Tiphaine Larroque
Université de Strasbourg
Cela n’a jamais eu lieu, jamais une première fois, et pourtant cela recommence, à nouveau, à nouveau, infiniment.1
Cette citation de Maurice Blanchot apparaît en lettres blanches sur un écran noir au début du film 35mm Poupées... qu’on les appelle. Elle ouvre une expérience de fascination suscitée par l’œuvre audiovisuelle qui a été réalisée en 1972 d’après une idée et un texte du psychanalyste Joseph Attié. Ce court-métrage exploite les effets conjoints des images, des sons mais aussi du langage, afin de captiver les spectateurs et de les mettre à l’épreuve d’une situation d’absence de temps analogue à celle décrite par Maurice Blanchot dans son ouvrage L’Espace littéraire, dans la mesure où il met en œuvre un
renversement qui [comme] dans l’absence de temps nous renvoie constamment à la présence de l’absence, mais à cette présence comme absence, à l’absence comme affirmation d’elle-même, affirmation où rien ne s’affirme, où rien ne cesse de s’affirmer, dans le harcèlement de l’indéfini, ce mouvement n’est pas dialectique.2
Si le motif des poupées n’est pas étranger à l’émergence de la fascination, les capacités d’expression propres à l’audiovisuel permettent d’exacerber cet état en entraînant les spectateurs dans une expérience phénoménologique du regard et de la voix. Les images (celles des photographies filmées représentant des poupées en tant que corps présents-absents), les paroles articulées doucement ou vociférées (dont le corps émetteur demeure invisible) et la musique (qui met en valeur le texte à l’aide de contrepoints ou en accompagnant sa phonique avec des sons) imposent une perception qui s’attache non plus seulement à ce qui est vu et entendu mais aussi aux processus et aux actions mêmes de la vision et de l’écoute. Une tension s’installe alors entre l’intériorité des individus voyant et entendant d’une part et l’objet regardé et écouté d’autre part. Elle accroît le pouvoir de séduction des images et des sons en stimulant l’attrait et la répulsion, l’obsession et le désir, l’aliénation et le manque, voire l’angoisse des spectateurs. Sans chercher à expliciter la nature de ce phénomène de fascination sur le plan psychologique, cet article propose d’examiner les mécanismes audiovisuels qui provoquent cette situation quelque peu paralysante pour les spectateurs. Au moyen de commentaires sur le texte de Joseph Attié associés à une analyse de la combinaison signifiante de la bande-sonore et de la bande-image, il s’agira donc de mettre en évidence la façon dont le médium film peut induire une expérience troublante de l’absence de temps qui met en cause ou qui neutralise les regardeurs. Pour ce faire, les rapports de réciprocité et de réversion entre le regard des spectateurs et l’objet audiovisuel seront envisagés avant de considérer le rôle de la voix – en tant que véhicule du langage qui engage autant les significations des mots que leur sonorité – dans la manifestation de la co-présence (ou la co-absence) de phénomènes opposés et par voie de conséquence dans l’expérience de la fascination. En dernier lieu, l’observation de la nature équivoque des poupées, en tant que triple image, permettra de concevoir le film Poupées… qu’on les appelle dans sa filiation avec « la fascination de l’absence de temps »3 décrite par Maurice Blanchot ou, si l’on se place du point de vue des spectateurs, il s’agira de percevoir l’affinité de l’expérience du visionnage avec celle de l’absence de temps.
L’œuvre filmique Poupées… qu’on les appelle est le fruit de rencontres et de projets entrepris au cours de plusieurs années. À la fin des années soixante, Joseph Attié a vu une photographie en noir et blanc d’une poupée ancienne, prise par l’artiste-vidéaste Robert Cahen. Interpellé par cette image, il lui a demandé d’en effectuer d’autres, dans l’intention de s’en servir comme support d’écriture. Entre 1969 et 1971, le psychanalyste a rédigé le texte Poupées… qu’on les appelle, alors destiné à une publication4 qui n’a pas été éditée dans l’immédiat mais qui a abouti en 2007. Entre temps, l’idée était venue de réaliser un film en agençant les matériaux existants. C’est ainsi que les photographies de Robert Cahen ont été filmées par le réalisateur Jean-Pierre Saire qui a ensuite monté les plans-séquences avec un enregistrement sonore du texte5 énoncé par la performeuse Karen Fenn, selon les recommandations de Joseph Attié. À ce montage s’est ajoutée une musique inspirée par les rushes et composée par Robert Cahen6. À la différence du livre, le médium film a permis de travailler les manifestations simultanées ou alternées des images et des sons, sous forme de paroles et de musique, afin de disposer les spectateurs à l’état de fascination.
Les poupées ont été photographiées par Robert Cahen chez les antiquaires de la rue Vaugirard à Paris, comme s’il s’agissait de véritables enfants, afin de leur conférer une présence humaine. Ainsi, l’une d’entre elles regarde l’objectif de l’appareil photo, et par extension les spectateurs, en tendant un bras vers eux. Le visage d’une autre, à l’expression pensive, se détache d’un fond flou, ses yeux tournés au loin vers le hors-champ de gauche (Fig. 1).
