L’Excès en tous lieux dans l’œuvre d’Edwidge Danticat

Myriam Moïse

Université des Antilles et de la Guyane

  1. L’œuvre de l’auteure haïtiano-américaine Edwidge Danticat est l’allégorie de l’excès en tous lieux et illustre la vision de Roland Barthes selon laquelle « l’intervention sociale d’un texte » ne peut se mesurer que par « la violence qui lui permet d’excéder les lois qu’une société, une idéolo­gie, une philosophie se donnent pour s’accorder à elles-mêmes dans un beau mouvement d’intelli­gible historique. Cet excès a un nom : écriture1. » L’exploration de la littérature des femmes de la diaspora caribéenne implique l’acceptation de nouveaux modes de représentation et d’expression et la légitimation de nouveaux espaces qui permettent aux voix contradictoires et démesurées d’exis­ter. C’est à la fois par l’imagination et la réécriture de l’histoire que Danticat crée de nouvelles géo­graphies textuelles et culturelles et cherche à négocier des identités féminines qui reflètent les pro­cessus complexes de transformation et de (re)production caractéristiques de l’expérience diaspo­rique. De telles complexités ne sauraient être exprimées par le biais d’une trame narrative mesurée et rationnelle et en ce sens, la discussion s’attache à démontrer dans quelle mesure Danticat a re­cours à un discours de l’excès qui dépasse les cadres normatifs envisagés quant à la conception de l’espace et du temps. Il conviendra d’exploiter la notion d’excès en termes de dépassement des normes et de défiance des espaces (historique, géopolitique, culturel, physique) en mettant en exergue les dimensions historique et spatiale.

  2. Antithèse de la norme et de la mesure, les écrits de Danticat décrivent des expériences et des espaces souvent « hors-norme », dépassant les cadres terminologiques et idéologiques fixés par les espaces hégémoniques (européen et nord-américain), et s’apparentant à la poétique d’une démesure de la démesure que décrit Édouard Glissant. La pensée glissantienne considère la littérature euro­péenne comme « intensément portée vers la recherche ou la mesure d’une mesure, de terre et d’eau, de rythme, de voix et de silences, et ses démesures elles-mêmes sont d’abord des réactions furieuses contre cette visée originelle2. » Les littératures « autres » semblent au contraire prendre leur source dans la démesure:

Pour nous autres, poètes du Sud, notre topique ne saurait être de la source et du pré, lieux voués à la durée sereine, mais de la brousse, de l’inextricable, du tremblement de terre, du cyclone, ceux-ci sou­dains et inattendus. La démesure est là, totale, elle est aussi son propre objet, nos poétiques seront d’une démesure de la démesure3»

  1. Soulignant l’importance des lieux emblématiques de la démesure, Glissant envisage l’excès comme exacerbé au cœur de certains espaces spécifiques décrits dans les littératures du sud. Chez Danticat, la poétique de la démesure se manifeste par le débordement des mémoires et par les es­paces corporels fragmentés et sans cesse disloqués. Comme le souligne Deleuze, « c’est le langage qui fixe les limites (par exemple, le moment où commence le trop), mais c’est lui aussi qui outre­passe les limites et les restitue à l’équivalence infinie d’un devenir illimité4. » Ainsi les écrits de Danticat semblent envisager ce devenir illimité en mêlant fiction et réalité et en outrepassant les li­mites de l’Histoire canonique. Son roman Breath, Eyes, Memory (1994) et sa nouvelle « Nineteen Thirty-Seven » (1996) illustrent tous deux, au delà des différences de genre et de cadre spatio-tem­porel, une dynamique de transcendance et d’intempérance par la représentation de l’espace du trauma. Qu’il s’agisse des espaces géographiques, historiques ou corporels, les textes de Danticat semblent œuvrer à une dissolution des frontières et un dépassement des « lieux de mémoire5 ». En ce sens, il s’agira de démontrer dans quelle mesure les textes sélectionnés véhiculent une représen­tation immodérée des espaces traumatiques et illustrent la mise en œuvre d’une poétique de l’excès.

