairos, moment « d’une mutation, d’une chose inouïe, hétérogène »71. Alors que la voix narrative rend compte du malaise de l’assistance après la scène du « temps présent », où les acteurs dissimulés derrière de grands miroirs viennent capturer les reflets des spectateurs, la puissance polyphonique de l’« idiot » et de sa boîte métallique destinée à recueillir la monnaie des spectateurs, vient repotentialiser la poétique menacée par une « force d’effraction, d’interruption et de mort »72 :
Hidden behind glasses they emerged. Coppers rattled. Silver jingled. But O what a pity — how creepy it made one feel! Here came Albert, the idiot, jingling his collecting box — an aluminium saucepan without a lid. […] Shillings were dropped. He rattled and sniggered; chattered and jibbered. (115)
La syncope tant redoutée par Lucy Swithin (« “Hope he don’t have a fit,” Lucy murmured », 54) se trouve ainsi transportée dans le langage : la crise n’y est plus le symptôme mortifère d’une pathologie qui menace de faire effraction, « something dreadful » (54), et qu’il faudrait exorciser (« Mrs. Parker […] appealed to Mr. Streatfield to exorcize this evil, to extend the protection of his cloth », 115) mais se transforme en kairos poétique sous la forme d’une secousse créatrice qui fait imploser la fonction référentielle du langage et désarticule la ligne vectorisée du logos, alors que le révérend Streatfield lance son appel aux dons :
Contemplating the idiot, Mr. Streatfield had lost the thread of his discourse. His command over words seemed gone. He twiddled the cross on his watchchain. Then his hand sought his trouser pocket. Surreptitiously he extracted a small silver box. It was plain to all that the natural desire of the natural man was overcoming him. He had no further use for words. (115)
La destitution de la solennité et de la fonction symbolique que l’« idiot » avait déjà exercée sur « Queen Eliza », le retour vers l’humain, l’abdication du pouvoir du logos sur les mots, redonnent ici à la « vie » prosaïque, créative, animale et humaine, « the natural desire of the natural man », son lieu et sa puissance. Les mots deviennent superflus lorsqu’ils ne sont plus articulés au fil d’un discours construit ; leur puissance ainsi libérée peut donner forme à la création poétique.
Ligne de faille qui traverse tout le roman à contretemps, ligne sonore polyphonique qui ramifie et démultiplie la voix du discours monologique, voix inactuelle qui fait vaciller les régimes du savoir, à la fois déborde et inquiète la tradition, poétique incongrue qui désarticule les discours jusqu’à leur abdication, la figure insaisissable de l’« idiot » du village serait cette question sans réponse qui toujours échappe au contrôle interprétatif. Il se façonne alors une poétique « idiote » qui, à l’inverse du gramophone assénant tout au long du roman ses sentences trop explicites, échapperait à l’injonction de s’articuler pour produire un sens, transmettre un savoir, une intention, un vouloir-dire. L’« idiot du village » dans sa potentialité intempestive, l’énigme de l’« idiotie » dans ce qu’elle fait à la langue et au texte, seraient peut-être autant de modalités par lesquelles la pensée et la poétique woolfiennes rechercheraient le contemporain73.
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1 V. Woolf, A Writer’s Diary, 279.
2 Citons notamment C. Ames et D. McWhirter (voir bibliographie).
3 V. Woolf, Between the Acts, 68. Les références suivantes seront données dans le corps du texte entre parenthèses.
4 Dans son article « Carnivalesque Comedy in Between the Acts », Christopher Ames identifie l’anachronisme de l’appellation comme relevant du stéréotype et de ses effets de violence et en même temps comme un signe de l’inclusion communielle de la figure marginale de l’idiot. C. Ames, « Carnivalesque Comedy in Between the Acts », 396.
5 Cette « perfection » est mentionnée sans être interrogée notamment par David McWhirter dans « The Novel, the Play, and the Book: Between the Acts and the Tragicomedy of History », 798, ainsi que par Mary Steussy Shanahan dans « Between the Acts : Virginia Woolf's Final Endeavor in Art », 133.
6 R. Barthes, Mythologies, 217.
7 Ibid.
8 G. Didi-Huberman. Peuples en larmes, peuples en armes, 46.
9 Michele Pridmore-Brown voit dans le malaise déclenché par l’idiot le symptôme d’une auto-abjection collective qui permettrait, par le biais de l’exclusion, d’asseoir une communauté hégémonique, de donner forme au fantasme d’un « nous » homogène fondé sur l’exclusion, tout comme le mépris de Giles pour l’homosexuel William Dodge serait un symptôme d’une haine de soi. « 1939-40: Of Virginia Woolf, Gramophones, and Fascism », 416-417.
10 P. Lacoue-Labarthe, La Poésie comme expérience, 81.
11 J. Rancière, La Mésentente, 61.
12 V. Woolf, Three Guineas, 109.
13 J.-F. Lyotard, « Sur la force des faibles », 30.
14 C’est le cas de la traduction de Geneviève Bianquis de 1954. F. Nietzsche. Considérations intempestives III et IV. Traduction et préface de Geneviève Bianquis. Paris : Aubier, 1954.
