Rowan Boyson
King's College London
Depuis sa publication posthume en 1888, le long poème de Wordsworth Home at Grasmere suscite l’étonnement de la critique : comment un poème dont le sujet est censé être la joie simple du retour chez soi peut-il être empreint d’une telle anxiété1 ? Le poème que Wordsworth commença à écrire au printemps 1800 devait constituer une partie de The Recluse, grand poème philosophique destiné à rivaliser avec ou même à supplanter Paradise Lost. Ainsi que le préconisait Coleridge, le poème devait contenir un système philosophique en mesure de racheter une génération qui, à la suite de la révolution française, avait perdu ses illusions2. Mais Home at Grasmere ne semble rien avoir de l’ambitieux projet imaginé par Coleridge : le poème est censé avoir pour thème le fait d’être heureux, le récit s’y place du côté de l’émotion plutôt que de l’action, contant l’installation de William et de sa sœur Dorothy, qui approchent de la trentaine, dans la belle région des lacs.
Le premier essai critique consacré à ce poème s'intitulait “Wordworth’s Great Failure”, et ce titre donna le ton de la réception du poème au siècle suivant. L’essai commence par une comparaison favorable avec The Prelude:
[Home at Grasmere] est en fait un fragment de cette histoire passionnée, écrit d’un bout à l’autre dans la même veine exaltée ; le vers est de son meilleur cru et le sentiment plus sincère, plus vivace, n’étant pas contré par des courants perturbateurs de regret ou de doute.3
L’idée d’une absence de « courants perturbateurs » dans le poème est cependant bien vite nuancée par l'idée qu’il y a quelque chose de pas tout à fait juste dans la nature étrangement emphatique de Home at Grasmere, dans sa tonalité joyeuse presque hyperbolique :
Il n’y a nulle trace de doute, à moins que l’on ne cherche dans les efforts mêmes que déploie le poète lorsqu’il énumère explicitement les avantages offerts par son choix de résidence, pour se convaincre qu’il ne s’est pas trompé et qu’il devrait se sentir heureux d'avoir eu l'idée de venir à Grasmere.4
Dès la fin du XXème siècle, le poème n’était presque exclusivement plus lu qu’à partir de ces « traces de doute », avec une unanimité critique étonnante pour l’industrie wordsworthienne. Stephen Gill écrivit :
bien que le poème célèbre la joie, l'idée même de la joie pose clairement problème à Wordsworth. Comme cela a été montré, il fait beaucoup d'efforts, trop d'efforts, pour prouver que sa joie n'est pas le fruit de rêverise arcadiennes.5
Cette tension trouble qui traverse le poème a été lue d'un point de vue symptomatique et biographique : on a suggéré, par exemple, que ce qui se manifeste ainsi serait le désir qu’éprouve Wordsworth de retrouver le « chez-lui » perdu de son enfance, ou encore que le poème se dérobe sous le poids des attentes créatives pesant sur le projet de The Recluse6. Sally Bushell interprète le poème à partir de l’idée qu’il faut
admettre que le texte dans son état final (c’est-à-dire produit par le travail éditorial) parle de l’incapacité du poète à se situer lui-même, et, partant, de son anxiété quant à son rôle et ses capacités.7
Elle propose une analyse pénétrante des révisions apportées par Wordsworth au manuscrit, en suggérant l'idée que celles-ci confirment le « consensus » critique à propos des « contradictions et des fausses auto-justifications » du poème8.
Dans cet article, j’aimerais prendre le contrepoint de cette vision de Home at Grasmere et proposer l’idée que l’on peut tenter de faire une lecture moins méfiante à l'égard de la joie qui y est exprimée. Le plaisir et la joie sont traités de manière emphatique et complexe dans ce poème, non pas parce que Wordsworth lui-même insiste excessivement sur ces affects, mais parce qu’il s’agit d’idées complexes en elles-mêmes, et parce que ses vers rendent compte de cette complexité. En proposant cette lecture, je mets en lumière un aspect de l’écriture romantique qui a longtemps été considéré par les spécialistes comme étant très démodé, et qui correspond à ce que David Simpson appelle « l’élément d’affirmation humaniste de l’écriture romantique »9. Les notions de plénitude, d’enchantement au contact de la nature, de ravissement existentiel étaient perçues, il fut un temps, comme des paradigmes de l’écriture romantique. Les lecteurs victoriens célébraient les capacités de la poésie romantique à apporter le réconfort, la guérison et, tout particulièrement, la joie. La « Préface » écrite par Matthew Arnold pour sa sélection de poèmes de Wordsworth revenait à la thèse selon laquelle la « cause de sa grandeur est simple […] [Wordsworth] nous apporte des paroles de joie : ‘Of joy in widest commonalty spread.’ »10 Arnold affirme ici que la « joie » est évidente ; elle se passe d’explications ou de théorisation. Il veut défendre Wordsworth contre ces admirateurs qui rêvent de voir dans son œuvre un « système de pensée » sous-jacent : la joie est la « réalité », la « vie » et le « pouvoir » ; c’est la philosophie qui est l’« illusion »11. Les spécialistes du romantisme de ces quelques trente dernières années ont souvent cité la « Préface » d’Arnold en contrepoint à leurs propres interprétations, tout particulièrement lorsqu’ils ont voulu montrer Wordsworth comme un poète profondément philosophique12. Hostiles à l’idée que le thème de l’écriture de Wordsworth pouvait être le plaisir, ils ont choisi de se concentrer plutôt sur des thèmes tels que le deuil, la mort et le scepticisme. De nombreux critiques, qui avaient peut-être davantage en commun avec Arnold qu’ils n’ont eux-mêmes voulu l’admettre, ont formulé l’hypothèse qu’il existait une opposition évidente entre le plaisir et la philosophie, ou la pensée13. Dans cet article, j’aimerais donner des éléments de contexte qui éclaireront l’insistance philosophique de Wordsworth sur l’affect positif dans Home at Grasmere, en commençant par explorer le statut de l’épicurisme dans ce poème. En étudiant ensuite le poème de manière plus détaillée, j’aimerais interroger la dichotomie entre, d’une part, la phénoménologie du plaisir comme satisfaction et quiétude et, d’autre part, la phénoménologie du plaisir comme désir et stimulation, en affirmant le pouvoir toujours actuel qu’a Home at Grasmere d’ébranler les simplifications modernes de la catégorie de plaisir.
