Mythes, images et histoire(s) : moments de crise chez W. B. Yeats, Ezra Pound et Basil Bunting

Charlotte ESTRADE

Université du Maine

  1. Les moments de crise mis en mots par la poésie de William Butler Yeats (1865-1939), Ezra Pound (1885-1972) et Basil Bunting (1900-1985) cumulent et suscitent les interrogations sur le temps, sa perception et sa représentation. En effet, ces moments de crise présentent des instants de rupture qui télescopent histoire personnelle et grande Histoire. Le temps privé (ou la perception personnelle du temps) et le temps public (ou la présentation d'événements historiques datés) sont tissés l'un dans l'autre. Le lyrique et le personnel, éléments constants dans l’œuvre des poètes depuis leurs débuts, est mêlé à la grande histoire dans les poèmes de la maturité. Comment s'opère le passage du lyrique et du personnel au plus largement historique : s 'agit-il même de passage ? Ou plutôt de hantise ? De pont ? De mélange ? Ou encore de superposition ? Quelle image, inévitablement spatiale comme le rappelle Ronald Schusterman dans sa préface à l'ouvrage intitulé Des Histoires du temps1 - quels glissement, retour ou passerelle sont plus aptes à décrire le mouvement temporel effectué lorsque les poètes tentent de saisir et de communiquer au lecteur une expérience aux aspects multiples ?

  2. Une strate s’ajoute à cette question : ces moments de crise personnelle et historique sont souvent vus à travers le prisme du mythe qui permet un autre regard sur le présent. Mais temporalités mythique et historique ne s'excluent-elles pas ? D'autre part, quel type de temporalité historique est donné à voir par les poètes modernistes ? Comment, chez ces auteurs, les poétiques de la spirale ont-elles des implications temporelles, esthétiques et culturelles ? En effet, le vortex poundien (« [a] radiant node or cluster […] from which, into which, and through which ideas are constantly rushing2 ») est un horizon esthétique aux implications culturelles qui trouve son parallèle dans les gyres et la théorie cyclique de l'histoire chez Yeats. Dans l'analyse des poètes, effectuée en termes de flux et reflux du cours de l'histoire, c'est la dimension dynamique qui est soulignée. Or les mythes, qu'ils emploient abondamment, suggèrent une tout autre temporalité, qui est d'autre part souvent négation de la chronologie. Comment ces perceptions et présentations de l'histoire se conjuguent-elles avec une poétique de la condensation et de la fragmentation ?

  3. L'engagement des poètes dans l'histoire ne fait pas de doute : Pound, à travers son œuvre-maîtresse, The Cantos, veut écrire une épopée, c'est-à-dire pour lui « un poème incluant l'histoire » (« a poem including history3 ») et prétend apporter une solution aux problèmes économiques de son temps. Fin 1922, Yeats est nommé sénateur du nouvel État libre d'Irlande, et l'Insurrection de Pâques hante de nombreux poèmes. Bunting, objecteur de conscience durant la Première guerre mondiale, envoyé en Iran par la Royal Air Force pendant la Deuxième, n'échappe pas à cet engagement dans l'histoire, qui constitue un thème de réflexion dans son travail poétique. Les « moments » historiques sont donc légion dans le corpus de ces auteurs qui possèdent fortement ce « sens historique » défini par leur contemporain T. S. Eliot dans l'essai « Tradition and the Individual Talent » de 19194. L'histoire est visible comme thème littéraire, comme concept, comme objet de réflexion et de poétique : c'est ce qui a conduit notamment Lawrence Rainey – mais c'est un lieu commun – à parler chez les modernistes anglo-américains d'une véritable obsession pour l'histoire5. Pourtant, le recours au mythe est omniprésent.

