« I speak according to the Book » : propagande et vouloir-dire dans Nixon in China de John Adams et Alice Goodman

Mathieu Duplay

Université Paris Diderot — Paris 7

  1. Consacré à la visite de Richard Nixon à Pékin en février 1972, Nixon in China (1987) est, à plus d’un titre, un opéra de la propagande. Quoique peuplé d’hommes et de femmes politiques — deux présidents, un premier ministre, le Conseiller à la Sécurité Nationale des États-Unis1, sans oublier Chiang Ch’ing2, épouse de Mao et instigatrice de la Révolution Culturelle — Nixon in China n’a pas pour enjeu premier la manière dont l’action individuelle peut infléchir le cours de l’histoire, mais l’emprise qu’exercent les représentations de l’événement sur ceux qui les contemplent, le pouvoir de fascination grâce auquel les images déterminent notre appréhension du monde et orientent notre action. En témoigne la structure de cet étrange ouvrage qui tient moins du drame que du tableau vivant et où, en l’absence d’intrigue, tout se joue dans la relation complexe entre ce qui est montré et ce qui est vu, entre le spectacle d’un nouvel ordre mondial encore fragile mais déjà présenté comme immuable, et le regard de spectateurs plus ou moins dupes. L’intrigue tourne court dès le lever de rideau ; passé la première scène, où le président américain échange avec Chou En-lai une cordiale poignée de main3, le livret raconte moins l’histoire en train de se faire qu’il ne décrit l’interminable ennui de personnages désœuvrés dont l’unique tâche consiste à prendre devant les caméras les poses les mieux à même de convaincre que l’amitié sino-américaine est à la fois sincère et viable. Après une séance de travail dont ne ressort rien de concret excepté quelques clichés de la conversation entre Nixon et Mao (II.2), la délégation américaine et ses hôtes chinois errent, sous l’œil des journalistes, de réceptions protocolaires (I.3) en visites touristiques (II.1) pour finalement s’adonner, dans la solitude de leur chambre à coucher, à une méditation désabusée sur les échecs intimes que dissimule la persona prêtée aux chefs d’Etat par les médias officiels (III). Peu à peu, l’événement se dilue, perd son caractère de nouveauté, dessine un état plutôt qu’un devenir ; mis en avant pour ce qu’ils sont (et donc dispensés d’agir), les personnages composent sous l’œil du public des configurations statiques, tant et si bien que le titre qui d’abord sonnait comme la « une » d’un journal finit par évoquer la légende d’un tableau vivant ou d’une photographie commémorative. Quelque chose s’est produit, et pourtant le temps s’est arrêté ; le transitoire se pare de tous les attributs de la permanence, et l’enjeu semble être moins de raconter que de dessiner la nouvelle cartographie du possible et de l’impossible, de décrire la réalité décrétée par les deux gouvernements tout en signalant à quel point les vérités officielles s’apparentent à des fictions y compris, voire surtout, pour ceux qui les promulguent.

  2. Il est vrai que le sujet choisi se prêtait à un tel traitement. Le voyage de Nixon à Pékin ne peut être présenté comme une simple opération de communication, car il répondait, notamment aux yeux des hôtes chinois, à des besoins pressants et réels. Comme le rappelle Jonathan D. Pollack4, l’hostilité croissante de l’Union Soviétique envers la Chine populaire suscitait chez ses dirigeants une inquiétude particulièrement vive depuis l’invasion de la Tchécoslovaquie (1968), d’autant que la perspective d’un retrait américain du Vietnam pouvait laisser craindre que Moscou n’ait désormais le champ libre en Asie. Par ailleurs, Mao souhaitait reprendre la main en politique intérieure alors que la Révolution Culturelle, qui durait depuis 1966, avait plongé le pays dans le chaos et encouragé de vifs affrontements entre factions rivales, notamment celle que conduisait le maréchal Lin Biao, son successeur désigné5 : en accueillant le président américain, Mao espérait marginaliser les éléments les plus radicaux au sein du Parti Communiste et prévenir ainsi un coup d’État militaire tout en aidant Zhou Enlai à stabiliser le pays6. Cela dit, les minutes du sommet sino-américain7, tout comme le livret de Goodman8, le montrent déterminé à ne tenir que des propos d’une obscurité calculée, soit qu’il n’ait pas été très sûr de sa décision9, soit qu’il ait eu à cœur de ne rien dire qui puisse le compromettre par la suite10. De son côté, Nixon espérait affaiblir la position internationale de l’Union Soviétique et prendre par surprise, à l’approche des élections de novembre 1972, une opinion publique lasse de la guerre et marquée par dix ans de conflits sociaux11. Arrivé à Pékin, il n’en fit pas moins preuve d’une prudence égale à celle de Mao : publié le 28 février 1972, le communiqué issu du sommet se contente de réaffirmer de grands principes et garde une extrême réserve sur la question diplomatique la plus épineuse, celle des rapports entre la République Populaire de Chine et le gouvernement nationaliste de Taïwan12. En somme, les échanges sino-américains n’entraînèrent dans l’immédiat aucune conséquence pratique. Destinés, dans un premier temps, à frapper les esprits, ils relèvent à ce titre de la « sub-propagande » au sens que Jacques Ellul donne à ce terme13, c’est-à-dire qu’ils manifestent un vouloir-dire impérieux que, pour l’heure, n’accompagne aucun dire effectif : les peuples sont conviés à écouter la parole de leurs gouvernants et à les suivre le moment venu, mais sans que l’on sache encore de quelle manière. C’est en tout cas ce que suggère, dans Nixon in China, le caractère essentiellement phatique d’une conversation entre chefs d’État qui se parlent pour ne rien dire14.

  3. Tout naturellement, John Adams et sa librettiste Alice Goodman sont donc amenés à s’interroger sur le rapport que leur œuvre entretient avec les formes artistiques de la propagande, sur leur propre vouloir-dire musico-théâtral et sur ses relations complexes avec le discours du pouvoir. Pour cela, ils tirent prétexte d’une donnée historique. Au soir du 22 février 1972, les visiteurs américains purent assister à une représentation du Détachement féminin rouge (1964), ballet révolutionnaire dont Jiang Qing, l’épouse du président Mao, avait fait en 1966 l’un des huit « spectacles modèles » censés appeler à la refondation de l’identité culturelle chinoise sur des bases marxistes-léninistes15. Dans Nixon in China, cet événement se voit accorder une place de choix : savoureux exemple de théâtre dans le théâtre, l’exécution du Détachement féminin rouge occupe à elle seule la seconde moitié du deuxième acte (II.2), ce qui fait d’elle le pivot de cet ouvrage en trois actes, le moment critique où l’action bascule vers son dénouement, du moins selon les normes de la dramaturgie wagnérienne à laquelle Adams et Goodman semblent plus d’une fois faire allégeance. Quoique cette longue scène inspirée d’un fait authentique puisse à première vue se réclamer d’une forme de réalisme, elle n’en confère pas moins une dimension réflexive à l’œuvre dans sa totalité. Très visible, la mise en abyme attire l’attention du spectateur sur le travail de la reprise et sur les procédés formels de la représentation aux dépens de l’argument historique — adroit stratagème qui permet à Adams et Goodman de mettre en scène Nixon et Mao tout en se gardant de les caricaturer ou de prendre parti : c’est pour eux le moyen de montrer la propagande à l’œuvre sans en faire à leur tour, à la différence des écrans de télévision où Nixon se mire avec complaisance16.