  2. Le lien entre l’espace, la mémoire et le moi apparaît évident dans l’œuvre de Danticat où la ré­écriture de l’Histoire opère au cœur de la relation entre individus et environnements. Dans sa nou­velle « Nineteen Thirty-Seven », l’auteure associe sa réponse à l’Histoire à l’espace aquatique du trauma que représente la rivière Massacre, mais semble aller au delà de la dimension historique de cet espace fluide, démontrant ainsi que l’horreur ne peut être racontée que dans la démesure. La dié­gèse de « Nineteen Thirty-Seven » s’appuie sur l’épisode douloureux du Massacre de Parsley qui s’est produit à la frontière séparant Haïti et la République Dominicaine. L’histoire coloniale de ces deux territoires d’une même île annexée d’une part par les Français et d’autre part par les Espagnols est à l’origine des nombreux conflits qui ont marqué le passé des deux peuples. Le récit fictionnel de Danticat est basé sur des faits réels et son titre fait référence sans détour aux événements d’oc­tobre 1937 où, sur l’ordre du dictateur dominicain Rafael Leonidas Trujillo, des milliers d’Haïtiens furent tués à coups de machette le long de la rivière qui sépare les deux nations et leurs corps furent jetés à l’eau. Comme l’explique la romancière haïtiano-canadienne Myriam Chancy, le but de Trujillo était de « dominicaniser » la République Dominicaine et son entreprise criminelle a détruit la cohabitation paisible qui existait jusqu’alors entre les deux peuples. Chancy ajoute que les immigrants haïtiens étaient considérés comme des indésirables en République Dominicaine à cause de leur pauvreté, leur africanité et leurs croyances ancestrales liées à la pratique de la religion Vodou6.

  3. Dans « Nineteen Thirty-Seven », Danticat utilise la fiction pour dépasser cette tragédie histo­rique et choisit de transformer la rivière qui sépare les deux peuples en un espace sacré au-delà de l’histoire sanguinaire qu’elle renferme en son sein. L’auteure exploite en effet ce lieu emblématique des excès criminels de Trujillo et le métamorphose en un lieu spirituel, berceau de la mémoire ma­triarcale haïtienne. Cette fusion entre fiction et réalité contribue à produire « les effets superlatifs de réel7 » théorisés par Roland Barthes, permettant ainsi à la Rivière Massacre de passer outre l’image horrible des meurtres pour sublimer la survie des femmes haïtiennes et la continuité générationnelle à travers les traditions orales et ancestrales. Tout au long de la narration, les motifs de l’eau et de la fluidité nourrissent cette dimension superlative et deviennent emblématiques du débordement des mémoires au cœur de la rivière Massacre. Qu’il s’agisse de la larme miniature de la statue de la Madone au début de l’histoire ou de la métaphore du sang qui coule le long de la rivière Massacre à la fin de la nouvelle, mémoire et fluidité sont intimement liées. La rivière devient en fait un véri­table personnage puisque c’est un élément omniprésent, aussi bien dans le cadre spatio-temporel que dans la conscience même des personnages de l’histoire. Elle représente un espace traumatique qui renferme à la fois la mémoire collective haïtienne et l’histoire personnelle de la narratrice José­phine, née la nuit du Massacre de Parsley : « On the night that El Generalissimo, Dios Trujillo, the honorable chief of state, had ordered the massacre of all Haitians living there » (33). L’accumula­tion de titres associés à Trujillo illustre une satire volontairement exagérée qui juxtapose les qualités supérieures attribuées à Trujillo par son peuple à la cruauté de ses actions en tant qu’organisateur du meurtre de milliers d’Haïtiens. Le jeu du paradoxe participe d’une démarche narrative globale de déconstruction et de dépassement des qualités précédemment attribuées à l’oppresseur qui sont ainsi remises en question.

  4. Loin de se limiter à la condamnation évidente du régime dictatorial de Trujillo et à la seule di­mension matérielle et physique de cet épisode innommable de l’histoire d’Haïti, le récit de Danticat cherche à légitimer une forte dimension spirituelle en lien avec la culture Vodou. Alors que la grand-mère de Joséphine fut assassinée sous le régime de Trujillo, sa mère elle, parvint à s’enfuir grâce à son pouvoir surnaturel, assurant ainsi sa survie et celle de Joséphine qu’elle portait alors en son sein:

My mother had escaped El Generalissimo’s soldiers, leaving her own mother behind. From the Haitian side of the river, she could still see the soldiers chopping up her mother’s body and throwing it into the river along with many others. We went to the river many times as I was growing up. Every year, my mother would invite a few more women who had also lost their mothers there. Until we moved to the city, we went to the river every year on the first of November. The women would all dress in white. My mother would hold my hand tightly as we walked toward the water. We were all daughters of that river, which had taken our mothers from us. (40-44)

  1. La violence excessive de la description des corps fragmentés et démembrés jetés dans la ri­vière dont l’eau devient rouge de sang contraste brutalement avec la description du groupe de femmes haïtiennes tout de blanc vêtues à la mémoire de leur mère disparue dans cette même rivière. Dès lors, « le souvenir a une fonction de re-territorialisation8 » puisque cette rivière qui jadis avait englouti des corps ensanglantés devient soudain l’allégorie de la mémoire matriarcale à travers le ri­tuel féminin du premier novembre. La rivière se transforme en un véritable lieu de mémoire et de reconstruction des subjectivités féminines puisque plusieurs générations de femmes s’y recueillent chaque année et clament à travers ce rituel leur connexion historique et maternelle à ce lieu.