  4. Temporalité mythique et temporalité historique a priori s'excluent. Le moment mythique se situe dans un présent atemporel et peut, comme l'a montré Mircea Éliade, se répéter, se réactualiser, notamment à travers la récitation : réciter et donc revivre un mythe, c'est « sort[ir] du temps profane, chronologique » et « débouche[r] sur un temps qualitativement différent, un temps « sacré », à la fois primordial et infiniment récupérable6 ». Si, pour reprendre les termes de Régis Boyer, l'« activité poïétique-mythique7 » abstrait un ou des éléments du réel de la temporalité, l'opération est-elle conciliable avec une présentation des événements historiques majeurs du vingtième siècle dont les poètes ont fait l'expérience, par définition unique ? Si le mythe et ses différentes étapes sont ré-actualisables, il faut pour cela que celui-ci possède un ou des invariants, soit au moins un élément statique. L'événement historique en revanche, est daté et pensé en termes d'une causalité linéaire ou d'un enchaînement de faits attestés, établis a posteriori. Les poètes se concentrent souvent sur des moments de crise, ceux qu'ils perçoivent comme rupture ou tournant nouveaux de l'histoire. Le moment mythique en poésie moderniste, le plus souvent épisode, se compose d'une série d'éléments interdépendants qui se fondent les uns dans les autres. Un même moment mythique peut être récurrent dans le corpus d'un auteur ou de ses contemporains, et un élément de la série peut se voir dilaté au détriment des autres. L'événement historique, quant à lui, est infiniment médiatisé, notamment par le souvenir de la sensation, d'autres expériences ou l'expérience des autres, ainsi que les diverses réécritures possibles.

  5. Le problème ou paradoxe à résoudre est donc le suivant : comment la poésie moderniste concilie-t-elle les deux temporalités évoquées ? Le mythe est-il une grille d'analyse pertinente pour les événements historiques présentés ? Pourquoi choisir le mythe ? D'autre part, si mythe et histoire ont en commun une dimension narrative – tous deux sont des récits – comment la poésie moderniste peut-elle inclure à la fois le moment mythique et des événements de la grande Histoire, mais aussi de l'histoire personnelle sans jamais « raconter » ?

  6. Chez Yeats, Pound et Bunting, dire en poésie le moment de crise est constamment un jeu – ou est-ce un flou, une hésitation, une impossibilité ? – entre quatre éléments : d'abord l'historicité propre au moment historique désigné, ensuite l'expérience du poète-sujet – également citoyen – qui l'appréhende, puis le schéma mythique auquel le poète le compare, et enfin l'écriture ou les réécritures réflexives. Comment le moment mythique, souvent revendiqué comme image, peut-il accommoder différentes différentes temporalités et se réduire à (souvent) une image qui serait moment ? Il faut bien garder ici à l'esprit la valeur particulière du terme « image » chez les poètes modernistes : la poétique « imagiste » de Pound vise à capter un instant particulier pour en rendre l'intensité et la communiquer au lecteur. L'instant est-il donc figé momentanément par la (ou du moins une) lecture ? Dans les poèmes longs, les séries d'images poétiques mettent bien en avant l'idée de Gilles Deleuze selon laquelle, plus que la succession de moments, c'est l'hétérogénéité du temps qui fait problème8, ainsi que, pour les poètes, sa représentation. Cela explique deux traits de la poétique moderniste : la parataxe et la fragmentation. En effet, passé et présent sont souvent juxtaposés, certains événements répétés dans des formulations et des contextes poétiques différents, articulant ainsi une poétique de la diffraction et de l'éclatement.

  7. Dans le même temps, c'est bien, pour reprendre les termes de Jacques Derrida, « un temps dérangé, disloqué, détraqué, disproportionné9 » qui se lit chez Yeats, Bunting et, a fortiori, Pound, dans la mesure où les temporalités ne sont jamais équivalentes, ni évidentes ni stables. Ces perturbations temporelles sont sans doute également liées aux traumatismes qu'elles permettent parfois aux poètes d'évoquer. Il y a là une première caractéristique commune au temps du mythe et au temps de l'histoire : tous deux permettent des variations et l'expression d'histoires douloureuses. Une évolution est également perceptible de Yeats à Bunting : à mesure que le vingtième siècle s'écoule, la prétention à dire et analyser le moment historique, notamment à travers le prisme du mythe, s'efface ou se déplace vers d'autres problématiques.