  4. Si John Adams s’interroge aussi frontalement sur les liens ambigus qu’entretient l’art lyrique avec le vouloir-dire idéologique, c’est sans doute que son œuvre pose de manière pressante la question du nationalisme culturel. Héritier du post-romantisme européen comme de traditions autochtones (par exemple le minimalisme new-yorkais ou californien), au plus haut point « savant » mais enrichi par l’apport de Broadway et de la musique pop, le théâtre d’Adams n’hésite pas à puiser aux sources de l’histoire contemporaine, non pour provoquer des réactions épidermiques d’adhésion ou de rejet mais pour examiner en profondeur la « mythologie » contemporaine qui structure l’imaginaire des peuples.

I consider the themes that I choose […] not simply “mere news,” but rather human events that become mythology. They constitute a nexus of communally shared perceptions and responses in much the same way that the mythological lore […] of preindustrialized societies [was] a symbolic expression of the collective experience of a tribe, a city state or even a nation17.

  1. Nixon, Pearl Harbor, l’assassinat de Kennedy figurent en bonne place parmi les exemples qu’énumère le compositeur. Adams mesure le pouvoir de fascination de ces symboles empruntés à l’histoire nationale, voire compte sur eux pour susciter une forme de participation à l’« expérience collective » qu’ils expriment ; mais s’il en appelle à l’affect, son projet consiste aussi à les défamiliariser, à jeter sur eux le regard critique d’un anthropologue capable de s’interroger sur leur emprise, même lorsqu’il se sait incapable de lui échapper.

  2. On conçoit dès lors que le musicien ait pu s’intéresser au canon du théâtre maoïste, qui cherche à concilier l’héritage de la Chine ancienne et l’influence étrangère dans des formes artistiques à la fois nouvelles et capables de séduire un large public. Certes, Nixon in China ne partage ni le didactisme au premier degré du Détachement féminin rouge, ni son adhésion à une revendication d’indépendance nationale dont, du reste, la résonance eût été tout autre dans l’Amérique de 1987. Il en prend acte afin de les questionner ; mais cette démarche trouve son origine dans des interrogations que l’opéra d’Adams et Goodman partage avec le ballet maoïste, traité comme un instrument au service d’un projet heuristique et non comme un exemple de kitsch communiste à l’usage d’Occidentaux blasés.

  3. La problématique centrale est celle des relations complexes entre culture populaire et vouloir-dire idéologique ou, pour le dire autrement, entre un art soucieux de contribuer à l’expression démocratique de la volonté collective et les techniques de manipulation au service des autorités en place. Contrairement à une idée reçue, Le Détachement féminin rouge n’illustre pas de façon univoque l’échec de l’aspiration révolutionnaire à un art véritablement proche du peuple ; au contraire, selon les sinologues, c’est la réussite du théâtre musical maoïste qui doit d’abord retenir l’attention, la manière très efficace dont il a su répondre à un profond désir de modernisation culturelle et l’empreinte qu’il a laissée dans un pays pourtant soumis, depuis la mort de Mao, à de rapides et spectaculaires transformations. Autrement dit, l'exemple du ballet chinois démontre que la propagande n’est pas à l’art ce que la caricature est au modèle et qu’elle ne « trahit » pas les formes d’expression les plus « nobles » en les instrumentalisant pour accomplir de « basses » besognes idéologiques. Il faut plutôt envisager l’hypothèse inverse : que les ambiguïtés du projet artistique, ses origines problématiques dans un vouloir-dire autoritaire et le lien qu’il entretient bon gré mal gré avec des intentions auctoriales dont il peut se défier mais non pas se défaire l’apparentent d’emblée, qu'on le veuille ou non, à une entreprise de manipulation délibérée. Si Le Détachement féminin rouge manque en partie son but, ce n’est pas en raison des imperfections réelles ou supposées de la partition et de la chorégraphie, mais faute d’un retour réflexif capable de mettre en évidence cette équivoque fondamentale et de mettre en garde contre ses effets. C'est dans cet esprit que Nixon in China proposer une imitation poussée du ballet maoïste, non pas pour s’en moquer ni dans l’intention de faire « mieux » que les artistes chinois, mais pour trouver, grâce à une vigilance accrue, le moyen de s’accommoder des apories auxquelles ils doivent à la fois leur réussite et leur échec.

« Œuvres modèles » et nouvelle culture populaire

  1. Couramment employées pour décrire le corpus musico-théâtral issu de la Révolution Culturelle, les expressions d’« opéra modèle » (yangban xiju) et d’« œuvre modèle18 » (yangbanxi) sont plus ambiguës qu’il n’y paraît ; gages d’une approbation officielle avant tout fondée sur des critères idéologiques, elles distinguent aussi des ouvrages choisis pour leurs mérites esthétiques19, emplois du reste parfaitement complémentaires puisque la doctrine maoïste attend de l’art qu’il fasse tendre l’existence vers un idéal de perfection et de beauté : « life as reflected in works of literature and art can and ought to be on a higher plane, more intense, more concentrated, more typical, nearer the ideal, and therefore more universal than actual everyday life20 ». Au service de la propagande, les yangbanxi fournissent à la population des exemples de comportements conformes aux principes de la Révolution Culturelle, c’est-à-dire en rupture avec les valeurs défendues par les anciens dirigeants de la Chine communiste. Ce sont aussi des œuvres ambitieuses sur le plan artistique, encore aujourd’hui très appréciées par le public chinois qui se montre sensible à la qualité de textes retouchés avec soin au fil des représentations pour les rendre plus vivants, à l’utilisation de codes issus de l’opéra classique et adaptés à des sujets modernes, ou encore à la synthèse adroite entre les traditions musicales autochtones et l’influence occidentale21. Pour Barbara Mittler, cette longévité démontre que la Révolution Culturelle a, dans une certaine mesure, réussi à créer de toutes pièces une nouvelle culture populaire capable de survivre à l’idéologie qui lui a donné naissance22. Paradoxalement, ce n’est pas leur didactisme qui jusqu’à ce jour a empêché les yangbanxi de jouer pleinement leur rôle de modèles : si personne en Chine n’a encore imité ces œuvres, ce n’est pas parce qu’elles rappellent ou excusent les violences de la Révolution Culturelle mais, écrit Paul Clark, parce que leur excellence décourage l’émulation23.