En 1799, Coleridge écrivit à Wordsworth et lui fit part de son ambition pour le chef-d’œuvre de The Recluse, son souhait qu’il vienne contrer un épicurisme qui ravageait la culture :
Mon cher ami, je vous implore de poursuivre votre travail sur « The Recluse » ; et je souhaite que vous écriviez un poème en vers libre adressé à ceux qui, à la suite de l’échec total de la Révolution française, ont abandonné tout espoir d’un progrès de l’humanité et sombrent dans un égoïsme presque épicurien qu’ils dissimulent sous les doux prétextes de l’attachement domestique et du mépris pour les philosophes visionnaires (en français dans le texte). Ce serait une chose fort profitable […].14
On trouve des échos de cette lettre, écrite par Coleridge en 1799, dans toute la poésie de Wordsworth. Il s’en inspira directement pour écrire le passage le plus intense de l’énergique premier jet de The Prelude, également appelé « poème à Coleridge ». Faisant directement écho aux termes employés par Coleridge, Wordsworth lance cet avertissement : « plongés dans l’indifférence et l’apathie » [“’mid indifference and apathy”], les hommes « tombent dans » « l’égoïsme, dissimulé sous les doux noms / De paix, de tranquillité et d’amour domestique », [“fall off” “[t]o selfishness, disguised in gentle names / Of peace and quiet and domestic love”] (1799 Prelude 450-454, nous traduisons). Wordsworth opère pourtant un changement de taille par rapport à ce que Coleridge veut dire lorsqu’il postule que la joie est ce qui s’oppose à l’égoïsme et à l’apathie : avec son « assurance plus que romaine », [“more than Roman confidence”], le poète distingue plutôt un « principe de joie qui ne fait jamais défaut », [“never-failing principle of joy”] (1799 Prelude 459 ; 465; ces vers ont été conservés dans les versions de 1805 et de 1850, nous traduisons). On pourrait voir ici une apparente contradiction dans l’association entre thèmes stoïciens et épicuriens, le stoïcisme étant associé à l’assistance dans la peine, gardant foi dans l’humanité même dans ses moments les plus sombres, à la régulation de l’affect et du plaisir excessif, tandis que l’épicurisme se rapporte plutôt au principe paroxysmique de la joie, peut-être en étant « plus que romain ». Le stoïcisme est un thème dont l’importance est reconnue depuis longtemps dans la poésie de Wordsworth, particulièrement dans The Excursion. Pourtant, dans cette section du Prélude, ce thème ne s’oppose pas à une philosophie-plaisir : ce qui y est proposé diverge clairement de l’anti-épicurisme de Coleridge15. Thomas McFarland note dans son introduction à l’Opus Maximum que l’ébauche d’un système philosophique imaginé par Coleridge lui-même, que l’on peut voir en quelque sorte comme l’œuvre fantôme parallèle à The Recluse, que Wordsworth n’écrivit pas, est traversée par un « sous-entendu constant » d’anti-épicurisme16. Ainsi que le montre McFarland, Coleridge était obsédé par la contamination de la philosophie par des formes de matérialisme et de sensationnalisme propagées par le biais de Gassendi et De rerum natura. L’Opus Maximum attaque la notion de plaisir comme facteur à prendre en compte dans la prise de décision éthique :
Lorsque le plaisir est le seul objet, le choix d’un type de plaisir parmi d’autres dépend de la quantité! Et de la durée. Et des effets que ce plaisir produira sur les autres plaisirs. Mais même en disant cela nous concédons déjà trop de choses au plaisir.17
La description que fait Coleridge du plaisir comme ayant pour seul « critère de choix », [“criterion of preference”], la « quantité dans son degré d’intensité ou sa durée », [“quantity in degree or in duration”], trouve un écho dans l’insistance de Bentham sur la nature primaire et indifférenciée du plaisir au début de Principles of Morals and Legislation (1784). Coleridge voit la désynonymisation purifiante comme une opération nécessaire et urgente, position qu’il défend avec l’argument selon lequel l’équation entre le plaisir et le bien, proposée par Bentham ainsi que par les philosophes grecs, est illogique. Paraphrasant la seconde Critique de Kant, Coleridge souligne le fait que, sans de bonnes intentions, le plaisir ne peut être un « bien » sans mélange, un « bien » ultime18. À un « sensualiste » affirmant qu’il « ne connait d’autre bien que le plaisir ni d’autre mal que la douleur », (une tautologie, pour Coleridge) il répondrait « Tu es d’autant plus animal! » [“The more beast you!”]. Ce lien entre épicurisme et animalité est repris par Coleridge dans sa division tripartite du plaisir spirituel, intellectuel, et sensuel : le plaisir sensuel est le maître ou le seigneur du domaine, le plaisir intellectuel est vu comme le métayer à titre gratuit, tandis que
le troisième est le buffle harnaché dont on retire la muselière uniquement pendant qu’il laboure les champs de céréales, que l’on nourrit lorsque c’est nécessaire, parce que c’est nécessaire, aussi peu que possible, et que l’on tolère seulement dans la mesure où il est au service du second et compatible avec le premier.19
Les arguments de Coleridge contre la propagation d’une philosophie antique du plaisir apparurent au début de ce que Martin Priestman appelle, dans la littérature du long XVIIIème siècle, le second « moment lucrétien ». À la suite de la redécouverte du poème de Lucrèce, De rerum natura, au XVème siècle en Italie, l'histoire de la réception d'Épicure en Europe moderne n'a cessé d'être enrichie par les savants20. Martin Priestman définit une phase initiale, mieux connue, de l’intérêt porté à Lucrèce à la fin du XVIIème siècle, et une seconde phase, de 1790 à 1820, avec la publication de quatre nouvelles traductions de De rerum natura. Priestman révèle avec éloquence l’attrait politique et intellectuel exercé par Lucrèce sur les écrivains de l’ère romantique :
Le double objectif de Lucrèce, proclamer le rationalisme [des « lumières »] tout en se retirant de la mêlée terrifiante du présent, parlait profondément à toute une classe intellectuelle qui avait soutenu les objectifs originels de la révolution française mais était en train d’abandonner l’espoir de les voir se réaliser.21
Comme Willard Spiegelman et Paul Kelley l’ont également déjà remarqué, on trouve chez Wordsworth, tout au long de son œuvre, des références et emprunts particulièrement nombreux à Lucrèce. Priestman indique que Wordsworth s’inspire de Lucrèce dans la préface des Lyrical Ballads de 1802, ainsi que dans celle des Poems, 1815, dans les Descriptive Sketches (1793), dans Salisbury Plain (1793-4), dans les "Elegiac Stanzas" (1807) et dans "To – upon the Birth of her First-Born Child" (1833)22. Entamé pendant ce « second mouvement lucrétien » des années 1790, The Recluse de Wordsworth a en partie pour sujet, comme son titre l’indique, le fait de se retirer de la société politique, ainsi que la fondation de formes alternatives de communauté. De plus, l’idée d’un grand « poème philosophique » doit avoir eu un rapport avec le grand modèle classique de De rerum natura, ressuscité par les Lumières. Les ambitions, et aussi les tensions, contenues dans les espoirs que Wordsworth et Coleridge mettaient dans un long « poème philosophique » ont été amplement explorées par la critique de ces dernières années23. Ainsi que l’a évoqué Noel Jackson, Lucrèce présentait, de ce point de vue, un modèle complexe. En tant que premier grand poète didacticien, il semblait promettre un rôle central à la poésie dans un monde qui avait bénéficié des « Lumières », c’est-à-dire un monde rationnel. Pourtant, cette possibilité était ébranlée par la célèbre analogie qu’il établit, de manière étendue, entre la poésie et le miel, en impliquant que la poésie adoucissait la dureté de la philosophie matérialiste (« absinthe »). Ainsi que le souligne Jackson,
le fait que Lucrèce paraisse subordonner la poésie à la philosophie indique leur séparabilité, ce qui du même coup fournit aux lecteurs romantiques tels que Coleridge les fondements d’une critique du poème philosophique.24
La manière lapidaire dont Coleridge juge Lucrèce dans sa lettre à Wordsworth en 1815 (« Ce qu’il y a de poétique chez Lucrèce n’est pas philosophique, et ce qu’il y a de philosophique n’est pas de la poésie. Ainsi avec la fierté de l’espoir confiant j’attendais avec impatience The Recluse comme le premier et unique Philopoème – “Whatever in Lucretius is Poetry is not philosophical, whatever is philosophical is not Poetry - and in the very pride of confident hope I looked forward to the Recluse, as the first and only true Phil.Poem”) représente, pour les latinistes, ainsi que le rappelle Jackson, une vision limitée de l’accomplissement poétique du De rerum natura25.
