Fulguration d’Ellsworth Kelly

Richard Phelan

Université Aix-Marseille

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  1. Capture d'écran d'un clip vidéo sur le site du musée Granet d’Aix-en-Provence à l’occasion de l’exposition « Icônes américaines » (2015)

Introduction

  1. Ce que tente l’artiste américain Ellsworth Kelly (1923-2015) est une entreprise proprement prométhéenne : façonner comme son aîné Barnett Newman (1905-1970) des blocs sans afféterie, des épiphanies lumineuses et précises, des œuvres qui frappent, qui foudroient, qui opposent à un expressionnisme abstrait gestural déjà académique et à une figuration depuis longtemps devenue fade une nouvelle… fulguration. Pour Gottfried Boehm, historien de l’art et commissaire d’exposition à Bâle, Kelly a voulu créer, tout simplement, un nouvel art : « A new and totally original approach to the very concept of painting, to the whole idea of what art might be » (Boehm 2, 17).

  2. Quoique fabriquée en décalage avec l’art qui se produit alors aux États-Unis, l’œuvre d’Ellsworth Kelly partage avec le minimalisme et le Pop Art américain la volonté d’affirmer l’œuvre en tant qu’objet. Les œuvres que fabriquent Kelly et ses contemporains américains des années 60 délaissent souvent le cadre, mais ne sont pas moins travaillées par la nécessité de se constituer en « piège(s) à regard » (Lacan 102). Au contraire, elles portent très haut l’auto-signalement, faisant de ce que l’on pourrait appeler la fonction signalétique une question essentielle. De cette hypertrophie signalétique provient un grand pouvoir de captation, une nouvelle capacité à subjuguer de sorte que l’on pourrait avancer que leur recherche de visibilité relève, pour partie en tout cas, d’une stratégie de séduction.

  3. Séduire, emmener à l’écart, provient du latin seducere, composé de se qui marque l’éloignement ou la privation et de ducere « tirer à soi », d’où « conduire, mener » et, dans la langue familière, « tromper »1. Dans le domaine visuel, séduire consiste peut-être pour l’artiste à exalter l’apparence de son œuvre afin que celle-ci ait une emprise sur le spectateur conduisant celui-ci à l’écart des autres œuvres. Dans ce déplacement, une question pourra surgir : l’imposition à laquelle le spectateur consent va-t-elle s’avérer promesse trompeuse ? L’expérience visuelle du spectateur se scindera-t-elle en deux temps : capituler devant une puissance magique et découvrir plus tard que la réalité de l’œuvre est ailleurs ?  La question prend ici un tournant humoristique quand on apprend par sa biographie que le jeune Ellsworth Kelly a travaillé précisément sur la tromperie visuelle : c’était dans le bataillon américain de camouflage militaire (Engineers Camouflage Battalion) pendant le débarquement en Normandie2. La continuité de cet intérêt est indiquée dans plusieurs déclarations de l’artiste : « I’ve always been interested in things that don’t make sense out of context, that lead into something else »3.

  4. Notre hypothèse dans le cas de Kelly est que la séduction passe par la manière dont l’artiste a investi et sublimé l’espace du cadre. Nous ferons donc appel dans un premier temps (‘Théorème’) à des notions développées lors d’une étude approfondie sur le cadre (et son absence) dans la peinture américaine, thèse présentée à l’université de Lyon 2 en 2006. Nous confronterons ensuite ces notions à quelques œuvres produites au cours de la carrière de l’artiste. Afin de dire de manière plus sensible la séduction à l’œuvre, nous nous autoriserons dans cette deuxième partie (‘Démonstrations’) des écarts par rapport au discours académique. Nous finirons de manière plus formelle pour synthétiser et re-théoriser ces observations faites devant les monstrations de l’artiste.

  5. Un des risques de ce travail est de partir d’impressions, de sensations et d’effets qui ne seraient ressentis que subjectivement ; un autre est d’échouer à parler, comme dans le domaine interpersonnel, de ce qui crée la séduction ; un troisième est de s’éloigner par la théorisation de son objet (car le discours académique vise aussi sa séduction) ; un dernier celui d’analyser un trait qui ne serait pas essentiel à l’œuvre. Ce dernier risque, au moins, nous semble écarté dans le cas d’Ellsworth Kelly tant la puissance de captation semble définir son œuvre, comme le démontre, nous l’espérons, notre première image, capture d’écran d’un document à usage publicitaire pour une exposition intitulée Icônes américaines co-organisée en 2015 par le musée d’art moderne de San Francisco (le SF MoMA), le Grand Palais à Paris et le musée Granet d’Aix-en-Provence. La photographie montre des spectatrices comme hypnotisées devant Spectrum 1 (1953) d’Ellsworth Kelly.

  6. Cette œuvre est présentée dans la photographie avec un encadrement simple en saillie dont le blanc contraste avec le tableau aux bandes verticales de couleur. Mais Kelly fait partie des artistes qui en avançant dans leur travail se passent, comme Mark Rothko (1903-1970), de cadre traditionnel pour présenter leurs œuvres. Souvent, il n’y a rien que la toile dont le spectateur voit le bord nu ; parfois une simple baguette entoure le tableau. L’abstraction avait rendu l’objet-cadre inessentiel à leur esthétique et, selon de nombreux artistes, contradictoire même avec leurs visées sur le spectateur. Mais en l’absence de l’objet empirique, ce que l’on pourrait appeler, d’après le terme parergon utilisé par Kant et Derrida, la fonction parergonale est réalisée par d’autres moyens. Ces moyens comprennent la simplification de la forme et de la couleur, voire le monochrome, le recours au grand format, la toile découpée ou formatée (shaped canvas), l’usage de panneaux multiples et la scénographie dans l’espace. En lieu du cadre ornemental, l’artiste intègre à l’intérieur de l’œuvre son adresse au spectateur. Ceci contribue au pouvoir dynamisant de l’art américain acquis dans les années 1940 et pleinement exercé dans les années 1960, une puissance que Kelly partage à la fois avec Rothko et Newman et avec Roy Lichtenstein et Frank Stella.