  2. Surprenant pour beaucoup d'Occidentaux, le succès des yangbanxi s’explique selon l’historiographie récente par la manière dont ces œuvres ont su répondre à un besoin profond et durable, sans se contenter de servir les intérêts immédiats du régime. On ne saurait néanmoins opposer le vouloir-dire idéologique dont ces œuvres portent partout l’empreinte à leurs autres fonctions culturelles présumées plus « nobles », ni a fortiori tenter d’y déceler un double niveau de signification, l’un étroitement lié au contexte spécifique de la Révolution Culturelle et l’autre ancré dans la longue durée. En effet, les bouleversements politiques survenus entre 1966 et 1976 peuvent eux-mêmes s’interpréter comme des réactions extrémistes à un ensemble de problèmes apparus bien avant la révolution de 1949. L’assimilation des influences étrangères constitue un enjeu majeur depuis l’ouverture des ports aux Européens à la fin du dix-neuvième siècle, et le problème semblait suffisamment aigu dès le début du vingtième siècle pour que la Chine nationaliste ait déjà tenté de le résoudre par la modernisation autoritaire ; le Mouvement du Quatre-Mai (1915-1921) en avait fait l’un de ses mots d’ordre24. La Révolution Culturelle dans son ensemble se présente ainsi comme la quête de réponses radicales au conflit qui depuis longtemps oppose l’ancien et le nouveau, les traditions autochtones et les pratiques artistiques d’importation récente ; elle apparaît porteuse d’une revendication d’indépendance culturelle qui s’avère parfaitement compatible avec la recherche maoïste d’un socialisme à la chinoise mais que d’autres régimes avaient déjà tenté d’exprimer à leur manière. Le Détachement féminin rouge illustre très bien cette volonté d’appropriation et d’autonomie. Si l’opéra était apprécié dès l’époque impériale, le ballet est en revanche un art d’importation récente ; venu de Russie, il devient dans les années 1960 l’un des enjeux culturels de la nouvelle rivalité sino-soviétique, ce qui explique le choix d’un sujet emprunté à l’histoire de la révolution chinoise et par conséquent capable de conférer une dimension nationale à un genre en voie d’acclimatation. Quant à la partition, elle relève de ce que Mittler appelle le « romantisme pentatonique », idiome caractérisé par la prédominance des instruments européens et par le recours à la gamme traditionnelle chinoise associée à des procédés formels d’inspiration occidentale, notamment le leitmotif wagnérien25. Ce style musical suscite souvent de vives réserves chez les auditeurs occidentaux, rebutés par une écriture éclectique qui s’appuie sur des références jugées anachroniques en Europe ou aux États-Unis ; en témoignent par exemple les remarques acerbes que faisait Harold C. Schonberg, célèbre critique du New York Times, pendant la tournée chinoise de l’Orchestre de Philadelphie en septembre-octobre 1973 : « At best, a score like the “Yellow River” Concerto is movie music. It is a rehash of Rachmaninoff, Khachaturian, late Romanticism, bastardized Chinese music and Warner Bros. climaxes26 ». Inutilement condescendant et fondé sur des critères esthétiques très euro-centrés, ce jugement à l’emporte-pièce a néanmoins le mérite de signaler les affinités entre les œuvres issues de la Révolution Culturelle et le romantisme tardif : lui aussi se montrait très préoccupé par la constitution de styles nationaux, notamment chez les compositeurs de l’école russe dont les œuvres traduisent une volonté comparable d’appropriation et de synthèse.

  3. En 1987, John Adams et sa librettiste Alice Goodman ne pouvaient pas avoir une idée aussi précise de la place qu’occupe le théâtre musical maoïste dans l’histoire culturelle chinoise. La réhabilitation critique des yangbanxi est un phénomène récent ; en Chine, elle n’a débuté qu’en 1999 avec la publication d’un important livre de Wang Renyuan27, et les ouvrages de référence en langue anglaise datent respectivement de 2008 et de 2012. Dans son autobiographie Hallelujah Junction, parue en 2008, Adams emploie l’expression péjorative de « composition by committee » pour décrire la partition du Détachement féminin rouge ; il fait ainsi écho à un article particulièrement cinglant de Harold Schonberg, « Philadelphians Play Committee Music » :

Four our reenactment of The Red Detachment of Women my goal was to create ballet music that would sound as if it had been composed not by a single composer but by a committee. I’d noticed when watching films of these Chinese Communist ballets that the music, rather than being indigenous Chinese music, faithful to the sources of the stories, had sounded instead like very bad imitations of Russian and French ballet music. (141)

  1. On observera cependant que ce qui, chez Schonberg, relève d’une approche idéologique fortement teintée d’anti-communisme prend une autre tournure sous la plume d’un compositeur lui-même adepte d’une esthétique délibérément éclectique et impure, ouverte à la cacophonie de l’expérience musicale contemporaine : « The piece could only have been conceived by someone who had grown up surrounded by the detritus of mid-twentieth century recorded music. Beethoven and Rachmaninoff soak in the same warm bath with Liberace, Wagner, the Supremes, Charles Ives, and John Philip Sousa28 », écrit-il par exemple de son concerto pour deux pianos Grand Pianola Music (1982). On aura noté au passage que les sarcasmes de Schonberg ne visent pas seulement les artistes chinois, mais aussi les nombreux compositeurs qui, depuis le début du vingtième siècle, œuvrent à l’essor d’un style national américain ouvert à l’apport de la musique populaire ; tous ont en commun la problématique de l’authenticité, celle dont il leur reproche de manquer (« bastardized Chinese music ») et qu’ils s’efforcent justement d’acquérir, non pas en sauvegardant la pureté d’un art « indigène » dont ils se méfient (quand il existe), mais en s’efforçant de s’approprier les matériaux que leur fournit dans le plus grand désordre un environnement culturel en voie de mondialisation. Or Adams revendique ouvertement l’héritage de Broadway et des musiques de films : formé à Harvard, admirateur de György Ligeti29 et de Conlon Nancarrow30, il est également l’auteur d’un musical, I Was Looking at the Ceiling and Then I Saw the Sky (1994), ainsi que d'une composition pour piano et violon intitulée Road Movies (1995) et de City Noir (2009), hommage au cinéma californien des années 1940 et 1950. Lorsqu’il affirme dans Hallelujah Junction que le chromatisme de musiciens populaires tels que George Gershwin ou Duke Ellington correspond davantage à ce que l’on attend d’un idiome national que le langage atonal de Boulez, il explicite sans le savoir l’un des présupposés sur lesquels s’appuie également l’esthétique maoïste, surtout lorsqu’il ajoute que leur néo-romantisme doit son efficacité à sa capacité de synthèse31.

Les apories du vouloir-dire

  1. Dès lors, on comprend mieux qu’Adams ait pu composer avec Alice Goodman ce qui est peut-être la seule œuvre lyrique à se donner ouvertement pour modèle Le Détachement féminin rouge, prenant ainsi au pied de la lettre les intentions esthétiques de Jiang Qing, à défaut de se plier à ses exigences politiques. Malgré ses réserves à l’égard d’une partition qu’il entreprend de récrire entièrement32, il s’efforce dans un contexte différent de résoudre les mêmes problèmes que ses auteurs, car les attentes culturelles auxquelles il entend répondre sont au fond d’une nature comparable. Or le pressentiment de cette surprenante parenté fait surgir une difficulté nouvelle, puisque l’exemple du ballet maoïste démontre à quel point une telle déclaration d’indépendance esthétique peut s’avérer compatible avec la propagande la plus affirmée. Si, comme l’écrit Jacques Ellul, le propagandiste n’est jamais aussi efficace que lorsqu’il s’appuie sur les besoins de la population33, la réciproque est également vraie, et l’artiste populaire peut vite être amené à faire malgré lui le jeu d’un vouloir-dire manipulateur ; cela impose de s’interroger sur les conditions de possibilité d’un art véritablement démocratique, c’est-à-dire capable de répondre aux aspirations du peuple sans entraver la libre expression de sa volonté.

  2. C’est pourquoi les auteurs de Nixon in China ne se contentent pas de quelques citations ni d’une imitation au second degré, via le pastiche ironique de musiques elles-mêmes accusées de plagier Coppélia ou Le Lac des Cygnes, mais mettent en place plusieurs stratégies de questionnement, en particulier dans leur réécriture de l’intrigue. Situé dans la Chine des années 1930, Le Détachement féminin rouge raconte la révolte de Wu Qinghua, paysanne pauvre que martyrise le despote local Nan Batian. Parvenue à s’échapper, la jeune femme rejoint une unité de l’Armée Rouge ; elle participe à une expédition punitive contre Nan Batian mais la fait échouer par son indiscipline, ce qui lui vaut les remontrances de Hong Changqing, le délégué du Parti. Nan Batian lance une contre-attaque au cours de laquelle Hong Chanqing est capturé et tué, mais l’Armée Rouge remporte finalement la victoire. D’abord fidèle à ce scénario, le livret de Nixon in China s’en écarte de plus en plus, comme en témoigne ce tableau comparatif :

Le Détachement féminin rouge

Nixon in China

PROLOGUE. Le décor représente une prison où trois jeunes femmes sont détenues ; Wu Qinghua, la plus fière, est enchaînée à un poteau. Arrive Lao Szi, l’intendant de Nan Batian. Imprudemment, il détache Wu Qinghua qui brave son fouet et parvient à s’échapper.