  8. Après ces quelques remarques liminaires cernant les enjeux, analysons tout d'abord comment, poétiquement et linguistiquement, deux temporalités sont mises en contact et comment expérience personnelle, événement historique et réminiscence mythique sont liés. Chez le jeune Yeats, le passage d'un temporalité à une autre est marqué de façon explicite ; la dimension irréelle du mythe est posée comme telle, et souvent comme un élément qui appartient au domaine du rêve ; c'est le cas dans le poème intitulé « The White Birds10 » écrit en 1892 : « For I would we were changed to white birds on the wandering foam : I and you ! […] Were we only white birds, my beloved, buoyed out on the foam of the sea ! » Dans la même strophe, la temporalité mythique est également associée à un ailleurs géographique : « I am haunted by numberless islands, and many a Danaan shore, / Where Time would surely forget us, and Sorrow come near us no more ». La modalisation montre bien que la superposition des temporalités mythique (où le temps linéaire est aboli) et historique (ou plutôt, à ce stade, personnelle) est fictive, hypothétique. Ce poème a été écrit après une série de refus de Maud Gonne d'épouser le poète, et inspiré de la remarque de celle-ci précisant que si elle devait être oiseau, elle serait mouette11. Le rêve permet dans ces vers de perturber la temporalité, envisagée sur le mode du retour et du spectral. La suspension du temps s'opère graduellement dans ce poème où l'attention pour les temps grammaticaux révèle que le présent simple du début laisse ensuite place au present perfect – temps par excellence qui associe éléments grammaticaux de présent et de passé – puis à une modalisation en « would » qui fait la part belle à l'évanescent (l'écume des vagues, les mouettes) ou l'imprécis (« numberless islands », « many ») et suspend toute notation temporelle précise. En effet, outre la volition prêtée au temps (« Time would surely forget us »), la côte idéale (« Danaan shore ») fait référence à l'aube mythique de l'Irlande du temps des Tuatha de Danaan, dieux antiques irlandais.

  9. Il est également intéressant de noter l'élément suivant : ces dieux ont une place bien précise dans la chronologie mythique irlandaise. Ils arrivent après les Firbolg et les Fomoré, qu'ils chassent d'Irlande, et les Tuatha de Danaan sont eux-mêmes chassés par les Milésiens qui les condamnent à rester dans les entrailles de la terre. C'est à ce stade que s'effectue une transition de la mythologie à ce qui serait une forme d'histoire ancienne qui inclut les hommes. Les mythes des Tuatha de Danaan s'insèrent donc dans une chronologie précise qu'on peut supposer connue de Yeats, qui est familier du Livre de Leinster où sont compilés ces récits, les plus anciens « textes mythologiques12 » irlandais, ainsi que ce qu'on classerait aujourd'hui dans des « genres » différents : généalogie, toponymie, mythologie. Pourtant, cette chronologie mythique précise est absente du poème « The White Birds » : Yeats n'est pas encore tout à fait imprégné des textes mythologiques irlandais compilés par Lady Augusta Gregory sous les titres Cuchulain of Muirthemne et Of Gods and Fighting Men (respectivement publiés en 1902 et 190413),  et le poète est encore dans sa phase romantique ; il n'est donc pas étonnant qu'il choisisse d'évoquer dans ce poème la suspension du temps pour suggérer l'idée du bonheur avec l'être aimé. Le poète réduit ainsi le mythe à sa plus simple expression, mais aussi celle qu'on garde à tort à l'esprit, à savoir le mythe comme lieu où, soit le temps est suspendu, soit le tempo ralenti, tant au niveau de l'expérience qu'on en fait que du temps mesuré par les horloges.

