Juliana Lopoukhine
Paris-Sorbonne
Les romans de Virginia Woolf qui suivent la première guerre mondiale peuvent se lire comme des mises en écriture du temps, dans l’entre-deux-guerres comme temps de l’après-coup, où écrire prend acte de la fracture historique, et comme moment de potentialité, où l’histoire s’ouvre à nouveau au possible. Dans Mrs. Dalloway, la fracture s’écrit notamment par le biais du survivant à la guerre, Septimus Smith, emblème de l’irréversibilité aiguë du temps. Les discours médicaux qui souscrivent à l’irrévocable trouvent écho dans les discours idéologiques qui cherchent à fonder l’histoire à même le sol. Les lieux emblématiques de la ville de Londres, quadrillés par les statues, les tombeaux et les épigraphes, s’offrent à l’inscription d’un temps monumental1 qui fonde l’histoire à l’issue de la guerre et atteste du triomphe de la civilisation, acclamé par Peter Walsh : « One of the triumphs of civilisation, Peter Walsh thought. It is one of the triumphs of civilisation2 ».
Ce régime du temps comme source continue du progrès se laisse pourtant retraverser par des formes hétérogènes, métaphorisées par l’irrégularité des coups de Big Ben où l’hétérogène de l’actuel résonne dans la dramatisation tragique du temps qui se constitue comme irrévocable et ressaisie par l’exclamation du pur événement : « There! Out it boomed. First a warning, musical; then the hour, irrevocable. The leaden circles dissolved in the air » (4). Le moment où Peter Walsh, absorbé dans ses souvenirs, est interrompu dans sa déambulation par la mélopée indistincte de la mendiante devant la bouche de métro de Regent’s Park ouvre une béance dans le temps homogène. C’est un moment de tremblé sans précédent qui se joue dans cette irruption soudaine d’une figure de l’immémorial, d’un fossile vivant au milieu du temps de la mémoire, « this rusty pump, this battered old woman » (69). Par son chant qui est à peine un chant, l’irruption de formes archaïques du temps vient interrompre le temps de l’actuel, ramenant dans le temps de la mémoire celui de l’immémorial, une préhistoire qui s’arrache à l’indéterminé.
Cette irruption de la préhistoire par le biais d’un chant d’amour archaïque fait déboîter le temps chronologique dans la rencontre entre ce qui persiste, se préserve, et ce qui est remis en cause par la rencontre avec la mendiante, qui fait trembler le temps, selon Gillian Beer, « [she] takes us back past language to a semiological cradle-land surviving into the present3 ». Cette survie de l’archaïque jusqu’au présent se fait processus continu et infini qui n’est pas lié par le temps vectorisé du progrès, mais qui délie le temps dans une « survivance4 » que Jean-François Lyotard définit comme « vocation à commencer5 » sans cesse reconduite et qui défait l’homogène du temps. Le chant de la mendiante se donne alors à lire comme une écriture de l’archaïque qui porte le temps en puissance, remise en jeu constante d’une « modalité de possible6 » dans le temps de l’actuel.
Le retour de l’immémorial par le biais d’un dire pré-verbal, hors-sens, dont la profération semble se situer en-deçà d’« un commencement chronologique du langage7 » selon Giorgio Agamben, se fait ainsi non pas sous le signe de la perte du temps passé, mais au contraire sur le mode d’une ré-ouverture au possible qui porte à la fois sur les potentialités du temps présent et sur les potentialités poétiques du langage. La mise en crise radicale du temps réinvente la langue, poussée au-delà de ses limites, façonnée et modelée comme pure matière première, comme retour à une enfance du langage que Jean-François Lyotard définit ainsi : « Baptisons-la infantia, ce qui ne se parle pas. Une enfance qui n’est pas un âge de la vie et qui ne passe pas. Elle hante le discours8. » Dans le chant de la mendiante, l’archaïque se fait retour à un temps préhistorique qui embrasse toutes les dimensions du temps, jusqu’à un frayage itératif qui écrirait les origines de la poésie. La figure de la mendiante se donne alors à lire comme une figure de poétesse, creuset d’un poiein mis en œuvre depuis le hors-sens, modelage de formes pré-langagières qui défient la finitude du langage et celle du temps fondé.
L’irruption au milieu du discours interne de Peter Walsh, qui se lamente sur la froideur des femmes et en particulier de Clarissa, se donne d’abord en une émanation sonore qui interrompt brusquement le cours des pensées du personnage et précède toute inscription dans un corps :
But women, he thought, shutting his pocket-knife, don’t know what passion is. They don’t know the meaning of it to men. Clarissa was as cold as an icicle. There she would sit on the sofa by his side, let him take her hand, give him one kiss on the cheek — Here he was at the crossing.
