De femme à femme : la « refiguration » de la lectrice dans winter studies and summer rambles in canada (1838) d'anna jameson

Anne-Florence Quaireau

Université Paris-Sorbonne

  1. Le nom d'Anna Jameson ne vous est peut-être pas familier, et pourtant. Figure littéraire de premier plan de son époque, cette auteure irlandaise du XIXe siècle, dont les ouvrages, en particulier Characteristics of Women (1832) et Sacred and Legendary Art (1848), connurent un succès commercial et critique, fut également la mentor d’un des premiers groupes de féministes anglaises, connues sous le nom des Ladies de la Langham Place, telles Barbara Bodichon et Bessie Parkes. Et pourtant, elle semble aujourd’hui avoir sombré dans l’oubli. Ce rôle de mentor, reconnu aujourd’hui par les universitaires1 comme il l’était à l’époque par les contemporains de Jameson, serait-il responsable de sa disparition des mémoires ? L’acte de transmission aurait-il été tel que le guide se serait effacé pour laisser place aux élèves ? De fait, Jameson ne fut pas seulement un modèle pour ces jeunes auteures à la conscience politique affirmée. Par le biais de ses publications, elle toucha également des milliers de femmes, qui étaient la cible principale de ses œuvres. C’est sur les modalités de cette transmission dans l’œuvre de Jameson que nous souhaitons nous interroger, nous demandant de façon plus générale comment la littérature contribue à transmettre.

  2. Pour ce faire, nous choisissons de nous concentrer sur Winter Studies and Summer Rambles in Canada (1838), récit de voyage publié par Jameson à son retour du Canada, où elle passa un peu moins d’un an. En effet, avant de se faire l’incarnation du précepteur de Télémaque, Jameson se fit Pénélope voyageuse, tissant un texte rapportant ses pérégrinations en terre étrangère. Ce texte nous paraît particulièrement pertinent dans une réflexion sur la transmission puisque la traversée, le passage, est l’une des problématiques au cœur du récit de voyage : comment le voyageur peut-il partager avec ses lecteurs son expérience de l’étranger ? Comment dire l’inédit, l’inouï ? En outre, ce récit se situe à un moment charnière dans la vie de Jameson puisqu’elle se rendit au Canada à la demande de son mari, alors procureur général du Haut-Canada, qui cherchait à obtenir une promotion, et qu’elle en repartit en 1837 après avoir obtenu un accord de séparation.

  3. Le récit, divisé en deux parties qui renvoient à deux temps différents de son séjour, illustre deux modes de transmission. « Winter Studies » se déroule presque exclusivement à Toronto et livre les réflexions de Jameson à la lecture de textes germaniques. En effet, depuis un voyage en Allemagne en 1833, elle s’intéressait beaucoup à la littérature allemande et était devenue très proche d’Ottilie von Goethe, belle-fille de l’illustre auteur, avec qui elle entretenait une correspondance assidue. La deuxième partie, « Summer Rambles », donne quant à elle à voir le circuit itinérant de Jameson dans la région des lacs, et dresse un portrait très différent de celui de l’intellectuelle enfermée chez elle de la première partie. Ces deux parties contribuent néanmoins toutes deux à transmettre une nouvelle image de la femme et nous souhaitons montrer comment la façon dont Jameson « refigure » son identité, pour emprunter le concept de Ricœur, sert à la « reconfiguration » (Rancière) de la femme au XIXe siècle, à travers l’écriture et la lecture.

  4. La volonté d’instruire les femmes par le biais de son récit de voyage est exprimée à plusieurs reprises par Jameson dans ses lettres à Ottilie von Goethe. Le 31 mars 1838, par exemple, elle lui décrit son œuvre ainsi :

As to my own book, it is not a brochure, but in 3 vols. It will contain some German criticism – for I have been working hard at my German – but such criticism as must appear to you Germans ten times more impertinent than anything of Madame de Staël; for surely I am not to be compared to her! But I do not care for that. I write for Englishwomen and to tell them some things they do not know. My book will contain much about Canada and the Indians.2

Jameson identifie ainsi les deux sujets principaux de son œuvre, répartis dans deux sections différentes : d’une part, les études littéraires qui portent sur l’Allemagne, et d’autre part, son expérience au Canada. Que les discussions littéraires, et plus largement artistiques, de Jameson concourent à une diffusion des idées et à l’éducation des femmes, semble confirmé par son commentaire suite à son analyse de Don Carlos de Schiller et de la représentation à laquelle elle avait assisté à Vienne : « This I write for your edification before I go to rest, after a day of much quiet enjoyment and luxurious indolence »3 (222, nous soulignons). Ce pronom « your » rappelle que le récit, qui se présente sous la forme d’un journal personnel avec des entrées datées, est néanmoins, comme l’indique Jameson dans sa préface, « addressed to a friend » (1). L’identité de cette amie n’est pas précisée mais la narrataire du récit de voyage peut être considérée comme une projection d’Ottilie von Goethe. En effet, dans l’exemple suivant, extrait du récit, le « you » auquel Jameson s’adresse perd son anonymat par la référence précise qu’il entraîne, référence à une traduction entreprise par quelqu’un de son entourage : « Why do you not finish your translation of the Egmont? Who will ever do it as you can? » (75). De plus, cette identification de la destinataire comme étant Ottilie von Goethe expliquerait en partie l’espace considérable dédié aux études germaniques dans un récit de voyage sur le Canada, ce qui n’a pas manqué de susciter des critiques4. Néanmoins, il s’agirait plus exactement d’une représentation d’Ottilie von Goethe. À plusieurs reprises, en effet, la belle-fille de Goethe est évoquée (plus ou moins explicitement) à la troisième personne dans le récit, ce qui n’est pas cohérent avec l’hypothèse que celui-ci lui serait destiné. En outre, Jameson précise qu’elle destine son récit à toutes les femmes : « I throw myself upon “the merciful construction of good women”, wishing it to be understood that this little book, such as it is, is more particularly addressed to my own sex » (2). Il semblerait donc qu’elle désigne ainsi deux narrataires différents, qui se fondent en réalité en un « you » général.