  10. D'ailleurs, cette différence de tempo qui oppose un temps historique rapide à une temporalité mythique ralentie est la plus fréquente chez Yeats : on connaît l'histoire désormais classique d'Ossian parti avec sa bien-aimée dans l'Autre Monde de Tír na nÓg, contrée de la jeunesse, jusqu'au jour où, nostalgique du monde des hommes, il y retourne. À peine a-t-il posé le pied sur la terre ferme qu'il se transforme en vieillard, réalisant ainsi que des siècles de temps humain se sont écoulé depuis qu'il est parti. C'est cette intemporalité-ci que Yeats reprend : le monde et le temps du mythe sont les seuls, dans « The White Birds », à pouvoir accueillir le rêve amoureux que le poète entend inscrire dans l'éternité, face à l'évanescence des moments humains (« we tire », « fade and flee »). D'ailleurs, le moment mythologique crucial est souvent, et c'est également le cas chez Pound pour d'autres raisons, un moment de métamorphose (« I would we were changed »). Cela explique en partie la récurrence des réécritures de passages des Métamorphoses d'Ovide chez les trois auteurs qui nous occupent ici. Dans « The White Birds », c'est l'opérateur « would » qui indique le passage du moment humain fugitif et personnel, à peine perçu et déjà envolé, à l'éternité ou l'intemporalité désirées du mythe. L'intermédiaire linguistique permet ici le glissement d'une temporalité à une autre, avec les tempos que celles-ci impliquent.

  11. Chez Bunting, le passage de la temporalité historique à la temporalité mythique est également indiqué par un marqueur linguistique. C'est le cas à la fin de son long poème Briggflatts, publié en 1965, que Bunting désigne en épigraphe comme « An Autobiography14 ». La dernière (et longue) phrase du poème (CP 70) le situe à la fin de l'été : « So is summer held to its contract / and the year solvent [...] ». La dimension saisonnière et donc cyclique constitue une des armatures du poème soulignée par l'auteur lui-même. Après le rappel de cette saison, l'élément humain est réintroduit au moyen d'une conjonction de coordination adversative (« but men / driven by storm fret ») et fait place au mythe de Pasiphaé : « [men are] reminded of sweltering Crete / and Pasiphae's pungent sweat ». S'ensuit une réécriture de l'accouplement entre Pasiphaé et le taureau de Poséidon (le dieu n'est pas nommé). Les références au temps sont démultipliées et déclinées dans toute leur hétérogénéité possible : mémoire personnelle (Briggflatts comme autobiographie), collective (« men […] reminded ») ou littéraire (comme l'a souligné Peter Makin15, Bunting entretient dans ce poème une ambiguïté entre le mythe de Pasiphaé et celui d'Europe qui invoque lui aussi un taureau, animal très présent dans Briggflatts), ainsi que moment d'aboutissement de l'écriture. En effet, la conception et l'enfantement monstrueux du Minotaure auquel il est implicitement fait référence sont désignés par l'expression « unlike creation », qui n'est pas sans analogie avec les poèmes hybrides du modernisme anglo-américain lui-même.

  12. En outre, le passage conclut une séquence poétique où les éléments naturels prédominent. La temporalité personnelle et le souvenir d'un amour d'enfance (un des sujets du poème) sont imbriqués dans une temporalité plus globale et cyclique. D'autre part, paradoxalement, c'est le souvenir qui amène la référence mythologique. La formulation poétique qui amène la référence à Pasiphaé laisse entendre que celle-ci constitue un archétype présent dans une éventuelle conscience collective, ou constitue un fantôme à l'aulne duquel mesurer les comportements humains. Par ailleurs, ce moment mythique de l'accouplement est mentionné pour le résultat, l'effet visible qu'il produit, et non le processus. Il est clair que Bunting pense cet épisode mythique en termes métapoétiques puisqu'il indique que « it is the need to write which comes first, and engenders the thing it hardly dares to handle16. » Seul le mythe de Pasiphaé est capable d'exprimer ce que Bunting a en tête, et le poète insiste également sur le fait suivant : « Pasiphae has something […] monstrous and terrifying to submit to, of her own volition, […] in the universe-busting mission that someone has to face – a few in each generation17. » Bunting revient sur le sujet dans A Note on Briggflatts pour souligner la dimension constructive et créatrice du mythe de Pasiphaé, au détriment de l'élément monstrueux : « Those fail who try to force their destiny, […] but those who are resolute to submit, like my version of Pasiphae, may bring something new to birth, be it only a monster18. » Ce moment mythique, à la fois répugnant et nécessaire pour engendrer une création admirable (au sens étymologique du terme) est superposé à l'histoire personnelle du poète en cours d'écriture.