  2. Pour la mère de Joséphine, la rivière Massacre représente la mort autant que la (re)-naissance et le discours qu’elle avait pour habitude d’adresser au soleil sur les rives de la rivière souligne l’as­sociation sonore des mots « womb » (utérus) et « tomb » (tombeau) : « We were saved from the tomb of this river when she [Josephine] was still in my womb. You spared us both, her and me, from this river where I lost my mother » (40). A travers une dialectique partagée entre perte et gain, le discours de la mère illustre la poétique de l’excès de l’auteure qui associe l’espace fluide de la ri­vière à la mort, à la naissance et à la renaissance. Entre berceau et tombeau, la rivière devient un symbole de continuité et de pérennité puisque c’est par le cycle de l’eau que les dialogues féminins peuvent émerger et subsister. L’importance de la matrice ancestrale est soulignée à travers l’image du miroitement qui apparaît lorsqu’à l’âge de cinq ans, Joséphine fait l’expérience de son premier pèlerinage à la rivière Massacre :

Manman had taken my hand and pushed it into the river, no farther than my wrist. When we dipped our hands, I thought that the dead would reach out and haul us in, but only our faces stared back at us, one indistinguishable from the other. (40)

  1. Pendant ce pèlerinage initiatique, Joséphine devient consciente du lien indéniable entre vie et mort au sein de la rivière et son portrait reflété dans l’eau fusionne avec celui de sa mère et par rico­chet, avec celui de sa grand-mère pour qui la rivière a représenté un tombeau. C’est en fait par la dialectique du miroitement de l’eau que les trois subjectivités féminines deviennent indistinctes puisque la rivière est le seul lieu qui permet l’existence de leur trinité maternelle sacrée au delà des limites de vie et de mort. Danticat transforme l’excès historique lié à la rivière en une connexion spirituelle féminine qui échappe à toute interprétation normative.

  2. Dans son premier roman Breath, Eyes, Memory,  grand-mère, mère et fille forment également une trinité qui transcende les espaces géographiques. La jeune Sophie Caco se voit dans l’obligation de déménager à New York pour vivre avec sa mère Martine qui la prive alors de la vie familiale qu’elle a toujours connue auprès de sa grand-mère en Haïti. Sophie est non seulement confrontée à un nouvel espace géoculturel, elle doit également faire face au comportement excessif de sa mère qui s’obstine à reproduire les traditions morales haïtiennes. Dans le roman de Danticat, les person­nages féminins sont confrontés à des situations de violence, de violation et de torture qui les poussent à construire des stratégies de survie et de dépassement de soi. Le processus de transforma­tion et de transgression de l’espace du trauma de la Rivière Massacre dans « Nineteen Thirty-Seven » se traduit dans Breath, Eyes, Memory par la transgression des espaces corporels féminins dont les limites sont sans cesse franchies. C’est par l’intermédiaire de la figure maternelle que cette transgression a d’abord lieu, puisque la tradition du test opéré sur le corps est un fardeau transféré de mère en fille dans la communauté haïtienne de Croix-des-Rosets. Selon un rituel hebdomadaire qui débute dès l’apparition des premières menstruations, les jeunes filles doivent supporter le test effectué par leur mère afin de vérifier que leur virginité est bien préservée. Considérée comme vi­tale pour leur assurer mariage et avancement social, cette pratique est strictement assurée par les mères qui contrôlent la sexualité de leur fille en mettant en place une surveillance extrêmement rap­prochée des corps :

I have heard it compared to a virginity cult, our mother’s obsession with keeping us pure and chaste. My mother always listened to the echo of my urine in the toilet, for if it was too loud it meant that I had been deflowered. I learned very early in life that virgins always took small steps when they walked. They never did acrobatic splits, never rode horse or bicycles. They always covered them­selves well and, even if their lives depended on it, never parted with their panties. (146)