A sound interrupted him; a frail quivering sound, a voice bubbling up without direction, vigour, beginning or end, running weakly and shrilly and with an absence of all human meaning into
ee um fah um so
foo swee too eem oo — (68-9)
Au carrefour des rues, à l’intersection du temps de l’actuel, l’irruption de la mélopée à peine audible vient défaire radicalement le temps destiné, « without direction, vigour, beginning or end » (68), et les modalités du discours subjectif de Peter Walsh. C’est une masse préverbale qui se livre à l’état brut, une voix sans langage, en-deçà de l’humain, en-deçà du sens, « an absence of all human meaning » (68), qui se donne à entendre par le biais de modulations affranchies de toute articulation et de toute loi d’enchaînement syntaxique, syntagmatique, syllabique ou sémiotique. L’irruption du chant hors-sens qui résiste depuis l’informe suspend l’articulation du langage, jaillissement archaïque d’une voix paradoxale, à la fois fragile dans son enfance et perçante dans sa force d’irruption, « running weakly and shrilly ».
La pure émanation inarticulée, « a voice bubbling up without direction », qui défie et défait jusqu’à sa propre vectorisation, survient en amont de tout corps comme lieu d’émanation de la voix, en amont même de tout lieu d’où elle proviendrait et où elle se disséminerait. Elle ne laisse alors du langage que le seul support de sa matérialité signifiante où se fraie un dire, soutenu de sa seule profération : « ee um fah um so / foo swee too eem oo — ». Le dire qui se constitue et se maintient hors-sens lance alors au langage le défi radical d’une survivance hors de ses conditions d’énonciation. La pure émanation sonore voisée paraît se nourrir du bouillonnement primitif de ce qui n’est même pas encore un son, dans l’« étonnement de ce qui, un instant, n’est rien encore. De ce qui est déjà sans encore être quelque chose pourtant9 ». Le dire explose en variations sonores qui font vaciller le temps et le langage, et se propagent le long de la ligne écrite, se frayant à travers les points de suspension et les virgules qui métaphorisent à la fois l’interruption du sens et l’irruption de ce qui arrive, « up without direction ». Le chant balbutiant, chétif, serait alors cette « énigmatique faculté de commencer10 » qui ne fonde pas le temps mais l’interrompt dans une indétermination totale :
the voice of no age or sex, the voice of an ancient spring spouting from the earth; which issued, just opposite Regent’s Park Tube station from a tall quivering shape, like a funnel, like a rusty pump, like a wind-beaten tree for ever barren of leaves which lets the wind run up and down its branches singing
ee um fah um so
foo swee too eem ooand rocks and creaks and moans in the eternal breeze. (69)
La profération d’une pure matière sonore se propose, de fait, en-deçà de toute détermination et de toute différentiation sexuelle ou identitaire où pourraient se stabiliser les conditions d’une énonciation ou d’une subjectivation. Elle semble trouver son lieu d’origine, avant même l’inscription d’un corps qui propulserait le son, dans le sol lui-même. Ce sol est à la fois le sol de la ville comme lieu déterminé par un nom, « just opposite Regent’s Park Tube station », et le sol boueux d’une terre primitive qui ferait jaillir une source antédiluvienne, an ancient spring spouting from the earth » (69). Une fusion de l’actuel et du préhistorique s’opère bien dans cette double valence du lieu, par la survenue de ce dire archaïque qui défie le langage mais aussi le temps. De ce point de capture, « rendez-vous secret » « entre l’archaïque et le moderne11 » dont parle Agamben, émerge, en un travail laborieux qui semble s’arracher, s’extraire hors de l’indéterminé d’une naissance, une forme encore palpitante d’une sourde gestation inachevée, « a tall quivering shape, like a funnel, like a rusty pump, like a wind-beaten tree for ever barren of leaves which lets the wind run up and down its branches singing » (69). Au fil des comparaisons successives qui martèlent le frayage, les mutations sculptent cette masse informe, dans un passage par l’incongruité des objets, « like a funnel, like a rusty pump, like a wind-beaten tree » (69). La remise en jeu de la forme à chaque instant met en œuvre un régime figural intense qui cherche à donner forme au corps lui-même.
La résistance sourde des objets qui servent tour à tour de support à ce qui cherche à prendre forme, en-deçà de tout langage et de toute instance d’énonciation, devient résistance d’un dire informe dans un texte dont la poétique doit s’atteler au travail de la matière. Le langage se confronte au défi de cette masse dont les variations se laissent percevoir dans la forme d’un instrument, « like a funnel, like a rusty pump », qui permettrait de moduler la voix et sa portée, « like a wind-beaten tree for ever barren of leaves which lets the wind run up and down its branches singing » (69). Cette lyre vivante, vibrante, palpitante, s’expose au travail du vent dans le dénuement d’une forme taillée pour en faire l’instrument d’un chant, d’un dire atemporel qui survit dans l’écriture en-deçà de tout récit ou sens, et échappe à toute injonction énonciative, à toute régulation prosodique.