Ainsi, l’épicurisme étaye certaines des réflexions cruciales qui ont entouré The Recluse, de manière négative en ce qui concerne Coleridge, et de manière plutôt plus positive en ce qui concerne Wordsworth. L’un des exemples les plus frappants apparaît selon moi dans la manière dont Wordsworth représente la joie dans Home at Grasmere. Plus précisément, j’aimerais avancer l’idée que l’on peut voir dans le poème de Wordsworth une manifestation des complexités morales et politiques en latence dans l’idéal épicurien de l’ataraxie, ou absence de perturbation. Selon les catégories antiques, il y avait des plaisirs liés à la stimulation et des plaisirs liés à l’absence de douleur. Épicure, de manière controversée, valorisait davantage l’absence de douleur (« Car nous faisons tout dans le but de ne pas éprouver de douleur ou de terreur »), qui nous amène à l’état de sérénité appelé ataraxie (qui signifie en grec « non-perturbé »)26. En effet, on a parfois dit d’Épicure qu’il avait suggéré l’impossibilité, au-delà de l’ataraxie, d’une augmentation quantitative du plaisir : « bien que par la suite le plaisir puisse être varié et orné, il ne peut être accru ou augmenté. »27 Cette vision des choses a donné lieu à de nombreux débats : les cyrénaïques, par exemple, tenaient fermement à l’importance du plaisir corporel, mais rejetaient l’idée que l’absence de stimulation puisse être plaisir, « puisque l’absence de douleur est semblable à l’état du sommeil » ; ils « condamn(aient) cet état comme étant celui d’un cadavre »28. Le langage du plaisir dans Home at Grasmere met l’accent sur la tension entre repos et agitation, dramatise la tendance qu’aurait une éthique de la joie à la répétition et à la circularité, et met en lumière les conséquences éthiques d’un fantasme d’adéquation et d’abondance.
Il est clair que la question du plaisir est centrale à l’argumentation du poème, étant donnée l’alliance manifeste de Home at Grasmere avec des textes utopiques et paradisiaques tels que Song of Songs, Faerie Queene de Spenser, les romances de Shakespeare, ou Paradise Lost et Paradise Regained de Milton. C’est un hymne, un poème dédié à l’amour, un texte de la joie. L’une des idées clés qui déterminent la représentation du val de Grasmere par Wordsworth, en s’inspirant peut-être de The Tempest (“The isle is full of noises, / Sounds, and sweet airs, that give delight”, Acte 3, scène 2), est qu’il s’agit d’un espace littéralement empli d’affect : “this whole Vale, / […] Swarms with sensation, as with gleams of sunshine, Shadows or breezes, scents or sounds” (666-668).
Ce qui définit particulièrement bien la manière dont le poème représente la joie de Grasmere, c’est l’oscillation entre un désir de satisfaction paisible, un désir de quiétude, et un désir d’envol sans fin, de diffèrement de la sensation. Dans la narration du poème, ces images créent une dichotomie entre le rêve dans lequel le poète et Emma sont installés chez eux, d’une part, et les oiseaux en mouvement constant dans le ciel, d’autre part. Grasmere est figuré à plusieurs reprises comme un lieu de repos, de calme, de sécurité. Dès le début, alors qu’à l’écolier apparaissent, de façon précoce, les visions d’un lieu où il peut imaginer s’écouler toute sa vie jusqu’à sa mort, le poème explore le désir d’un « repos » immuable : “For rest of body ’twas a perfect place” (22). Le vers aux accents de prière rend grâce pour le fait que les difficultés, les perturbations, appartiennent au passé : “But I am safe; yes, one at least is safe; / What once was deemed so difficult is now / Smooth, easy, without obstacle” (74-76). Le poème implore le paysage de se refermer sur le poète, “close me in” (129), et l’air de « repos » transcendantal de ce paysage (162) offre un « terme et une retraite ultime », “A termination and a last retreat”, pour la communauté qui y vit (166). Faisant signe vers le cottage où il demeure avec Emma, le poète ressent une joie si complète qu’elle le fait pencher vers un état de quiétude parfaite :
Aye, think on that, my Heart, and cease to stir;
Pause upon that, and let the breathing frame
No longer breathe, but all be satisfied. (99-101)
Cette tranquillité extrême du plaisir constitue une vision récurrente dans le poème. Dans l’un des passages clés où il décrit cette expérience, Wordsworth souligne sans la moindre honte la dimension complexe et presque paradoxale de la joie sans jouissance, d’un ravissement sans désir. Il salue la capacité de la vallée à « purifier » et « apaiser » (391, 392) :
And steal away and for a while deceive
And lap in pleasing rest, and bear us on
Without desire in full complacency,
Contemplating perfection absolute
And entertained as in a placid sleep. (393-397)
Ces vers jouent de façon ambivalente avec ce rêve central, et suggèrent qu’un repos-plaisir de ce genre relève soit de l’invraisemblable, soit du leurre, soit des deux à la fois. Le mot “lap”, avec ses connotations sexuelles, peut faire allusion au plaisir illusoire, ressenti sous l’effet de drogues, tel le plaisir immortel d’Adonis piégé dans le boudoir de Vénus dans The Faerie Queene : “There yet, some say, in secret he does ly, / Lapped in flowres and pretious spycery, / By her hid from the world…” (6.46). La tautologie qui caractérise l’écriture de Wordsworth en général, et particulièrement dans Home at Grasmere, est utilisée ici pour souligner la nature incongrue de ce bonheur sans stimulation : “full complacency” (395), “perfection absolute” (396), “passive sleep” (397). Wordsworth fait usage d’un sens peu commun du mot “entertain” (397), entendu comme ce qui « maintient dans un état », afin d’attirer l’attention sur l’idée paradoxale d’être diverti (entertained), dans le sens de stimulé ou amusé, dans son sommeil. Le langage ne blêmit pas à l’idée que le ravissement tranquille porte en son sein un soupçon de mort, jouant de manière tout à fait délibérée avec des métaphores morbides (“a termination”, 166), (“stopped breath”, 101).
À ces images complexes et ambivalentes de repos-plaisir, le poème oppose des images d’agitation. Il y a le berger rongé par la culpabilité qui, après avoir commis un adultère, ne connaît nul « lieu de repos » (“resting-place”, 516), ne trouve ni plaisir ni quiétude mais seulement un désir de « voler » ou de « fuir », correspondant au langage qu’emploie Milton pour décrire l’agitation de Satan, et que l’on trouve dans tout le poème (515, 524). On trouve une forme plus positive d’agitation dans l’image des oiseaux formant des cercles. Leur vol les précipite de la terre au ciel et du ciel à la terre : “As if they scorned both resting-place and rest” (314). Ce mépris (“scorned”) trouve un écho dans la manière dont les vers tentent de les faire se poser, mais cette demande se trouve fermement rejetée :
see them now at rest,
Yet not at rest, upon the glassy lake.