Poupées... qu’on les appelle, ©Robert Cahen
Une autre encore, la tête reposant sur un coussin, a des lueurs vives dans les pupilles et semble interroger affablement les spectateurs. Certaines ont quelque chose de maladif voire de morbide comme celles qui ont perdu leurs cheveux ou, plus singulièrement, celle dont les paupières inégalement abaissées lui façonnent un regard égaré, si ce n’est détraqué (Fig. 2).
Poupées... qu’on les appelle, ©Robert Cahen
Cette humanité troublante des poupées ainsi révélée dans les photographies est renforcée au moyen du filmage et du montage. Les déplacements de caméra, les zooms avant et arrière, les fondus enchaînés ainsi que les flous dus notamment aux surimpressions produisent des changements fluides de points de vue qui informent et transforment les expressions des visages. Ils animent artificiellement les poupées et leur apportent un supplément de vie. À deux reprises, la photographie d’une réelle petite fille apparaît au milieu de l’abondance des images de poupées qui défilent ou s’enchaînent en se fondant parfois l’une dans l’autre. La véritable présence humaine s’est insinuée au sein des artéfacts (Fig. 3).
Poupées...qu’on les appelle, ©Robert Cahen
Elle accentue par là même l’illusion de vie qui leur est accordée. La fillette, déguisée en poupée à l’occasion du carnaval de Bâle, s’est faite objet pour un temps. Dans le film, son image alimente l’ambiguïté des poupées qui sont, pour leur part et à l’inverse, des corps inertes simulant le vivant. L’apparente humanité des regards de poupées côtoie l’abîme de leur facticité. L’indécidabilité entre ces qualités contraires plonge les spectateurs dans une sensibilité oscillant entre une empathie qui les amène à oublier leur propre individualité et un hermétisme qui entraîne une réflexivité centrée sur l’énigme de leur intériorité. Cette dernière est d’ailleurs aussi constituée d’éléments opposés comme l’inné et l’acquis, la conscience et l’inconscience, la satisfaction et le manque, la présence et l’absence.
Au cours du visionnage du film, des visages de poupées peuvent survenir brusquement à l’écran au moyen de cuts7 ou, plus fréquemment, émerger d’un autre visage grâce aux fondus enchaînés. Cependant, quel que soit le mode d’apparition des images de poupées, quel que soit le phénomène visuel qui les soumette au regard des spectateurs, elles ne cessent pas d’apparaître et de disparaître. Lorsqu’elles naissent sous un autre visage déjà présent à l’écran avant de le recouvrir totalement, elles paraissent s’imposer aux regardeurs de façon autonome et organique c’est-à-dire sans obéir à une quelconque instance intentionnelle identifiable. De plus, certains visages de poupées sont récurrents mais ils ne sont pas toujours identiques à eux-mêmes dans la mesure où les points de vue, changeants et mouvants, adoptés par la caméra, les scrutent en les abordant de diverses manières. Perçues plusieurs fois au cours du film, les images de poupées, devenues familières mais cependant toujours impénétrables, se manifestent comme des apparitions-disparitions de l’objet du désir. Elles finissent par assaillir, piéger et aliéner le regard du spectateur qui tend alors à devenir étranger à lui-même. Le montage, fondé pour une grande part sur un jeu de zooms avant et arrière combiné à des fondus enchaînés, donne l’impression que les photographies de poupées souvent cadrées de près prolifèrent. Ainsi, la répétition et l’abondance de visages de poupées mais aussi les différentes vitesses avec lesquelles ils se succèdent à l’écran favorisent la disposition des spectateurs à entrer dans un état proche de la fascination tel qu’il a été décrit par Maurice Blanchot : « Quiconque est fasciné, ce qu’il voit, il ne le voit pas à proprement parler, mais cela le touche dans une proximité immédiate, cela le saisit et l’accapare, bien que cela le laisse absolument à distance »8.
De façon analogue à l’objet du regard fasciné, la composition musicale de Robert Cahen est donnée à entendre autant en tant que présence prégnante qu’absence manifestée : elle intègre pleinement le silence dans ses composants. Des sons font événement grâce à leur proximité avec d’autres de faible volume. Pour leur part, les nombreuses nappes sonores, qui se résorbent ou se déploient, soulignent et accompagnent le mouvement de réversion du regard, celui du spectateur porté sur les images et celui que les images de poupées lui retournent. Ce phénomène des images – qui nous dévisagent, nous envisagent, nous considèrent et déchiffrent quelque chose de notre intériorité – s’accroît proportionnellement avec la multiplication des regards de poupées, simulant si bien la palette des émotions humaines. Étant d’ailleurs bien souvent le point de focalisation des mouvements de caméra, les yeux de poupées sont examinés sous tous les angles par l’appareil d’enregistrement (Fig. 4).