Le langage lui-même redevient matière première, se module dans la succession de sons, de voyelles redoublées ou entrecoupées de consonnes, comme une masse à modeler, à travailler, qui module la poétique du texte au-delà du chant de la mendiante : « ee um fah um so / foo swee too eem oo / and rocks and creaks and moans in the eternal breeze » (69). Dans la segmentation qui brise les modalités sonores où se constitue cette voix le texte expose sa poétique à l’œuvre, en un processus qui se situe en-deçà du « rapport avec son commencement et sa fin12 », dans la survivance de sa propre fabrication poétique à même la matérialité sonore des signifiants. Le poiein qui jaillit de l’« énigme […] d’un rapport avec ce qui n’a pas de rapport13 » porte dans son enfance inarticulée les potentialités sans cesse reconduites d’un renouvellement du temps et de la langue, pur frayage sonore en deçà de tout sens.
La voix brute et sans âge qui débite ainsi des sons en forme de masses préverbales se constitue dans un « “avant” du langage14 », une enfance que l’on peut lire comme latence des formes poétiques, dans un indéterminé qui préserve « les modes du pouvoir (possibilité, capacité, éventualité […])15 ». L’irruption d’un poiein qui procède de la pulvérisation des modalités du langage amène la survivance de cette enfance archaïque dans la langue. Il s’opère alors une dé-fixation temporelle qui entraîne les formes de l’actuel vers un temps préhistorique, où le lieu de la ville est emporté dans les formes d’un passé immémorial qui ouvre sur l’épaisseur du temps :
Through all ages ‒ when the pavement was grass, when it was swamp, through the age of tusk and mammoth, through the age of silent sunrise ‒ the battered woman ‒ for she wore a skirt ‒ with her right hand exposed, her left clutching at her side, stood singing of love ‒ love which has lasted a million years, she sang, love which prevails, and millions of years ago her lover, who had been dead these centuries, had walked, she crooned, with her in May. (69)
La longue phrase qui cherche à embrasser toutes les valeurs temporelles résiste elle-même au temps, semble survivre de tiret en tiret alors qu’elle dessine au centre d’elle-même l’infini d’une « implosion temporelle16 ». Dans cette « implosion temporelle » le chant d’amour de la mendiante module le lieu actuel en un lieu préhistorique, un marais où l’avant du temps accueille la potentialité d’un avènement du temps, « the age of silent sunrise ». La figure de la mendiante qui se définit dans un corps de femme sans s’y stabiliser, à rebours du vêtement, « the battered woman — for she wore a skirt », se fait figure de l’immémorial qui traverse des âges dans un frayage itératif, « Through all ages — when the pavement was grass, when it was swamp, through the age of tusk and mammoth, through the age of silent sunrise » (69).
Dans la résurgence d'un temps archaïque dont la mémoire se perd au-delà du temps, le corps de la mendiante, construit au fil des mues successives comme un objet avant même d’être un corps, se constitue alors en une figure de poétesse dont le chant d’amour, comme dire en-deçà du sens, échapperait au temps et ramènerait le langage aux origines de la poésie, « with her right hand exposed, her left clutching at her side, stood singing of love » (69). Le contenu du chant d’amour, qui ne tient pas à la transcription du chant lui-même mais plutôt à son récit, dessine la rémanence d’un amour et d’un amant immémoriaux, dont la survivance dans le chant semble avoir traversé les âges pour venir se potentialiser dans l’actuel : « love which has lasted a million years, she sang, love which prevails, and millions of years ago her lover, who had been dead these centuries, had walked, she crooned, with her in May » (69). Le jeu des temps grammaticaux libère la puissance de l’indéterminé où la mort elle-même se laisse traverser par la survivance à l’œuvre, « love which prevails ». La survivance d’un idiome de l’amour dans le présent, dans l’irruption du présent grammatical, brouille le temps de la mémoire. L’hétérogène du temps travaille la grammaire où se dit à la fois la mort et la persistance, la date et la durée.