They cannot rest; they gambol like young whelps,
Active as lambs and overcome with joy. (768-771)
Le joyeux mouvement de ces oiseaux forme le motif visuel central du poème, et revient dans un certain nombre de longs passages, comme s’il constituait pour le poète un plaisir réitéré et une énigme qui se pose sans cesse. Dans les lignes inaugurales, ils font partie de toutes les choses ravissantes et lestes qui sont prises dans un mouvement rapide par un beau jour de mars : les nuages, les brises, “Sunbeams, Shadows, Butterflies and Birds, / Angels and winged Creatures”. C’est la trajectoire du vol imaginaire du poète qui est tracée : “To flit from field to rock, from rock to field” (31-2, 37). La première description majeure des oiseaux apparaît trois cents vers après le début du poème, où les oiseaux « débordant de joie » (“jubilant”) « montrent leur plaisir » (“show their pleasure”) par leur mouvement ascendant : “Mount with a thoughtless impulse, and wheel there” (284, 286, 289). Leurs mouvements impulsifs et aléatoires manifestent le plaisir pour le plaisir : “girding it about / In wanton repetition” (295-296). S’opposant à la quiétude d’une absence de désir, les oiseaux sont associés à la tentation et au narcissisme :
They tempt the sun to sport among their plumes;
They tempt the water and the gleaming ice
To show them a fair image. ’Tis themselves,
Their own fair forms upon the glimmering plain,
Painted more soft and fair as they descend,
Almost to touch, then up again aloft. (307-312)
Bien que les oiseaux créent tout d’abord un contraste avec l’état où l’on est « Sans désir, un état de pleine suffisance », (“Without desire in full complacency”) (395), Wordsworth investit chacune des descriptions qu’il en fait d’une circularité insistante, avec pour conséquence le fait que ce qu’ils ressentent paraît finalement plus proche de la suffisance absolue que du désir, si le désir est entendu comme la conscience d’un manque (impossible à satisfaire). Il se peut que ces oiseaux soient mus par une sorte de désir sans repos, mais, comme une machine de mouvement perpétuel, leurs mouvements, eux-mêmes procurant déjà du plaisir, donnent lieu à des reflets et à des images qui renouvellent le ravissement. Aucune énergie extérieure n’est nécessaire pour déclencher le divertissement des oiseaux, aucun déplaisir ne s’y installe, aucune lassitude ne gagne les sensations. Ce ravissement automatique trouve un écho dans le motif même de leurs mouvements, “Hundreds of curves and circlets”, des mouvements qui n’entrent pas en conflit, ne se dérangent pas les uns les autres, mais forment un motif infini, “that large circle evermore renewed” (298, 297). Ils accomplissent dans la nature le rêve selon lequel Grasmere, même lors des « promenades quotidiennes » pour « affaires », “daily walks / Of business”, pourvoira toujours le « plaisir perpétuel des sens » “perpetual pleasure of the sense” (210-212). C’est peut-être la raison pour laquelle, vers la fin du poème, Wordsworth revient sur la manière dont il rend compte de l’énergie folle des oiseaux et parle plutôt d’une sorte de « quiétude » :
And in and all about that playful band,
Incapable although they be of rest,
And in their fashion very rioters,
There is a stillness, and they seem to make
Calm revelry in that their calm abode.
I leave them to their pleasure. (798-803)
Quelle est la source de cette « quiétude » (“calm”) ? Les lignes qui suivent sous-entendent qu’il s’agit là de la fonction des oiseaux dans le cycle du retour infini de la nature, “the life of the whole year / That is to come” 804-805). Leur « impulsion irréfléchie », (“thoughtless impulse”) n’est pas le signe d’une jouissance perturbatrice mais fait plutôt partie d’une chaîne continue de la nature (289). Cela rejoint l’idée du poème selon laquelle il y a un « courant » (“stream”) de plaisir qui persiste au-delà de la subjectivité individuelle et qui paraît également lié au fait d’essayer de comprendre la place du crime et de la mort à Grasmere : par exemple l’idée dérangeante qu’un berger ait pu tuer une paire de cygnes auxquels s’identifiaient le poète et Emma. Cette pensée critique au sujet d'un habitant de Grasmere est elle-même représentée d’abord comme une sorte de crime, un manque de foi dans la perfection du val, avant que la voix poétique ne se rassure par le biais d’une étrange analogie :
What if I floated down a pleasant stream
And now am landed and the motion gone –
Shall I reprove myself? Ah no, the stream
Is flowing and will never cease to flow,
And I shall float upon that stream again. (381-385)
Ces vers gnomiques aux accents antiques sous-entendent quelque chose qui est de l’ordre du besoin d’avoir « foi » dans le plaisir. Le plaisir, auquel le « courant » (“stream”) est directement rapporté par le biais de ce mot clé « motion » (mouvement et plaisir étant des termes fréquemment liés, ainsi que nous le verrons en conclusion), est élevé ici au rang de force cosmique, et cette impression est corroborée par le ton qui se fait de plus en plus religieux : “By such forgetfulness the soul becomes – / Words cannot say how beautiful. Then hail!” (386-387). La description du processus en termes d’« oubli » (“forgetfulness”) est ambiguë, car elle associe le courant du plaisir avec Léthé. Ce qui pourrait être oublié n’est pas dit clairement (est-ce la négativité? l’auto-réprimande?), mais le sens global que communiquent ces vers est que le repos-plaisir est un état naturel de l’être dans lequel il faut avoir foi.
Une particularité exceptionnelle de Home at Grasmere réside dans ce que Kenneth Johnston appelle sa « rubrique de circularité »29. On en fait le constat dans les moments où Wordsworth s’exprime de manière tout à fait explicite à propos de la question de la téléologie du plaisir. Tandis qu’il admire le mouvement des « ombres, papillons et oiseaux » (“shadows, butterflies and birds”), il éprouve leur joie, qui lui est transmise ou se propage jusqu’à lui. Mais il l’éprouve en vue d’une finalité brièvement soulevée, avant d’être immédiatement rejetée en faveur d’un mouvement constant à travers l’espace de Grasmere :
I seemed to feel such liberty was mine,
Such power and joy; but only for this end:
To flit from field to rock, from rock to field,
From shore to island, and from isle to shore,
From open ground to covert, from a bed
Of meadow-flowers into a tuft of wood,
From high to low, from low to high, yet still
Within the bound of this huge concave; here
Must be my home, this Valley be my World. (35-43)
À la différence des « finalités » plus élevées, attribuées d’habitude à la liberté, au pouvoir et à la joie, les vers refusent ici toute finalité de ce genre, énumérant de plus en plus de lieux où voleter, bien que ces lieux soient tous contenus dans le monde-dans-le-monde que constitue Grasmere. On assiste à l’émergence d’un motif similaire quand il s’agit d’identifier le destinataire de la gratitude qu’exprime le poète :
Oh, if such silence be not thanks to God
For what hath been bestowed, then where, where then
Shall gratitude find rest? Mine eyes did ne’er
Rest on a lovely object, nor my mind
Take pleasure in the midst of [happy] thoughts,
But either She whom now I have, who now
Divides with me this loved abode, was there
Or not far off. (102-109)
Le mot central “rest” est déployé ici de façon puissamment circulaire. Plutôt que de répondre à la question de savoir si le plaisir que procure le silence constitue une action de grâce religieuse, la pensée continue de progresser par association, par le biais du mot « rest », en le déplaçant vers un autre contexte, celui de l’expérience partagée du plaisir. Il est difficile de savoir si la question apparemment rhétorique à propos du culte demeure rhétorique, ou bien si elle est ébranlée par le geste de se tourner vers la camaraderie humaine, qui fournit une réponse alternative et « appropriée », ou encore si l’expérience partagée est censée confirmer et développer la possibilité de rendre grâce. Et en réalité, le “repos” de cette question est sans cesse différé d’un bout à l’autre de la phrase par le biais d’une série de conjonctions, “ne’er, nor, either, or”. L’impression générale que produit le sentiment à Grasmere confirme l’idée que le plaisir n’est pas dirigé vers une fin mais constitue plutôt une ressource partageable et renouvelable. Dans le val, les sensations et les émotions sont montrées comme ayant tendance à se transmettre d’un être à un autre, et à être ressenties de façon collective (“Joy spreads, and sorrow spreads”, 664). On entend souvent dans ce poème que l’énergie et le plaisir de la scène naturelle se transmettent ou se propagent depuis les créatures ou les objets (et, de manière récurrente, les oiseaux en plein vol) vers l’observateur : “Who could look / And not feel motions there?” (24-25). Ce mouvement émotionnel, à l’œuvre lors de l’arrivée d’Emma et du poète dans cette vallée dont les arbres, les ruisseaux et les rayons du soleil semblent interroger les voyageurs avant de leur souhaiter du bien, se termine par un sentiment de joie où tout se mêle : “They were moved, / All things were moved; they round us as we went, / We in the midst of them” (234-236). L’idée d’un partage des expressions de joie, avec le mot même de congratulation, apparaît fréquemment dans la poésie de Wordsworth, faisant écho à la façon dont, chez Milton, la terre se réjouit ou se « félicite » lorsqu’Adam et Eve consomment leur amour30.