  1. Or, avec l’inclusion de ces notes de lectures, le récit se fait le miroir d’une pratique courante entre Ottilie von Goethe et Anna Jameson d’échanges de réflexions et d’analyses littéraires. En effet, à plusieurs reprises, dans les lettres qu’elle adresse à Ottilie, Jameson fait référence à des écrits de cette teneur que celle-ci lui a communiqués, comme dans cette lettre datée du 18 janvier 1837 :

I have been reading a good deal of German, and among other things, the Bilder and Traum aus Wien with the MS notes you were so good as to write me. For the latter I cannot sufficiently thank you, my dear kind friend! and they fill me with admiration for your just and clear ideas and noble spirit of criticism; I agree with you in all. I am now copying out all your M.S.S. into a book, that I may be sure I understand them. I have read lately Das Bild, Die Schuld, Wallenstein’s Lager and the prologue to Wallenstein, many of Schiller’s and Goethe’s smaller poems, Minna von Barnhelm and Emilia Galotti and Corregio, – all with great care and great pleasure in my own improvement. I am going to read Sternberg’s Galathee.5

Jameson rédige cette lettre depuis Toronto, et plusieurs des œuvres citées sont abordées et commentées dans Winter Studies and Summer Rambles, ce qui tend à confirmer que le récit publié reprend la pratique épistolaire de Jameson avec Ottilie von Goethe : elles avaient pour habitude de discuter de leurs lectures, notamment par correspondance, et de se communiquer leurs notes.

  1. Ce type de pratique est le sujet de la thèse de Meritxell Simon-Martin, « Barbara Bodichon’s Bildung: Education, Feminism and Agency in Epistolary Narratives », qui met en lumière le rôle joué par l’échange épistolaire dans le développement de la Bildung de Bodichon, dont elle identifie trois dimensions : « critical thinking, identity, and autonomy »6. Elle relève chez Bodichon et ses correspondantes la même effervescence intellectuelle, en particulier à travers leurs discussions littéraires, que nous chez Jameson et Ottilie von Goethe. Meritxell Simon-Martin propose d’adopter le concept de « epistolary education » qu’elle définit ainsi :

my understanding of epistolary education refers to letters as educational instruments: the learning and self-development forged by means of friendship correspondence. As such, epistolary education refers not to teaching how to write epistles but to intersubjective self-cultivation – that is, Bildung.7

Le caractère dialogique du récit de Jameson, souligné par la forme semi-épistolaire, est en effet étroitement lié à la discussion des œuvres allemandes, puisque les premières occurrences du pronom « you », qui participe à suggérer que Winter Studies and Summer Rambles est plus qu’un journal personnel, apparaissent avec les études littéraires : « Has it ever occurred to you that Coleridge must have had this tragedy in his mind when he wrote his “Remorse”? » (34) ; « Did I ever mention to you Madame Arneth? » (34).

  1. Or, la notion de Bildung a été développée par les auteurs allemands, tels que ceux dont discute Jameson. Antoine Berman en donne la définition suivante :

Le concept de Bildung est l’un des concepts centraux de la culture allemande à la fin du XVIIIe siècle. On le retrouve partout : chez Herder, chez Goethe et Schiller, chez les Romantiques, chez Hegel, Fichte, etc. Bildung signifie généralement « culture », et peut être considéré comme le doublet germanique du mot Kultur, d’origine latine. Mais, par la famille lexicale à laquelle il appartient, ce terme signifie beaucoup plus, et s’applique à beaucoup plus de registres : ainsi peut-on parler de la Bildung d’une œuvre d’art, de son degré de « formation ». De même, Bildung a une très forte connotation pédagogique et éducative : le processus de formation. Il n’est pas exagéré d’affirmer que ce concept résume la conception que se fait d’elle-même la culture allemande de l’époque, la manière dont elle interprète son mode de déploiement.8

Étant donné la centralité de cette notion dans la culture allemande, Jameson la connaissait très certainement. Nous souhaitons ainsi suggérer que notre auteure était imprégnée de cette notion et que celle-ci informait sa méthodologie, ce qui est d’autant plus intéressant du fait que les discussions littéraires elles-mêmes portent sur la culture allemande qui était fortement marquée par ce concept à l’époque. La Bildung est ainsi présente thématiquement et structurellement, dans une sorte de mise en abyme. En adressant son récit à toutes les femmes, elle transpose une pratique individuelle de formation en un enseignement à l’échelle collective.

  1. En outre, le récit de voyage s’inscrit dans une longue tradition didactique, que Charles Batten a nommé celle de la « pleasurable instruction »9. Le genre fournit en effet l’occasion à l’auteur d’instruire ses lecteurs sur les pays étrangers qu’il découvre. Jameson écrit par exemple : « It is no unpardonable offence, I hope, to suppose you as ignorant as I was myself, till I came here » (230), démontrant ainsi que le voyage a instruit l’auteure, et qu’à présent le récit va en faire de même pour le lecteur. La portée didactique du genre se prête parfaitement au projet pédagogique de Jameson, ainsi que la figure de la voyageuse, comme Norma Clarke le met en avant :

To be a traveller, especially a traveller alone, which [Jameson] often was, is to be licensed to look, make observations and comparisons, ask questions, draw conclusions. It’s a learning posture. It also leads directly to the role of teacher: she brings back the results of her inquiries and teaches them to those who stayed behind. This traveller is a self-appointed conduit for curious knowledge who has acquired the authority of a personal experience that others do not share and cannot challenge. The creation of such a persona probably explains why Anna Jameson always seems to be travelling alone whether she actually is or not: the idea of the solitary voyager is the leading idea she sought to convey in her books. This is true not only of the books which were obviously about her travels; it is also true of her literary criticism and other works. Anna Jameson’s travels are the free travellings of the mind as well as the body. Intellectually, she casts herself as an explorer, seeking to understand her primary subject: Woman. What she brings back from her travels is not just knowledge but something more nebulous which she seeks, like all good teachers, to impart. This more nebulous understanding has to do with the inter-relationship of teaching, learning, writing and reading with lived experience.10

Ainsi, à travers la figure de la voyageuse, qui devient notamment un double de la lectrice, l’éducation des femmes demeure une fois de plus centrale.

  1. Jameson est engagée dans une entreprise de dissémination du savoir, à l’arrivée de laquelle se situent ses lectrices. Or, la lectrice est dans une certaine mesure façonnée par ses lectures. C’était du moins la théorie prévalente au XIXe siècle (dans la continuité des siècles précédents), selon laquelle les femmes étaient davantage sujettes à l’influence de la littérature que les hommes, et en particulier dans le cas de la fiction. Cependant, les écrits fictionnels n’étaient pas les seuls à susciter la méfiance des censeurs, et les œuvres qui abordaient le sujet de la place des femmes dans la société inspiraient également la défiance. Cela peut s’expliquer par une évolution du point de vue sur la littérature, comme l’explique Kate Flint : « In the later years of the eighteenth century a new apprehension appears: that reading may teach politically seditious attitudes, especially, but not exclusively, challenging the role of the family and the position of woman in relation to authority »11. C’est pourquoi l’image de la lectrice occupe une place si importante dans les débats et les représentations du XIXe siècle et que ses lectures font l’objet d’une observation persistante12.