  7. Grâce au G.I. Bill, l’ancien combattant de la Seconde Guerre mondiale Ellsworth Kelly obtient une bourse pour étudier l’art à Boston, mais revient en France en 1948, perdant contact avec l’expressionnisme abstrait alors en vogue à New York. Son regard est aiguisé par un environnement qui lui est étranger et où la perception d’une fenêtre ou d’une borne kilométrique lui dictent des formes qu’il traduira en œuvres plastiques4. L’art qu’il crée dialogue davantage avec l’art français et parisien, en particulier celui de Matisse, Brancusi et Arp, mais aussi de Monet5. C’est en France qu’il peint Spectrum I. Quand Kelly retourne aux États-Unis en 1954, il a déjà trouvé son style ; effectuée dans des formats plus grands et incluant désormais la sculpture, son œuvre sera perçue dans son originalité chromatique par rapport à l’art américain, ses bords nets (hard-edged painting) en rupture par rapport aux contours flous de Rothko ; on y percevra une harmonie avec les esthétiques froides (minimalistes et Pop) qui domineront les années 606. Dorothy Miller l’inclut avec Stella, Jasper Johns, Robert Rauschenberg, et Louise Nevelson dans l’exposition 16 Americans au MoMA en 1959. Kelly fait de nouvelles visites décisives en France en 1964 et 1965, et à partir de 1970 il développe son œuvre dans son atelier à Spencertown, petite ville dans une région à héritage Shaker7, dans l’État de New York.  

I. Théorème8

  1. Le cadre est un déictique : il dit voici, vois ceci, regardez ici9. Le cadre détache l’œuvre de ce qui l’environne, de tout ce qui n’est pas elle, de ce que Baudelaire nomme « l’immense nature »10.  Depuis la Renaissance, il participe à accomplir la distance entre sujet et objet11. Cette distance ou détachement participe d’une logique d’exclusion qui est en continuité avec ce qui précède le cadre et avec ce qui pourra se substituer à lui : d’une part le champ, d’autre part le musée, deux termes essentiels dans l’esthétique d’Ellsworth Kelly. Un champ définit les limites structurelles à l’intérieur desquelles va se constituer l’image ; pour l’historien d’art Meyer Schapiro, c’est une invention capitale car le champ permet la création d’un espace tridimensionnel sur une surface plane. « Les horizontales de cette frontière servent d’abord de lignes de sol qui supportent les figures et les rattachent les unes aux autres ; en outre elles divisent la surface en bandes parallèles établissant plus fermement les axes du champ comme des coordonnées de stabilité et de mouvement dans l’image »12.

  2. Autre invention capitale, assez tardive finalement, celle du Musée. Pour Jean-Claude Lebensztejn, traducteur de Schapiro et historien d’art auquel Derrida rend hommage dans La Vérité en peinture, « le concept d’art a subi une transformation profonde quand s’est ouvert un espace destiné à le définir »13. Lebensztejn décrit le musée comme une machine à exclure : elle détache par exemple les chefs d’œuvre des œuvres d’un « intérêt historique »14. La fonction exclusive du musée, et du musée américain en particulier, s’accélère au début du XXème siècle : « Avant les œuvres s’entassaient sur les murs et les sols du Musée… Après 1907-1914, les murs du musée se vident et se découvrent ; chaque œuvre doit apparaître comme isolée sur le fond vaste, neutre et silencieux du mur »15. La muséographie devient centrale dans la création des œuvres ; songeons, par exemple, à l’ensemble créé par Ellsworth Kelly pour la Fondation Vuitton intitulé Spectrum VIII (2014)16.

  3. Détacher, c’est aussi clôturer le tableau. L’opération de détachement logique sur laquelle insiste Louis Marin (317) — en reprenant les termes de Nicolas Poussin aspect (voir) et prospect (considérer avec attention) — éloigne le tableau de son producteur et construit le spectateur. Scénographier, éclairer, valoriser… le cadre multiplie ses efforts pour capter le regard comme une proie. Pour être remarqué, on augmente la visibilité du cadre (brillances de l’or, fioritures, effets de mise en abyme). Ainsi Laforgue et Huysmans comparent le cadre à la parure féminine, au maquillage17, et Degas va jusqu’à le nommer « proxénète du tableau »18. Pour Wajcman, tout simplement, « le cadre fait de l’œil au spectateur » (314).

  4. Le cadre impose le tableau, comme sous la poussée d’un impératif de conquête territoriale. Sans cadre, Rothko, avant Kelly, doit inventer une autre façon de vaincre les murs en saturant l’atmosphère de la salle d’exposition19. Il doit aussi inventer une esthétique pour imposer le tableau à la contemplation, pour à la place du cadre arrêter et envelopper le regard. L’absence du cadre enfin remet en jeu le corps du spectateur et pas seulement son œil ; le corps du spectateur rencontre en quelque sorte le corps du tableau.

  5. Tirant les conclusions de certaines pratiques de Rothko, Kelly invente avec Robert Ryman20 une esthétique où le tableau est tourné vers l’extérieur, et où il fait participer à son jeu le mur et l’espace d’exposition. Il entre dans l’espace réel du spectateur. L’esthétique externe a été rendue possible quand le tableau n’était plus destiné à se fermer sur lui-même pour se protéger et pour se projeter dans un espace imaginaire. Le « problème du cadre » s’est ainsi posé à Matisse qui remettait en question la représentation figurative (représentation comme « à travers une fenêtre » selon la formule d’Alberti)21. Le tableau sans cadre pouvait s’ouvrir entièrement au monde environnant, en absorber la lumière, en accepter les conditions spatiales et les accueillir. Les tableaux de Robert Ryman, composés de touches de matière picturale blanche sur supports divers avec des systèmes variés d’adhésion au mur, sont un excellent exemple de l’esthétique externe. Kelly s’y livre aussi quand son tableau commence à partager l’espace réel du spectateur.