Bien que ma lecture ait mis l’accent sur les dimensions positives du poème, pour autant il existe bien un certain degré d’indécision au sein du poème, oscillant entre l’idée qu’à Grasmere le poète a déjà atteint cette intensité du ravissement et de la puissance sans finalité définie, et l’idée qu’il ne l’a pas encore atteinte, ou ne le peut pas. La finesse et l’intérêt du poème résident, dans une certaine mesure, dans le fait que la joie dont il y est question ainsi que son expérience réelle dépendent de la conviction et de la confiance, “if sound be my belief” (93), “this Vale so beautiful / Begins to love us!” (268-269), “confident, enriched at every glance, / The more I see the more is my delight” (716-717). C’est aussi ce qu’exprime la prosodie, avec la force de son pentamètre iambique qui accélère par moments sous l’effet de petits afflux de dactyles, “Long is it since we met to part no more” (171); “Thrice hath the winter Moon been filled with light” (257), où l’on entend l’attente tremblante, qui se dénoue finalement dans la stabilité et le calme. Il faut lire cette idée que le bonheur n’est pas assuré dans le val à la lumière de la vaste question de la souffrance à Grasmere. Le poète affirme à plusieurs reprises que Grasmere n’est pas exempt de toute douleur ni de tout malheur, et qu’il ne s’attendait pas non plus à ce que cela soit le cas : les deux récits qu’il fait des vies malheureuses de certains villageois, intégrés plus tard à l’Excursion sont censés témoigner de cela. Pourtant, le poète met aussi en cause de manière explicite une « réalité de la vie » qui ne se définirait qu’en termes de douleur (vers 54-63). À l’argument malthusien selon lequel la nature exige « son tribut d’inévitable douleur » (“Her tribute of inevitable pain”) (841), le poète répond dans un langage de style pragmatique, comme pour suggérer qu’il ne s’agit pas de choisir entre malheur total et bonheur total :
Yet temper this with one sufficient hope
(What need of more?): that we shall neither droop
Nor pine for want of pleasure in the life […]
[…] And if this
Were not, we have enough within ourselves,
Enough to fill the present day with joy
And overspread the future years with hope (844-862).
Ce langage de l’abondance tient une place importante dans le poème : “more” apparaît tout de même 27 fois dans le manuscrit B. Cette idée que l’on peut accumuler des réserves de plaisir pour plus tard, “saving up”, est un exemple de la manière dont le langage affectif de Wordsworth frôle de près, non sans un certain degré de provocation, les termes que l’on associe avec l’argent et le pouvoir. On en trouve un autre exemple dans les rapprochements étranges et paradoxaux entre joie, possession et maîtrise. Il est question d’ombres et d’Anges “that are Lords / Without restraint of all which they behold”, d’un « enchantement qui n’a pas de propriétaire », “unappropriated bliss” qui a trouvé « un propriétaire » (“an owner”), un « maître du domaine », (“Lord”), d’un bonheur qui ne lui permet cependant pas de « prendre possession du ciel » (“take possession of the sky”) (32-33, 85-87, 278). Dans quelle mesure peut-on réellement posséder un enchantement qui n’a pas de propriétaire? La multiplicité des maîtres et des propriétaires dans le poème est frappante, et suggère d’elle-même que le fait d’être le maître (“Lordship”) n’indique pas ici le pouvoir de l’un sur les autres, pas plus que le pouvoir d’Adam à nommer : les éléments, les insectes et les anges sont tous des « maîtres » (“Lords”)31. C’est peut-être ce qui sous-tend les propos pleins d’un hubris stupéfiant lorsque Wordsworth dit : “among the bowers / Of blissful Eden this was neither given / Nor could be given” (123-125). Les oiseaux nobles, “lordly birds”, sont les emblèmes les plus puissants de la souveraineté, une puissance qui provient d’un plaisir auto-généré et d’une circularité dont les appels reviennent dans tout le poème, “Admonishing the man who walks below” (151), et plus loin, “reiterated whoop / In manner of a bird that takes delight / In answering to itself” (410-12). Le plaisir permet donc de préciser le sens à donner à l’exercice de la maîtrise. Ces jeux de mot sur l’exercice de la fonction du maître délimitent une puissance du plaisir au sein de l’impuissance :
I seemed to feel […]
Such power and joy; but only for this end:
To flit from field to rock, from rock to field,
From shore to island, and from isle to shore,
From open ground to covert, from a bed,
Of meadow-flowers into a tuft of wood;
From high to low, from low to high […]. (35-41)
La place du mot “end” en fin de vers (ce mot est souvent utilisé dans les rimes du poème), ainsi que le voletage monosyllabique qui vient ensuite sous la forme d’un chiasme, inscrivent une pression intellectuelle dans le vers. Depuis l’Ethique à Nicomaque d’Aristote, le bonheur a très souvent été conçu en termes d’activité et de telos. La manière dont Wordsworth joue avec l’idée d’inactivité et d’absence de téléologie peut être lue comme un refus implicite de l’idée que seule la quête sans repos du bonheur par l’homme permettra aux « finalités » plus élevées de l’humanité de se déployer. Cette idée est présente dans une foule d’écrits à la fois littéraires et moraux du XVIIIème siècle, parmi lesquels Rasselas de Samuel Johnson, et a été perçue comme centrale à la pensée morale de Rousseau et de Kant32. En faisant la satire de la fuite hors du jardin du bonheur, Johnson a aussi fait celle de l’optimisme utilitaire naissant, portant sur les moyens de maximiser le plaisir, ainsi que celle des traditions épicuriennes dont découle cet optimisme utilitaire. Coleridge oppose également la liberté au piège du plaisir et de la sensualité. Malgré les exhortations de ce dernier, le projet poético-philosophique de Wordsworth n’a cependant pas réussi à faire exploser l’épicurisme moderne ; il paraît plutôt mystérieusement fasciné par ces doctrines antiques du plaisir, et peut-être même médusé. Le fait qu’il soit médusé est important en soi, en cela que les thèmes du poème qui relèvent de la stase et de la tautologie peuvent également être éclairés par la philosophie du plaisir. L’étude de la doctrine de l’intérêt personnel menée par Pierre Force nous montre à quel point on a souvent accusé d’être tautologiques des affirmations telles que celle de Pascal lorsqu’il dit qu’« on veut toujours ce que l’on veut »33. Augustin, dont la pensée est souvent décrite comme chrétienne-épicurienne, écrivit qu’« être mené par sa propre volonté, ce n’est rien, si l’on n’est pas également mené par le plaisir. Que signifie être mené par le plaisir ? C’est trouver sa volonté en Dieu. »34 On perçoit des échos certains de ces déclarations circulaires dans Home at Grasmere.