  2. La force de suggestion attribuée à la littérature au XIXe siècle repose sur l’empathie supposée que les lectrices éprouvent pour les personnages, voire le processus d’identification auquel elles se livrent. Kate Flint nous met en garde et suggère que nous, universitaires, ne devrions pas, à notre tour, voir le lecteur comme un récepteur passif. Il n’en demeure pas moins que c’était ainsi que les lectrices étaient perçues au XIXe siècle, et sans reprendre cette conception à notre compte il convient d’analyser l’œuvre de Jameson informée de ces considérations. Ainsi, nous analysons la représentation que Jameson construit d’elle-même à destination de ses lectrices, en gardant à l’esprit l’influence attribuée à la littérature, et en nous demandant quelle « image idéalisée d’elle[s]-même[s] » elle a pu renvoyer à ses lectrices13. Et cela d’autant plus que, selon F. A. Kirkpatrick, le récit de voyage proposait au XIXe siècle des modèles efficaces à ses lecteurs, qu’il n’envisage que masculins : « [Travel narratives] have provided the substance of a thousand books for boys; and thus, both directly and indirectly, have guided and fired the inclinations of many generations of boys. And every reader, whether boy or man, finds in his favourite books of travel some image of himself and some hint towards moulding himself »14.

  3.  En outre, la Bildung, la formation, se trouve au cœur d’un genre littéraire qui partage de nombreuses caractéristiques avec le récit de voyage : le Bildungsroman. « Le voyage se déploie entre un point de départ et un point d’arrivée et se lit comme transformation du voyageur. Que ce voyage se termine souvent par un retour ne change rien : entre la situation initiale et la situation finale la transformation a opéré et le voyageur, souvent “plein d’usage et de raison”, n’est plus le même que celui qui est parti »15, nous rappelle Jean Viviès. Dans le Bildungsroman, l’intrigue et l’identité du personnage ne font qu'un. Ce lien entre histoire et identité est également soulevé par Paul Ricœur, pour qui l’identité est narrative, et doit ainsi être mise en récit pour être saisie : « Le récit construit l’identité du personnage, qu’on peut appeler son identité narrative, en construisant celle de l’histoire racontée. C’est l’identité de l’histoire qui fait l’identité du personnage »16. Ricœur explique que « l’identité du personnage se comprend par transfert sur lui de l’opération de mise en intrigue d’abord appliquée à l’action racontée ; le personnage, dirons-nous, est lui-même mis en intrigue »17. Ce qui nous intéresse tout particulièrement dans la réflexion de Ricœur, c’est sa thèse selon laquelle « l’histoire d’une vie ne cesse d’être refigurée par toutes les histoires véridiques ou fictives qu’un sujet raconte sur lui-même. Cette refiguration fait de la vie elle-même un tissu d’histoires racontées »18 et le fait que cette narration ait une incidence sur la communauté aussi bien que sur l’individu : « individu et communauté se constituent dans leur identité en recevant tels récits qui deviennent pour l’un comme pour l’autre leur histoire effective »19. Il s’agit donc pour nous d’analyser comment Jameson refigure son identité narrative, en nous intéressant au rôle joué par son lectorat puisque « [c]’est […] seulement par la médiation de la lecture que l’œuvre littéraire obtient la signifiance complète »20. Ricœur précise : « C’est seulement dans la lecture que le dynamisme de configuration achève son parcours. Et c’est au-delà de la lecture, dans l’action effective, instruite par les œuvres reçues, que la configuration du texte se transmute en refiguration »21. En outre, parce que le lecteur élabore son identité narrative en lisant les récits d’autres, l’identité de Jameson n’est pas la seule à être en jeu.

  4. Il n’est plus à démontrer que le « je » des écrits autobiographiques ne peut être compris comme une trace de l’auteur dans le texte qui ne poserait pas problème ou du moins question. Barbara Korte parle de « performance » dans le cas du récit de voyage lorsque le voyageur joue un rôle non seulement à destination des personnes qu'il rencontre, mais aussi des lecteurs22. Ce terme évoque la métaphore filée de la représentation théâtrale utilisée par le sociologue Erving Goffman dans The Presentation of Self in Everyday Life pour qualifier toute interaction sociale. Bien que Goffman se soit intéressé à la mise en présence physique de deux personnes, son analyse ouvre des pistes de recherche intéressantes en littérature si l’on prend en compte « l’ensemble des images valorisantes que l’on tente, dans l’interaction, de construire de soi-même et d’imposer aux autres »23 sans qu’aucun des interlocuteurs ne perde la face. Cette représentation de soi-même et la volonté d’influencer son interlocuteur, ou son lecteur, convoquent le concept d’« ethos », terme par lequel « [l]es Anciens désignaient […] la construction d’une image de soi destinée à garantir le succès de l’entreprise oratoire »24. Il ne s’agit pas de faire son propre éloge dans son discours mais bien d’offrir une vision positive de soi-même à l’autre : « l’ethos se montre, il ne se dit pas »25, insiste Dominique Maingueneau.

  5. L’ethos que Jameson façonne s’adresse aux personnes qu’elle rencontre lors de son périple mais également – et surtout – à son lectorat. En effet, « l’ethos est relié au statut du locuteur et à la question de sa légitimité, ou plutôt au procès de sa légitimation par la parole »26. Or la légitimité des femmes voyageuses à prendre la parole était en suspens et celles-ci devaient la justifier dans leur préface. En fait, ce processus de légitimation ne s’arrête pas à la préface mais se poursuit à travers tout le récit, notamment dans le choix du personnage qu’adoptent ces voyageuses. La femme qui voyage, soumise aux contraintes imposées par les préjugés de son époque, se doit de respecter certaines règles dans la représentation qu’elle offre d’elle-même, sous peine de ne pas être publiée, d’être discréditée ou bien même d’être frappée d’anathème. Mais à ces contraintes normatives s’opposent les attentes suscitées par le genre littéraire adopté, celui du récit de voyage, qui partage certaines caractéristiques avec le roman d’aventure. Les voyageuses se ménagent donc souvent une voie du milieu, présentant une identité genrée ambiguë, caractérisée à la fois par une assurance dite masculine et par une préservation des signes de leur féminité27.