II. Démonstrations

Spectrum I (1953)

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    Spectrum I, 1953, huile sur toile, 153,04 x 153,04  cm, San Francisco Museum of Art

  1. Une toile sur laquelle sont peintes quatorze bandes verticales, chacune formée par une couleur unie, le tout formant par la juxtaposition des couleurs un spectre. Jaune, vert, bleu, violet, rouge, orange… chaque couleur semble avoir deux teintes côte à côte, mais à bien y regarder, on ne les distingue pas si facilement : sont-ce trois verts ou trois bleus, les deux ‘rouges’ sont-ils ceux-ci ou ceux-là ? Enfin, il y a deux panneaux de trop si chaque couleur a deux teintes (2 x 6 = 12, alors qu’il y a 14 panneaux). En tout cas, l’artiste a choisi de répartir deux jaunes d’un côté et de l’autre de la toile, créant ainsi une luminosité, un pouvoir d’attraction scopique et une impression d’enveloppement ou de happement que ne produisent pas au même point les représentations scientifiques du spectre. Les couleurs juxtaposées sans trace de la main de l’artiste forment néanmoins comme dans une démonstration scientifique une suite continue qui donne une image de la suite ininterrompue et infinie des couleurs correspondant à la décomposition de la lumière blanche.

  2. Dans Spectrum I, grâce au grand format de la toile lié à la simplification et à l’aspect hautement reconnaissable de la composition, Kelly crée en 1953 une première machine optique qui capte le spectateur, le retient, et lui imprime une image rétinienne d’une grande force. On serait tenté de dire que Spectrum (dans ses versions de I à VIII) est une œuvre hantée ou une œuvre qui nous hante quand nous l’avons vue ; on se rappellerait alors qu’un spectre est aussi un fantôme, nous renvoyant vers la notion de simulacre, d’idée fausse, et d’apparition/disparition qui fait partie de la séduction. Métaphoriquement, spectre signifie également « domaine d’efficacité »22. Pour attester de ce dernier sens, le spectateur pourrait par exemple faire l’expérience au Metropolitan Museum de New York de l’étendue physique de l’impact de Spectrum V (1969), composé de treize panneaux de couleur disposés le long d’un mur d’environ quinze mètres23. Le dispositif est simple, visible de loin, lisible d’un coup. Chaque panneau se tient seul, sans cadre. L’œil le ‘cadre’ avec sa couleur voisine ; le tout est ‘cadré’ par le mur. Cela suffit pour que les couleurs fassent partie d’un champ unique. L’œuvre est là. Immédiate. L’intérieur ne se détache pas de l’extérieur ; au contraire, il l’envahit, saturant le champ de vision. L’ensemble a la sérénité de l’évidence. Spectrum V, exemplaire en cela du rapport des œuvres de Kelly avec l’espace d’exposition, se déploie en majesté.

White Blue (1962)

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    White Blue, 1962, huile sur toile, 182,9 x 139,7 cm, Courtesy Matthew Marks Gallery, New York, and Estate of the artist

  1. L’œuvre fait 1m80 par 1m40 et impressionne par sa nette bichromie (blanc/bleu) et par l’apparente simplicité de sa composition : une forme blanche remplissant une très grande partie d’un fond bleu clair, touchant directement à un point le bord inférieur. C’est une forme courbe avec vers le bas une extension longue et étroite (on dirait un bras). L’image peut faire penser à une pomme, et aussi à un corps nu car la double courbe de la partie gauche évoque facilement des fesses (ou un décolleté). On pense justement aux nus tardifs de Matisse qui utilise un bleu presque identique pour ses découpages dans la couleur. On penserait par exemple à Nu Bleu I, 1952 (Fondation Beyeler24) mais avec une inversion ici du bleu et du blanc par rapport à Matisse. Kelly dessine avec le blanc. Matisse disait que découper dans la gouache était comme faire de la sculpture et il y a en effet quelque chose de sculptural dans la silhouette nettement découpée de cette œuvre de Kelly de 1962.

  2. La saillance du motif semble projeter celui-ci vers l’extérieur où le blanc de la forme courbe rejoindrait le blanc du mur d’exposition. L’ensemble du tableau se projette ainsi vers le spectateur avec lequel le tableau semble créer une relation directe grâce à la force et à l’immédiateté des sensations qu’il éveille. C’est un tableau dont on pourrait vraiment dire qu’il flirte avec le spectateur. Il attire le regard, lui propose une tentation, comme s’il lui tendait par le bras une pomme à la chair ferme. Il lui tend assurément une volupté chromatique : clarté lumineuse du bleu créée par l’insertion du blanc, sensualité du blanc par jeu de contraste avec le bleu et par son contour dans l’ensemble sinueux. L’ajustement des couleurs et de la forme ayant ravi le spectateur, celui-ci est ensuite retenu par l’ambiguïté de la forme (abstrait ou figuratif ?) et par la complexité de ses contours. Tout semble se passer dans une expérience directe du tableau objet. Nul besoin finalement de songer à Matisse. L’histoire de la peinture est congédiée, le spectateur est invité à un savoureux et flatteur oubli du savoir (« laissons tout cela, on est entre nous ! »).