Poupées...qu’on les appelle, ©Robert Cahen
Ils peuvent alors être regardés (et par conséquent engager le spectateur à se neutraliser, à se retirer de la scène) mais ils peuvent aussi retourner le regard (et par conséquent inciter le spectateur à se constituer en tant qu’objet d’un regard, à entrer en scène). Parfois sujets, parfois objets du regard, ou alors, ni sujets ni objets du regard, les spectateurs sont placés dans une condition indéterminée et contingente qui les empêche de se positionner durablement vis-à-vis des événements visuels et sonores qui s’imposent à eux. Dans cette optique, les photographies filmées de poupées fonctionnent à la fois comme une altérité irréductible qui tient à distance et un miroir de l’être qui le regarde. Ponctuées par des sons brefs et aigus, les nappes sonores oscillantes installent une atmosphère en suspension qui participe à la sensation de paralysie, sensation qui peut être associée à la fascination. Maurice Blanchot écrit encore à ce propos :
Ce milieu de la fascination, où ce que l’on voit saisit la vue et la rend interminable, où le regard se fige en lumière, où la lumière est le luisant absolu d’un œil qu’on ne voit pas, qu’on ne cesse pourtant de voir, car c’est notre propre regard en miroir, ce milieu est, par excellence, attirant, fascinant : lumière qui est aussi l’abîme, une lumière où l’on s’abîme, effrayante et attrayante.9
Similairement, le spectateur du film Poupées… qu’on les appelle tombe sous l’emprise des regards simulés, trompeurs et séduisants ou inquiétants des poupées. S’approchant par moment au plus près des yeux globuleux ou béants, vides ou luisants des objets fabriqués à notre image, le regard du spectateur ne se confond pas avec son œil. Il ne lui appartient pas ou plus, bien qu’il émane de son corps. Acté, sollicité voire réquisitionné, le regard du spectateur tend à se séparer de lui à l’instar de la voix qui, en tant qu’« expression corporelle de notre désir »10, sort du corps et n’en fait plus partie. Le spectateur tend à éprouver son regard comme un objet a, identifié par Jacques Lacan comme étant une partie de soi qui est détachée et donc à l’extérieur de soi. L’objet a est un objet libidinal perdu, toujours partiel, avec lequel les individus entretiennent une relation. Dans Poupées... qu’on les appelle, les spectateurs sont quasi contraints de considérer leur regard qui n’est pas leur œil et qui provient pourtant de leur corps. Relié à l’état de fascination, ce rapport au regard s’avère être, selon Jacques Lacan, un point zéro. Et cette disjonction entre le regardeur et son regard, qui neutralise le corps, associée à la confusion du sujet regardant vis-à-vis de l’objet regardé semble précisément être une manifestation de l’état de fascination. L’historien Jean-Pierre Vernant formule bien ce phénomène à propos du pouvoir de la Gorgone :
Par le jeu de la fascination, le voyeur est arraché à lui-même, dépossédé de son propre regard, investi et comme envahi par celui de la figure qui lui fait face et qui, par la terreur que ses traits et son œil mobilisent, s’empare de lui et le possède.11
Dans Poupées… qu’on les appelle, le texte de Joseph Attié est prononcé par la performeuse Karen Fenn qui n’est jamais visible à l’écran. Ainsi, la voix est séparée du corps émetteur et vaut uniquement en tant que vecteur de sons et d’idées. Dans ces circonstances, si « la voix sous sa forme séparable »12 demeure une expression corporelle du désir, elle est également, au moment du visionnage, une manifestation des mots qui ont « leurs fins en eux-mêmes »13. Cette capacité des mots a été relevée par Maurice Blanchot dans la poésie et plus particulièrement dans l’œuvre de Stéphane Mallarmé14. Dans cette optique, les mots de la poésie, comme ceux qui composent le texte de Joseph Attié, ne désignent pas des choses et ne donnent pas la parole à quelqu’un. Maurice Blanchot explicite cette idée :
Désormais ce n’est plus Mallarmé qui parle, mais le langage qui parle, le langage comme œuvre et l’œuvre du langage. […] Ainsi, le poète fait œuvre de pur langage et le langage en cette œuvre est retour à son essence.15
Aussi, conjointement à l’expérience du regard, le film Poupées… qu’on les appelle propose une expérience de la voix, de la matérialité des mots qui ont « leurs fins en eux-mêmes », des significations glissantes et ambiguës du langage, de la parole qui donne corps aux mots et des sons des mots qui induisent (appellent eux-mêmes) les mots suivants, c’est-à-dire qui semblent autodéterminer leur enchaînement dans un mouvement de retour à leur essence. La voix, détachée du corps émetteur, manifeste ainsi les mots qui tendent sans cesse à renvoyer à eux-mêmes, à affirmer leur être propre.