Accompagnés de Chiang Ch’ing, les époux Nixon assistent à une représentation du Détachement féminin rouge. Tout est conforme au livret d’origine jusqu’au moment où Wu Ching-hua se révolte : « Suddenly she seizes the whip from Lao Szu’s hand, brandishes it and kicks him to the ground34 » (dans le ballet, le fouet reste entre les mains du tortionnaire). Pat Nixon attire l’attention de son mari sur la ressemblance entre Kissinger et l’intendant sadique : « Doesn’t he look like you-know-who35 ! ».

SCENE 1. Une forêt de cocotiers où les sbires de Nan Batian pourchassent Wu Qinghua. Ils la rattrapent, la jettent à terre et la rouent de coups. Nan Batian en personne la frappe, puis Lao Szi la fouette avant de la laisser pour morte.

Idem, à cette différence près que Nan Batian n’apparaît pas.

Un orage tropical éclate.

Idem. Mue par la compassion, Pat Nixon monte sur scène malgré la pluie battante pour venir en aide à la jeune Chinoise. Elle est bientôt rejointe par le Président qui tente en vain de la dissuader : « Sweetheart, / Leave them alone, you might get hurt36 ».

En mission de reconnaissance, Hong Changqing arrive sur les lieux. Il écoute le récit de la jeune femme, puis il lui conseille de rejoindre le Détachement féminin rouge et lui offre quelques pièces d’argent, qu’elle accepte avec gratitude.

Aidé par Pat Nixon, Hung Chang-Ching relève Wu Ching-hua et lui offre un verre de jus d’orange. Pat Nixon le remercie chaleureusement, puis apparaît le Détachement féminin rouge au grand complet. Wu Ching-hua reçoit un fusil et se joint à ses nouvelles camarades pour l’entraînement37.

SCENE 2. Wu Qinghua est accueillie par le Détachement féminin rouge qui exécute une danse martiale. En signe de bienvenue, une jeune femme lui offre un peu d’eau, puis Wu Qinghua reçoit une arme.

Scène réunie à la précédente.

SCENE 3. La cour de la luxueuse maison où Nan Batian célèbre son anniversaire. Déguisé en riche négociant, Hong se glisse parmi les invités ; il jette de l’argent à terre pour les gardes de Nan Batian, mais Lao Szi le récupère. Nan Batian et ses hôtes assistent à un ballet.

Idem. Hung Chang-Ching est accompagné de Nixon, qui donne quelques pièces à Lao Szu. Hung jette une poignée de petite monnaie aux gardes qui se battent pour la récupérer38.

Pendant la nuit qui suit la fête, Wu Qinghua se glisse dans la propriété de Nan Batian avec quelques comparses. Par hasard, elle tombe nez à nez avec son ancien tortionnaire. En proie à la colère, elle tire deux coups de feu qui donnent l’alerte prématurément.

Le ballet donné pour les hôtes de Nan Batian est dansé par des servantes qui sont en fait des miliciennes communistes déguisées ; parmi elles figure Wu Ching-hua. Coup de théâtre : Chiang Ch’ing intervient à son tour dans le déroulement du spectacle et ordonne à la paysanne de tirer, à la grande surprise des danseurs (« it was not her cue39 »).

La scène se termine par les remontrances de l’Armée Rouge ; Wu Qinghua regrette amèrement son indiscipline.

Idem. Pendant ce temps, Chiang Ch’ing, en proie à une vive exaltation, exhorte les révolutionnaires à aller de l’avant sans attendre : « Throw off those stupid rags! / Advance and fire! Fix bayonets ! / The worms are hungry! Must the fruits / Of victory rot on the vine40? »

 

  1. À partir de là, le livret de Nixon in China se désolidarise entièrement de son modèle. La seconde moitié du ballet est omise ; à la place de la scène 4 où Hong Changqing donne au Détachement féminin rouge une leçon de stratégie marxiste-léniniste, Chiang Ch’ing, bientôt rejointe par le chœur, se lance dans un grand air de colorature dramatique qui doit davantage à Mozart et à la Reine de la Nuit qu’au théâtre maoïste41. Puis le rideau tombe sur l’acte II.

  2. Parmi les modifications de détail, quelques-unes s’opposent à une lecture idéologiquement univoque du livret, voire soulignent des ambiguïtés déjà présentes dans l’original : la scène où Wu Ching-hua menace à son tour de fouetter Lao Szu attire l’attention sur le sado-masochisme latent de ce ballet en apparence très prude42 ; quant à l’incident des pièces de monnaie jetées à terre par Hung Chang-Ching, il rappelle l'influence corruptrice que l’argent exerce sur toutes les classes de la société, là où le livret d’origine suggérait seulement que la bourgeoisie confisque par cupidité ce qui revient au prolétariat. Cela dit, ces interventions se doivent de rester discrètes : il s’agit de montrer la propagande à l’œuvre, c’est-à-dire d’exhiber des intentions didactiques parfaitement reconnaissables, ce qui exclut tout brouillage à grande échelle.

  3. Plus significative s’avère la décision de donner aux diverses modalités de la mise en abyme et à son corollaire, la métalepse ou brouillage des niveaux narratifs, une fonction dramatique essentielle. Simple prétexte à un divertissement chorégraphique, l’intermède offert par Nan Batian à la scène 3 du Détachement féminin rouge est un décalque des classiques du ballet russe. Le dispositif imaginé par Alice Goodman s’avère beaucoup plus complexe : la présence d’un public dont font partie Chiang Ch’ing et les époux Nixon crée un niveau d’enchâssement supplémentaire ; par ailleurs, l’accent mis sur le travestissement attire l’attention sur la duplicité des apparences, capables de dissimuler à dessein des vérités dangereuses comme de créer des effets de sens parasites dont on ne sait s’ils résultent d’une intention préalable ou s’ils s’expliquent par les aléas de la réception (le despote ne reconnaît pas son ancienne victime sous son déguisement de servante ; le personnage de Lao Szu est confié au même interprète que le rôle de Kissinger, mais rien n’indique si Adams et Goodman entendent caricaturer l’homme d’Etat en contremaître lubrique ou s’il s’agit seulement de rendre plausible le cri du cœur de Pat Nixon43). La place du vouloir-dire idéologique paraît dès lors se réduire puisque personne ne peut prévoir les réactions des spectateurs, pas plus du reste que leurs motivations réelles : si tout est fait pour que le public prenne en pitié la paysanne opprimée, la réaction généreuse de Pat Nixon ne trahit aucune sympathie envers le marxisme-léninisme qui semble la laisser indifférente.