  6. Sara Mills remarque que les voyageuses remettent en cause la place attribuée aux femmes dans la société puisque, à travers leur action, elles montrent bien que s’aventurer à l’extérieur est possible. Ces récits de voyage subvertissent également le discours normatif en omettant, pour la plupart, de mentionner les risques encourus, en particulier celui de la menace masculine :

The texts are also transgressive of the notion that male sexuality is so dangerous that respectable middle-class women need chaperons, even if only because they omit to mention fear of attack. These texts negotiate these constraints by showing women fearlessly wandering abroad without representing them being attacked. This seems to be possible because of the influence of the adventure genre which the travel book is in large part built upon, and yet these adventure elements can only be portrayed, as I showed earlier, when sufficiently modified by other elements. One important element which allows the adventure narrative to be employed is the feminine discourse which denigrates the text itself; at many points of the narrative, the scientific status or quest nature of the text is called into question, and instead it is asserted that the journey is as Mary Kingsley called it simply “a lark” (1897), or as Naomi Mitchinson calls it “mucking around” (Mitchinson: 1981).28

Jameson adopte une stratégie similaire en qualifiant une partie de son voyage de « rambles », et elle n’évoque en fait à aucun moment le danger que représentent ses pérégrinations, si ce n’est lorsqu’elle introduit son projet estival :

I am meditating a flight myself, of such serious extent, that some of my friends here laugh outright; others look kindly alarmed, and others civilly incredulous. Bad roads, bad inns – or rather no roads, no inns; – wild Indians, and white men more savage far than they; – dangers and difficulties of every kind are threatened and prognosticated, enough to make one’s hair stand on end. To undertake such a journey alone is rash perhaps – yet alone it must be achieved, I find, or not at all; I shall have neither companion nor man-servant, nor femme de chambre, nor even a “little foot-page” to give notice of my fate, should I be swamped in a bog, or eaten up by a bear, or scalped, or disposed of in some strange way; but shall I leave this fine country without seeing anything of its great characteristic features? – and, above all, of its aboriginal inhabitants? Moral courage will not be wanting, but physical strength may fail, and obstacles, which I cannot anticipate or overcome, may turn me back; yet the more I consider my project – wild though it be – the more I feel determined to persist. (191)

Dans son récit, Jameson fait parfois allusion à certaines difficultés, mais cela afin de mieux mettre en valeur le caractère aventureux de son voyage et l’aisance avec laquelle elle surmonte les obstacles. Ici, elle mentionne les dangers qu’elle va courir : la mort et/ou pire le déshonneur. La référence « wild Indians, and white men more savage far than they » apporte en effet une précision quant à la nature du danger encouru. Cependant, le recours à l’humour, à travers l’énumération hyperbolique, dédramatise la situation et a pour effet de nier le sérieux du danger. En outre, le ton adopté par Jameson et les épanorthoses qui soulignent le caractère épique de son entreprise participent à sa transformation en héroïne dotée d’un destin tragicomique et achèvent le désamorçage textuel de la menace.

  1. Cela est étayé par le précieux témoignage du révérend Henry Scadding qui relate sa rencontre avec Jameson, après son circuit dans la région des lacs. Ces souvenirs personnels offrent un éclairage supplémentaire sur l’écart entre la narration du voyage de Jameson et la réalité. Scadding rapporte ainsi un échange entre Jameson et les jeunes femmes de la maison :

The hands of Mrs. Jameson were remarkably beautiful. How their extreme whiteness and delicacy were preserved during the unavoidable inconveniences and exposure of the recent extensive canoe trip was a mystery, but I think in relation to some allusion to this escape I overheard a strong hint given to one of her young lady friends, that never under any circumstances must the hands be ungloved for one moment in the out-of-door air, or sunlight, a precept enforced by a reiterated emphatic never. I also gathered that a Bible and Shakespeare were almost the sole literary companions of her voyage, and that a small stiletto or poignard was secretly carried for self-defence if there should be any need. And once I recollect in allusion to her safety in the journey just accomplished she good-humouredly repeated some lines from a familiar song of Dibdin’s: “They say there’s a Providence sits up aloft, to keep watch for the life of poor Jack”.29

Le poignard n’est jamais mentionné dans Winter Studies and Summer Rambles. Le fait qu’il soit passé sous silence participe à la stratégie soulevée par Sara Mills selon laquelle les voyageuses ne figurent pas dans leur récit la possibilité d’une atteinte à leur intégrité, stratégie qui semble être partiellement reprise ici par le choix de l’irréel (« if there should be any need »). En outre, cette anecdote donne à voir l’irruption d’un homme dans un échange privé, de femme à femme, dans lequel Jameson tient vraisemblablement le rôle de mentor et de guide (« one of her young lady friends »). La main blanche apparaît comme la métonymie de la féminité et de la bienséance. Par son emploi du mot « exposure », Scadding fait référence à l’exposition de la peau aux rayons du soleil mais il aurait tout aussi bien pu utiliser ce mot pour signifier le caractère public de l’entreprise de Jameson qui se soumet à la vue de ses lecteurs, ou encore au risque encouru d’être « exposed », c’est-à-dire d’être démasquée, d’être révélée dans sa vraie nature, quelle qu’elle fût. La polysémie du terme anglais permet ainsi de parcourir les implications qui se cachent derrière la nécessité de montrer patte blanche. Enfin, la citation finale capte notre attention à deux titres. Dans ce qui pourrait être une stratégie d’évitement, Jameson déplace l’attention de ses auditeurs, de son expérience personnelle à un personnage fictif, en citant la fin de la première strophe de « Poor Jack », une chanson de Charles Dibdin30. Il est intéressant de noter que le masque qu’elle revêt est celui d’un personnage masculin. En outre, cette citation se fait l’écho de nombreuses références à la Providence dans le récit publié et suggère que la Bible, comme le gant, sert dans une certaine mesure à sauvegarder la respectabilité de Jameson.

  1. On trouve de nombreux exemples de la façon dont Jameson met en relief sa féminité dans la dernière étape de son périple. Elle voyage de l’île de Manitoulin à Toronto en canoë en compagnie d’une vingtaine d’hommes, et voici comment elle présente ses compagnons de voyage :

Did I not say Providence took care of me? Always I have found efficient protection when I most needed and least expected it; and nothing could exceed the politeness of Mr. Jarvis and his people; it began with politeness, – but it ended with something more and better – real and zealous kindness.

Now to take things in order, and that you may accompany us in our canoe voyage, I must describe in the first place our arrangements. […]

There were two canoes, each five-and-twenty feet in length, and four feet in width, tapering to the two extremities, and light, elegant, and buoyant as the sea-mew when it skims the summer waves: in the first canoe were Mr. Jarvis and myself; the governor’s son, a lively boy of fourteen or fifteen, old Solomon the interpreter, and seven voyageurs. My blankets and night-gear being rolled up in a bundle, served for a seat, and I had a pillow at my back; and thus I reclined in the bottom of the canoe, as in a litter, very much at my ease: my companions were almost equally comfortable. I had near me my cloak, umbrella, and parasol; my note-books and sketch-books, and a little compact basket always by my side, containing eau de Cologne, and all those necessary luxuries which might be wanted in a moment, for I was well resolved that I would occasion no trouble but what was inevitable. (565)

Tout d’abord, notons l’interpolation du pronom « you » et donc de la figure de la correspondante qui fonctionne ici de manière explicite à la fois comme accompagnatrice, voire comme chaperon, et comme élève. Puis, grâce à la mention de la Providence, les compagnons de voyage sont d’emblée auréolés d’une respectabilité qui est renforcée par la suite du texte. Ces vingt-et-un hommes ne représentent pas un danger mais une protection. Cette construction est consolidée par la désexualisation de certains qui sont soit trop vieux (« old Solomon »), soit trop jeune (« a [...] boy ») pour représenter une menace31. De plus, Jameson se positionne à côté de la figure d’autorité, Samuel Jarvis, surintendant en chef des Affaires Indiennes du Haut-Canada, et se place ainsi symboliquement sous sa tutelle.