Prononcé et intégré à l’œuvre filmique, le texte de Joseph Attié se présente en effet comme une émanation de mots en tant que sonorités tout autant que signifiants. Les mots s’enchaînent : ils découlent les uns des autres – selon des rapports de consonance ou de dissonance, d’évidence ou d’aberration – comme s’ils réalisaient eux-mêmes l’œuvre. En résonance avec les procédés d’apparitions-disparitions des photographies de poupées, la succession des mots se déroule quasi organiquement. Ce texte met ainsi en jeu :
les deux manifestations du Langage, la Parole et l’Écriture […] : la Parole (en créant les analogies des choses par des analogies des sons), l’Écriture en marquant les gestes de l’Idée se manifestant par la parole.16
Car le langage s’expose au moyen d’une voix démonstrative véhiculant des sons et des idées dans le film Poupées… qu’on les appelle. D’abord douce et articulée, la voix féminine peut devenir rauque, comme possédée par une obsession, par le regard de l’autre, celui des poupées qui semble pourtant nous refléter. Telle une incantation, l’élocution peut prolonger les syllabes ; elle peut être saccadée ou plus coulée ; elle peut encore lier, délier et décomposer les mots, les fragmenter selon un rythme ou encore les vocaliser. La voix prend donc parfois des allures d’incantation, comme pour conjurer l’expérience du regard ou l’état de fascination. Pourtant, elle s’avère être, comme le regard, un objet a qui entraîne, certes différemment de celui-ci, une expérience liée à la fascination. Le support audiovisuel démontre ainsi son aptitude à combiner les effets respectifs de la voix et du regard, bien que leurs propriétés appartiennent à des pôles opposés. Marie-Hélène Brousse le formule clairement :
Le regard vient au début parce que justement il annule la séparation de l’objet a parfaitement bien. Et c’est le point zéro de la distance entre mon manque et l’Autre. Tandis que la voix c’est, au contraire, le point infini, d’infinitude, qui accroît la distance entre mon manque et l’Autre [...].17
Si la situation mentale et physique dans laquelle est placé le spectateur peut correspondre à l’inquiétante étrangeté théorisée par Sigmund Freud, elle semble surtout rejoindre l’expérience simultanée, et donc troublante, des deux pôles (le point zéro du regard et le point infini de la voix) dégagés par Jacques Lacan.
Faisant écho à la juxtaposition des pôles opposés dans la bande-sonore – c’est-à-dire à l’association des sons aigus, brefs et secs d’une part et d’autre part des sons graves, longs, aux intensités croissantes ou décroissantes –, le mot « poupée » prononcé deux fois, d’abord doucement puis violemment, semble exprimer la proximité, voire la co-présence (ou la co-absence) des antinomies : la coïncidence et la distance, l’être et le non-être, le vivant et l’inerte, la présence et l’absence, la matière et le vide, l’attraction et la répulsion, l’autre et soi, l’effectif, le réel et les désirs, les fantasmes. Éprouvée par le biais de la voix et de la musique, cette co-présence (ou co-absence) s’opère encore au moyen du texte énoncé qui fonctionne selon plusieurs gestes d’écriture. L’un d’entre eux consiste à combiner les principes de répétition, d’inversion de l’ordre des mots et de substitution :
entre adulte et enfant
ni adulte ni enfant
enfant de l’adulte
et adulte de l’enfant adulte (Attié)
La conjonction de coordination « et », c’est-à-dire l’ajout ou l’association, est remplacée par son opposé, « ni », l’exclusion. La présence et l’absence renvoient donc l’un à l’autre. Et l’exclusion signifiée par le « ni », qui contient aussi l’ajout (ni l’un, ni l’autre), révèle une négation, une « chose qui ne se conçoit que par des indices négatifs »18 (« ni adulte ni enfant »). Celle-ci, en tant qu’absence présente, existe alors entre l’adulte et l’enfant, et par voie de conséquence, elle les relie. « Si [comme l’écrit Christine Leroy] le mot […] a pour vocation de créer ce dont il présente l’absence, […] et à cet égard de faire du lien dans la séparation »19, ici, le remplacement du « et » par le « ni » affirme sa fonction de présenter l’absence, et l’inversion, elle, suggère un lien de réciprocité et opère une réversion : « l’enfant de l’adulte » deviendra « l’enfant adulte » ou « l’image de l’adulte enfant » (Attié). Dans ce contexte, la poupée, pouvant être enfant ou adulte, s’affirme comme une image malléable apte à cristalliser les désirs et les aversions c’est-à-dire les entités subjectivement idéales et celles irrémédiablement perdues. En effet, la voix poursuit :
sois
lui dit-on sans ironie
image de l’adulte enfant
image de l’enfant adulte
adulte image de l’enfant
enfant image de l’adulte
et adultère l’emprise
dans l’arête du regard. (Attié)
À ce moment, l’inversion de l’ordre des mots est associée à l’emploi de familles de mots. Cet autre geste d’écriture permet de mettre en œuvre un glissement, un déroulement de « l’Idée se manifestant par la parole »20, qui est soulignée dans le film par un roulement de tambour très doux.