  4. Dans une certaine mesure, ces incertitudes n’empêchent pas la propagande d’atteindre son but puisqu’elle amène les personnages à se démasquer d’une manière conforme à ses attendus. À défaut de dire le vrai, elle est un opérateur de vérité comme peut l’être, à l’acte III de Hamlet, le spectacle donné devant le roi Claudius, et cette vérité rejaillit sur elle, la fait paraître a posteriori juste et clairvoyante : la bonté d’âme un peu naïve de Pat, l’aisance avec laquelle son mari se glisse dans le rôle d’un riche négociant étranger donnent d’une certaine manière raison à une idéologie selon laquelle les femmes ne peuvent être qu’éprises de justice44 et les Américains que compromis avec le grand capital. Cela dit, cette apparence de logique ne se maintient que grâce à la participation active de spectateurs-acteurs qui n’ont guère de peine à se reconnaître dans un ballet dont ils orientent ou interrompent le déroulement à loisir : révélateur, le spectacle ne l’est que parce que ses destinataires se l’approprient d’une manière conforme à leurs désirs sans respecter l’intention des auteurs, qui se voit peu à peu mise hors-jeu. Selon Jacques Ellul, le but ultime de la propagande n’est pas de manipuler les esprits, mais d’encourager l’orthopraxie45 ; en un sens, cet objectif est atteint lorsque les époux Nixon montent sur scène et participent à l’action : assister au Détachement féminin rouge leur aura donc appris à se comporter en défenseurs de la cause prolétarienne, et c’est à bon droit que la pluie qui s’abat sur Wu Ching-hua mouille la veste de Nixon46 puisqu’on le sait désormais capable — son voyage à Pékin le prouve — d’aller à ses risques et périls au-devant des révolutionnaires chinois. Pourtant, on ne peut en tirer aucune conclusion, car le jeu de la métalepse a également pour effet de souligner que les époux Nixon, non moins que Wu Ching-hua, appartiennent à l’univers de la fiction, ce qui leur permet de se mêler sans effort aux personnages du ballet : les incitations à l’orthopraxie ne donnent naissance qu’à des actions représentées dont les répercussions ne dépassent pas le cadre de scène, et les images engendrent d’autres images, en un jeu de renvois qui ne débouche sur aucun engagement concret.

  5. À son tour, la scène 4 du Détachement féminin rouge relève de la mise en abyme, puisque la leçon de marxisme-léninisme que donne Hong Changqing aux miliciennes résume le propos d’ensemble et souligne la fonction didactique d’un spectacle destiné à parfaire la formation idéologique du public. Dans Nixon in China, cette scène est remplacée par le grand air de Chiang Ch’ing, où s’exprime avec franchise un vouloir-dire analogue puisque l’épouse du président Mao est aussi la principale théoricienne de la Révolution Culturelle et l’inspiratrice du nouveau théâtre musical chinois. Grâce à cette substitution, Adams et Goodman remettent au premier plan l’instance auctoriale condamnée à l’effacement par la doctrine maoïste comme par la tradition chinoise, à laquelle la notion de compositeur est étrangère47 ; mais ce portrait à charge de la dirigeante communiste, postérieur de peu au retentissant procès de la Bande des Quatre (1980), a pour effet de discréditer la figure de l’auteur assimilé à un dictateur capricieux et hystérique48. Toute polémique mise à part, l’intervention de Chiang Ch’ing dans la scène du complot contre Nan Batian enferme la fonction auctoriale dans un paradoxe logique dont aucun vouloir-dire ne peut venir à bout. Déterminée à tout régenter, Mme Mao formule des demandes auxquelles les acteurs ne s’attendaient pas ; le texte lui donne à la fois tort et raison : « it was not her cue », précise une didascalie à propos de la danseuse qui interprète le rôle de Wu Ching-hua49, mais c’est pourtant bien à la scène 3 du Détachement féminin rouge que la paysanne rebelle est censée tirer des coups de feu intempestif. En réclamant quelque chose qui était déjà prévu, Chiang Ch’ing n’altère pas le déroulement de l’intrigue ; à vrai dire, elle ne fait même que répéter des instructions qu’elle a déjà données, puisque ce ballet reflète ses intentions idéologiques, à défaut d'être son œuvre50. La stupéfaction de l’assistance ne peut donc s’expliquer que par le décalage entre l’attente et sa réalisation, entre le coup de feu imaginé par la danseuse qui, depuis le début, se prépare à tirer et ce qui se produit réellement lorsqu’elle appuie sur la détente. On retrouve ici, sous forme théâtrale, la célèbre question que pose Wittgenstein au paragraphe 442 des Recherches philosophiques :

I see someone pointing a gun and say “I expect a bang.” The shot is fired. — Well, that was what you expected; so did that bang somehow already exist in your expectation? Or is it just that there is some other kind of agreement between your expectation and what occurred; that that noise was not contained in your expectation, and merely accidentally supervened when the expectation was fulfilled? […] “The bang was not so loud as I had expected.” — “Then was there a louder bang in your expectation?” (110e)

  1. Wittgenstein finit par conclure que l’événement et l’attente qui le précède ne se rencontrent que dans le langage — en l’occurrence, dans l’énoncé performatif de Chiang Ch’ing qui ordonne à la danseuse d’en venir au fait : « It is in language that an expectation and its fulfilment make contact » (§445, 111e).

  2. En soi, cela ne doit pas surprendre la troupe de ballet, habituée à l’écart qui se fait immanquablement jour entre l’intention artistique et sa réalisation, entre les instructions du livret ou de la partition, si précises soient-elles, et leur mise en œuvre chorégraphique. Ce qui suscite l’étonnement, c’est l’exaspération de Chiang Ch’ing qui, pour sa part, refuse ce décalage au point de vouloir y remédier en réitérant à tout propos des instructions inutiles. Aussi impuissant qu’il est dictatorial, le vouloir-dire de Mme Mao interfère ainsi avec l’impératif mimétique sur lequel repose tout l’édifice idéologique du réalisme socialiste. Dans Nixon in China, Wu Ching-hua se fait tancer pour son indiscipline, comme son homologue dans le ballet ; mais comment justifier ces reproches puisqu’elle n’a fait qu’obéir aux plus hautes autorités du Parti ? Le paradoxe d’un ordre auquel on ne peut obtempérer que par la désobéissance se profilait déjà dans le Détachement féminin rouge : le personnage de Wu Qinghua est indiscipliné parce que son interprète se plie aux injonctions du livret, du chorégraphe et, en dernière instance, de la véritable Jiang Qing. S’il n’y a là nulle contradiction, c’est en raison de la séparation conventionnelle entre différents niveaux de réalité, entre l’impulsivité fictive de la milicienne et la docilité bien réelle de la ballerine. Cette distinction disparaît dans Nixon in China qui ne multiplie les effets d’enchâssement mimétique que pour s’en désintéresser au moment crucial. Quand elle donne l’ordre de tirer, Chiang Ch’ing s’adresse sans distinction aux interprètes et aux personnages du ballet : « Forward Red Troupe! Annihilate / This tyrant and his running dogs51 ! » — de son point de vue, il n’y là aucune différence significative, puisque rien ne compte hormis la révolution et que le spectacle n’a de sens qu’à condition d’y renvoyer directement. Dès lors, l’enjeu n’est plus du tout la mimesis, mais la soumission inconditionnelle à l’autorité, celle-là même qui commande de représenter le réel et qui se pressent trahie dès qu’elle est écoutée et suivie. Le ballet s’interrompt aussitôt, car l’énergie que met Chiang Ch’ing à ne rien céder sur ses intentions auctoriales l’enferme avec ses interprètes dans une contradiction sans issue : on ne peut, en tant qu’auteur, vouloir donner naissance à un art insurrectionnel et, en même temps, refuser d’en être la première victime.

Instance auctoriale et sujet du vouloir-dire

  1. On ne doit pas en conclure que la tâche du propagandiste est impossible, ni se contenter de déduire du deuxième acte de Nixon in China que l’art trouve toujours le moyen de mettre en échec les tentatives de mainmise autoritaire. Non qu’une telle lecture soit erronée ; si grinçante soit-elle, la reprise du Détachement féminin rouge transforme l’épopée en comédie digne des Marx Brothers à mesure que l’entropie perturbe le déroulement d’un scénario a priori bien huilé52, et ce grand moment de folie collective laisse, à l’acte suivant, les chefs d’État désemparés devant leur incapacité manifeste à se faire comprendre (« All that I say is misconstrued », lance Nixon ; « I am unknown », déplore Mao53). Analogues en cela à la politique, la musique ou le théâtre démontrent certes qu’il ne suffit pas d’exprimer clairement des intentions pour contrôler la manière dont elles seront reçues ni, a fortiori, pour maîtriser les conditions de leur réalisation ; mais on pourrait ajouter avec Wittgenstein que les arts du spectacle ne jouissent d’aucun privilège en la matière : il en va de même de toute conduite censée se conformer à une règle préexistante. C’est ainsi que, pour lui, tout reste dicible même sous le régime répressif le plus vigilant, en raison de la discordance persistante entre l’énoncé des contraintes auxquelles les locuteurs doivent se plier et la manière dont ils s’y conforment :

If certain graphic propositions […] are laid down for human beings as dogmas concerning thinking, namely in such a way that opinions are not thereby determined, but the expression of opinions is completely controlled, this will have a very strange effect. People will live under an absolute, palpable tyranny, yet without being able to say they are not free. […] For dogma is expressed in the form of an assertion & is unshakable, & at the same time any practical opinion can be made to accord with it54.  