Ces notions d’une souveraineté et d’un plaisir sans telos, joyeux et partagés, de même que la proximité délibérée entre langage de l’argent et langage de la joie, suggèrent que ce qui est inscrit dans le vers pourrait relever d’une tension culturelle plus large autour de la distribution et de la maximisation du plaisir en tant que bien individuel ou social. La discipline émergente de l’économie politique mettait l’« utilité », ou le plaisir, au cœur de ses préoccupations. L’ouvrage intitulé Introduction to the Principles of Morals and Legislation (1789) de Jeremy Bentham, n’a probablement pas eu d’influence majeure ou directe sur Wordsworth en tant que texte classique de l’utilité : de fait, jusqu’à ce que Mill promulgue les travaux de Bentham des années 1810, cette oeuvre massive et fragmentaire ne figurait pas au premier plan de l’imaginaire culturel britannique. Pourtant, Wordsworth était imprégné de certaines formes de proto-utilitarisme, comme la théologie naturelle de William Paley, dont l’influence à Cambridge, alors que Wordsworth y étudiait, était considérable, et dont on retrouve les idées dans des œuvres aussi diverses que "Lines Written in Early Spring" ou The Excursion. Les idées élaborées par Paley autour de la notion de plaisirs alloués par Dieu à l’ensemble du monde naturel, et des sources divines ainsi que des conséquences sociales du « contentement », sont des idées qui reviennent dans Home at Grasmere. La philosophie de Rousseau influence également le récit poétique du plaisir chez Wordsworth. En particulier, l’idée d’une « économie » de petite échelle, d’une « économie » domestique du plaisir à Grasmere, reflète le récit que fait Rousseau dans La Nouvelle Héloïse de la gestion du plaisir au domaine de Wolmar à Clarens. Julie, personnage ultra-sensible et hédoniste, organise méticuleusement le plaisir de chacun afin d’éviter l’écœurement, veillant à ce qu’aucune sensation de satiété ne s’installe. En effet, le domaine est un système économique clos : aucun bien, aucun argent ne doivent jamais quitter le domaine. Les serviteurs sont incités doucement mais fermement à ce que leurs relations sociales restent dans la maison. Même l’athéisme de Wolmar, présenté comme une sorte d’auto-suffisance, promeut à la fois cette image de clôture et le contentement parfait que devraient procurer les activités, l’amitié et la nourriture simple35.
La manière dont Wordsworth pense la proximité et la tension existant entre plaisir et économie politique transparaît tout particulièrement lorsqu’il fait référence à l’« intérêt », un terme lourd de connotations au XVIIIème siècle36. L’idée de l’égoïsme humain naturel qui pousse chacun à poursuivre ses propres intérêts est exprimée de manière exemplaire dans l’adage d’Adam Smith : « Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du brasseur ou du boulanger que nous attendons notre dîner, mais du souci qu’ils ont de leur propre intérêt »37. Il y a un curieux passage, assez long, situé environ aux deux tiers du poème, où des valeurs de communauté et de réciprocité sont d’abord évoquées : le poète et Emma ne sont « pas seuls » ("not alone"), ils ne « dispersent pas » « une bienveillance peu profitable », “scattering” (1.649) “[u]nprofitable kindliness” (1.1651), sur ce qui se trouve autour d’eux (il s’agit là d’une phrase maladroite d’un point de vue prosodique, ce qui ne fait qu’attirer davantage l’attention sur ces termes lourds de connotations). Le poète déclare qu’au contact du val, d’autres personnes ont éprouvé un grand nombre de sensations qui s’ajoutent pour former une sorte d’affect communicable qui « fourmille », “swarms”, à travers tout Grasmere. Il poursuit en mettant son lectorat en garde :
Nor deem
These feelings – though subservient more than ours
To every day’s demand for daily bread,
And borrowing more their spirit and their shape
From self-respecting interests – deem them not
Unworthy therefore and unhallowed. No,
They lift the animal being, do themselves
By nature’s kind and ever present aid
Refine the selfishness from which they spring (667-675).
De tels sentiments, poursuit Wordsworth, sont des « partenaires adéquats » (“fit associates”) de la « Joie des esprits les plus élevés et les plus purs » (“Joy of the highest and the purest minds”) ; « Ils se mêlent à elle de manière agréable », (“They blend with it congenially”), offrant « la santé » (“health”), ainsi qu’une sorte de « pensée stimulante » (“animating thought”) “de sorte que le travail apparaît comme « une heureuse fonction propre à l’homme » (“glad function natural to Man”) (682-690). Il s’agit là d’une affirmation complexe sur la relation qu’entretient l’expérience du plaisir avec la notion de classe, de privilège, de besoin, de travail : le plaisir des travailleurs se pense sur le modèle de l’intérêt individuel, mais il garde cependant sa valeur ; dans un mouvement de circularité habile, le plaisir, qui prend son origine dans l’égoïsme, s’élève pourtant au-dessus de cet égoïsme pour le transformer (« Refine the selfishness from which they spring » (675)). Ces vers montrent l’importance cruciale du plaisir ordinaire pour la manière dont Wordsworth pense la société et le travail, et la manière dont les hiérarchies traditionnelles, qui opposent la sensualité à la transcendance, ou l’intérêt individuel à la charité, sont brouillées par le traitement subtil et complexe qu’il fait de ces notions. Bien qu’il n’y ait ici qu’une brève référence au travail, il semble néanmoins important de la souligner, étant donné l’accent que le poème dans son ensemble met sur l’absence de productivité : « l’abondance » (“bounty”) de Grasmere et le plaisir que la figure centrale trouve dans l’oisiveté. De manière significative, il n'y a pas non plus de pensée de la reproduction dans le poème: d’où le thème de l’idylle non-sexuelle entre frère et sœur. Alors que la poésie de Wordsworth a souvent été raillée pour son asexualité, à commencer par les critiques de Shelley et de Hazlitt, on peut lire ses descriptions du puissant plaisir sensuel que l’on trouve dans l’expérience de la nature plutôt comme une façon de penser le plaisir au-delà de ce que Georges Bataille a appelé la « finalité génitale »38.
La manière dont Bataille parle de l’« économie » du plaisir, notamment dans son essai de 1933, “La Notion de dépense”, est particulièrement pertinente en ce qui concerne ma lecture du plaisir wordsworthien. La conjonction de ces deux personnalités n’est pas tellement surprenante si l’on pense à l’intérêt crucial que Bataille portait à la façon dont la révolution française a réformé la pensée du plaisir, du pouvoir et de l’éros, en s’appuyant sur les écrits du Marquis de Sade39. L’essai de Bataille analyse l’ « utilité » classique en tant que vision de la société humaine finalement limitée aux « nécessités fondamentales » (22) : entendues en termes d’usages matériels, celles-ci concernent l’acquisition (c’est-à-dire la production) et la conservation des biens ; entendues en termes de vie humaine, elles relèvent de la reproduction et de la conservation de la vie, et comprennent le combat contre la douleur (21). Tandis que le plaisir est censé être le but de ces entreprises, en pratique il devient une simple « concession » ou « divertissement », et se situe en-dehors de la motivation principale, c’est-à-dire d’arriver à une « activité sociale productive » (12). L’humanité « exclut en principe la dépense improductive » (22), qui a pourtant continué à exister à travers l’histoire de l’humanité sous les formes suivantes :
le luxe, les deuils, les guerres, les cultes, les constructions de monuments somptuaires, les jeux, les spectacles, les arts, l’activité sexuelle perverse (c’est-à-dire détournée de la finalité génitale) (23-24).