15 F. Nietzsche, « De l’utilité et des inconvénients de l’histoire pour la vie», 94.
16 Je m’inspire pour cette idée du titre et du propos de l’article de C. Delourme, « La Transmission inquiétée dans The Years de Virginia Woolf ».
17 W. Shakespeare, King Lear, 200.
18 W. Benjamin, « Sur le concept d’histoire », 431.
19 Ibid., 433.
20 Un paradigme dont l’importance dans le roman a été soulignée par plusieurs critiques notamment le cas de C. Delourme, « Between the Acts de Virginia Woolf : de l'intrigue parasitée à la parole »,154, 166.
21 G. Deleuze, F. Guattari, Mille Plateaux, 23.
22 F. Nietzsche, « De l’utilité et des inconvénients de l’histoire pour la vie », 94.
23 Ibid., 167.
24 Ibid., 101.
25 W. Benjamin, « Sur le concept d’histoire », 433.
26 Ibid.
27 « le fascisme […] garde […] toutes ses chances face à des adversaires qui s’opposent à lui au nom du progrès, compris comme une norme historique. » Ibid.
28 F. Proust, L’Histoire à contretemps, 20.
29 W. Benjamin, « Le Conteur », 141.
30 Voir notamment C. Joubert, « Le voir et le dire : la poétique de Virginia Woolf entre théâtre et théorie ».
31 V. Woolf, « The Value of Laughter », 59.
32 F. Proust, L’Histoire à contretemps. Cité par C. Delourme, « Between the Acts de Virginia Woolf : de l'intrigue parasitée à la parole », 165.
33 L. Jenny, La Parole singulière, 204.
34 P. Lacoue-Labarthe, La Poésie comme expérience, 24.
35 W. Benjamin, « Expérience et pauvreté », 372.
36 Sur la question du rapport à l’intrigue dans Between the Acts, voir l’article de Chantal Delourme. « Between the Acts de Virginia Woolf : de l'intrigue parasitée à la parole ».
37 G. Deleuze, F. Guattari, Mille Plateaux, 16.
38 J.-L. Nancy, La Communauté désœuvrée, 223.
39 L. Jenny, La Parole singulière, 212.
40 P. Lacoue-Labarthe, La Poésie comme expérience, 33.
41 W. Benjamin, « Sur le concept d’histoire », 430.
42 L. Jenny, La Parole singulière, 205.
43 Cette enfance, J.-F. Lyotard l’appelle « infantia, ce qui ne se parle pas. Une enfance qui n’est pas un âge de la vie et qui ne passe pas. »
44 On ne peut s’empêcher de penser, avec ces coups d’horloge silencieux, aux coups d’airain de Big Ben dans Mrs. Dalloway, qui eux aussi font entendre deux modalités du temps : « There! Out it boomed. First a warning, musical; then the hour, irrevocable. The leaden circles dissolved in the air ». Woolf, Virginia. Mrs Dalloway. 1925. London: Penguin, 2000, 4.
45 Ibid.
46 Ibid., 212.
47 G. Agamben, Qu’est-ce que le contemporain ?, 15.
48 G. Deleuze, Nietzsche et la philosophie, 212.
49 Ibid.
50 Ibid.
51 Ibid.
52 Ibid.
53 M. Foucault, Surveiller et punir, 159.
54 G. Deleuze, F. Guattari, Mille Plateaux, 10.
55 « une vie nue résiduelle et irréductible, qui doit être exclue et exposée à la mort comme telle ». G. Agamben, Homo sacer, 110.
56 J.-F. Lyotard, « Sur la force des faibles », 27.
57 J. Rancière, La Mésentente, 63.
58 P. Lacoue-Labarthe, La Poésie comme expérience, 40.
59 Ibid., 34.
60 Georges Didi-Huberman. Peuples en larmes, peuples en armes, 22.
61 Ibid., 180.
62 Ibid., 38.
63 Ibid., 25.
64 G. Deleuze, « J comme Joie », L’Abécédaire.
65 « Le roman est ainsi écrit sous la menace du coup de l’histoire, qui se rappelle à la poétique woolfienne, en sa force d’effraction, d’interruption et de mort, dont les échos se diffusent dans tous les suspens du coup qui s’égrènent dans le temps de cette journée ». C. Delourme, « Between the Acts de Virginia Woolf : de l'intrigue parasitée à la parole », 149.
66 J.-L. Nancy, La Communauté désœuvrée, 111.
67 W. Benjamin, « Le Conteur », 123.
68 Ibid, 128.
69 G. Deleuze, Nietzsche et la philosophie, 212.
70 Jacques Rancière, La Mésentente, 66.
71 Roland Barthes, Le Neutre, 219.
72 C. Delourme, « Between the Acts de Virginia Woolf : de l'intrigue parasitée à la parole », 149.
73 Sur cette question, voir l’ouvrage collectif C. Davison-Pégon, A.-M. Di Biasio-Smith (dir.), A Contemporary Woolf Contemporaine, Montpellier, Presses Universitaires de la Méditerranée, coll. Present Perfect, 2013.