La posture de la mendiante comme figure de la sujétion et de la demande se transforme alors en une posture poétique en puissance, posture qui ne dit plus l’abjection d’une assignation au besoin, mais la transmission d’un temps immémorial par l’extension des âges et leur inscription poétique :
but in the course of ages, long as summer days, and flaming, she remembered, with nothing but red asters, he had gone; death’s enormous sickle had swept those tremendous hills, and when at last she laid her hoary and immensely aged head on the earth, now become a mere cinder of ice, she implored the Gods to lay by her side a bunch of purple heather, there on her high burial splace which the last rays of the last sun caressed; for then the pageant of the universe would be over. (69)
C’est presque la figure d’une déesse mythique qui se dessine ici, dans ce nouveau travail du temps qui fait émerger la mémoire, « when at last she laid her hoary and immensely aged head on the earth ». La mythologisation de la mendiante, l’allégorisation de la mort et la convocation d’une période glaciaire ancestrale, de déités présidant à un ensevelissement solennel coïncidant avec la fin des temps, façonnent une poétique qui modèle la matière du temps, l’étire, la déploie, la rassemble. La mendiante devient figure d’éternité sinon d’immortalité, et la survivance de son corps, qui porte la marque du temps archaïque et de la mémoire résurgente, semble ramener l’immémorial au cœur de l’actuel, « now become a mere cinder of ice » (69). L’écharde de cendre glacée, qui contient pourtant encore la possibilité d’un embrasement, se fraie à travers les âges, à travers les auxiliaires conjugués au passé et les virgules, qui trament la résistance du temps. Le flamboiement des asters rouges, dont l’étymologie grecque et latine signifie « astre », convoque le rougeoiement d’astres qui persistent avec la mémoire, comme si les fleurs en forme d’étoiles métaphorisaient une survivance qui résisterait à la vision du passé désastré de l’Ange de Walter Benjamin, évoqué par Jean-François Lyotard : « L’Ange ne voit le passé que comme présent désastré. L’astre est le ton de ce qui est vif17. » C’est bien la survivance du « vif » qui se loge par le biais d’un passé immémorial ramené au cœur du présent et vient mettre en crise le procès chronologique du temps. Celui-ci est alors réécrit comme allégorisation, « for then the pageant of the universe would be over », tandis que le jeu des modalités et des marqueurs temporels écartelés remettent en jeu le moment même de la mort.
Le lieu de l’actuel, « Regent’s Park Tube Station », se trouve alors traversé par une pensée du temps qui le déborde, dans le détour par une préhistoire qui interrompt l’actuel. Le texte opère une fusion de ces lieux et de ces temps dans une congruence paradoxale, conflictuelle, devenue à la fois force vive et terreau d’un travail poétique :
As the ancient song bubbled up opposite Regent’s Park Tube Station, still the earth seemed green and flowery; still, though it issued from so rude a mouth, a mere hole in the earth, muddy too, matted with root fibres and tangled grasses, still the old bubbling burbling song, soaking through the knotted roots of infinite ages, and skeletons and treasure, streamed away in rivulets over the pavement and all along the Marylebone Road, and down towards Euston, fertilizing, leaving a damp stain. (69)
La poiesis à l’œuvre refaçonne le corps de la mendiante, remet en jeu ses caractéristiques humaines, le modèle dans une glaise pré-temporelle et pré-verbale, « a mere hole in the earth, muddy too » (69). Le chant archaïque semble pris dans le frayage laborieux, « soaking through the knotted roots of infinite ages, and skeletons and treasure » (69), qui est aussi le creuset créateur d’une matière organique et poétique, « matted with root fibres and tangled grasses » (69). La résistance s’inscrit dans la langue par la répétition persistante de l’adverbe « still » confrontée à la résistance de la conjonction « though », métaphorisant la survivance de l’écriture.
Dans le procès paradoxal de ce sursis résistant sans cesse reconduit bouillonne une gestation poétique sourde qui travaille la matière sonore et scripturale des mots, déclinant les sonorités en puissance en une re-fabrication continue par le biais des assonances, « issued from so rude a mouth ». Elle met en jeu une expérimentation poétique sans cesse renouvelée par le biais de la paronomase, « the old bubbling burbling song », ruisseau que l’on sent sourdre dans un temps qui précède le jaillissement. Ce qui se dessine dans ce corps et ce temps immémoriaux semble être le lieu pré-temporel où le déchet qui symbolise la perte et la déréliction se transforme en matériau précieux, « skeletons and treasure », réinvesti par une force créatrice en puissance, qui enfin jaillit sur le pavé, « streamed away in rivulets over the pavement and all along the Marylebone Road, and down towards Euston, fertilizing, leaving a damp stain » (69). Le chant pré-langagier, issu d’un creuset pré-temporel, s’écoule ainsi en une multitude de rigoles dont le sillage se dissémine et irrigue les rues de la ville, en un remodelage fertile des lieux et des strates temporelles.