  1. La féminité de Jameson est rendue manifeste tout au long du voyage, par la référence à certains rites ou, comme ici, à certains objets. Une fois de plus, la féminité est suggérée par métonymie : « I had near me my cloak, umbrella, and parasol ». Ces trois éléments fonctionnent comme des talismans qui servent de protection contre les éléments, certes, mais également, symboliquement, contre une agression, et enfin contre la possibilité d’une incrimination de la respectabilité de Jameson. « Cloak » comporte au sens figuré l’idée de dissimulation, tandis que la double référence à « umbrella » et « parasol » multiplie les strates de protection, « umbrella » pouvant signifier « égide » au sens figuré. Ces objets énoncent la féminité de Jameson et la protègent contre le scandale. Ces précautions prises, Jameson peut se prévaloir d’être la seule femme présente : « The party consisted altogether of twenty-two persons, viz. twenty-one men, and myself, the only woman » (566). Tout au long de la narration de ce dernier voyage, Jameson se dépeint comme une princesse entourée de preux chevaliers. Cette insistance sur sa féminité est un procédé rhétorique qui lui permet de nier le danger qui l’entoure.

  2. Cette revendication de la féminité, telle qu’elle était conçue au XIXe siècle, s’accommode parfois difficilement des conventions littéraires du récit de voyage, proche du récit d’aventure. La situation paradoxale des voyageuses les mène alors à assumer les contradictions de leur personnage sur un ton parodique, comme l’explique Sara Mills :

Some of the texts also transgress the notion of imperial rule, making fun of some of the heroic adventure figures which can be found in male travel texts. Thus, the clash of feminine and colonial discourses constructs texts which are at one and the same time presenting a self which transgresses and which conforms both to patriarchal and imperial discourses. In short, women travellers could not wholeheartedly speak with the voice of colonial discourse, at least not consistently, firstly, because of their role in western society and the way this was structured by the discourses of femininity, secondly, because some of them had rejected this role by travelling unchaperoned, and thirdly, because they had few discursive places within western colonial institutions.32

L’humour est donc une stratégie majeure que les voyageuses utilisent pour se ménager une porte d’entrée dans la littérature de voyage. Cette voie étroite, cet interstice, c’est l’intertexte.

  1. Jameson livre une illustration de ce phénomène lorsqu’une scène de lutte contre les moustiques se transforme en une bataille épique. Cette scène se déroule sur le lac Huron, alors que Jameson voyage en canoë de Mackinaw à Sault Ste Marie en compagnie de Mrs Schoolcraft et de ses enfants :

[W]e did at length reach this promised harbour of rest and refreshment. Alas! there was neither for us; the moment our boat touched the shore, we were enveloped in a cloud of mosquitoes. Fires were lighted instantly, six were burning in a circle at once; we were well nigh suffocated and smoke-dried – all in vain. At last we left the voyageurs to boil the kettle, and retreated to our boat, desiring them to make us fast to a tree by a long rope; then, each of us taking an oar — I only wish you could have seen us — we pushed off from the land, while the children were sweeping away the enemy with green boughs. This being done, we commenced supper, really half famished, and were too much engrossed to look about us. Suddenly we were again surrounded by our adversaries; they came upon us in swarms, in clouds, in myriads, entering our eyes, our noses, our mouths, stinging till the blood followed. We had, unawares, and while absorbed in our culinary operations, drifted into the shore, got entangled among the roots of trees, and were with difficulty extricated, presenting all the time a fair mark and a rich banquet for our detested tormentors. The dear children cried with agony and impatience, and but for shame I could almost have cried too. (480-81)

Cette anecdote est transformée en aventure grâce au rythme enlevé mis en place par les compléments circonstanciels de temps (« the moment our boat touched the shore », « instantly », « at once », « suddenly ») et au ton emphatique employé, ainsi que l’illustrent les nombreuses hyperboles et l’interjection « Alas! ». Cette dernière, qui relève du domaine poétique, est employée ici à dessein humoristique. L’écart entre le prosaïque de la situation et la grandiloquence du ton adopté génère le rire. Le sérieux de la situation, présentée comme désespérée, voire potentiellement fatale (« we were well nigh suffocated », « famished »), est enrayé par l’évolution des risques encourus : le risque de suffocation est remplacé par celui du boucanage, tandis que la famine n’est que demi-famine (« really half famished »). Les moustiques personnifiés sont élevés au rang d’adversaires et de tortionnaires (« the enemy », « our adversaries », « our detested tormentors »), tandis que nos héros, femmes et enfants, sont réifiés en un festin. La chute du sublime au ridicule est totale lorsqu’ils se retrouvent empêtrés dans les végétaux.

  1. Cette parodie du récit épique, dans laquelle le sang est tout de même versé (« stinging till the blood followed »), est jouée à l’intention des lecteurs. Les conventions sociales européennes sont toujours valables puisqu’elles empêchent la voyageuse de laisser libre cours à ses larmes. De plus, la parenthèse qu’elle adresse à sa correspondante, « I only wish you could have seen us », affirme d’une part le caractère visuel de la scène, et signale d’autre part le fait qu’elle est théâtralisée par la narratrice au bénéfice de la lectrice. Cette reconstitution narrative est volontairement mise en scène par une narratrice qui se pare de l’autorité masculine évoquée par le genre du récit d’aventure, tout en le disqualifiant par la parodie. Dominique Maingueneau insiste sur le fait que « le discours réinvesti n’est pas n’importe quel autre, mais un discours qui a été choisi parce que c’est précisément la captation ou la subversion de ce discours-ci qui est cruciale pour la légitimation du discours réinvestisseur »33. C’est donc bien le discours masculin d’aventure que Jameson souhaite intégrer à son récit, dans un jeu intertextuel qui établit la complicité de l’auteure et de sa lectrice.