Mais, depuis l’ère féodale, les formes sociales « grandes et libres » (31) de la dépense ont disparu : ce qui caractérise la modernité bourgeoise, c’est une haine de la dépense ostentatoire, qui mène également à une conception du monde relevant de l’économie rationaliste ou encore de la comptabilité : « En s’efforçant à la stérilité et à la dépense, conformément à une raison qui tient des comptes, la société bourgeoise n’a réussi qu’à développer la mesquinerie universelle. » (32-33) Bataille suggère que de tels systèmes de production fermés, qui nient l’espace d’imagination nécessaire au gaspillage ou à l’excès, donnent une représentation fausse de la « vie humaine » dans sa « gloire » et sa « déchéance », et que l’« expérience » commencera uniquement lorsque les forces non-téléologiques auront été libérées (37) :
la vie humaine ne peut en aucun cas être limitée aux systèmes fermés qui lui sont assignés dans des conceptions raisonnables. L'immense travail d'abandon, d'écoulement et d'orage qui la constitue pourrait être exprimé en disant qu'elle ne commence qu'avec le déficit de ces systèmes : du moins ce qu'elle admet d'ordre et de réserve n'a-t-il de sens qu'à partir du moment où les forces ordonnées et réservées se libèrent et se perdent pour des fins qui ne peuvent être assujetties à rien dont il soit possible de rendre des comptes. (37)
Home at Grasmere pourrait donner l’impression, au départ, d’être une illustration exemplaire de ce genre de rationalité bourgeoise ainsi critiquée par Bataille. L’aveu que fait le poème de ce que Bataille décrit comme le but de l’utilité, « le plaisir – mais seulement sous une forme tempérée, le plaisir violent étant donné comme pathologique » (21), et, plus particulièrement, la pensée d’accumulation de plaisir qui s’y articule et sur laquelle j’ai insisté plus haut (“Enough to fill the present day with joy / And overspread the future years with hope”), pourraient être lus comme proposant une vision extrêmement utilitaire de la vie humaine, ce qui, selon Bataille limite radicalement cette vie (116). En effet, le poème réitère différentes limitations à l’énergie et au mouvement qu’il commence par proposer. Elles se manifestent de la façon la plus frappante dans la restriction ("bounding") du mouvement de l’imagination du narrateur à l’espace géographique du val, mais aussi à travers cette étrange révision de l’immense énergie ludique des oiseaux, qui devient une sorte d’immobilité (“stillness”). L’un des éléments essentiels à une lecture méfiante du plaisir et de la joie dans le poème apparaît dans la manière dont le poète renonce finalement au « plaisir » (“enjoyment”), au profit du « devoir » (“duty”) :
But ’tis not to enjoy, for this alone
That we exist: no, something must be done.
I must not walk in unreproved delight
These narrow bounds and think of nothing more,
No duty that looks further and no care. (874-879)
Pour Bataille, ces vers pourraient servir à montrer la nature intellectuellement aporétique de systèmes fondés sur l’utilité, ce qui signifie qu’« il est constamment nécessaire de recourir de la façon la plus injustifiable à des principes que l’on cherche à situer au-delà du principe de plaisir : l’honneur et le devoir sont hypocritement employés dans des combinaisons d’intérêt pécuniaire » (21). Il y a pourtant un point aveugle dans la critique aristocratique de l’utilité menée par Bataille : il n’y a pas de place pour le plaisir ordinaire. La jouissance et l’érotisme ont pour conséquence la mort et la dissolution ou le déliement du sujet. On pourrait objecter que cela permet à la téléologie d’entrer par la porte de derrière, que la circulation infinie du plaisir à l’intérieur d’un système clos chez Wordsworth est moins téléologique que le vol ardent de l’éros chez Bataille qui, en échappant au système, suit une trajectoire déterminée. Tandis qu’un plaisir aussi modéré pourrait ne pas suffire à représenter les « expériences-limites » proposées par Bataille, la manière excessive et « absurdiste » dont Wordsworth traite le plaisir bourgeois pourrait être vue comme étant proche de la démarche de ceux qui, ainsi que Bataille le formule admirablement, « poussent à leur extrémité les conséquences des conceptions rationalistes courantes. » (33)
Le concept épicurien d’ataraxie fournit un cadre différent pour penser la tranquillité et le plaisir dans Home at Grasmere, et nous permet de prendre position contre l’idée que le principe de plaisir chez Wordsworth n’est simplement pas plausible ou qu’il est surpassé par la pulsion de mort. On pourrait dire qu’en s’appuyant sur les récits antiques de satisfaction tranquille, la poésie de Wordsworth propose une alternative aux philosophies libérales émergentes fondées sur l’action et l’auto-définition, et à une économie politique naissante prônant une productivité ancrée dans l’intérêt individuel. On ne peut nier la tentative finale du poème de sortir de ce bonheur calme du retour chez soi pour aller faire « quelque chose qui doit être fait » (“something” “must be done”, 876), ce qui introduit aussi le premier affect non-partagé du poème : « Des possessions, j’en ai, entièrement et exclusivement miennes / Quelque chose d’intérieur, qui n’est encore partagé par personne » (“Possessions have I, wholly, solely mine, / Something within, which yet is shared by none”, 897-898.). Cette locution énigmatique se fait plus déconcertante encore au moment où le poète affirme son désir de « transmettre » (“impart”) et « répandre » (“spread”) cette chose qu’il possède lui-même (897-8): la chose étant, bien sûr, son don poétique. Le Verse Prospectus qui suit40, cependant, n’abandonne pas pour autant le « ravissement » (“delight”) au profit d’un récit du monde qui serait plus productif sur le plan économique, davantage motivé par une téléologie. Au lieu de cela, le poète chante « La joie répandue largement sur la communauté » (“Of joy in widest commonalty spread”), et « Les paradis et les bosquets / Elyséens » (“Paradises and groves / Elysian” (968, 996-7). Le statut surdéterminé du plaisir dans Home at Grasmere provient du fait que le poème se préoccupe, sans se contenter de s’y opposer, des interrogations rationnelles héritées des Lumières à propos de l’objectif social et de l’utilité du plaisir, du lien entre intérêt individuel et sentiment de camaraderie, de la capacité du plaisir à échapper aux rythmes « productifs » d’un monde ponctué par la journée de travail ou, au contraire, sa capacité à nous y entraîner afin de confirmer ces rythmes. L’histoire, qui remonte à Épicure, des tentatives de formuler un genre de plaisir qui n’est pas fondé sur le manque, le désir ou le besoin, mais qui serait totalement dégagé du pouvoir, de la possession et de la domination, commence à émerger dans les vers ardents que Wordsworth consacre au récit de son retour chez lui. Les critiques, aussi bien les déconstructionnistes que les néo-historicistes, formés à l’école d’une herméneutique du soupçon, ont supposé que la signification politique et philosophique inhérente au poème ne peut être reconnue qu’à la condition d’en écarter le thème du plaisir, au prétexte que celui-ci est évident, ennuyeux ou illusoire. Finalement, si l’on prend davantage Wordsworth au mot, on parvient à comprendre plus profondément l’habileté de ses vers, ainsi que la manière dont ceux-ci pourraient étendre notre vocabulaire moderne du sentiment.
Article traduit de l'anglais par Juliana LOPOUKHINE
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1 William Wordsworth, Home at Grasmere: Part First, Book First of The Recluse. Le texte utilisé est le manuscrit B, première version complète du poème manuscrit. Toutes les références aux numéros de vers renverront à cette édition et seront données entre parenthèses dans le texte. Nous traduisons les citations intégrées dans le corps du texte.
2 À propos de la place de Home at Grasmere dans la structure de The Recluse, voir Kenneth R. Johnston, “Wordsworth and The Recluse”.
3 William Minto, “Wordsworth’s Great Failure”, 13, nous traduisons.
4 Minto, “Great Failure”, 13, nous traduisons.
5 Stephen C. Gill, “Wordsworth’s ‘Never Failing Principle of Joy’, 223-224, nous traduisons.
6 La tension inhérente à la relation de Wordsworth à Coleridge dans ce poème est mise en lumière par Raimonda Modiano, “Blood Sacrifice, Gift Economy and the Edenic World: Wordsworth’s Home at Grasmere”, 418-521. David Simpson fait référence à « l’intensité de l’hyperbole » dans le poème et « soupçonne un psychisme hautement instable ». Wordsworth’s Historical Imagination: the poetry of displacement 133-134, nous traduisons. L’une des meilleures lectures du poème en souligne les “contradictions intrinsèques insurmontables, qui avaient sans nul doute autant à voir avec l’incapacité de Wordsworth à terminer The Recluse qu’avec la somme totale de toutes les difficultés externes de ses dernières années”. Kenneth Johnston, “Home at Grasmere: Reclusive Song”, 22, nous traduisons.