  1. La virginité doit être préservée par tous les moyens car elle dépasse l’idée de possession indi­viduelle et privée pour être considérée en terme de propriété collective et familiale. Dans Breath, Eyes, Memories, les femmes sont décrites comme des objets gardés strictement sous contrôle et dont la pureté doit être une qualité suprême et absolue. Le récit décrit la préservation de la virginité comme instrumentalisée par le pouvoir patriarcal qui prend ainsi possession des corps féminins. Comme l’explique Atie, la tante de Sophie : « Haitian men, they insist that their women are virgins and have their ten fingers » (142). Cette affirmation qui débute par le sujet antéposé « Haitian men » suivi de son référent « they » semble décupler et renforcer la présence des hommes et leur omnipotence. L’utilisation du possessif « their » est significative puisque « their women », autant que « their ten fingers » véhiculent l’idée de possession matérielle, suggérant que tout et partie du corps d’une femme appartient à son mari. En outre, la synecdoque des doigts est clairement évo­quée dans le roman :

According to Tante Atie, each finger had a purpose. It was the way she had been taught to prepare her­self to become a woman. Mothering. Boiling. Loving. Baking. Nursing. Frying. Healing. Washing. Ironing. Scrubbing. It wasn’t her fault. Her ten fingers had been named for her even before she was born. Sometimes she even wished she had six fingers on each hand so she could have two left for her­self. (142)

  1. À travers cette énumération, Atie exprime la multiplicité infinie des tâches d’une femme, qu’il s’agisse des tâches ménagères (« boiling », « baking », « frying », « washing », « ironing », « scrubbing ») ou des tâches émotionnelles et corporelles (« loving », « mothering », « nursing », « healing »). Loin de donner à sa nièce Sophie un quelconque espoir quant à son futur, Atie exprime son impuissance profonde face à un destin auquel elle est irrémédiablement vouée, à savoir être dé­possédée de son propre corps et être continuellement testée et contrôlée.

  2. Que ce soit Atie ou Martine, la figure maternelle joue un rôle d’intermédiaire dans ce roman puisque c’est la mère qui impose les restrictions et régit le corps de sa fille, une caractéristique ré­currente dans récits fictionnels d’auteures caribéennes telles Jamaica Kincaid, Olive Senior et M. NourbeSe Philip. La grand-mère de Sophie Grandmè Ifé, sa mère de substitution Tante Atie et sa mère biologique Martine ont toutes vécu le rituel du test comme un viol et une dépossession corpo­relle qui dépasse tout entendement. Dans le cas de la mère de Sophie, la dépossession est d’autant plus extrême que le rituel du test corporel n’a plus lieu d’être lorsqu’elle se fait violer par un Tonton Macoute9 dans le champ de cannes à sucre de Croix-des-Rosets. Après la naissance de Sophie, fruit de ce viol, l’état psychologique de Martine la pousse à immigrer à New York afin de se reconstruire, mais lorsqu’elle rapatrie sa fille pour la rejoindre, elle réitère le rituel du test corporel, comme si les excès des coutumes morales haïtiennes s’étaient déplacés avec elle. Impuissante face à ce rituel, Sophie choisira l’automutilation afin de vaincre l’excès par l’excès :

My flesh ripped apart as I pressed the pestle into it. I could see the blood slowly dripping onto the bed sheet. I took the pestle and the bloody sheet and stuffed them into a bag. It was gone, the veil that always held my mother’s finger back every time she tested me. My body was quivering when my mother walked into my room to test me. My legs were limp when she drew them aside. I ached so hard I could hardly move. Finally I failed the test. (88-89)

  1. En transgressant les limites de son propre corps, Sophie met fin de manière extrême au rituel du test et reprend ainsi possession de son corps. Par ce geste ultime, elle met également fin à l’auto­rité maternelle de Martine sur son corps et l’état psychique de cette dernière se dégrade en consé­quence. Dans son ouvrage The Spaces of Violence, James R. Giles définit l’excès comme la caracté­ristique universelle de la violence10 et considère la représentation fictive de la violence comme es­sentiellement liée au genre féminin. La violence prendrait ses racines dans l’excès et dans les pra­tiques masculines perverses11. Ainsi, même lorsque le protagoniste qui perpétue la violence est une femme, c’est une violence produite en réponse à l’oppression patriarcale.