  2. L’identité genrée du personnage, qu’elle soit hyper-féminisée ou bien masculine, est abordée par le biais de personnages littéraires. Le personnage est en effet construit au gré d’identifications à des figures littéraires appartenant à des genres précis. L’intertexte sert alors à façonner « l’intersexe ». En employant le terme « intersexualité », nous ne souhaitons pas renvoyer à la condition biologique, mais qualifier l’entre-deux dans lequel Jameson situe son personnage en se réclamant à la fois de figures masculines et de figures féminines. Cette androgynie procède du jeu avec l’intertextualité, que nous entendons dans un sens large comme la référence à d’autres textes. Le jeu intertextuel avec le récit d’aventure est le plus fréquent, comme lorsque Jameson adopte le masque de l’aventurier et s’exclame : « I hope better things. So evviva la speranza! and Westward Ho! » (386). Jameson brouille ainsi les catégories d’identité sexuelle. Cet affolement est possible et toléré uniquement parce qu’il s’agit de littérature, et également grâce au rapport ludique que le texte entretient avec d’autres.

  3. Le récit de voyage se prête particulièrement à pareille intertextualité, puisque les voyageurs commentent et citent les textes de leurs prédécesseurs, qu’ils ont lus au préalable et qui les accompagnent parfois. Avec la tradition du « Grand Tour » et la modernisation des moyens de transport, le XIXe siècle avait vu le nombre de voyageurs en Europe se multiplier. Lorsque ces voyageurs écrivaient, ils étaient très influencés par certains textes :

Romantic authors such as Germaine de Staël, Lord Byron, William Hazlitt, and Samuel Rogers provided prototypes and models for these efforts. […] More than any others, though, it was de Staël’s novel Corinne, or Italy (1807) and Byron’s four-canto travelogue poem Childe Harold’s Pilgrimage (published in parts between 1811 and 1817), who established a new paradigm suitable for the dawning age of mass tourism.34

Les critiques de Winter Studies and Summer Rambles ont relevé ces influences sur Jameson, qui, rappelons-le, avait fait le « Grand Tour » et en avait tiré un récit fortement influencé par Corinne ; ou l’Italie de Madame de Staël : A Diary of an Ennuyée (1826). Marian Fowler a souligné les traits « byroniens » de ce récit de jeunesse :

Diary of an Ennuyée established the Byronic pattern which Anna would use again in her Canadian writing, for she exploits her self-consciousness and dramatic self-projections, just as Byron projected an image of himself and then let the image do the work. Anna even chooses two of Byron’s masks: sensitive Childe Harold, and swashbuckling Don Juan.35

  1. En dépit du fait qu’elle rappelle constamment sa féminité, à plusieurs reprises, Jameson se singularise et prend ses distances avec les autres femmes, soulignant le caractère exceptionnel de ses prouesses. Ainsi, elle déconseille à tous, et en particulier à une femme, d’arriver à Toronto par les mêmes moyens que ceux qu’elle a empruntés :

I had travelled half over the continent of Europe, often alone, and had never yet been in circumstances where [fair words, presence of mind, and money] availed not. In my ignorance I could conceive none; but I would not lightly counsel a similar journey to anyone – certainly not to a woman. (10)

Jameson met également en avant le fait qu’elle fut la première Européenne à avoir descendu les rapides de Sault Ste Marie (« the first European woman » 499). Le fait qu’elle revendique sa féminité tout en se distinguant des autres femmes pourrait paraître paradoxal. Il nous semble que ce paradoxe trouve sa résolution dans le fait que, dans le récit, Jameson n’est plus une femme mais une héroïne. Elle devient un personnage de littérature et, au même titre qu’une héroïne de fiction, peut prétendre au rôle de modèle pour ses lectrices.

  1. Les deux parties de Winter Studies and Summer Rambles servent le même dessein d’offrir un modèle auquel les lectrices pourraient s’identifier. « Winter Studies » présente une série de ces images, sur un mode qui se rapproche de celui de la biographie collective. Dans sa critique littéraire, Jameson nous fait parcourir une galerie de portraits d’actrices, et commente plusieurs figures féminines en littérature. La biographie collective était un genre accessible aux femmes et très en vogue au XIXe siècle. Jameson l’avait déjà pratiquée à maintes reprises, avec Memoirs of the Loves of the Poets (1829), Memoirs of Celebrated Female Sovereigns (1831), ou encore Memoirs of the Beauties of the Court of Charles II (1831). Kate Flint met en lumière la popularité des recueils présentant des modèles aux lectrices au XIXe siècle :

That identification was believed to happen when one read, and that it was thought that reading could powerfully instil and confirm desirable moral and social qualities, is exemplified particularly clearly in the numbers of brief biographical compilations produced during the period, and in the language of their prefaces and introductions. John Maw Darton’s 1880 edition (18th, expanded) of Famous Girls, who have become Illustrious Women, a counterpart to Brave Boys who have become Illustrious Men of our time (1880), for example, ranges from Margaret Roper, “The Loved Daughter of Sir Thomas More” and Fanny Burney, through Madame de Staël and Harriet Martineau, to Jenny Lind, the Princess of Wales, and Angela Burdett Coutts. Darton claims, in his editor’s note, that his aim was “to stimulate the minds of the daughters of England to courses of action as noble and intellectual as those which have made famous the heroines of my volume” (Editor’s note).36

Jameson se livre ainsi dans une première partie à un examen des modèles proposés dans la littérature pour ensuite en proposer d’autres dans la deuxième partie.

  1. Dans « Summer Rambles », le personnage « joué » par Jameson semble tout droit sorti d’un récit d’aventure, tout en continuant à présenter une figure féminine respectable. Jameson offre ainsi à ses lectrices un autre modèle, et d’autres possibilités que ces blondes, vertueuses (et ennuyeuses), ou que ces brunes rebelles qui ne peuvent que mourir37. Ce rejet des stéréotypes est exprimé par Jameson lorsqu’elle refuse celui de la vieille fille :

Let us then have no more caricatures of methodistical, card-playing, and acrimonious old maids. Let us hear no more of scandal, parrots, cats, and lapdogs – or worse! – these never-failing subjects of derision with the vulgar and the frivolous, but the source of a thousand compassionate and melancholy feelings in those who can reflect! In the name of humanity and womanhood, let us have no more of them! (121-22)

À la fin du XIXe siècle, les compilations de modèles féminins à destination des lectrices devaient se multiplier. On peut noter l’originalité de Brave Little Women: Stories of the Heroism of Girls Founded on Fact (1888) de Marie Trevelyan, qui écrit dans sa préface :

[C]ourage and self-sacrifice are more likely to be fostered in the characters of girls by means of stories from real life, in which heroism plays a prominent part, than by sentimental fiction relating to commonplace events. Boys are stimulated in their efforts by records of thrilling adventures, and it would be satisfactory if similar circumstances awakened the latent heroism of our own little women.38

Or, bien avant Trevelyan, Jameson avait présenté à ses lectrices un modèle à suivre inspiré de récits d’aventure.