  13. Bunting reprend ainsi une figure mythique qui fait intervenir sexualité monstrueuse et création hors-normes, comme l'avait déjà fait Yeats avec « the loud beast » dans le poème « Demon and Beast » en 1918 (P 233), avec la « rough beast » du poème « The Second Coming » en 1919 (P 235), ou encore dans « Leda and the Swan » écrit en 1923 (P 260). Ces moments problématiques, auxquels la violence est souvent mêlée, symbolisent ou illustrent le changement ou une perturbation, souvent historique, analysée à travers le prisme du mythe. On notera que les temporalités mythiques et historiques sont souvent inséparables d'une dimension spatiale, voire spécifiquement géographique : c'est en passant d'un monde à un autre (la Crète chez Bunting, l'Autre Monde chez Yeats) qu'on change de temporalité .

  14. Les Cantos de Pound, en revanche, sont connus pour leur absence de transitions entre images poétiques et pour leur juxtapositions abruptes d'éléments aux graphismes, typographies, ou sonorités diverses. Au Canto 74, par exemple, premier poème des Pisan Cantos, les moments remémorés de la vie du poète sont associés à la grande Histoire : « Pisa, in the 23rd year of the effort of the tower19 ». Ce vers rappelle que le poème est écrit pendant l'enfermement de Pound dans un camp militaire américain à Pise à la fin de la deuxième guerre mondiale pour trahison. Le comptage des années prend ici pour point de départ 1922, date de l'instauration du régime fasciste de Mussolini que Pound soutenait. Les vers qui suivent relatent la pendaison d'un soldat américain, Louis Till (« and Till was hung yesterday »), et incluent des bribes de dialogue que Pound a pu entendre pendant son incarcération : « Hey Snag wots in the bibl' ? / wot are the books ov the bible ? » (C 450) L'idiolecte et le dialogue suivent au plus près l'expérience du poète. Le passage est ensuite relayé par des références mythologiques, d'abord à la Colchide, royaume d'Aetes, fils d'Hélios (« Cholkis ») où Jason est allé chercher la toison d'or, celle d'un bélier destiné à un sacrifice à Zeus. Comme dans de nombreux autres passages des Cantos, Ulysse revient également sous son surnom « Personne », ici écrit en grec majuscule. C'est l'avatar récurrent du poète, « a man on whom the sun has gone down », comme il l'indique quelques vers plus loin, toujours au Canto 74. Les moments mythologique et historique se font écho, de même qu'ils se répètent tel un refrain, avec ou sans variation, au sein d'un même Canto ou à l'échelle de l'œuvre, posant ainsi la question de la possibilité de la représentation unique du moment. D'une réécriture et d'une relecture à une autre, le moment est repris et transfiguré ; la lumière qui est jetée sur lui est différente.

  15. Dans l'exemple cité à l'instant, c'est la contiguïté sémantique (ici le crime) qui permet de passer, en l'espace de trois vers, d'un moment historique (le viol commis par Till) a un moment mythique (le vol perpétré par Jason). Ailleurs dans le poème, la problématique du nom, l'acte de nommer et la dimension créatrice ou fabulatrice permettent de passer d'une histoire à une autre : Pound mentionne le Professeur Rouse. Ce spécialiste d'Homère avec lequel Pound correspondait lui avait fait remarquer les nombreuses mutations (qui impliquent également survivances) du nom d'Ulysse à l'époque moderne, jusqu'à ce que le héros soit confondu avec le prophète Élie. Cette mention du nom est suivie d'une reprise d'un mythe australien où un personnage crée performativement les objets, tant et si bien que son père le réduit au silence (C 446). Pound juxtapose donc Rouse, le chercheur, et Wanjina, le personnage mythique, pour insister sur l'importance de l'acte de nommer. Or le Verbe, dans ces deux exemples, est associé encore une fois à des temporalités hétérogènes : celle de la survivance et de la mutation historiques, et celle d'une cosmogonie, ici australienne.