Red Blue Green Yellow (1965)

  1. Deux grands panneaux de taille identique : au sol un monochrome jaune vif (toile sur plaque en fibres dures) ; au mur une toile à prédominance rouge entourée d’un pourtour bleu lui-même entouré de vert25. Par sa configuration, l’œuvre avance littéralement vers nous et partage notre espace. Le panneau mural pourrait être considéré comme une porte avec un encadrement redoublé vert et bleu. Autour de cette pièce rectangulaire, il y a juste un pourtour en aluminium pour la protection. Le panneau couché au sol éclaire et baigne de sa lumière jaune le panneau accroché au mur, lui faisant fond en quelque sorte. À moins que cela ne soit le panneau mural qui fait fond au panneau couché.

  2. On pourrait aussi dire du panneau couché qu’il fait tapis d’honneur où promener les yeux du spectateur pour les conduire à la porte rouge. Ou encore qu’il fait lit, au sens littéral mais aussi au sens où Wajcman dit du cadre qu’il fait « le racolage pour le tableau, et avance le lit où se consomme sa jouissance » (315). Plaisir de l’énonciation des couleurs26 : red blue green yellow ; jouissance de leur juxtaposition. Le vert ici est passage et mélange entre le jaune et le bleu ; celui-ci est éclairé par sa complémentaire constituée par la fusion optique du rouge et du jaune ; le bleu est repoussé par le rouge de façon à mordre sur le vert ; le rouge se détache indirectement sur ce dernier, sa complémentaire ; pendant ce temps le jaune et le rouge rivalisent de stridence sur leurs axes opposés.

  3. Les minimalistes contemporains de Kelly partent en guerre dans les années soixante contre l’illusion de la peinture (la peinture comme représentation ou figuration d’un monde fictif). L’illusion est-elle évacuée ici, finalement, ou paradoxalement réinstaurée par cet objet à cheval sur le mur et le sol, et à cheval entre peinture et sculpture ? Quelque chose d’un piège ou d’un leurre est peut-être à l’œuvre. Il est littéralement avec nous, mais le tableau-objet fait figure contre l’espace réel, il s’appuie sur lui pour se détacher, induisant éventuellement un monde fictif où il nous emporterait avec lui. Ceci est peut-être alors un trompe-l’œil, même si ce que nous voyons est aussi ce que nous voyons27.

Yellow Curve (1990)

  1. Un seul panneau remplit l’espace d’une galerie à Francfort, il remplit le sol et non le mur, il touche le mur à un endroit comme la courbe blanche de White Blue touchait le bord de la toile. Le tableau est monochrome ; un jaune vif, uni, lisse. Saturée, la couleur irradie la pièce, se réfléchissant dans les murs, sur le sol et le plafond28. La forme a deux côtés droits et un côté courbe, le plus grand. On pourrait penser à un éventail géant, mais ce n’est pas une forme identifiable. Elle prend toute la place et notamment la place du spectateur. Pour la voir, celui-ci doit se placer à l’extérieur devant les fenêtres, près du seuil de la porte ou, enjambant l’œuvre, la regarder depuis le fond de la pièce.

  2. La clarté chromatique attire de loin son attention. L’oscillation générique retient le spectateur : est-ce vraiment un tableau, n’est-ce pas plutôt une sculpture au sol comme en crée le minimaliste Carl Andre ? Dans son bel essai sur Yellow Curve, Gottfried Boehm le décrit comme un tableau-objet : « a picture object, a picture in transition ». Malgré la simplicité chromatique, cette singularité de la forme donne envie de poursuivre la contemplation, de s’y noyer, de plonger dans la couleur solaire. Pourtant l’objet est froid, plat, sans profondeur. S’en approchant pour s’en rendre compte, et osant peut-être le toucher, le spectateur éprouverait-il après le ravissement initial une forme de déception devant cette réalité littérale ?

  3. La relation forme-fond théorisée par Schapiro étant maintenue mais déplacée dans l’espace réel, la pièce fait fond au tableau qui fait forme. Le fond a été exporté hors du tableau, et la forme s’est installée dans l’espace du spectateur, de sorte que celui-ci se trouve dans le fond du tableau, et, réalisant un ancestral fantasme scopique, en quelque sorte, dans l’image ! « We are—to be precise—inside his pictures » (Boehm 2, 35). Traversée du miroir. Magie. Illusion. Saisissement du spectateur soudain dessaisi de ses facultés d’analyse…

White Curves (2001)

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    White Curves, 2001, aluminium, recouvert de polyuréthane, 594,4 x 335 x 125,7 cm, Fondation Beyeler, Riehen/Basel, Beyeler Collection, photo : Niggi Bräuning, Basel

  1. Un objet peint en blanc, plié dans un jardin, celui de la Fondation Beyeler à Bâle pour lequel la sculpture a été créée (après 6 ans de développement, elle fut achevée en 2001). La couleur, la matière (de l’aluminium avec de la peinture polyuréthane) et les formes géométriques (atteignant 6 mètres de haut) se distinguent clairement du monde végétal. Chaque matin des jardiniers nettoient la sculpture afin qu’elle se détache avec le maximum d’éclat et de pureté de son environnement en perpétuelle mutation organique. C’est ce que nous apprend Harry Bellet dans le journal Le Monde en 2002.

  2. Contre le gazon, l’arbre et le ciel, un grand pli donc avec des formes droites et des courbes (le titre en dit le pluriel). Il se tient au soleil et contre les bourrasques29. Une zone se retire de notre vue, se cache à notre regard : l’œuvre porte un secret qui invite à aller la voir de l’intérieur, autant que de dos.

  3. Laissons-nous guider un moment par Bellet :

De près la surface apparemment simple se révèle des plus complexes, précisément grâce à la conscience de ceux qui quotidiennement la polissent. Chacune des deux moitiés se reflète dans l’autre, créant à cet endroit un blanc plus dense. Sur les pourtours du reflet, les frondaisons agitées par le vent créent un mouvement dans le reste du plan : le feuillage qui s’y discerne prend une étrange allure, fantomatique mais gaie.