Le sol urbain, stratifié en couches de temps devient alors unité spatio-temporelle qui ne connaît plus de passé/présent/futur. Ce qui s’opère là n’est pas une « totalisation du temps par l’homogénéisation des temps, par leur banalisation18 », mais plutôt une indivision où tous les temps survivent et persistent, permettant à l’immémorial de se loger au cœur du présent. Alors que l’irruption de la préhistoire fait trace sur le sol urbain par le biais d’une résurgence liquide qui sourd et ruisselle, le temps lui aussi se met à emprunter ce retour de la mémoire quasi-impersonnelle qui retraverse la mémoire subjective de Peter Walsh. Un canal de terre glaise et de branches entremêlées se fait « voie d’accès au présent [sous] la forme d’une archéologie19 », entame, altère la poétique et les formes de la mémoire :
Still remembering how once in some primeval May she had walked with her lover, this rusty pump, this battered old woman with one hand exposed for coppers, the other clutching her side, would still be there in ten million years, remembering how once she had walked in May, where the sea flows now, with whom it did not matter—he was a man, oh yes, a man who had loved her. (69-70)
Les traces de ce qui résiste au temps deviennent ici fusion, préservation qui embrasse l’histoire dans le temps cosmique, « in ten million years, remembering how once she had walked in May, where the sea flows now ». Le temps sans durée vient pulvériser la mémoire qui traverse les âges vers un passé immémorial mais aussi vers un futur hors de pensée, brouille les dimensions mythologisantes d’un amour entre un homme et une femme, elles-mêmes ressaisies et refaçonnées par l’immémorial, « with whom it did not matter — he was a man, oh yes, a man who had loved her ». Alors que le temps de la souvenance comme avènement de la mémoire re-convoque le primitif, l’énergie presque sexuelle de ce printemps immémorial potentialise la force créatrice atemporelle d’une figure devenue objet rouillé par le temps, « this rusty pump, this battered old woman » (69). La métaphore d’une pompe rouillée, qui précède la figure humaine, marque la déréliction de ce qui a subi les effets du temps millénaire, mais aussi la potentialité du souffle par lequel l’objet incongru devient instrument potentiel d’un poiein. Tandis qu’est réitérée la posture d’une abjection, main tendue qui mendie, « with one hand exposed for coppers, the other clutching her side » (70), cette posture d’exclusion, assignée à l’attente des moyens aléatoires d’une survie physique, est totalement réécrite par la survivance au temps, « would still be there in ten million years » (70). La survie comme condition sociopolitique se retourne alors en survivance comme procès poétique, « naissance incessante [qui] bat le rythme d’une “survie” récurrente sans mètre (sans mesure)20 ».
Dans cette survivance poétique « sans mètre (sans mesure) », les amants d’une préhistoire où la puissance de l’archaïque avait fait émerger un engendrement créateur ne créent jamais la fondation d’un cosmos ou d’une espèce, à rebours de la dimension mythologisante qui avait pris corps. La présence vivace de ce qui survit, la préservation de la mémoire à travers les âges, sont aussitôt remises en jeu par le pouvoir de dissolution du temps :
But the passage of ages had blurred the clarity of that ancient May day; the bright-petalled flowers were hoar and silver frosted; and she no longer saw, when she implored him (as she did now quite clearly) “look in my eyes with thy sweet eyes intently”, she no longer saw brown eyes, black whiskers or sunburnt face, but only a looming shape, a shadow shape, to which, with the bird-like freshness of the very aged, she still twittered “give me your hand and let me press it gently” (Peter Walsh couldn’t help giving the poor creature a coin as he stepped into his taxi), “and if someone should see, what matter they?” she demanded (70)
Pour la troisième fois, le texte opère un passage par le creuset des âges qui altère et transforme le temps, en une phrase qui résiste à sa propre fin, où la ponctuation, les parenthèses, les conjonctions, les citations entre guillemets remettent en jeu encore et encore la «“survie” récurrente21 » de la phrase. La répétition persistante du “still”, comme « modalité de possible22 » survit inlassablement à la perte inscrite par le « mode du ne plus23 », « no longer », qu’elle défie : « le temps n’est que le jeu des modalités : ne plus pouvoir et pouvoir ce ne plus. L’impossibilité et la possibilité de cet impossible24 ». La phrase interminable brouille et lisse la mémoire, dans les fluctuations de ce qui persiste et de ce qui se perd ou s’altère, dans la mutation d’une saison à une autre, « the bright-petalled flowers were hoar and silver frosted » (70). Le temps hétérogène qui recouvre du même givre les pétales des fleurs et la tête de la mendiante façonne alors une pure puissance de frayage poétique qui défait les tropes attendus et les réinvestit en une remise en jeu constante de la poétique dans ses dimensions sémiotiques, scripturales ou sonores sans jamais fonder un nouvel ordre du temps. « Cette “survie”-là ne prolonge pas une vie déjà morte, elle initie, dans la mort de ce qui était là, le miracle de ce qui n’y est pas encore25. » Le flou temporel qui résulte de ces contractions, de ces dilatations de la durée altère la vision, brouille la clarté et la définition des traits du visage « she no longer saw, when she implored him (as she did now quite clearly) “look in my eyes with thy sweet eyes intently”, she no longer saw brown eyes, black whiskers or sunburnt face, but only a looming shape, a shadow shape » (70). Dans le flottement d’un visage et d’un corps face à la mendiante, le pronom « him » est laissé à l’indéterminé d’une référence à l’amant immémorial ramené au cœur du présent, « But the passage of ages had blurred the clarity of that ancient May day », ou à Peter Walsh qui vient donner corps au présent à cette figure masculine érodée par le temps, « a shadow shape, to which she still twittered “give me your hand and let me press it gently” (Peter Walsh couldn’t help giving the poor creature a coin as he stepped into his taxi) » (70). La poétique hybride, faite de tropes, de traits de visage peints puis effacés, de bribes de discours et de fragments des pensées de Peter Walsh se déploie dans ces dilatations du temps.