7 Sally Bushell, “The Making of Meaning in Wordsworth’s Home at Grasmere: Speech Acts, Micro-Analysis and ‘Freudian Slips’”, 400, nous traduisons.
8 Bushell, “The Making of Meaning”, 400, nous traduisons.
9 David Simpson, “Romanticism, criticism and theory”, 8, nous traduisons.
10 Matthew Arnold, “Preface” to Poems of Wordsworth, 771, nous traduisons.
11 Arnold, xviii, xix.
12 Voir par exemple James K. Chandler, Wordsworth’s Second Nature: a study of the poetry and politics, 9.
13 Cet argument est exposé dans son intégralité dans l’introduction de mon ouvrage Wordsworth and the Enlightenment Idea of Pleasure, dont cet article est une adaptation. Pour d’autres études récentes du plaisir, voir Adam Potkay, The Story of Joy: From the Bible to Late Romanticism.
14 “My dear friend, I do entreat you go on with ‘The Recluse’; and I wish you would write a poem, in blank verse, addressed to those, who, in consequence of the complete failure of the French Revolution have thrown up all hopes of the amelioration of mankind, and are sinking into an almost epicurean selfishness, disguising the same under the soft titles of domestic attachment and contempt for visionary philosophes. It would do great good […].” Letter to William Wordsworth, circa 10 September 1799, Letter 290, 527, nous traduisons.
15 Deux études récentes montrent de manière éclairante la manière dont les tendances « stoïciennes » et « épicuriennes » sont souvent entremêlées au XVIIIème siècle : Pierre Force, Self-interest before Adam Smith: A Genealogy of Economic Science (Cambridge: Cambridge University Press, 2007), et Thomas Kavanagh, Enlightened Pleasures: Eighteenth-Century France and the New Epicureanism (Yale: Yale University Press, 2010). À propos du Stoïcisme de Wordsworth, voir Michael G. Cooke, The Romantic Will (New Haven: Yale University Press, 1976), et Jane Worthington, Wordsworth’s Reading of Roman Prose (New Haven: Yale University Press, 1946), qui affirme que la pensée éthique stoïcienne (plutôt que des attitudes stoïciennes face à la nature et à la raison) aurait influencé l’écriture de Wordsworth entre 1807 et 15, après quoi l’écriture de Wordsworth aurait revêtu un caractère plus chrétien et orthodoxe. Voir aussi Simon Swift, ‘Stoicism and Romantic Literature’, in The Routledge Handbook of the Stoic Tradition.
16 Samuel Taylor Coleridge, Opus Maximum, xliv.
17 “Where pleasure alone is the object, the choice between different pleasures depends on the question, how much! And how long will it continue? And with what effects on other pleasures? But even in this we admit too much […]”. Opus Maximum, 29, nous traduisons.
18 Opus Maximum, 41.
19 “[t]he third is the harnessed buffalo that is unmuzzled only while it treads out the corn, and is fed when it must be and because it must be and as little as it can be, and is tolerated only as far as it is serviceable to the second and compatible with the first.” Opus Maximum, 47, nous traduisons. En écho à ce langage bestial, Thomas Carlyle a donné plus tard à l’épicurisme le surnom de “Pig Philosophy”, voir “Jesuitism”, Carlyle’s Latter-Day Pamphlets, 394.
20 Parmi les études récentes de la réception d'Épicure, voir Catherine Wilson, Epicureanism at the origins of modernity et Stephen Greenblatt, The Swerve: How the World became Modern. Pour des expertises récentes sur l’impact littéraire d'Épicure, voir The Cambridge Companion to Lucretius, ed. Stuart Gillespie and Philip R. Hardie. Ces articles s’ajoutent à l’étude antérieure de Richard Kroll sur le renouveau néo-épicurien dans la culture littéraire de la Restauration, ainsi que celle de Margaret C. Jacob.
21 Martin Priestman, “Lucretius in Romantic and Victorian Britain”, in The Cambridge Companion to Lucretius, 289, nous traduisons.
22 Paul Kelley, “Wordsworth and Lucretius’s De rerum natura”, 219-222; Willard Spiegelman, “Some Lucretian Elements in Wordsworth”, 34.
23 Voir par exemple Simon Jarvis Wordsworth’s Philosophic Song et Noel Jackson “Rhyme and Reason: Erasmus Darwin’s Romanticism”.
24 Jackson, “Rhyme and Reason”, 179.
25 “Whatever in Lucretius is Poetry is not philosophical, whatever is philosophical is not Poetry - and in the very pride of confident hope I looked forward to the Recluse, as the first and only true Phil.Poem”, nous traduisons.
26 Letter to Menoeceus, Diogenes Laertius, 10.128, in Epicurus Reader: Selected Writings and Testimonia, 30, nous traduisons.
27 Testimony of Cicero, 61, nous traduisons.
28 Diogenes Laertius, 2.89; Clement of Alexandria, Stromates, 2.21, 130.9-0, inous traduisons.
29 “rubric of circularity.” Johnston, “Reclusive Song”, 12, nous traduisons ; voir aussi la discussion sur la répétition (“From Goslar to Grasmere”) sur le site internet suivant: http://collections.wordsworth.org.uk/GtoG/home.asp?page=RepetitioninHomeatGrasmerePopUpAnalysis, [consulté le 8 novembre 2015].
30 Paradise Lost, viii. 365-66. Comparé à la version du Prélude de 1805: “now there open’d on me other thoughts, / Of change, congratulation, and regret, / A new-born feeling. It spread far and wide; / The trees, the mountains shared it, and the brooks (IV. 231-234).”
31 Ceci contredit potentiellement la promesse de Descartes de faire des hommes les « maîtres et possesseurs de la nature », Discours de la méthode, 40.
32 Voir par exemple Susan Meld Shell, “Kant’s ‘True Economy of Human Nature’: Rousseau: Count Verri and the Problem of Happiness”.
33 Blaise Pascal, “Écrits sur la grâce”, 704.
34 Force, Self-interest, 50-52, nous traduisons.
35 À propos de Paley et Rousseau, voir Boyson, Wordsworth and the Enlightenment Idea of Pleasure.
36 L’essai majeur est celui de Albert O. Hirschman, The Passions and the Interests: political arguments for capitalism before its triumph ; voir également Force, Self-Interest.
37 “It is not from the benevolence of the butcher, the brewer, or the baker, that we expect our dinner, but from their regard to their own interest.” Adam Smith, An Inquiry into the Nature and Causes of the Wealth of Nations, I, ii, nous traduisons.
38 Percy Shelley, ‘Peter Bell the Third’, Part 4. Il existe d’autres passages sur la perversité non-génitale et polymorphe (pour emprunter l’expression de Freud) parmi lesquels on peut citer l’érotisme cosmique du Livre 2 du Prélude de 1805, lignes 184-193 et la scène dans le boudoir dans ‘Nutting’.
39 Georges Bataille, « La Notion de dépense », La Part maudite, 19-38. Les références de pagination sont données entre parenthèses dans le texte.
40 Wordsworth fit référence à cette section comme à un ‘Prospectus’ pour The Recluse lors de sa première publication dans Excursion en 1815. À ce sujet voir David Duff, ‘Wordsworth's "Prospectus": The Genre’.