  2. Dans Breath, Eyes, Memory, la violence atteint son paroxysme à travers la représentation des corps féminins fragmentés et constamment manipulés, déplacés, voire pénétrés. L’utérus est décrit comme un espace ambivalent, à la fois reproducteur et destructeur, et par la complexité de la rela­tion entre Martine et Sophie, Danticat dépeint les conséquences inattendues de la deuxième gros­sesse de Martine. Cette grossesse aura des effets rétroactifs sur Martine et sa dépression mentale se manifestera par une violence accrue. Rejetant l’être qui grandit en elle, Martine voit son futur enfant comme un être hors norme et à la fin du récit, son corps devient un véritable espace conflictuel. Les cauchemars récurrents liés à son viol passé et l’impossibilité d’identifier et de condamner son agres­seur la hantent et deviennent insoutenables. Sa folie paranoïaque se double d’un état schizophrène extrême : « She was like two people. Someone who was trying to hold things together and someone who was falling apart » (209). Percevant définitivement l’enfant qu’elle porte comme un corps étranger qui la ronge de l’intérieur, l’acte extrémiste de Martine consistera à tenter de l’extraire d’elle-même en se poignardant le ventre : « In blood. She was lying there in blood » (215). Cet acte de désespoir fait ici écho à la vision de la poétesse jamaïcaine Lorna Goodison dans « Songs of Release », poème dans lequel elle décrit la condition de souffrance inexprimable qui ne peut se dire que par le sang (« causing (us) to speak blood », 78). L’impossibilité pour Martine de dire sa douleur par les mots la pousse à l’exprimer par un discours sanguinaire et c’est ainsi qu’elle parvient à reprendre possession de son corps schizophrène.

  3. Le choix de Danticat de permettre à la fois à Sophie et à Martine de se libérer en s’automuti­lant, à des degrés variés certes, illustre bien la poétique de l’excès de l’auteure et fait écho aux trois premières dimensions que Deleuze associe au corps schizophrène: « Corps-passoire, corps-morcelé et corps-dissocié12 ». Pendant la cérémonie funéraire de Martine, Sophie compare sa mère à Erzulie, la Madone noire des rituels Vodou, une figure qui rappelle la statue en porcelaine, un symbole fort dans « Nineteen Thirty-Seven13 ». Erzulie est la représentation de la femme omnipotente qui prend le dessus sur les hommes, les réduit en esclavage, les viole et les tue : « Erzulie who feared no men, but rather made them her slaves, raped them, and killed them. She was the only woman with that power » (219). La couleur rouge des vêtements de Martine le jour des funérailles fait écho à la cou­leur d’Erzulie, mais rappelle également les effusions de sang pendant les actes démesurés de Sophie et Martine. À la mort de sa mère, l’attitude de Sophie est d’autant plus empreinte d’excès puisque qu’elle cherche à reconstruire son moi fragmenté en s’attaquant littéralement au champ de canne à sucre de Croix-des-Rosets où sa mère Martine avait jadis été violée par un Tonton Macoute : « I ran through the field, attacking the cane. I took off my shoes and began to beat a cane stalk. […] My palm was bleeding. The cane cutters stared at me as though I was possessed » (225). Frappant vio­lemment les tiges de canne à sucre, Sophie parvient à se libérer, une fois de plus en combattant l’ex­cès par l’excès. Extériorisant sa colère avec pour cibles les tiges de canne à sucre qu’elle frappe jus­qu’à se blesser les mains, Sophie fait couler son sang à l’endroit même où sa mère avait subi les violences du macoutisme. L’espace du champ de cannes, lieu emblématique des excès de l’escla­vage et allégorie de l’oppression outrancière des peuples de la diaspora africaine, devient le lieu de connexion entre Sophie et sa mère. Lieu de l’excès par excellence, le champ de canne est aussi le lieu du commencement et de la fin, l’espace où Sophie a été conçue dans la violence et l’espace où elle cherche à extérioriser la violence de l’expérience de Martine qui aura marqué toute sa vie. Le moment où les coupeurs de cannes à sucre arrêtent leur activité pour fixer la scène et voient Sophie comme possédée marque d’autant plus le lien entre mère et fille, faisant ainsi de Sophie l’héritière de la folie de sa mère.

  4. C’est au cœur même des lieux historiques du trauma tels la rivière massacre et le champ de canne de Croix-des-Rosets que Danticat situe les excès de la violence. Toutefois, l’auteure cherche à dépasser les excès de l’Histoire en reconfigurant les lieux du trauma qu’elle décrit comme des es­paces de connexion matriarcale infinie. Ces espaces ouverts rappellent les paysages « irrués », ad­jectif inventé par Édouard Glissant pour décrire les paysages extra-Européens : « une terre qui vous porte, vous envahit, vous confond. Là, tout paysage me révélait l’infini géographique […] La terre immense d’Afrique ouvre sur l’irrué : le monde y est tentation gigantesque de l’Autre14. » Dans « Nineteen-Thirty Seven », la rivière est certes un espace « irrué » puisqu’elle porte en elle la mé­moire matriarcale haïtienne.