  1. Poursuivons la rencontre... Qu’ouïs-je ? Les hauts plis du fantôme de Loïe Fuller ? Une chorégraphie, un kimono, une parade d’art martial ? Avance et retrait ; force contenue, énergie de l’Autre captée, domptée. Beauté insolente, pudeur intacte. Que vois-je ? Un éventail ? Celui que chante Mallarmé pour sa fille : « Ce blanc vol fermé que tu poses »… ? En 1992, Ellsworth Kelly avait illustré (mais le mot est inexact) Un Coup de dés (« Cette blancheur rigide… en sa torsion de sirène ») en accompagnant le texte du poète avec des plis noirs nets mais discrets, pleins de tact.

  2. Ici dans ce jardin contact plein avec le spectateur. Il pourra toucher, personne n’y verra rien. (On re-nettoiera la sculpture demain). Toucher froid et lisse. Malgré son air de sortir du cabinet graphique du musée dessiné par Renzo Piano, ceci n’est pas un papier plié, après tout. Pardon ! Amorce de dialogue champêtre : une spectatrice et l’œuvre (celle-ci est-elle sexuée ?). Pour simplifier disons ‘Elle’ et ‘Lui’.

III. Du colorama au sensorium

 

  1. « L’œuvre d’Ellsworth Kelly a pour objet l’acte de voir dans toute sa pureté » affirme Sarah Roberts ; son art est une « recherche de vérités visuelles », une révélation, et, comme le travail du photographe Edward Weston qu’appréciait tant Kelly, « une reconnaissance absolue et impersonnelle de l’importance des faits » (Roberts 84). Exigeant un regard patient et silencieux, l’entraînement fourni à l’artiste par une pratique précoce de l’ornithologie a sans doute contribué à aiguiser son œil. École de repérage et d’identification de formes variées, colorées et mouvantes, l’observation des oiseaux est fondatrice ; elle nous conduirait peut-être à rechercher une filiation entre son œuvre — ainsi que la curiosité et l’apaisement qu’il procure — et les planches XXL de Birds of America (1824-38) du franco-américain John James Audubon30.

  2. La botanique également a eu son importance. Pour résumer, citons l’artiste: « The plant drawings are about investigating forms, how planar forms overlap and suggest space, very simply — just line, no shading, nothing added. They’re really not about plants but are diagrams of how I see shapes in space and how they react to each other »31 . À l’origine des pièces de Kelly, se situe l’intensité de sa perception du monde. De nombreux « incidents de perception » sont repérables ou connus : un tricot, des ombres sur un escalier mécanique32, ou un foulard dans Central Park33. Yve-Alain Bois décrit ainsi le processus de dérivation :

a zooming process by which the artist appropriates some unnoticed area of the visual field. He makes a cut out of this area, evacuates it of its substance, lays it flat. Most often the excerpt itself is interstitial. A part of the ground in our daily perception, it did not call attention to itself until Kelly picked it up. Isolating it, Kelly makes it the figure. (36) (C’est moi qui souligne)

  1. L’artiste déclare : « The most pleasurable thing in the world for me is to see something and then translate how I see it » (Grynsztejn 9). D’abord voir, c’est-à-dire regarder comme si le monde était neuf. Traduire ensuite, c’est-à-dire passer de longues séances de travail à synthétiser, schématiser, transposer, distiller. Décoller de son contexte la perception d’origine, la prolonger pour lui donner intérêt et force : « I’ve always been interested in things that don’t make sense out of context, that lead into something else »34. Retrouver non pas la forme reconnaissable dans l’œuvre finale, mais l’attrait d’origine, ce qui du monde avait déjà déplacé son regard et créé la sensation première : « Kelly’s works are less distilled representations of an object’s formal outlines than they are the physical embodiment of the sensation — often elation — initially experienced by the artist at the sight of the object» (Grynsztejn 11).

  2. La couleur, selon Roland Barthes, est, dans le champ des arts plastiques, le lieu de la pulsion (108). C’est elle qui nous propulse vers les tableaux de Kelly et qui en repousse les murs et l’environnement ; c’est elle qui appelle et qui absorbe le regard, c’est elle qui, passant par l’œil, nous touche tout le corps, nous affecte et nous émeut. Matisse, en la matière, était un maître, mais aux États-Unis au mitan du « siècle américain », Kelly n’est pas seul à faire son apprentissage chez les coloristes. La couleur est en effet le champ privilégié d’investigation de toute une partie du modernisme américain : le colorfield painting, bien sûr, mais également le Pop Art. Songeons à Rothko et Lichtenstein, mais aussi par exemple à Sam Francis, Joan Mitchell, Morris Louis, Willem de Kooning, Kenneth Noland, ou Richard Poussette-Dart.

  3. À la différence de ses compatriotes, Kelly réduit l’usage de la couleur à un emploi en zones franches, clairement visibles de loin. Il en réduit la gamme à des tons vifs, il peint et repeint afin de saturer les couleurs. Il les fait briller. Il les peint sans trace manuelle afin qu’aucun incident gestuel (à l’inverse de ce qui se passe chez de Kooning) ne vienne détourner l’attention du pur effet chromatique. Il les unifie : Red Blue Green Yellow (1965) est bien composé de cinq couleurs, mais chaque zone colorée est sans variation (un unique vert, de même un seul bleu, un jaune unique et un seul rouge).