Dans le texte de Joseph Attié, le développement quasi organique de l’Idée, qui modèle les images de poupées lors du visionnage, passe encore par l’usage des allitérations, des paronomases, des analogies de consonance, devant être considérées pour le flux sémantique qui en émane et pour leur valeur sonore. Cela est le cas de façon particulièrement éloquente lors d’un passage du texte dont les quatre premiers mots sont prononcés d’une voix veloutée qui bascule brusquement en cris heurtés :
violence des yeux utérins
violence hagarde perdue éperdue perdurante pressante et perçante porteuse d’une portée comme porcelaine et porte perturbée comme béance (Attié)
De ces accords phoniques et rythmiques résulte une chaîne de paroles dont les sons déploient les signifiants. Les spectateurs entrent dans le pur langage qui fait œuvre et qui fait, ici, fonctionner les consonances des mots sous-tendus par les significations qu’ils cachent. Cette autre juxtaposition de mots vociférés, et pour certains étirés, en est un autre exemple :
Vol viol vomir son verbe sa bave sa lave et toute enclave figée et défiée et divinisée et déniée et voilée et dévoilée et dessalée de toute lavasserie hivernant et utérine (Attié)
La voix féminine façonne les images et manifeste, dans le même temps, le langage qui est simultanément signifiant et phonique. La suite de mots « vol viol vomir » cache tout à la fois un corps physique suggéré par les mots « vomir », « bave » et « utérine » ainsi qu’un corps psychologique insinué par les termes « défiée », « divinisée », « déniée », « dessalée », « lavasserie ». Et ce corps double est présent-absent au regard des mots « enclave », « déniée », « voilée », « dévoilée », « hivernante », « utérine ». Il rappelle que les poupées sont des images manipulables tant matériellement que mentalement. Lorsqu’ils sont prononcés, certains mots acquièrent une ambiguïté polysémique plus grande qui est en quelque sorte retranscrite par l’absence de ponctuation du texte typographié21 (à l’exception des parenthèses). Ainsi, le mot « vol » peut renvoyer tout autant à l’envol dans les airs, à la libération de l’emprise du regard qu’à l’acte de déposséder quelqu’un de ce qui lui appartient. Cette dernière signification résonne avec le manque et l’absence qui provoquent potentiellement l’angoisse, cet état psychologique conçu par Jacques Lacan comme étant dans un rapport essentiel au désir de l’Autre22.
L’absence et le manque suggèrent que la chose, qui n’est pas, a été. L’enfance a été pour tout adulte et elle n’est plus. Elle peut toujours être maintenant une « image de l’adulte enfant » (Attié) et, selon le même phénomène de réversion que celui du regard déjà constaté dans le film Poupées… qu’on les appelle, l’« image de l’adulte enfant » engage l’« image de l’enfant adulte » (Attié). Dans le film, les poupées fonctionnent précisément en tant qu’images. Si le montage fait entrer le regard des spectateurs dans les photographies par le biais de zooms avant, lents ou rapides, isolant ainsi des fragments de corps de poupées et notamment leur œil, à l’inverse, des zooms arrière restituent l’ensemble de leur visage ou de leur buste et, dans un même mouvement, les cadrages originaux des photographies de Robert Cahen. Ces dernières s’affirment alors bien comme des images filmées qui intronisent en outre l’objet poupée comme une image. D’emblée, le premier plan-séquence fait connaître l’objet du filmage, c’est-à-dire les images que sont les photographies : la caméra glisse à l’aide d’un banc-titre le long d’une suite de photographies disposées à l’horizontale qui entrent, de ce fait, dans le champ depuis la gauche et en sortent à droite (Fig. 5).
Poupées... qu’on les appelle, ©Robert Cahen
Si les images du film sont des images d’images, leur motif ajoute un autre type d’images. En effet, les poupées sont triplement des images : en tant que représentations photographiques, filmiques et aussi symboliques. Dans ce dernier cas, elles renvoient, entre autres, à l’enfant et plus généralement à l’enfance, comme l’indique la musique de générique, au début et à la fin du film. Celle-ci consiste en des voix d’enfants chantant le refrain de la berceuse Ma poupée chérie dont le texte et la mélodie ont été écrits en 1914 par Marie-Joseph-Alexandre Déodat de Séverac.
Ma poupée chérie ne veut pas dormir,
Petit ange mien, tu me fais souffrir...