  5. Le récit oscille véritablement entre deux espaces majeurs qui sont des emblèmes des cycles de vie: d’une part, l’espace fluide et ouvert de la rivière Massacre au sein de laquelle Joséphine peut commémorer ses ancêtres; d’autre part, l’espace statique et clos de la prison où la narratrice rend quotidiennement visite à sa mère. La mère de Joséphine est décrite comme un être surnaturel accusé d’avoir le pouvoir de s’envoler la nuit dans le but de dérober la vie des enfants: « [They] grow those wings made of flames, fly away in the middle of the night, slip into the slumber of innocent children and steal their breath » (38). Elle est traitée de femme « lougarou15 », de sorcière et de cri­minelle (39) par le régime politique en place en Haïti qui exploite les croyances populaires afin d’opprimer et de soumettre le peuple haïtien16. Paradoxalement, les larmes de la statue de la Madone (« the Madonna ») que sa fille lui amène à chaque visite sont la seule consolation de la mère de Joséphine. Cette statue de porcelaine dont Joséphine prend grand soin et dont les larmes ar­tificielles réconfortent sa mère en prison est une représentation maternelle immuable. L’omnipré­sence de l’effigie reflète la complexité des pratiques religieuses haïtiennes, puisque si elle fait indé­niablement référence à la Vierge Marie saluée par les Catholiques, l’apaisement et le réconfort qu’elle apporte à la mère de Joséphine rappelle les pouvoirs de la poupée Vodou. Les larmes artifi­cielles de la statue que la mère de Joséphine provoque secrètement par une fine couche de cire et d’huile dans le creux des yeux ne semblent pas lui ôter sa dimension sacrée et magique (42). L’au­teure procède à une véritable sacralisation de la Madone qui est chérie et protégée de manière déme­surée et irrationnelle par les deux femmes. Allégorie de la résistance et de la mémoire trans-généra­tionnelle, la statue est transmise de mère en fille et survit à plusieurs cycles de vie.

  6. Tout au long du récit, les descriptions des visites de Joséphine à la rivière Massacre et à la pri­son s’entrecroisent, si bien que les motifs de fluidité et d’ouverture associés à la rivière semblent rattraper la prison qui perd soudain de son apparente solidité. Le contraste fluide/solide annoncé au début de la nouvelle à travers l’image de la minuscule larme ruisselant sur le visage de la Madone en porcelaine est confirmé par la déconstruction de l’espace de la prison. Initialement comparé à une large forteresse de briques (35), la récurrence de certains éléments confère soudain une dimen­sion fluide à la prison : les larmes (de Joséphine, de sa mère et de la Madone), les gouttes de sang (38), l’urine (35) et enfin l’eau avec laquelle les prisonnières sont forcées de s’arroser mutuellement afin qu’elles ne puissent utiliser leur pouvoir surnaturel pour s’envoler (37). À la fin du récit et par­ticulièrement après la mort de la mère de Joséphine, la description de la prison dénote une certaine fragilité puisque la cellule vide apparaît humide avec des murs d’argile qui s’effritent en petits mor­ceaux de boue : « The room felt damp, the clay breaking into small muddy chunks » (47). Cette image de l’émiettement est en fait récurrente pendant les scènes qui se déroulent à la prison, qu’il s’agisse d’une prisonnière pelant les croûtes de son cuir chevelu (38), d’un groupe de femmes trans­portant des touffes de cheveux (35) ou des morceaux de porc mâchouillés et conservés par la mère de Joséphine (48). Si la description de la dégradation violente des corps des prisonnières fait inévi­tablement écho aux images de corps démembrés et meurtris pendant le massacre, l’émiettement symbolique de la prison illustre la volonté de l’auteure de dépasser la matérialité du lieu. Les fron­tières de la prison deviennent incertaines et instables, une frontière proche de la vision du théoricien Édouard Glissant selon laquelle « la frontière est comme un sable toujours mouvant, mais qui, loin d’engloutir les contraires qu’elle a suscités ou surpris tout à l’entour, les dilate, les explose à l’infini de son bouleversement » (Faulkner 8). Les pouvoirs surnaturels de la mère de Joséphine lui permettent de bouleverser les espaces et de déstabiliser les frontières comme lorsqu’elle avait survolé la rivière pendant le massacre ou lorsqu’elle s’évapore de l’espace clos de la prison en y laissant ses cendres.