  4. Il les assemble, souvent par deux comme dans White Blue (1962), mais aussi en grand nombre comme Spectrum I. L’effet de ce dernier — et de ses sept avatars — est une luminosité sans pareille… ou pareille à un phénomène qui arrête tous les regards : l’arc-en-ciel. Souvent, Kelly met les couleurs en tension avec la forme, une couleur qui s’approche appliquée par exemple à une zone qui s’éloigne. Enfin, et de plus en plus à mesure que l’œuvre s’accroît avec le temps, il les peint seuls. Le blanc de White Curves se détache solitaire et magnifique du vert gazon suisse, et le jaune de Yellow Curve envahit sans allié la galerie de Francfort.

  5. Le monochrome vise le monopole de l’espace, du mur, voire du sol. Le monochrome chez Kelly, pourrait-on dire, est une stratégie d’expansion territoriale. Plus la couleur est seule, plus elle a besoin d’espace. Les formats s’agrandissent. Format et couleur forment ainsi la syntaxe de base de ce discours pictural. Leur articulation donne des figures infinies. On en a vu quelques unes, mais les moins spectaculaires aussi retiennent l’attention.

  6. On a pu associer Kelly au shaped canvas de Noland ou de Stella ; on pourrait aussi, dans son cas, parler avec justesse de shaped colors, c’est-à-dire de couleurs formées, de couleurs mises en forme, de formes-couleur. Nous utilisons aussi le terme colorama, emprunté à un article sur la mode35 pour son évocation quelque peu ironique d’un nuancier, voire d’un catalogue chromatique (« les Kelly se déclinent cette saison en toute une joyeuse gamme »).  Dans le monde américain, les souvenirs du Colorama de Kodak dans Grand Central Station donnent aussi au terme des connotations, bienvenues ici, de vues brillantes et idéalisées.

  7. Du colorama au sensorium, donc, parce qu’il nous faut élargir et tenter de rendre compte de l’impact sur le système nerveux des formes-couleur. Le sensorium est « l’organe central où les sensations venues des divers organes sensoriels se synthétisent de façon à permettre la perception d’un objet ». Le dictionnaire du CNRTL ajoute à cette définition une citation de Merleau-Ponty qui nous aidera à saisir le rôle du corps dans la perception : « Dans la perception nous ne pensons pas l’objet et nous ne nous pensons pas le pensant, nous sommes à l’objet et nous nous confondons avec ce corps qui en sait plus que nous sur le monde, sur les motifs et les moyens qu’on a d’en faire la synthèse »36.

  8. Un des axiomes que nous avions déduits de nos études sur le cadre a été qu’en présence d’une peinture sans cadre, « le corps du spectateur rencontre le corps de l’œuvre », la matérialité de celle-ci ayant été l’objet de tant de soins pendant le modernisme. Mais le corps d’une œuvre d’Ellsworth Kelly peut tromper : il peut avoir une configuration légèrement différente de celle qui apparaît, il peut frapper par sa simplicité (étymologiquement, son seul pli) et ensuite par des plis bien plus nombreux. Selon Julien Myers, les géométries sont dévoyées, quelque chose d’obscur oblige le spectateur à renégocier ses impressions : « Geometries bent out of true, and their obscured structures subtly force attentive viewers to constantly renegotiate their impressions of pictorial space and the gallery’s architecture » (Grynsztejn 76).

  9. Tous les observateurs autorisés semblent d’accord : on ne peut pas se rappeler exactement d’une œuvre de Kelly37. La mémoire ne retient pas sa mesure précise. On est obligé de retourner voir. L’œuvre s’accroche au corps et échappe à l’esprit. Les duplicités de Kelly sont en effet multiples : l’abstraction est-elle une figuration ? Le doute n’est pas levé. L’illusion d’un autre monde est-elle ré-installée quand bien même c’est un objet et non une fiction de surface qui se tient devant nous ? Duplicité générique, bien sûr, la plus efficace peut-être car elle agit sans appel à la pleine conscience du spectateur.

  10. Peinture ou sculpture ? Une peinture sculpturale, une sculpture picturale... Même les élucidations de William Rubin sur le relief (à propos de Frank Stella) ne nous aident pas à dire la règle chez Kelly (Phelan 98). Gottfried Boehm a trouvé la bonne formule pour dire ce flou générique : « a picture in transition » est sa description du tableau de Kelly. Kelly travaille en effet dans un entre-deux, entre peinture et objet, entre tableau et sculpture. Il le reconnaît volontiers : « my art whether painting or sculpture is beyond its boundaries one way or other »38.

  11. Un art qui dépasse ses propres frontières s’épanouit dans l’espace réel qu’il partage avec le spectateur. Rothko s’en était approché, mais l’art de Kelly est pleinement un art de l’installation. Difficile de l’accrocher, difficile de cohabiter avec lui39. Même le spectateur est exproprié par la géante courbe jaune ! Le spectateur a ici et avec d’autres œuvres l’impression — vertigineuse, délicieuse — d’être dans l’image. S’il est dans l’image, c’est qu’il participe à la création : quelle honneur ! quelle joie ! (fussent-elles usurpées !).

  12. Le corps est happé, l’esprit étourdi. Kelly partage avec le minimalisme une visée utopique par rapport à l’expérience de l’art : quel que soit son degré de connaissance de l’histoire de l’art, chacun doit pouvoir le voir pleinement. Il y a en effet une étrange suspension du savoir, et une mise en avant radicale de la saveur chère à Barthes. La séduction de Kelly proviendrait de cette joyeuse suspension du savoir, au profit d’une expérience directe du tableau-objet. Ainsi Boehm : « The eye is liberated of all servitude towards intellect and reason it engages in an activity that is both sensual and spiritual (1, 21) ». On est peut-être en effet au-delà du sens rationnel ; grâce au sensible, ou au sensorium, on est dans une expérience que l’on pourrait caractériser de spirituelle (Rothko encore). Boehm de nouveau : « Kelly’s curves, triangles, fields etc lead us to a territory that lies on the other side of knowledge, into world sui generis. This world shows itself to be simple and complex, immediate, sensual – it glows with all the freshness of creation, of the very first day » (I, 39).