Ferme tes doux yeux, tes yeux de saphir,
Dors poupée, dors, dors ! ou je vais mourir
Dans cette berceuse, l’enfant est assimilé à une poupée. Il est fait objet, pouvant par là même être façonné par des manipulations physiques mais également mentales et ce, de la même manière que la poupée avec laquelle l’adulte jouait lorsqu’il était enfant ou encore comme un objet du désir. L’enfant est donc regardé comme une poupée et il se fait lui-même poupée. La photographie de la véritable petite fille déguisée, qui a été mêlée dans le film avec celles de poupées anciennes, démontre cette réification de l’enfant. Ce dernier est exposé ou s’expose alors au même traitement que son modèle, la poupée qui devient parfois une idole, parfois un rebut, suscitant le fétichisme ou la maltraitance. La voix énonce avec une intonation relâchée :
et du travers à l’endroit
objet baroque et mal manié
modèle à être et pour être (Attié)
Or, la poupée est un modèle ambigu dans la mesure où elle manifeste la co-présence (ou la co-absence) de phénomènes opposés. Dès le début du film, la voix affirme posément que la poupée est à la fois adulte (notamment femme au regard des photographies de poupées élégantes ou aguichantes23) et enfant, et par conséquent enfant-adulte mais aussi présence et absence. Et ce modèle équivoque s’avère être imposé autant depuis l’extériorité des individus que depuis leur intériorité ; il est porté et prescrit par le regard et la voix séparés des corps.
et on a demandé à l’enfant de prendre ce cri comme modèle
(à ne pas être bien sûr
mais peut-être
parfois
sans qu’on le demande
et pas pour longtemps
l’espace d’un regard
ou d’un souvenir
à représenter) (Attié)
La poupée et l’enfant sont donc des créations du regard. Dès le commencement de l’expérience du regard et de la voix qu’est le film Poupées… qu’on les appelle, l’enfance est caractérisée par une circonstance visuelle inopinée : « et puis regard ici en l’occurrence » (Attié). Par la suite, le regard, qui forge l’enfant-poupée, est assimilé à un cri : « et on a demandé à l’enfant de prendre ce cri comme modèle » (Attié). L’enfant-poupée, comme création du regard, est donc désir manifesté par la voix :
et il s’agit de ce regard échappé
du geste de l’adulte
et l’adulte est un regard (faussé)
l’enfant en est un autre (mimé) (Attié)
L’enfant-poupée est façonné, forgé, voire assujetti par le sujet qui le regarde. Mais ce dernier devient, en retour, étranger à lui-même en s’abîmant24 dans le regard des poupées-enfants. Cette relation réversible entre le sujet regardant et l’objet de son désir crée une situation perturbante de tension physique et psychologique à laquelle il est difficile d’échapper, si ce n’est en cessant l’échange de regard. Or, cette action de se soustraire au processus de vision est précisément ce qui devient impossible lorsque l’on est fasciné25. Par exemple, dans la berceuse chantée par des enfants, l’adulte qu’ils incarnent et qui berce l’enfant-poupée souffre à la vue des yeux ouverts, à la vue des yeux qui lui retournent son regard (Fig. 6) :
Petit ange mien, tu me fais souffrir...
Ferme tes doux yeux, tes yeux de saphir, […]
Poupées...qu’on les appelle, ©Robert Cahen
Plus tard au cours du film, la voix féminine, entendue avec un léger écho, formule plus tranquillement ce rapport paralysant, alors même que le point de vue offert aux spectateurs du film s’approche progressivement des yeux aux longs cils d’une ravissante poupée dont le double apparaît, plus proche, avant de s’éloigner :
Poupée
à l’arête et à l’articulation du regard
innocent
et tout désir suspendu
dans l’effroi d’un regard
et toute visibilité offerte à la lecture
mais où ma lecture me lit
(toute chose lecturable) (Attié)
Ainsi, le regard réversible opère une sorte de neutralisation de celui qui regarde et qui est vu : le désir se suspend dans l’expérience du regard, du déchiffrement visuel. Le film Poupées… qu’on les appelle accomplit cette neutralisation au moyen de passages incessants entre, d’une part, l’imposition d’un regard autre, celui de la poupée qui renvoie symboliquement à l’enfance et, d’autre part, la reconnaissance de soi dans cet autre regard qui est angoissant, obsédant, fascinant, séduisant et aliénant. Un passage du texte de Joseph Attié, qui n’a pas été retenu dans sa version audiovisuelle, accuse pourtant ce phénomène :
et l’enfant s’est vite reconnu dans cette tête fêlée dans cette fixité du regard dans cette présence absente dans cet objet nain dans l’obscénité d’une joue dans cette innocence trouble dans ces lèvres cruelles dans ces autres fourbes dans cet air simplement hagard ou dans cette poupée qu’on a tout simplement faite poupée c’est-à-dire comme double image aliénante (jolie comme une poupée) (Attié)