  16. Bunting, Pound et Yeats font donc appel à l'intemporalité du mythe pour donner à des moments historiques souvent douloureux une portée universelle et un sens. Le mythe permet ainsi d'analyser ou de donner un sens à l'histoire. Plus qu'un précédent, c'est un modèle ou une grille qui vient en surimpression sur le moment historique. Et le choix de cette grille est déjà interprétation. Après cet aperçu des méthodes mises en œuvre par les poètes pour juxtaposer moments mythiques, personnels et historiques, voyons quels effet et conséquences sont ainsi produits.

  17. Un an avant sa mort, en 1938, Yeats écrit le poème « The Statues » où sont superposées les images de Cuchulain (l'équivalent irlandais d'Achille) et de Patrick Pearse proclamant l'indépendance de l'Irlande depuis la Poste Centrale de Dublin. Cette superposition des figures mythique et historique permet de donner à cet événement historique une portée héroïque : « When Pearse summoned Cuchulain to his side, / What stalked through the Post Office ? » Comme on l'a vu précédemment, le spectral fait ici retour dans le présent à travers l'interrogatif « what » qui invoque une présence ancestrale et mythique. Celle-ci est véritablement invoquée (« summoned ») pour signifier l'importace de l'événement.

  18. Yeats inscrit ce moment dans une continuité qui permette au mythe et à l'histoire de se fondre l'un dans l'autre, contrairement au poème « The White Birds », où l'hypothétique permettait le passage d'une temporalité à une autre. Ici, c'est la mention du personnage mythique et sa récurrence à travers le corpus (poétique et théâtral) yeatsien qui permet un fondu-enchaîné des temporalités, sans indicateur linguistique établissant nettement le passage d'un monde temporel à un autre. La présence mythique de Cuchulain qui vient hanter et poursuivre le moment historique qu'est la proclamation de la République d'Irlande, ici résumée par les seuls éléments « Pearse » et « Post Office », crée une troisième dimension, celle d'un moment poétique unique. Par rapport au procédé utilisé dans « The White Birds », on peut expliquer le passage ici plus abrupt et la superposition plus radicale des deux temporalités, notamment par les travaux et contacts effectués ensemble par Pound et Yeats.

  19. Les moments historiques présents dans les Cantos de Pound sont plus nombreux et plus définis que chez Yeats. L'événement cité plus haut, à savoir la pendaison dans le camp militaire, est daté. De même, dans le même Canto 74, l'auteur fait référence à des moments personnels de son passé qui rejoignent pour nous aujourd'hui l'histoire littéraire : conversations sur Beardsley et le concept de beauté datées « a.d. 1910 or about that » (C 464), tentative chère à Pound de réimpression des classiques grecs (C 464), et éléments de la biographie de Bunting, notamment son séjour en prison comme objecteur de conscience pendant la Première guerre mondiale  (C 451). la mise en mots de moments autobiographiques s'apparente à une forme de journal fragmentaire daté et ponctuel bien que non chronologique, parfois redondant, qui tantôt dilate tantôt condense la description du moment afin de coller au plus près de l'expérience humaine du temps.

  20. Et pourtant, le traitement des événements de la grande Histoire dans la majorité des Cantos est quelque peu différent. Pound tend à extraire les faits historiques de la chronologie linéaire et datée. Sigismond Malatesta, par exemple, seigneur de Rimini pendant la Renaissance italienne, est connu pour sa barbarie et ses succès militaires, ainsi que la construction du Tempio. Cette chapelle à la mémoire de ses ancêtres et de sa troisième femme est un monument orné de vestiges pillés ici et là. Le Tempio de Rimini est souvent mentionné, décrit, analysé par Pound pour en souligner la dimension artistique et sacrée, ainsi que la valeur de palimpseste de l'entreprise. Là aussi, on a affaire à un monument hybride, image des Cantos dans lesquel le Tempio s'insère. Archétype ou modèle métapoétique, le Tempio se lit aussi en dehors du temps. Bon nombre d'événements sont ainsi extraits du temps linéaire, de façon anhistorique, « in the timeless air », pour reprendre les premiers mots du Canto 76 (C 472). Comme l'a indique Hélène Aji, le sens de la chronologie est volontairement perdu pour englober tout ce qui constitue pour Pound la « tradition »20.