  1. En utilisant des figures littéraires ancrées dans les mentalités, dans une œuvre relevant du genre autobiographique, Jameson fait jouer à plein ce que Sidonie Smith a appelé la « performativité autobiographique ». À partir du postulat selon lequel il n’y a pas de « moi » unifié qui existe antérieurement à la narration, Sidonie Smith élabore une conception de l’autobiographie comme performative, en s’inspirant des travaux de Judith Butler sur le genre. Ainsi, c’est l’autobiographie qui produit le « moi » et, comme dans le cas du genre, il s’agit, à travers la répétition, de créer ce qui est censé être décrit. Dans ce cas, l’autobiographie peut devenir un moyen de contrôler la société, comme l’affirme Sidonie Smith : « Thus autobiographical storytelling emerged as one powerful means of constituting bourgeois subjects and thereby regulating both bodies and selves »39. Cependant, cette entreprise est vouée à l’échec puisque le « moi » n’est pas une entité cohérente et est traversé par des commandes contradictoires. Par exemple, être une bonne mère, être une bonne travailleuse, être un objet de désir hétérosexuel, etc. Ces éventuelles contradictions ouvrent un espace de contestation car le fait que ces demandes soient parfois incompatibles montre que le sujet est hétérogène. La variation dans la répétition devient alors possible. Sidonie Smith utilise enfin le concept de « disidentification » de Teresa de Laurentis pour suggérer l’existence de modes de résistance : « Through tactical dis/identifications, the autobiographical subject adjusts, redeploys, resists, transforms discourses of autobiographical identity »40. Et elle conclut :

The history of an autobiographical subject is the history of recitations of the self. But the self does not exist prior to its recitations, then autobiographical storytelling is a recitation of a recitation. Ultimately, as Jerome Bruner has argued, the life as lived experientially is itself performative. The living of a life becomes the effect of the life as narrated.41

Ce que la performativité autobiographique implique à l’échelle individuelle a des répercussions au niveau collectif, en raison de l’influence de la littérature et des modèles qu’elle présente aux lectrices. De la même façon que l’écriture autobiographique est performative, la littérature fait effet dans le réel :

[les énoncés politiques ou littéraires] définissent des modèles de parole ou d’action mais aussi des régimes d’intensité sensible. Ils dressent des cartes du visible, des trajectoires entre le visible et le dicible, des rapports entre des modes de l’être, des modes du faire et des modes du dire. Ils définissent des variations des intensités sensibles, des perceptions et des capacités des corps.42

Ainsi, non seulement Jameson se « refigure », mais elle « reconfigure » ce qu’une femme peut ou ne peut pas faire, ce qu’une femme peut ou ne peut pas écrire. Grâce à sa gestion prudente des conventions génériques, Jameson brouille la définition de la femme au XIXe siècle et présente un autre modèle à ses lectrices.

  1. La véridicité du récit de voyage était souvent mise en cause et ce plus encore lorsqu’il avait été écrit par une femme : « women’s travel writing, which because of discursive pressures, may seem to contain more of the personal, may by that inclusion seem also more prone to accusations of lying »43. Pour se prémunir contre ces critiques, les femmes prenaient soin d’identifier les attentes de leurs lecteurs et de s’y conformer : « before a woman begins to write, she must take into account the “stories” which have been constructed around women in her society. The texts are being judged according to the standard of vraisemblance which a society constructs of its representations »44. Les textes seraient jugés faux s’ils ne correspondaient pas aux représentations de la société. Or, la véracité du récit de Jameson n’a jamais été mise en doute45, ce qui tend à suggérer que son entreprise de refiguration et de reconfiguration fut un succès. L’image de la femme forte et indépendante qu’elle présente fut acceptée, grâce à sa réappropriation des contraintes discursives pesant sur les femmes voyageuses46. C’était une étape déterminante puisque c’est le lecteur, par sa lecture, qui achève la refiguration. En se situant dans l’entre-deux, Jameson parvient à brouiller les limites génériques et à proposer une autre compréhension de la femme. En effet, les critiques ne portèrent pas sur son comportement ou sur son positionnement narratif, mais sur les propos explicites qu’elle tint concernant la situation des femmes. Finalement, ces propos qui retinrent l’attention des critiques jouèrent le rôle de leurres, de diversions, qui les empêchèrent de voir la reconfiguration qui se produisait au niveau du texte47.

  2. Tandis que la lectrice participait à la refiguration de l’identité de la voyageuse, en recevant son récit et son identité narrative, Jameson reconfigurait les limites de la féminité, d’abord en partageant avec sa lectrice ses notes de lecture, ensuite en incarnant une figure de femme forte dans un genre se prétendant réaliste, donnant ainsi vie à une héroïne plausible. Paradoxalement, il semblerait que l’omission de Jameson aujourd’hui signale la réussite de son entreprise, dans la mesure où, ses œuvres ayant fait leur office, elle fut assimilée par la jeune génération jusqu’à être complètement absorbée. C’est ce qu’Alison Booth suggère en identifiant le rôle de Jameson comme celui d’une mentor fraternelle :

Jameson's own example as well as her published biographical collections functioned as models for Anglo-American middle-class women's cultural quest. Indeed, she was as spectacular a celebrity as any public intellectual in her day or ours. Her success and subsequent obscurity can be attributed to several factors that offer further insight into the biographical records of women. Jameson contributed to a number of genres that were inviting to women writers in her day, but the narrowing professional definition of literary genres has since worked against her: she was neither novelist nor poet, nor did she produce monographic history or biography. Furthermore, her doom was spelled in part by her biographical construction by other women writers; the network of recognition that she helped to weave ultimately ensnared her. And finally, Jameson modeled her own narrative persona as sisterly instructor, a type ill-adapted to survive into the twentieth century.48

La consécration ultime de l’auteure fut peut-être son entrée dans les livres de modèles, tel que A New Spirit of the Age (1844) : « Mrs. Jameson is an established favourite with the public. She is an accomplished woman, an elegant writer, and her refined taste and quick sensibility are good influences on her age »49. Jameson fit ainsi des émules parmi ses lectrices, elle qui était, selon Ray Strachey, « the idol of thousands of young ladies »50, et sans aucun doute parmi ses homologues. Quelques années plus tard, Margaret Fuller marcherait en effet dans les pas de Jameson, pas physiques dans la région des lacs, ainsi que littéraires par son exploration de la littérature allemande et sa traduction des œuvres de Goethe51.

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1 C. Thomas, Love and Work Enough, Toronto, University of Toronto Press, 1967, 209.