  1. Cela n’a jamais suffi pour freiner l’opération de la propagande ; on peut seulement en déduire qu’il n’existe pas de « propagande totale », malgré ce que déclare Jacques Ellul dans un développement qui doit beaucoup aux analyses de Hannah Arendt sur le système totalitaire : si le propagandiste tend spontanément à annexer tout ce qui peut lui servir, par exemple la littérature55, il est inévitable que ses intentions viennent un jour ou l’autre achopper sur l’indocilité du réel dès lors qu’il prétend régenter ce qui par nature lui échappe. Par d’autres moyens, l’historienne Barbara Mittler aboutit à des conclusions analogues. Le concept de « propagande totale » lui semble inadapté au cas singulier de la Révolution Culturelle : d’une part parce que la propagande étatique n’est jamais parvenue à éliminer toute forme alternative d’expression culturelle ; d’autre part parce que seule la complicité de la population lui a permis de perdurer aussi longtemps56.

  2. En d’autres termes, le discrédit jeté sur la fonction auctoriale telle qu’elle trouve à s’incarner de façon particulièrement grotesque dans le personnage de Chiang Ch’ing ne met pas pour autant hors-jeu le vouloir-dire artistique ; celui-ci persiste bel et bien, mais à titre de problème puisque son inefficacité (pour ne pas dire sa nocivité) paraît proportionnelle à l’énergie avec laquelle il s’exprime. Dans les années 1960, alors que la Révolution Culturelle battait son plein, John Cage allait puiser dans le Yi King et dans la fréquentation des classiques confucéens les principes d’une esthétique du renoncement aux intentions. Vingt ans plus tard, quoique lecteur enthousiaste de Silence57, John Adams trouve à son tour en Chine de quoi alimenter sa réflexion sur ce qui rend une telle démarche à la fois nécessaire et problématique. S’il n’y a rien de plus sain que de contester la tyrannie de l’auteur, ses prétentions démesurées, son déraisonnable appétit de pouvoir, il ne suffit pas d’en avoir conscience pour y remédier ; du reste, ajouterait sans doute Adams, c’est bien là ce que démontrent les compositions musicales de Cage, dont il déplore le pesant didactisme58.

  3. Dans Nixon in China, c’est une incertitude générique à l’origine d’un brouillage énonciatif qui témoigne le mieux de cette inquiétude persistante. Le Détachement féminin rouge est incontestablement un ballet : tous les rôles sont dansés sur un accompagnement instrumental, et s’il est demandé aux interprètes de chanter en chœur à plusieurs moments décisifs59, ces exceptions ponctuelles ne suffisent pas à semer le trouble. Il n’en va pas de même dans Nixon in China où des chanteurs solistes se joignent d’emblée aux danseurs. Dès le début de la représentation, trois choristes commentent la situation de Wu Ching-hua ; d’abord simples observatrices, elles prennent la parole au nom de l’héroïne lorsqu’elle se rebelle contre Lao Szu : « Now let me through! » s’exclament-elles à la première personne du singulier60. Par la suite, le chœur au grand complet fait longuement entendre la voix du Détachement féminin rouge61, puis les trois choristes s’adressent à Wu Ching-hua pour la réprimander62. Quant au personnage de Lao Szu, confié au même interprète que le rôle de Kissinger, il chante lui-même toutes ses répliques. Il serait pourtant inexact d’avancer qu’Adams et Goodman récrivent Le Détachement féminin rouge sous la forme d’un opéra, car cette scène est la seule à ne pas respecter les conventions du genre lyrique telles que les auteurs les conçoivent. Partout ailleurs, Nixon in China se conforme à l’usage en vertu duquel, à chaque personnage, correspond un interprète et un seul ; à l’acte II, ce n’est plus le cas : il y a quatre Wu Ching-hua (trois choristes et une danseuse) tandis que Kissinger et Lao Szu semblent être incarnés simultanément par le même artiste63. Ces phénomènes de démultiplication et de condensation n’entraînent aucun brouillage sémantique, car le discours reste entièrement intelligible et conforme à ce que l’on attend de chacun ; leur impact est exclusivement énonciatif. Ils attirent l’attention sur la disparité entre le choix des énonciateurs réels (qui peuvent être nombreux) et l’identité des personnages censés s’exprimer ainsi : s’il arrive qu’un chœur répète ou glose les propos d’un individu, il peut aussi a contrario parler pour lui, c’est-à-dire à sa place, tandis qu’il se tait ou s’exprime sur un mode non verbal, par exemple par la pantomime.

  4. Qu’il y ait un vouloir-dire, et que celui-ci se donne pour le garant de significations conformes aux attentes qu’il suscite, cela n’est donc pas mis en doute ; seule demeure en suspens la question « qui ? », celle du sujet à l’origine de ce vouloir. Opéra politique, Nixon in China met en avant deux chefs d’État censés faire preuve d’autorité et guider leur nation en des temps troublés ; Nixon lui-même le souligne à l’acte I lorsqu’il se rêve en Grand Timonier indifférent aux rumeurs séditieuses qui circulent parmi l’équipage64. A fortiori, il en va de même de Mao, qui prétend par sa parole animer tout un peuple : « Those books of mine / Aren’t anything. Incorporate / Their words within a people’s thought / […] then say / They live65 ». Si ce propos offre une rationalisation du procédé en vertu duquel, à l’acte II, des voix multiples s’élèvent pour rendre audibles les propos d’une même personne, il attire également l’attention sur son ambiguïté, car Mao n’est en réalité qu’un prête-nom ; vieux et malade, il n’assiste pas à la représentation du Détachement féminin rouge, et il incombe à sa femme de se faire sa porte-parole tout comme les choristes du ballet s’expriment au nom de Wu Ching-hua : « I am the wife of Mao Tse-tung / […] When I appear the people hang / Upon my words, and for his sake / […] I speak according to the book66 ». Passé maître dans l’art de parler pour ne rien dire, le président chinois est en quelque sorte un énonciateur fictif, qui certes domine les autres personnages tout au long de l’acte III, mais sous la forme éminemment muette d’un immense portrait à la Andy Warhol67. Contrairement à ce qu’il laisse entendre lui-même, le vouloir-dire que Mao incarne n’est pas celui, démiurgique, d’un individu exceptionnel qui, d’un seul mot, sait soulever les masses ; au contraire, il ne s’exprime réellement que par la bouche d’autrui, et les propos qui lui sont attribués émanent d’abord de tous ceux qui, à des titres divers, se reconnaissent en sa personne, voire font de lui le dépositaire d’un discours aliéné en mal d’autorité symbolique. En définitive, le Mao de Nixon in China n’est pas un homme politique, mais une icône ou un mythe au sens où John Adams entend ces termes ; il ne façonne pas la société à son image, mais se contente de fédérer un imaginaire et un discours collectifs, si bien qu’il pourrait sans dommage se dispenser d’exister vraiment : « I use “myth” in the sense of a narrative that, although based on real people or real events, has been taken up in the collective unconscious of a society to the point where its truth content takes second place to its symbolic power68 ». En retour, les discours placés sous son égide souffrent d’un manque impossible à combler ; comme la parole du ventriloque, ils n’appartiennent à personne, et s’exprimer au nom de Mao, c’est se réclamer d’une autorité absente qui ne garantit rien, voire attirer l’attention par de vaines gesticulations rhétoriques sur l’inconsistance d’une parole orpheline et errante. « I speak according to the book », proclame Chiang Ch’ing : troublant aveu dans la bouche de cette femme que l’on croit autoritaire et capricieuse mais qui, docta cum libro, ne sait dire que ce qui est écrit dans le Petit Livre rouge. Si l’on discerne ici un écho lointain des arguments sur lesquels Platon fonde sa critique de l’écriture — et donc, selon l'analyse de Derrida, un rappel du sort promis à  « un graphein qui […] ne reconnaît plus ses origines69 » — on peut y voir aussi une métaphore de l’opéra où les personnages ne chantent que ce qu’exige le livret, lieu d’un vouloir-dire impuissant que le premier venu peut reprendre et caricaturer, comme le démontre l’exemple du Détachement féminin rouge.