Dans le film, les poupées, devenues images aliénantes, tendent à déclencher la fascination : leurs images multipliées troublent le regard des spectateurs qui se porte sur elles, et elles sont aussi elles-mêmes troublées par les rendus des surimpressions qui peuvent dédoubler les yeux d’une poupée au sein d’une même image. D’ailleurs, Maurice Blanchot relève que notre enfance peut nous fasciner parce qu’elle est, elle aussi, une image. Il explicite cette expérience particulière de l’image en soulignant le fait qu’elle ne nous laisse pas « hors de cause »26, comme des regards extérieurs et distancés, des regards indifférents à ce qui se joue dans le face-à-face avec l’image. Au contraire l’image « nous livre profondément à nous-mêmes »27. Suite à un écran noir, à l’instant même où la musique reprend et au moment même où le visage d’une poupée surgit puis grossit brusquement, la voix manifeste l’état de fascination au moyen d’une suite de mots prononcée de façon saccadée avec une accélération du tempo :
et le voilà objet libre regard tendu et déniant tout déni et happant tout regard perdu d’avance dans cette avancée vieillissante et frissonnante et fascinante de tout regard bousculé (Attié)
L’expérience du regard et de la voix, énoncée et regardée, que propose le film Poupées… qu’on les appelle semble correspondre au phénomène de la fascination tel qu’il est expliqué par Maurice Blanchot :
La fascination est fondamentalement liée à la présence neutre impersonnelle, le On indéterminé, l’immense Quelqu’un sans figure. Elle est la relation que le regard entretient, relation elle-même neutre et impersonnelle, avec la profondeur sans regard et sans contour, l’absence qu’on voit parce qu’aveuglante.28
En effet, dans le film, le regard fascine parce qu’il renvoie à l’absence d’être, comme celui des poupées qui sont ce « Quelqu’un sans figure »29, à la présence neutre impersonnelle. Constamment, les visages de poupées, inertes et artificiellement animés, apparaissent et disparaissent. À la fois familières et étrangères, leurs images équivoques désignent l’enfance mais elles ne la représentent pas. Elles réalisent alors, dans la durée de l’expérience audiovisuelle, un moment qui s’apparente à l’absence de temps tel qu’il est envisagé par Maurice Blanchot :
L’absence de temps […] un temps sans négation, sans décision, quand ici est aussi bien nulle part, que chaque chose se retire en son image et que le « Je » que nous sommes se reconnaît en s’abîmant dans la neutralité d’un « Il » sans figure. Le temps de l’absence de temps est sans présent, sans présence. Ce « sans présent » ne renvoie cependant pas à un passé. […] Mais ce qui est sans présent n’accepte pas non plus le présent d’un souvenir. Le souvenir dit de l’événement : cela a été une fois, et maintenant jamais plus. De ce qui est sans présent, de ce qui n’est même pas là comme ayant été, le caractère irrémédiable dit : cela n’a jamais eu lieu, jamais une première fois, et pourtant cela recommence, à nouveau, à nouveau, infiniment. C’est sans fin, sans commencement. C’est sans avenir.30
La phrase en caractères gras a été choisie pour ouvrir l’expérience d’images, de langage et de sons (c’est-à-dire du regard et de la voix) qu’est le film Poupées… qu’on les appelle. Cette citation en exergue n’est cependant pas prononcée mais elle est proposée à la lecture silencieuse du spectateur qui favorise leur investissement dans cette expérience des mots qui ont « leurs fins en eux-mêmes »31.
Attié, Joseph, Robert Cahen et Patrizio Esposito. Poupées... qu’on les appelle : Joseph Attié, Robert Cahen, dix-sept photographies plus une ; Joseph Attié, un poème ; Patrizio Esposito, lungo il corpo. Napoli: L’Alfabeto Urbano, 2007.
Attié, Joseph. Mallarmé le livre : étude psychanalytique. Coll. Anamorphoses. Nice : Édition du Losange, 2007.
Blanchot, Maurice. L’Espace littéraire. Paris : Gallimard, 1955.
Brousse, Marie-Hélène. « Objets étranges, objets immatériels : pourquoi Lacan inclut la voix et le regard dans la série des objets freudiens ? ». Arquivos. Brasileiros de psicologia 59.2 (2007) : 287-293: http://seer.psicologia.ufrj.br/index.php/abp/article/view/199/133#2a (dernière consultation le 11 novembre 2017)
Lacan, Jacques. Le Séminaire. Livre X. L’Angoisse (1962-1963). Champ freudien. Paris : Seuil, 2004.
Leroy, Christine. « L’Addiction au prisme de la création artistique – Atelier du Campus Condorcet ». Paris : EsPAS (Esthétique de la Performance et des Arts du Spectacle), 2014 : http://www.institut-acte.cnrs.fr/espas/2014/05/17/atelier-campus-condorcet-laddiction-au-prisme-de-la-creation-artistique/ (dernière consultation le 11 novembre 2017)
Lischi, Sandra. The Sight of Time: Films and Videos by Robert Cahen. 1991. Pisa: Edizioni, 1997.
Lojkine, Stéphane. « De la chaîne signifiante à l’entrelacs du visible : le tournant du Séminaire XI sur Les Quatre Concepts fondamentaux de la psychanalyse ». Aix-Marseille : Utpictura 18 (2012) : http://utpictura18.univ-montp3.fr/Dispositifs/Lacan_sem11.php (dernière consultation le 11 novembre 2017)
Mallarmé, Stéphane. « Notes sur le langage ». Œuvres complètes. Vol.1. Paris : Gallimard, 1998. 501-512.