  21. Et de fait, les divers moments historiques sont vus par Pound comme étant tous « contemporains » les uns des autres : « All ages are contemporaneous. » Pound poursuit : « The future stirs already in the minds of the few. This is especially true of literature, where real time is independent of the apparent, where many dead men are our grandchildren's contemporaries »21. Certains éléments du passé sont donc pour Pound (mais cette remarque s'applique à un certain nombre de ses contemporains, notamment T. S. Eliot ou W. B. Yeats, pour n'en nommer que quelques-uns) plus présents, à savoir, plus pertinents, que certains éléments du présent mesuré par les dates historiques. Cette lecture est aussi celle de Bunting : dans un article de 1932 publié dans The New English Weekly où Bunting fait la critique du poème Homage to Sextus Propertius de Pound, le poète anglais indique : « London or Rome, does the name, the ostensible date, much signify ? We are amongst contemporaries, listening to a contemporary, the difficulties are the difficulties of our own lives »22. Dans ces propos, Bunting commente le parallèle qu'établit Pound entre la situation de Properce vis-à-vis de l'Empire romain, et la sienne vis-à-vis de l'Empire britannique, et entend leur adresser la même critique. L'anachronisme, volontaire, est donc une procédé qui amalgame passé et présent pour les faire s'interpénétrer et émettre une critique politique. Cependant, selon Bunting, c'est la voix du poète moderne qu'il faut entendre, plus qu'une volonté d'obscurcir les textes de références à l'histoire. Le poète va plus loin, dans ce même article, et souligne que la référence mythologique est alors un élément commun, de culture générale, en somme un socle partagé ou une réminiscence usuelle.

  22. Le mythe, donc, loin de figer le moment historique qu'il sert à réécrire, est un précédent qui permet l'analyse du présent et la production d'un sens. C'est une grille d'interprétation qui peut introduire une temporalité seconde ou alternative. En ce sens, les événements historiques sont présentés comme des objets stratifiés par la mémoire individuelle et collective, ainsi que les diverses (re)lectures et (ré)écritures qu'on peut en proposer. La superposition des temporalités qui permettent de mêler mythe et histoire ont donc pour effet de rendre contemporains les éléments du passé et de tisser ce passé dans le présent, tout en proposant (c'est ce qu'ont fait notamment Yeats et Pound, avec plus ou moins de succès dans leur entreprise) des lignes de conduite pour le futur. Après avoir vu comment et pourquoi les temporalités sont juxtaposées, un dernier problème se pose toutefois, c'est celui du dynamisme du flux et du flux de la réalité. La poétique de l'image revendiquée par Pound permet-elle de garder tout son dynamisme à l'expérience temporelle ? Comment extérioriser une expérience personnelle unique à travers des images mythiques (donc collectives) parfois figées ?

  23. Ce problème du dynamisme en poésie et de la retranscription de l'intensité de l'expérience humaine est un élément abordé par Pound, Yeats et Bunting. Il convient de rappeler que cette problématique est également abordée à la même époque par Henri Bergson, dont la philosophie est traduite et popularisée dans les milieux intellectuels et littéraires anglo-saxons du début du vingtième siècle par T. E. Hulme, proche collaborateur et ami de Pound23. La recherche d'une poétique apte à transmettre à la fois l'héritage classique et le dynamisme de l'expérience humaine qui s'inscrit dans un flux discontinu de temps explique l'insistance de Yeats, Pound et Bunting sur des motifs qu'ils jugent évocateurs à la fois de mobilité et de temporalité. Ces motifs sont pris dans les autres arts (la musique chez Bunting et la danse chez Yeats par exemple), dans certaines images (l'eau chez Bunting et Yeats) ou dans des figures géométriques (les gyres chez Yeats, le vortex chez Pound).