  7. La dialectique de l’émiettement se poursuit à travers l’image des cendres du corps de la mère de Joséphine à la fin du récit et la vision de la rivière comme berceau matriarcal au delà de la mort prend alors tout son sens :

We were all daughters of that river, which had taken our mothers from us. Our mothers were the ashes and we were the light. Our mothers were the embers and we were the sparks. Our mothers were the flames and we were the blaze. We came from the bottom of that river where the blood never stops flowing, where my mother’s dive toward life—her swim among all those bodies slaughtered in flight—gave her those wings of flame. (41)

  1. Le point culminant de ce passage réside dans la métaphore filée qui établit la connexion entre mères et filles en dépit de la tragédie. Les outils stylistiques rhétoriques telle l’anaphore du groupe nominal « our mothers » et du pronom « we » créent un effet incantatoire qui rappelle la récitation de litanies religieuses. A travers une série de métonymies, mères et filles sont associées au feu dans un schéma amplificateur : les cendres (« ashes »), les braises (« embers ») et les flammes (« flames ») représentent les mères ; la lumière (« light »),  les étincelles (« sparks ») et la flambée (« blaze ») représentent les filles. Cette gradation intensive met l’accent sur la capacité de transfor­mation des femmes haïtiennes qui se fortifient grâce aux pouvoirs dont elles héritent de génération en génération. La dernière phrase est en fait l’allégorie de la fusion des quatre éléments puisque pendant le massacre, la mère de Joséphine est parvenue à plonger tout au fond de la rivière (eau et terre/boue) et c’est en remontant à la surface que ses ailes de feu apparaissent et lui permettent de voler pour assurer sa survie et celle de Joséphine (air et feu).

  2. La rivière est l’espace du milieu qui permet la survie féminine et rappelle l’importance du troi­sième espace, the « third space of enunciation » que Homi Bhabha décrit dans sa théorie sur les lieux de la culture (The Location of Culture), un espace où la fissure devient productive, un espace d’expression où la dislocation et le vide sont exploités et où l’environnement caribéen devient l’al­légorie du dépassement de soi. Dans « Nineteen Thirty Seven », la rivière permet la survie des femmes haïtiennes qui développent un pouvoir de transcendance dans les profondeurs des eaux de la rivière Massacre. Comme l’explique Mimi Sheller, les histoires subalternes émergent souvent d’en bas, sous la surface des images, emmêlées aux racines des arbres, proches du sol, ou submergées sous les eaux17. En ce sens, la nouvelle de Danticat prouve que mémoires et subjectivités peuvent être recréées à travers des discours qui dépassent les frontières et se font entendre même lorsqu’ils proviennent du fond des eaux des lieux du trauma. En somme, le récit de Danticat intègre l’Histoire au mythe et légitime les croyances souvent jugées démesurées du folklore haïtien, tout en offrant une véritable réévaluation de l’influence du discours traditionnel sur les peuples diasporiques. En insistant sur le lien entre individu, mémoire et espace, elle choisit de mettre en évidence une vision du passé associée à une sorte de connexion ombilicale entre le sujet féminin et les espaces géoculturels qui l’entourent. Cette connexion excède l’entendement en ce qu’elle assure la pérennité et le renouvellement continu des subjectivités féminines diasporiques. Dans son récit, Danticat construit un processus de ré-imagination et de transcendance des espaces du passé en faisant de ces lieux historiquement marqués par la tragédie de véritables lieux où subjectivité féminine, recréation et expression de soi sont exacerbées.

  3. Danticat permet aux espaces matériels et immatériels de faire irruption dans ses textes dans lesquels les corps diasporiques sont visibles, audibles et même palpables. L’auteure incorpore les di­mensions socioculturelle, politique et géographique pour véhiculer une image du corps féminin afro-caribéen qui dépasse les attentes, illustrant ainsi la vision de la féministe Elisabeth Grosz selon laquelle le corps féminin est un produit culturel par excellence (23). Les écrits de Danticat illustrent également les théories féministes qui prennent en compte toutes les dimensions du corps et les ten­sions créées entre l’histoire, le vécu et les codes culturels qui marquent l’expérience corporelle dé­mesurée de la femme noire. La théoricienne afro-américaine Hortense Spillers souligne que la spé­cificité de ce corps s’explique en ce qu’il est intrinsèquement lié à l’histoire et intériorise torture, violence et prostration (68). Les corps disloqués que Danticat décrit se transforment en des témoi­gnages transculturels qui permettent aux protagonistes de renégocier leurs identités par la démesure et l’outrance. En imposant violemment la représentation de corps hors-norme sur la page, l’auteure prouve que c’est à travers la dislocation et la fragmentation que les corps sont remembrés / remé­morés (« re-membered ») et recréés. Ce processus rappelle les images récurrentes de démembre­ment et de décomposition chez Toni Morrison, particulièrement dans son premier roman The Bluest Eye. Morrison envisage le démembrement et le remembrement du passé comme intrinsèquement liés à la corporalité (« dismembering/remembering »).