  13. Premier jour de l’homme et origine de l’art : un regard primitif, virginal, adamique40. On se croirait de retour dans les années 1940 cette fois chez Barnett Newman ! Kelly lui ne méconnaît pas la séduction, mais chez lui comme chez Newman tout le tableau fait cadre à notre regard. Voyons cela… Revoyons la démonstration : le tableau de Kelly est son propre signalement, sa scénographie intégrée et son éclairage interne. Il est clos sur lui-même pour mieux se détacher sur le champ du mur. Il a naturellement enrôlé le Musée comme partenaire. Son esthétique est externe, sa visibilité est maximale. La séduction de l’œuvre d’Ellsworth Kelly, disions-nous au départ, viendrait de ce redéploiement de la fonction parergonale. N’oublions pas que le cadre bâtit le tableau, le façonnant, et lui découpant une place (davantage que le mot cadre qui privilégie l’œil, le terme anglais frame met en avant cet aspect manuel ou manipulatoire). Question d’adresse donc (d’habileté technique et d’envoi à l’autre), le cadre est ce qui propulse le tableau et le promeut. Attention : séduction à l’œuvre !

Conclusion

 

  1. Visant la présence plutôt que la représentation, l’œuvre d’Ellsworth Kelly est fondée, selon une déclaration rétrospective de l’artiste, sur une volonté de donner l’illusion d’un éternel présent, de poser face au mouvement du monde une fixité quasi-hypnotique. Rappelons-nous les spectatrices aixoises devant Spectrum I. Revisitons en mémoire le jardin venteux de la fondation Beyeler où est installée White Curves. « I think what we all want from art is a sense of fixity, a sense of opposing the chaos of daily living. This is an illusion, of course. What I’ve tried to capture is the reality of flux, to keep art an open, incomplete situation, to get at the rapture of seeing »41.

  2. The rapture of seeing : enchantement des yeux, transport scopique, ravissement visuel. Si l’œuvre de Kelly séduit, c’est donc d’abord le monde qui a séduit son regard et qui séduit le regard. La séduction, en somme, serait contagieuse : l’art est une séduction secondaire. Depuis ses années parisiennes Kelly a consenti pleinement au déplacement de son regard, il a œuvré dans une rémanence de la séduction du monde. Chaque œuvre de Kelly nous inviterait à notre tour à consentir de nouveau à la jouissance de se laisser déplacer, écarter, emmener ailleurs par l’acte de voir.  

Œuvres citées

 

Barthes, Roland. Le Texte et l’image. Catalogue d’exposition au Pavillon des Arts. Éditions Paris Musées, 1986.

Boehm (1), Gottfried. Ellsworth Kelly : Yellow Curve. Portikus Frankfort am Main. Stuttgart : Edition Cantz, 1992.

Boehm (2), Gottfried. Ellsworth Kelly, In Between Spaces, (Works 1956-2002). Riehen/Basel : Hatje Cantz/Fondation Beyeler, 2002.

Bois, Yve-Alain. Spencertown (Recent Paintings by Ellsworth Kelly). Catalogue d’exposition. Anthony d’Offay,  London, Matthew Marks, New York, 1994.

Derrida, Jacques. La Vérité en peinture. Paris : Flammarion, 1978.

Ellsworth Kelly at Right Angles, 1964-66. Catalogue d’exposition, Margo Leavin Gallery, Los Angeles, 19 novembre-21 décembre 1991, John Berggruen Gallery, San Francisco, 28 janvier-1 février 1992, Paula Cooper Gallery, New York 28, 14 février-14 mars 1992  (Essay by Robert Bernstein).

Grynsztejn, Madeline et Julien Myers. Ellsworth Kelly in San Francisco. San Francisco Museum of Modern Art, University of California Press, Berkeley : 2002.

Lacan, Jacques. Les Quatre Concepts fondamentaux de la psychanalyse. Paris : Éditions du Seuil, 1973.

Marin, Louis. De la Représentation. Paris : Éditions EHESS, 1994.

Page, Suzanne et Anne Hindry. Ellsworth Kelly. Paris : Les Cahiers Fondation Louis Vuitton, Manuella Éditions, 2014.

Phelan, Richard. Le Questionnement du cadre par la peinture américaine. Thèse présentée à l’Université Lumière Lyon 2, 2006.

http://theses.univ-lyon2.fr/documents/lyon2/2006/phelan_r#p=0&a=top

Roberts, Sarah, et al. Icônes américaines, Chefs-d‘œuvres du SFMOMA et de la collection Fisher. Paris : Éditions de la Réunion des musées nationaux, 2015.

Schapiro, Meyer. Style artiste et société. Paris : Gallimard, 1982.

Schneider, Pierre. Matisse. Paris : Flammarion, 1984.

Wajcman, Gérard. Fenêtre, Chroniques du regard et de l’intime. Paris : Verdier, 2004.

 


1 Le Robert, Dictionnaire historique de la langue française (sous la direction d’Alain Rey), 1998.

2 L’information est indiquée dans plusieurs sources. Kelly en parle de manière plus détaillée dans une conversation avec Robert Storr (Pagé, 16/17).

3 Ellsworth Kelly in Mark Rosenthal, Artists at Gemini G.E.L., janvier 1991, New York : Harry Abrams, 1993. Cité par Siri Engberg dans la brochure de l’exposition au Walker Art Center, 1995 (« Ellsworth Kelly, the process of seeing »).