2 G. H. Needler (ed.), Letters of Anna Jameson to Ottilie von Goethe, Londres, OUP, 1939, 101.

3 Toutes les références à Winter Studies and Summer Rambles in Canada renvoient à l'édition de 2008. Les numéros de page seront donnés entre parenthèses directement dans le corps du texte.

4 Voir par exemple The Spectator : « We saw no necessity, however, for reminiscences of German actresses, and criticisms on German authors, in a book on the Canadas. These might easily have been spared; for, however good, they are out of place » (The Museum of Foreign Literature, Science and Art, vol VII – janvier à avril, 1839, 143-147, 143).

5 Ibid., 73-74.

6 M. Simon-Martin, Barbara Bodichon’s Bildung: Education, Feminism and Agency in Epistolary Narratives, thèse de doctorat, Winchester University, 2012, 10.

7 Ibid., 49.

8 A. Berman, L’Épreuve de l’étranger, Paris, Gallimard, 1984, 72.

9 C. Batten, Pleasurable Instruction, Berkeley-Los Angeles, University of California Press, 1978.

10 N. Clarke, « Anna Jameson: “The Idol of Thousands of Young Ladies” » in M. Hilton et P. Hirsch (ed.), Practical Visionaries, Harlow, Pearson Education, 2000, 69-83, 75-76.

11 K. Flint, The Woman Reader, 1837-1914, Oxford, Oxford University Press, 1993, 24.

12 Ibid., 4, 10-11.

13 R. M. Brownstein, Becoming a Heroine (1982), Harmondsworth, Penguin Books, 1984, xiv.

14 F. A. Kirkpatrick, « The Literature of Travel » in A. W. Ward, et A. R. Waller (ed.), The Cambridge History of English Literature, vol. XIV, Cambridge, Cambridge University Press, 1916, 240-256, 256.

15 J. Viviès, Le Récit de voyage en Angleterre au XVIIIe siècle. De l’inventaire à l’invention, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 1999, 163.

16 P. Ricœur, Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990, 175.

17 Ibid., 170.

18 P. Ricœur, Temps et récit III, Paris, Seuil, 1985, 443.

19 Ibid., 444.

20 Ibid., 286.

21 Ibid., 287.

22 B. Korte, English Travel Writing (1996), New York, Palgrave, 2000, 12-13. Le terme « performance » est difficilement traduisible en français, en raison des nombreuses connotations du terme anglais.

23 C. Kerbrat-Orecchioni, « Théorie des faces et analyse conversationnelle » in R. Castel, J. Cosnier, I. Jacob (dir.), Le Parler frais d’Erving Goffman, Paris, Minuit, 1989, 155-179, 156.

24 R. Amossy, « Introduction » in R. Amossy (dir.), Images de soi dans le discours, Lausanne, Delachaux et Niestlé, 1999, 9-30, 10. Voir également E. Goffman, La Mise en scène de la vie quotidienne, Paris, Minuit, 1973.

25 D. Maingueneau, « Ethos, scénographie, incorporation », in R. Amossy (dir.), Images de soi dans le discours, Lausanne, Delachaux et Niestlé, 1999, 75-100, 77.

26 R. Amossy, « Introduction », 18.

27 S. Foster, Across New Worlds, Londres, Harvester Wheatsheaf, 1990, 11 ; B. Korte, English Travel Writing (1996), New York, Palgrave, 2000, 118.

28 S. Mills, Discourses of Difference, New York, Routledge, 1991, 105-106.

29 H. Scadding, « Mrs. Jameson on Shakespeare and the Collier Emendations », The Week, 1892, 12.

30 Charles Dibdin (1745-1814), auteur, compositeur et acteur anglais.

31 W. Roy, Maps of Difference, Montreal, McGill-Queen's University Press, 2005, 25.

32 S. Mills, Discourses of Difference, New York, Routledge, 1991, 106.

33 P. Charaudeau, D. Maingueneau (dir.), Dictionnaire d’analyse du discours, Paris, Seuil, 2002, 93-94.

34 J. Buzard, « The Grand Tour and after (1660-1840) » in P. Hulme et T. Youngs (ed.), The Cambridge Companion to Travel Writing, Cambridge, Cambridge University Press, 37-52, 49.

35 M. Fowler, The Embroidered Tent, Toronto, Anansi, 1982, 145.

36 K. Flint, The Woman Reader, 1837-1914, Oxford, Oxford University Press, 1993, 36.

37 Cette opposition est souvent illustrée par The Mill on the Floss (1860), entre Maggie Tulliver et Lucy Deane, paru bien après Winter Studies and Summer Rambles, ainsi que par l’opposition de Corinne la brune à Lucile Edgermond la blonde dans Corinne ou l’Italie.

38 M. Trevelyan, Brave Little Women: stories of the heroism of girls founded on fact, 1888, préface. Cité dans K. Flint, The Woman Reader, 1837-1914, Oxford, Oxford University Press, 1993, 38.

39 S. Smith, « Performativity, Autobiographical Practice, Resistance », a/b: Auto/Biography Studies 10 (1) 1995, 17-33, 19.

40 Ibid., 21.

41 Ibid.

42 J. Rancière, Le Partage du sensible : esthétique et politique, Paris, La Fabrique-éditions, 2000, 62-64.

43 S. Mills, Discourses of Difference, New York, Routledge, 1991, 116.

44 Ibid., 120.

45 « I have found no instances of reviewers quibbling as to the veracity of Anna’s observations and the pertinence of her references, though complimentary comments on these facets of her work are commonplace » (C. Thomas, « Afterword » (1990), Winter Studies, Toronto, McClelland & Stewart, 2008, 595).

46 « [S]he had deliberately written herself up as feminine, yet intrepid, and most of her reviewers bought her version of herself, and celebrated her adventures accordingly » (J. Johnston, Anna Jameson, Aldershot, Scolar Press, 1997, 120).

47 Voir la distinction que Ellen Moers fait entre « heroinism » (ou « literary feminism ») et « feminism » (E. Moers, Literary Women, Londres, W.H. Allen, 1977, 121-126).

48 A. Booth, « The Lessons of Medusa: Anna Jameson and Collective Biographies of Women », Victorian Studies, 42.2 (Jan 1999), 257-288, 264.

49 R. H. Horne, A New Spirit of the Age, New York, J. C. Riker, 1844, 234.

50 R. Strachey, The Cause: A Short History of the Women’s Movement in Great Britain (1928), Londres, Virago, 1978, 89.

51 « Fuller’s own travel memoir, Summer on the Lakes, emulating Jameson’s journey westward » (A. Booth, How To Make It as a Woman: Collective Biographical History from Victoria to the Present, Chicago, University of Chicago Press, 2004, 183-4).