Ces éléments se disséminent dans le frayage poétique qui élabore la figure de la mendiante, tandis que les échos de l’entrevue entre Peter Walsh et Clarissa viennent à la fois tisser le texte et le déplacer, tout en se laissant retraverser par la dépersonnalisation de la mémoire dans le texte de la chanson, devenu audible : « give me your hand and let me press it gently ». Le contenu des pensées de Peter Walsh avant de croiser cette mendiante et son chant d’amour semble y trouver écho : « Clarissa was as cold as an icicle. There she would sit on the sofa by his side, let him take her hand, give him one kiss on the cheek — Here he was at the crossing. » (68) La comparaison amère par laquelle Peter Walsh rend compte de la froideur de Clarissa Dalloway semble ici faire écho au quasi-oxymore d’une cendre glacée qui recèlerait encore la possibilité du feu, « cinder of ice » (69). La « trace de l’ancienne présence » semble bien persister ici sans être pour autant ni « altérée », ni « réchauffée »26, mais plutôt ravivée par la trace d’un idiome de l’amour qui survit jusqu’au présent et le ranime. Le temps irréversible, irrévocable qui serait vécu sur le mode de la perte se trouve alors ressaisi dans la fusion des temps qui refusent de s’homogénéiser comme « pouvoir ou puissance27 ». Il s’écrirait alors peut-être le procès inverse de ce que Jean-François Lyotard appelle la mélancolie : « Cette impossibilité de faire le deuil de la présence passée […] l’accent mis sur la perte irrémissible de la présence, c'est-à-dire la mort, de ce qui fut là28 ». Les bribes de discours qui réinsèrent des éléments d’un texte sociopolitique par le biais des affects de Peter Walsh, « the poor creature », son geste de charité qui vient sceller la condition de la mendiante, sont alors retraversés eux aussi par ce « ton du vif29 » qui ré-ouvre le temps passé à la possibilité d’un commencement, « the bird-like freshness of the very aged » (70).
Ce qui vole en éclats sous l’effet de ce dire préverbal généré depuis l’enfance du temps et du langage n’est plus seulement alors le temps homogène et les conditions d’énonciation du langage. C’est également le pathos lié à une condition sociopolitique définie par le temps culturel et historique, ainsi que par les discours où s’articulent les idéologies, qui se trouve remis en jeu dans le tremblé du temps. L’évocation des regards aliénants des passants est retraversée en écho par le temps hétérogène qui disperse les quadrillages sociaux :
and her fist clutched at her side, and she smiled, pocketing her shilling, and all peering inquisitive eyes seemed blotted out, and the passing generations — the pavement was crowded with bustling middle-class people — vanished, like leaves, to be trodden under, to be soaked and steeped and made mould of by that eternal spring —
ee um fah um so
foo swee too eem oo. (70)
Les passants sont raturés entre les tirets, oblitérés par la survivance du printemps immémorial qui délie les instances d’un quadrillage sociopolitique et s’en saisit, feuilles mortes dont la décomposition se fait retour à la matière première d’un processus de re-création. Dans ce brassage, les structures qui constituent le lieu se défont, redéployées dans le temps, réinvesties à nouveau dans le creuset du temps premier d’où s’échappe, pour la dernière fois, le chant de la mendiante, en un commencement sans cesse reconduit.