  5. On pourrait certes arguer qu’en procédant ainsi, Adams et Goodman anticipaient dès les années 1980 sur les conclusions auxquelles sont récemment parvenus les historiens de la Chine contemporaine, puisqu’ils suggèrent d’interpréter les yangbanxi et, plus généralement, les œuvres de propagande maoïste comme l’expression d’une nouvelle culture populaire portée de bout en bout par un vouloir-dire collectif, et non par le seul projet de la caste dirigeante. Il ressortirait d’une telle lecture que Nixon in China pose des questions troublantes sur la complicité active de la population avec les propagandistes, voire sur la pertinence du concept même de propagande dont les définitions classiques — celle, par exemple, de Jacques Ellul — postulent une distinction claire entre agents et patients, entre un « groupe organisé » et une « masse d’individus » unifiée par des manipulations psychologiques70. Toutefois, s’il n’est pas question de minimiser la lucidité des auteurs, on notera qu’en 1987, en l’absence d’enquêtes de terrain, une telle interprétation de la Révolution Culturelle n’aurait pu s’appuyer que sur des extrapolations audacieuses : lire ainsi Nixon in China, ce serait s’exposer au risque de l’anachronisme. On préférera donc prendre acte des analogies tout aussi manifestes — mais, historiquement parlant, beaucoup moins risquées — que leur réflexion sur le vouloir-dire présentent avec des problématiques américaines. Suggérer que Nixon in China prend en quelque sorte au sérieux les ambitions culturelles de la Révolution Culturelle et notamment son désir de donner naissance à une nouvelle culture populaire, c’est avancer que cet opéra peuplé de dictateurs et d’hommes d’État véreux a in fine pour sujet la démocratie, ses errements et ses paradoxes. Or cette question se pose d’abord en rapport avec le dispositif collectif d’énonciation qui gouverne la représentation théâtrale, notamment à l’opéra où interviennent des chanteurs solistes, des choristes ainsi que de nombreux artistes qui recourent à d’autres systèmes sémiotiques (la musique instrumentale, la danse, les arts plastiques), tous placés sous le contrôle d’une instance auctoriale complexe qui regroupe un compositeur, une librettiste et un metteur en scène aux intentions parfois divergentes :

John [Adams], Peter [Sellars] and I met to trawl through a lot of archive material and worked out a skeleton — what would happen, what the voices would be. We fought over the tone: Peter wanted something satirical of Nixon, which didn’t interest me. John was in “wait and see” mode71.

  1. Comme Le Détachement féminin rouge, Nixon in China est l’œuvre d’un comité, certes tout sauf anonyme ; mais à la différence du ballet chinois, l’opéra d’Adams, Goodman et Sellars résulte d’une négociation entre plusieurs auteurs qui non seulement ne partagent pas d’emblée la même lecture des événements, mais n’hésitent pas à le faire savoir, invitant ainsi les spectateurs à prendre part au débat. Si, sur le plan formel, l’acte II joue avec adresse des possibilités offertes par la mise en abyme, c’est donc une tout autre logique qui s’impose à ce niveau. Le trio qui donne naissance à Nixon in China n’est pas un miroir tendu au public, mais une synecdoque de la démocratie américaine que la question des relations Est-Ouest intéresse au plus haut point ; le rapport qui s’établit entre la scène et la salle n’oppose pas les instruments d’un vouloir-dire auctorial aux destinataires d’un message idéologiquement clair : il se présente comme un réseau complexe de continuités et de ruptures auxquelles contribuent la distance temporelle, l’adhésion plus ou moins critique des spectateurs à un récit de l’histoire nationale, mais aussi leurs opinions politiques peut-être divergentes, voire les émotions complexes qu’ils ressentent à l’évocation de figures aussi controversées que Nixon ou Kissinger. En définitive, la question de ce que cet ouvrage « veut dire », de sa signification mais aussi des intentions censées garantir son « message » idéologique ou culturel interroge notre propre vouloir-dire, si tant est que nous sachions quoi penser des grands moments de l’histoire contemporaine : opéra « pour les Républicains et pour les communistes72 », qui ont sans doute sur tout cela un avis bien arrêté, Nixon in China s’adresse aussi à tous les autres, à celles et ceux qui s’interrogent encore, des décennies plus tard, sur l’événement et son interprétation.

Œuvres citées

Le Détachement féminin rouge (1964). Version filmée de 1970. Dir. Pan Wenzhan et Fu Jie. https://archive.org/details/The_Red_Detachment_of_Women

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Adams, John. Nixon in China (1987). Par Sanford Sylvan, James Maddalena, Thomas Hammons, John Duykers, Carolann Page et Trudy Ellen Craney. Orchestra of St. Luke's, dir. Edo de Waart. CD Nonesuch 7559-79177-2.

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1 Titre officiel de Henry Kissinger de 1969 à 1973.

2 Pour transcrire les noms chinois, la librettiste Alice Goodman emploie le système Wade-Giles, couramment utilisé dans les pays de langue anglaise. Dans le présent article, on a pris le parti de respecter ses choix lorsqu’il s’agit de se référer aux personnages de l’opéra ; dans tous les autres cas, on a préféré recourir au pinyin, le système de romanisation recommandé par les autorités chinoises, de manière à éviter toute confusion entre des personnes réelles (ou des personnages de fiction directement issus de la culture chinoise) et l’interprétation parfois très personnelle qu’en donnent Adams et Goodman. En pinyin, le nom de Mme Mao s’orthographie « Jiang Qing ».

3 A. Goodman, Nixon in China, 15.

4 J. D. Pollack, « The Opening to America », 408.

5 La rivalité entre Mao et Lin Biao constitue l’un des épisodes les plus obscurs de l’histoire contemporaine chinoise. D’après Fairbank et Goldman, Mao voulait limiter le rôle politique de l’armée, dont l’influence n’avait cessé de croître depuis que des bruits de bottes se faisaient entendre à la frontière sino-soviétique ; il aurait donc lancé une campagne de dénigrement systématique à l’encontre de Lin Biao, qui dès lors pouvait s’attendre à être éliminé. Le maréchal aurait réagi en tentant d’organiser un coup d’État militaire qui devait se conclure par l’assassinat de Mao, mais celui-ci aurait eu vent de ses intentions. Lin Biao tentait vraisemblablement de se réfugier en Union Soviétique lorsque son avion s’écrasa en Mongolie le 13 septembre 1971 dans des circonstances mal élucidées. La mort de Lin Biao fut gardée secrète pendant plus d’un an ; Nixon l’ignorait encore lorsqu’il se rendit à Pékin en février 1972 (400-401).