4 Window, Museum of Modern Art, Paris, 1949 (Collection privée), Kilometer Marker, 1949 (SF MoMA).

5 « (E)ven though my work doesn’t look like his, I feel I want the spirit to be the same » (Sagner-Duching, dir., Monet and Modernism, Prestel Munich, 2001, 214)

6 « I was a colorist and I brought a different kind of color to America from France. I liked Andy and Roy—they brought strong color » (Pagé 30).

7 « Precise, practical and pared down » : pour Yve-Alain Bois les attributs de cet environnement trouvent un écho dans l’œuvre de Kelly (Bois 7).

8 Nous résumons ici en deux ou trois pages quelques unes des 20 fonctions analysées dans notre « sémiotique du cadre » (Phelan 34-62).

9  « Dans son opération pure, le cadre montre ; c’est un déictique, un démonstratif iconique », Marin 348 (C’est moi qui souligne).

10  « Comme un beau cadre ajoute à la peinture / Bien qu’elle soit d’un pinceau très-vanté / Je ne sais quoi d’étrange et d’enchanté / En l’isolant de l’immense nature… » (« Un Fantôme III, Le Cadre », Spleen et Idéal XXXVIII, Les Fleurs du mal, Œuvres complètes, Bruges : Éditions Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1961, 37).

11  « La distance, c’est très exactement ce que Panofsky voit s’accomplir de neuf à la Renaissance, qui introduit entre le sujet et l’objet (comme le fait en pratique la perspective) une distance qui réifie l’objet et personnifie le sujet. » Wajcman 318.

12  « Sur quelques problèmes sémiotiques de l’art visuel : champ et véhicule dans les signes iconiques », Schapiro 9.

13  « L’espace de l’art », Critique, 1970, 338.

14  C’est le terme de Lebenstejn. Ibid., 338.

15  Ibid., 338.

16 Spectrum VIII est un rideau de scène conçu spécialement pour l’auditorium de la Fondation Vuitton (créée par Frank Gehry) et est accompagné de cinq panneaux de couleur orchestrés dans l’espace.

17  Lebensztejn, « À partir du cadre » in Annexes, 1999, 201.

18  Annexes, 187.

19  « By saturating the room by the feeling of the work, the walls are defeated ». Propos de Mark Rothko cités in Mark Rothko, National Gallery of Art, Washington, Yale University Press, 1998, 345.

20  Né en 1930, Ryman commence à peindre au moment où Kelly est de retour aux États-Unis.

21  « Aussi le ‘problème du cadre’ se posera-t-il à partir du moment où l’esthétique fenestrale sera remise en question : après 1870 ». Schneider, 457. « L’esthétique fenestrale » est le joli terme employé par Schneider pour désigner la représentation figurative théorisée à la Renaissance par Alberti dans De Pictura. J’utilise le terme « esthétique interne » pour l’opposer à « esthétique externe ».

22  Le Robert, Dictionnaire historique de la langue française (sous la direction d’Alain Rey), 1998.

23 Spectrum V, 1969, huile sur toile, 13 panneaux séparés, chaque panneau 214 x 87 cm, l’ensemble 214 x 1493,5 cm, intervalle de 30,5 entre les panneaux. L’œuvre fut donnée par l’artiste au Metropolitan Museum of Art, New York.

24 On pourrait noter la proximité des dates des Matisse avec les premiers tableaux de Kelly. Kelly semble avoir pris directement à la source ce qui se diffuse de matissien dans l’art du all-over et du colorfield américain. Pour une note concise sur l’héritage américain de Matisse (traitement de la forme et du fond, l’unification de la surface du tableau par la rythmicité décorative, force extensive et « conception de l’infini »), voir Markus Brüderlin, « Fondation Beyeler », Connaissance des arts, hors série, 1998, 50. On peut y noter que la Fondation Beyeler expose Nu bleu I et d’autres découpages de Matisse dans la salle qui précède ses Rothko, Newman et Pollock.

25 Red Blue Green Yellow, 1965, huile sur toile (base sur plaque en fibres dures), 222 x 137 x 222 cm. Collection particulière États-Unis.

26 Pour Yve-Alain Bois, la peinture selon Kelly est une convocation, elle énonce les couleurs avec une candeur enfantine (35-36).

27  La célèbre formule « What you see is what you see » de Donald Judd proclame la littéralité de l’œuvre d’art.

28 Yellow Curve, 1990, galerie Portikus, Frankfurt am Main.

29  Harry Bellet, Le Monde, mercredi 11 décembre, 2002.

30 Voir Boehm (1) 8.

31 Ellsworth Kelly in Diamonstein, Inside the Art World, New York : Rizzoli, 1994. Cité par Siri Engberg dans la brochure de l’exposition au Walker Art Center, 1995 (« Ellsworth Kelly the process of seeing »).

32 Tricot (1957) Collection privée, La Combe III (1951) SF MoMA.

33 Harry Bellet, Le Monde, mercredi 11 décembre, 2002.

34 Propos de l’artiste déjà cité.

35  Carine Bizet, « La mode anglaise serre les rangs », Le Monde, 19 septembre 2016.

36  Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception (1945), Paris : Gallimard, 2006, 285-286. La traduction en 1962 de ce livre de Merleau-Ponty a joué un rôle fondamental dans la réception du minimalisme, fournissant un cadre conceptuel pour l’accueil de tout un pan de l’art contemporain américain.

37  « We recognize a Kelly curve in a blink… but our neurons cannot store its specifics » (Bois 39).

38  Artstudio 24, printemps 1992, « Conversation with Ellsworth Kelly », 29.

39  « They are particularly demanding as regards the selection of appropriate places to hang them », Boehm 2, 35.

40  « Adamique » comprend sans doute les regards croisés d’Adam et d’Eve… (Regardons de nouveau White Blue !)

41  Propos de l’artiste cités par Holland Cotter, New York Times, 29 déc. 2015.