Vernant, Jean-Pierre. La Mort dans les yeux. Figure de l’Autre en Grèce ancienne. Atémis, Gorgô. Textes du XXe siècle. Paris : Hachette, 1985.
1 M. Blanchot, L’Espace littéraire, 21.
2 Ibid., 22.
3 Ibid., 20-22.
4 J. Attié, R. Cahen, P. Esposito, Poupées... qu’on les appelle : Joseph Attié, Robert Cahen, dix-sept photographies plus une ; Joseph Attié, un poème ; Patrizio Esposito, lungo il corpo. Ce livre a été publié en tirage limité.
5 À noter que le texte entendu dans le film constitue une autre version du texte Poupées… qu’on les appelle car il a été mêlé à des extraits de poèmes de Joseph Attié.
6 Compositeur de formation, Robert Cahen a participé au GRM (Groupe de Recherche Musicale) qui a été fondé en 1958 par le père de la musique concrète, Pierre Schaeffer.
7 Un cut est l’opération lors du montage qui consiste à juxtaposer un plan-séquence à la suite d’un autre sans effet intermédiaire.
8 M. Blanchot, op. cit., 24.
9 Ibid., 24.
10 S. Lojkine, « De la chaîne signifiante... », n.p.
11 J-P. Vernant, La Mort dans les yeux, 80.
12 M-H. Brousse, « Objets étrangers, ... », n.p.
13 M. Blanchot, op. cit., 34 : « Cela signifie d’abord que les mots, ayant l’initiative, ne doivent pas servir à désigner quelque chose ni donner voix à personne, mais qu’ils ont leurs fins en eux-mêmes ».
14 Voir la partie « L’expérience littéraire de Mallarmé », M. Blanchot, op. cit., 30-41. À noter que Joseph Attié a publié un livre sur Mallarmé intitulé Mallarmé le livre : étude psychanalytique, Nice : Éd. du Losange, 2007.
15 M. Blanchot, op. cit., 34.
16 S. Mallarmé, « Notes sur le langage », 506. À noter que ce propos de Stéphane Mallarmé a été cité par Joseph Attié lors de son intervention dans l’Atelier « Écriture et réel » organisé en 2011 par le Centre de recherche et d’intervention en psychanalyse appliquée (CRIPSA) à Charleroi (Belgique).
17 M-H. Brousse, op. cit., n.p.
18 Définition du mot « négation » dans le domaine de la philosophie. Dictionnaire CNRTL (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, (en ligne) : http://www.cnrtl.fr/definition/n%C3%A9gation
19 C. Leroy, « L’Addiction... », n.p.
20 S. Mallarmé, op. cit., 506.
21 J. Attié, R. Cahen.P. Esposito, Poupées..., n.p. Une autre version du texte a été publiée dans S. Lischi, The Sight of Time.
22 J. Lacan, Le Séminaire. Livre X. L’Angoisse.
23 Les couplets de la berceuse, qui ne sont pas entendus dans le film Poupées… qu’on les appelle, considèrent l’enfant-poupée comme une femme. Le bébé résiste à la volonté de l’adulte qui le berce en refusant de fermer ses yeux. Aussi, l’adulte cherche à le convaincre de bien vouloir dormir en lui promettant des parures de femme et un mari :
« Il faudrait, je crois, pour te rendre sage,
Un manteau de soie, de riches corsages,
Tu voudrais des roses à ton clair béguin
Des bijoux d’or fin et mille autres choses
[...]
Quand parrain viendra, sur son âne gris,
Il t’apportera de son grand Paris
Un petit mari qui dira : « papa »
Et qui dormira quand on le voudra. »
24 Ce terme renvoie à l’usage qu’en fait Maurice Blanchot dans L’Espace littéraire. Ce phénomène du sujet qui s’abîme s’opère au moment de la fascination et de l’expérience de l’absence de temps : « le regard se fige en lumière […] lumière qui est aussi l’abîme, une lumière où l’on s’abîme, effrayante et attrayante » (citation déjà mentionnée dans cet article) ; « le “Je” que nous sommes se reconnaît en s’abîmant dans la neutralité d’un “Il” sans figure. » M. Blanchot, op. cit., 24 et 21.
25 Jean-Pierre Vernant, par exemple, le rappelle dans son texte sur la Gorgone déjà cité : « la fascination signifie que l’homme ne peut plus détacher son regard, détourner son visage de la Puissance, que son œil se perd dans celui de la Puissance qui le regarde comme il la regarde, qu’il est lui-même projeté dans le monde auquel préside cette Puissance. » J-P. Vernant, op. cit., 80.
26 M. Blanchot, op. cit., 274.
27 Ibid., 275.
28 Ibid., 24.
29 Ibid., 24.
30 Ibid., 21.
31 Ibid., 34.