6 J. D. Pollack, « The Opening to America », 417.

7 Citées par H. Kissinger, On China, 257-262.

8 A. Goodman, Nixon in China, 19-31.

9 J. Pollack, « The Opening to America », 407.

10 V. Béghain, Les Aventures de Mao en Amérique, 117.

11 H. Kissinger, On China, 202.

12 Dans le « Communiqué de Shanghaï », le gouvernement américain déclare qu’il appartient aux Chinois eux-mêmes de mettre pacifiquement un terme au conflit entre Pékin et Taïwan (J. Pollack, « The Opening to America », 423) ; il ne fait ainsi que réitérer un principe acquis depuis 1970 (421).

13 J. Ellul, Propagandes, 42.

14 A. Goodman, Nixon in China, 19-31.

15 B. Mittler, A Continous Revolution, 80. D’après J. Pollack, cette invitation répondait à des impératifs de politique intérieure : il s’agissait de montrer que Jiang Qing avait fini par consentir au rapprochement avec les États-Unis et donc de couper court aux réactions hostiles de l’aile la plus radicale du Parti sans pour autant la marginaliser trop visiblement (423).

16 A. Goodman, Nixon in China, 17-18.

17 J. Adams, « On Being a “Political” Composer ».

18 Les historiens anglophones parlent de « model performances » ; adoptée en 1976, la liste définitive comprenait plusieurs opéras, mais aussi deux symphonies, quatre ballets et deux compositions pour piano, dont le célèbre Concerto du Fleuve Jaune (B. Mittler, A Continuous Revolution, 80).

19 P. Clark, The Chinese Cultural Revolution, 44-45.

20 Mao Zedong, Talks on Literature and Art, 23 mai 1942.

21 B. Mittler, A Continous Revolution, 90.

22 Ibid., 23-24.

23 P. Clark, The Chinese Cultural Revolution, 55.

24 B. Mittler, A Continuous Revolution, 41.

25 Ibid., 37.

26 H. C. Schonberg, « Yin Spoke Only Chinese, Ormandy Only English ».

27 P. Clark, The Chinese Cultural Revolution, 44.

28 J. Adams, « Grand Pianola Music ».

29 J. Adams, Hallelujah Junction, 110-111.

30 Ibid., 224-226.

31 Ibid., 105.

32 Ibid., 147.

33 J. Ellul, Propagandes, 49.

34 A. Goodman, Nixon in China, 49.

35 Ibid.

36 Ibid.

37 A. Goodman, Nixon in China, 51.

38 A. Goodman, Nixon in China, 53.

39 A. Goodman, Nixon in China, 54.

40 A. Goodman, Nixon in China, 55.

41 A. Goodman, Nixon in China, 57.

42 Dans le même esprit, l’interlude symphonique qui évoque l’orage tropical cite Salomé de Richard Strauss ; quant aux propos prêtés à Lao Szu, ils sont sans équivoque : « That luscious thigh / That swelling breast / Scented and greased / A sacrifice / Running with juice » (47).

43 Pierre Rigaudière propose une explication encore plus prosaïque : les auteurs auraient voulu rendre plus substantiel le rôle frustrant de Kissinger, par ailleurs réduit à la portion congrue (46).

44 Paul Clark attire l’attention sur la prépondérance des personnages féminins dans le théâtre musical maoïste, signe d’une rupture avec l’opéra traditionnel où les femmes n’agissent jamais qu'à l'initiative de personnages masculins (52).

45 J. Ellul, Propagandes, 75.

46 A. Goodman, Nixon in China, 51.

47 B. Mittler, A Continuous Revolution, 40.

48 A. Goodman, Nixon in China, 57.

49 A. Goodman, Nixon in China, 54.

50 Contrairement aux allégations de la propagande gouvernementale, Jiang Qing semble n'avoir joué qu'un rôle assez réduit dans la genèse des yangbanxi (P. Clark, The Chinese Cultural Revolution, 56), mais il est vraisemblable qu'Adams et Goodman l'ignoraient lorsqu'ils écrivirent Nixon in China.

51 A. Goodman, Nixon in China, 55. Homophone de « troop », le terme anglais « troupe » désigne une compagnie théâtrale, non une unité de l’armée. Il en résulte au vers suivant une équivoque sur le déictique « this » qui peut désigner soit Nan Batian, soit le président des États-Unis, selon la manière dont on interprète le contexte d’énonciation, notamment au théâtre où l’on ne peut se laisser guider par l’orthographe. On comprend la réaction apeurée de Pat Nixon : « She’s started shooting, Dick » (54).

52 La partition d’Adams multiplie les allusions très reconnaissables au répertoire post-romantique de manière à créer, par le biais de l’outrance volontaire, des effets de renversement parodique. Ainsi, au lever de rideau, l’auditeur perçoit des échos de L’Or du Rhin ; comme à l’acte I où il s’en rencontre aussi, ces réminiscences wagnériennes attirent l’attention sur l’hubris de dirigeants un peu trop prompts à se rêver en maîtres du Walhalla. Un peu plus loin, Adams évoque l’orage tropical qui s’abat sur Wu Ching-hua dans un interlude symphonique aux accents straussiens d’autant plus incongrus que la partition du ballet maoïste traite cet épisode avec une grande sobriété. Par-delà l’art révolutionnaire chinois, c’est le canon de l’opéra occidental qu’Adams parodie ainsi : plus que Jiang Qing et la Révolution Culturelle, l’ironie vise le compositeur post- ou néo-romantique piégé, à l’instar de Wotan, par l’écart inévitable entre l’intention grandiose et les aléas de sa réalisation.

53 A. Goodman, Nixon in China, 59.

54 L. Wittgenstein, Culture and Value, 32e-33e.

55 J. Ellul, Propagandes, 25.

56 B. Mittler, A Continuous Revolution, 377-378.

57 J. Adams, Hallelujah Junction, 56.

58 « Up Front: John Adams ».

59 Le peuple chante en chœur au début de la scène 2, puis à nouveau au cours de la scène 4 lorsqu’il fraternise avec le Détachement féminin rouge. À la fin de la scène 5, on entend chanter L’Internationale pendant l’exécution de Hong Changqing ; quant à la dernière scène, elle s’achève sur un chœur triomphal.

60 A. Goodman, Nixon in China, 49.

61 A. Goodman, Nixon in China, 51-53.

62 A. Goodman, Nixon in China, 55-57.

63 Ce dispositif anticipe sur celui qu’Adams et son librettiste Peter Sellars adoptent dans El Niño (2000), oratorio de la Nativité où le rôle de Marie est attribué simultanément ou successivement à deux chanteuses, à une danseuse et à l’actrice principale d’un film muet, celui de l’Ange à un trio de contre-ténors et à un danseur, etc. Dans Nixon in China, on pense aussi à l’acte I, scène 2, où les paroles de Mao sont aussitôt répétées par les secrétaires chargées de les prendre en note. Ce dernier parallèle est moins probant car la présence des choristes auprès du président chinois reste motivée par des considérations mimétiques.

64 A. Goodman, Nixon in China, 19.

65 A. Goodman, Nixon in China, 21.

66 A. Goodman, Nixon in China, 57.

67 A. Goodman, Nixon in China, 58.

68 J. Adams, « On Being a “Political” Composer ».

69 J. Derrida, « La Pharmacie de Platon », 87.

70 J. Ellul, Propagandes, 75.

71 Propos d'Alice Goodman, in R. Christiansen, « Breaking Taboos », 251.

72 Propos de John Adams, in M. Steinberg, « Nixon in China (1987) », 115.