On entend pourtant à l’évocation de ces générations qui passent et disparaissent, « the passing generations […] vanished », à la fois les passants qui investissent le trottoir et également, par écho, les générations passées, englouties dans la fêlure du temps. Une trentaine de pages plus tôt, alors que Peter Walsh est rattrapé et dépassé par un groupe de jeunes soldats, leur apparition est précédée, comme le chant de la mendiante précède son inscription dans un corps, par un bruissement de feuilles métaphorisant le bruit de leur pas en cadence :
A patter like the patter of leaves in a wood came from behind, and with it a rustling, regular thudding sound, which as it overtook him drummed his thoughts, strict in step, up Whitehall, without his doing. Boys in uniform, carrying guns, marched with their eyes ahead of them, marched, their arms stiff, and on their faces an expression like the letters of a legend written round the base of a statue praising duty, gratitude, fidelity, love of England. (43)
Le pas des soldats qui se donne d’abord dans un bruit de feuilles fait écho aux générations passées, ou passantes, « passing generations », disparaissant comme des feuilles tombées et piétinées jusqu’à s’enfoncer sous la surface du sol, « vanished, like leaves, to be trodden under ». Ici, la procession comme manifestation d’un ordre symbolique fixe son regard non pas vers le passé désastré de l’Ange, mais vers l’avenir destiné d’une civilisation, déterminé par des inscriptions idéologiques gravant dans le marbre « l’idée d’un progrès de l’espèce humaine à travers l’histoire » que Walter Benjamin associe à un « mouvement dans un temps homogène et vide30 ». Ce temps homogène repose sur le poids d’un passé commun scellé dans le sol de la ville, ainsi que l’écrit Gillian Beer : « the weight of a common past sealed in statues31 ». L’histoire comme passé commun paraît ici se fonder à même le corps de ces jeunes soldats, devenus eux-aussi écritoire des idéologies, « on their faces an expression like the letters of a legend written round the base of a statue praising duty, gratitude, fidelity, love of England ». Ces « figures de l’inerte survie32 » dont parle Jean-François Lyotard semblent alors se faire cadavre du temps, emblèmes d’une tradition qui trahit le temps du vif : « as if […] life, with its varieties, its irreticences, had been laid under a pavement of monuments and wreaths and drugged into a stiff yet staring corpse by discipline » (44).
Le sol de la ville qui absorbe le matériau humain devenu matériau organique et poétique, dans le moment d’irruption de cette préhistoire avec le chant archaïque de la mendiante, ne serait plus alors ce sol devenu écritoire des conquêtes datées et des devises nationalistes qui garantiraient l’institution figée du temps monumental. Par la force impétueuse de ce printemps éternel, le sol devient terreau poétique en puissance, où la coexistence des strates de temps, la fusion de ce qui se préserve et de ce qui est remis en jeu soutient la survivance vive d’un processus fertile qui sourd dans les régions souterraines. L’engloutissement des feuilles dans la fusion des strates temporelles régénère un sol composite qui n’est plus cadavre du passé mais écriture comme procès infini, « to be soaked and steeped and made mould of by that eternal spring » (70). La disparition des générations sous la surface du trottoir, comme celle des jeunes gens avalés par la ville de Londres, qui préfigure leur disparition à la guerre, « London had swallowed up many millions of young men called Smith » (72), ne se fait donc pas sur « le mode du ne plus » comme rapport « à la question de l’être et du non-être de ce qui est33 », mais sur celui d’une perpétuelle refonte du matériau qui constitue le temps lui-même.
La re-potentialisation du temps dans ses dimensions mélancoliques et mortifères, comme perte et fracture, se dessine ainsi dans une survivance de l’immémorial comme mode du temps commun, « the communal past of an imagined prehistory34 », non pas fondation du temps, mais puissance de l’éphémère à l’œuvre. Le pathos de la condition sociopolitique de la mendiante est ré-approprié par Lucrezia Warren Smith, dans la dépersonnalisation du pronom « one » où les affects du personnage font entendre une mélancolie du temps passé, de l’exil et de la fracture psychique et historique dont Septimus est le porteur : « ‘Poor old woman,’ said Rezia Warren Smith, waiting to cross. Oh poor old wretch! Suppose it was a wet night? Suppose one’s father, or somebody who had known one in better days had happened to pass, and saw one standing there in the gutter? And where did she sleep at night? » (70). Mais là encore la dimension pathétique est remise en jeu par l’euphorie poétique inappropriable qui s’échappe dans l’infinie survivance du poiein :
Cheerfully, almost gaily, the invincible thread of sound wound up into the air like the smoke from a cottage chimney, winding up clean beech trees and issuing in a tuft of blue smoke among the topmost leaves. “And if some one should see, what matter they?”(70)
Le chant de la mendiante qui s’élance dans les airs, survivance « invincible » qui se dissémine en fumée parmi les feuilles des arbres et rappelle la dissolution des cercles de plomb de Big Ben dans les airs, redonne vie aux feuilles tombées et assimilées aux strates du sol. Une pure énergie jubilatoire, puissance de vie irrésistible, travail de la survivance dans le dire atemporel, retraverse à contretemps le statut de Septimus comme survivant par rapport à une date, et se joue de l’aliénation des regards dont souffre Lucrezia, de l’assujettissement solitaire qui s’y disperse :
Since she was so unhappy, for weeks and weeks now, Rezia had given meanings to things that happened, almost felt sometimes that she must stop people in the street, if they looked good, kind people, just to say to them “I am unhappy”; and this old woman singing in the street “if someone should see, what matter they?” made her suddenly quite sure that everything was going to be right. (70-71)
La remise en jeu dans le chant de la mendiante de la latence du temps mélancolique, de la désolation, « she was so unhappy, for weeks and weeks now » (70), vient ranimer par le chant éphémère, sans origine, le temps désastré de la survie.