  4. En somme, Danticat transporte ses histoires au delà des normes et envisage l’excès comme central à la construction identitaire et à la relation entre l’espace et le lien familial. Elle imagine de nouvelles formes d’identités qui dépassent les cloisonnements entre magique et réel, entre passé et présent et entre matérialité et fluidité. Ses textes représentent de véritables instruments de recon­nexion et de reconstruction en ce qu’ils démontrent la polysémie des espaces historiques, l’aspect multidimensionnel des identités diasporiques et le croisement incessant des espaces, des corps et des cultures.

Ouvrages cités

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Spillers, Hortense. « Mama’s Baby, Papa’s Maybe: An American Grammar Book ». Diacritics 17.2 (1987) : 64-81.

1 R. Barthes, Sade, 16.

2 E. Glissant, Faulkner, Mississipi, 97.

3 Ibid.

4 G. Deleuze, Logique du sens, 11.

5 Voir P. Nora, Les Lieux de mémoire.

6 « Trujillo’s aim to ‘Dominicanize’ the Dominican Republic (or to de-Haitianize it) made the borderlands between the two countries a battleground in which Dominicans and Haitians who had peacefully co-existed together, in trade and in conjugal unions, intermarrying, and so on, were rendered enemies. Haitians by virtue of their Vodu-related “Africanness” and their poverty, which had grown ever more grave from the 1800s to the early 1900s, were seen as undesirables in the Dominican Republic. Though many historians contend that only ethnic difference separated the two populations, it is also clear that the de-Haitianization process hinged on the racialization of Haitians as a subspecies » (M. Chancy, Violence, Nation and Memory, 130).

7 R. Barthes, S/Z, 99.

8 G. Deleuze et F. Guattari,  Mille Plateaux, 360.

9 Les Tontons Macoutes étaient des hommes de main utilisés comme force paramilitaire sous le régime de François Duvalier (Papa Doc) à la fin des années 50. Mais les supposés protecteurs du peuple et du président abusaient de leur pouvoir pour commettre des viols et des meurtres dont nombreux sont restés impunis à ce jour.

10 J. R. Giles, The Spaces of Violence, 5.

11 Ibid., 175.

12 G. Deleuze, «  Le Schizophrène et le mot », 739.

13 Dans l’iconographie Vodou qui utilise souvent les figures catholiques (la pratique de la religion Vodou était jadis in­terdite par la loi), Erzulie est parfois représentée par Notre Dame de Czestochowa. L’icône de Czestochowa est une madone noire tenant un enfant dans les bras. Erzulie est en fait la sainte patronne des mères célibataires, des les­biennes et des femmes victimes de violence domestique (M. Otto, The Routledge Companion to Colonial Studies, 102).

14 E. Glissant,  Intention poétique, 158.

15 Dans l’est de l’archipel caribéen (régions anglophones et francophones), le lougarou et le soucoyant ont des caracté­ristiques communes tandis qu’au Guyana et en Jamaïque, l’équivalent est le “ole higue”. Tous ces personnages du folklore caribéen ont le pouvoir de se transformer la nuit en ôtant leur peau pour se changer en vampire aux yeux de feu. Voir Janette Martin, “Jablesses, Soucriants, Loup-garous : Obeah as an Alternative Epistemology in the Writing of Jean Rhys and Jamaica Kincaid”, 1997.

16 Comme l’explique Mélanie Murray dans Island Paradise: The Myth, depuis l’esclavage, le vaudou est une religion de résistance qui a été d’une grande inspiration pour la culture haïtienne pour laquelle les êtres surnaturels étaient généralement des femmes telles la « jablesse »  et le « soucoyant » : « Since the time of slavery, [Vodou] has been a religion of resistance and inspiration for Haiti’s culture. […] Supernatural beings were mainly female: witches, vam­pires, ghosts, such as the “jablesse” and the soucoyant » (M. Murray, Island Paradise, 7).

17 « We must look for subaltern histories below the surface of the image, tangled in the roots of trees, close to the ground, submerged in the water » (139).