La survivance d’un dire atemporel et informe qui travaille les strates du temps, fruit d’un passage itératif de la mémoire à travers le creuset des âges, se fait ainsi force poétique qui dé-fonde le temps historique, substituant au passé scellé dans le sol de la ville un temps immémorial, temps de l’informe qui surgit dans la profération d’une pure matière sonore en-deçà de toute détermination. La persistance d’un temps préhistorique dans le sol et d’un temps pré-langagier contenu dans le chant et la traversée des âges opère une fusion de l’actuel et du préhistorique qui fait écho à Giorgio Agamben : « La clé du moderne est cachée dans l’immémorial et le préhistorique35. » Dans ce passage où la singularité presque illisible de la langue fait irruption, une pure solitude de la langue qui ne se rapporte à aucune intrigue ou chronologie déterminée permet à un renouvellement radical de mettre en crise l’expérimentation poétique elle-même, par le retour à une enfance du langage comme balbutiements de la langue, et à une enfance de la lecture, s’attachant « à [la] maintenir en enfance, c’est-à-dire impréparé[e]36 ». Ce qui s’inscrit est alors « ce qui ne se laisse pas écrire, dans l’écrit, [et qui] appelle peut-être un lecteur qui ne sait plus ou pas encore lire : vieilles gens, enfants de la maternelle, radotant sur leur livre ouvert : a.d.a.d.37 ». La lecture du chant de la mendiante qui surgit dans le texte de Mrs. Dalloway permet de ressaisir la fondation du temps et son irréversibilité dans leurs effets mortifères, une survivance qui ne repose pas sur la « foi aveugle […] dans le progrès38 » dépeinte par Benjamin, mais une survivance comme écriture du temps en devenir, au cœur de l’informe et de l’indéterminé, où se délie le temps.
Agamben, Giorgio. Qu’est-ce que le contemporain ? Trad. Maxime Rovere. Paris : Payot, 2008.
Agamben, Giorgio. Enfance et histoire. Paris : Payot, 2002.
Beer, Gillian. Virginia Woolf: The Common Ground. Ann Arbor, MI : The University of Michigan Press, 1996.
Lyotard, Jean-François. Lectures d’enfance. Paris : Galilée, 1991.
Jenny, Laurent. La Parole singulière. Paris : Belin, 1990.
Ricœur, Paul. Temps et récit : II : la configuration du récit de fiction. Paris : Seuil, 1984.
Walter Benjamin. « Sur le concept d’histoire ». Œuvres : III. 1940. Trad. Maurice de Gandillac, Rainer Rochlitz, Pierre Rusch. Paris : Gallimard, 2000. 427-43.
Woolf, Virginia. Mrs. Dalloway. 1925. Oxford : Oxford University Press, 2000.
1 J’emprunte cette notion à Paul Ricœur : « un temps monumental, dont le temps chronologique n’est que l’expression audible ; de ce temps monumental relèvent les figures d’Autorité et de Pouvoir qui constituent le contre-pôle du temps vif ». Temps et récit : II : la configuration du récit de fiction, 200.
2 V. Woolf, Mrs. Dalloway, 128.
3 G. Beer, Virginia Woolf: The Common Ground, 53.
4 J.-F. Lyotard, « Survivant », Lectures d'enfance, 67.
5 Ibid., 85.
6 Ibid., 84.
7 G. Agamben, Enfance et histoire, 90.
8 J.-F. Lyotard, « Infans », Lectures d'enfance, 9.
9 J.-F. Lyotard, « Survivant », 70.
10 Ibid., 65.
11 G. Agamben, Qu’est-ce que le contemporain ?, 34.
12 J.-F. Lyotard, « Survivant », 59.
13 Ibid., 60.
14 G. Agamben, Enfance et histoire, 90.
15 J.-F. Lyotard, « Survivant », 60.
16 L. Jenny, La Parole singulière, 204-5.
17 J.-F. Lyotard, « Survivant », 62.
18 J.-F. Lyotard, « Survivant », 85.
19 G. Agamben, Qu’est-ce que le contemporain ?, 35.
20 J.-F. Lyotard, « Survivant », 70.
21 Ibid.
22 Ibid., 84.
23 Ibid., 60.
24 Ibid., 84.
25 Ibid., 70.
26 Ibid., 62.
27 Ibid., 61.
28 Ibid., 62-3.
29 Ibid., 61.
30 Walter Benjamin, « Sur le concept d’histoire », 439.
31 G. Beer, Virginia Woolf: The Common Ground, 53.
32 J.-F. Lyotard, « Survivant », 73.
33 Ibid., 60.
34 G. Beer, op.cit., 53.
35 J.-F. Lyotard, « Survivant », 77.
36 G. Agamben, Enfance et histoire, 76.
37 J.-F. Lyotard, « Infans », 9.
38 W. Benjamin, « Sur le concept d’histoire », 436.