  24. L'élément aquatique est récurrent chez Yeats. Figure traditionnelle de la représentation du temps depuis Héraclite, l'eau est tantôt écume (« foam ») dans « The White Birds » et « The Statues », tantôt ruisseau au cours perturbé à la troisième strophe de « Easter 1916 » : « Hearts […] / Enchanted to a stone / To trouble the living stream » (P 229). L'eau est aussi présente à travers l'image de la marée, en phase avec la dimension cyclique de l'histoire telle que la conçoit Yeats (comme indiqué dans l'ésotérique A Vision). L'image de la marée est utilisée dans « The Statues » pour décrire les événements que traverse le peuple irlandais après 1916 : « We Irish, born into that ancient sect / But thrown upon this filthy modern tide. » Le même procédé est utilisé par Bunting dans Briggflatts avec un effet sonore particulièrement marqué : « Tides of day strew the shingle / tides of night sweep, snoring » (CP 71). D'autre part, la variété des formes que prend l'eau est riche dans ce poème : pluie, sueur, vapeur, rivière, mer, larmes sont mentionnées, souvent en parallèle avec la mémoire : « Who cares to remember a name cut in ice […] ? / wind writes on the foam of the sea » (CP 66).

  25. L'épisode historique de la bataille de Salamine trouve son équivalent dans le présent, chez Yeats comme chez Pound : dans « The Statues », « The many-headed foam at Salamis » évoque les noyades au cours de la bataille. Pound reprend la mention de cette bataille (C 449) pour l'appliquer à ses propres préoccupations économiques et se concentrer sur les conditions matérielles de financement de cette opération militaire. La victoire historique de Salamine sert donc de précédent aux événements historiques du vingtième siècle. Il s'agit d'événements qui, pour reprendre une définition de Derrida, font intervenir des dates de morts. Le critique rappelle également l'étymologie de l'événement comme « ce qui vient, advient, survient » et surprend, ce qui est « absolument autre » et auquel on ne s'attend pas24. Effectivement, rien ne laissait prévoir à Pound ou Yeats, respectivement, la chute de Mussolini ou l'ampleur de la guerre civile en Irlande. Le désormais célèbre et oxymorique refrain de « Easter 1916 » saisit bien la surprise et l'effroi du poète face à l'événement : « A terrible beauty is born. » (P 229)

  26. La difficulté à dire l'expérience personnelle, l'impossibilité de décortiquer le moment en une suite d'instants équivalents, et l'obsession des poètes pour la réécriture des mêmes événements historiques témoignent, en dépit de la poétique moderniste qui voudrait condenser, préciser et trouver le mot juste, d'une dilution de la temporalité dans le temps de la lecture. A cela s'ajoute la conscience d'avoir à utiliser le langage, outil imparfait pour décrire au plus près l'expérience. D'où la nécessité de disloquer le langage pour venir au plus près de la singularité du réel. T. S. Eliot traduit bien cette idée pour ses contemporains dans l'essai « The Metaphysical Poets » : à l'image de la civilisation, devenue de plus en plus complexe et diverse, Eliot affirme, « poets […] must be difficult. » Dans le même temps, une seule solution est possible : « The poet must become more and more comprehensive, more allusive, more indirect, in order to force, to dislocate if necessary, language into his meaning25. »

  27. Pour disloquer ce langage et donner à voir l'expérience personnelle du moment, Yeats et Pound ont recours à différentes figures qui deviennent emblématiques de leur poésie. Pound insiste sur une poétique de l'image, qu'il définit en 1913 comme « that which presents an intellectual and emotional complex in an instant of time26 ». Pound insiste ensuite sur l'immédiateté de l'image. Le problème est que cette image peut être statique : une fois figée par l'écriture, seule la lecture peut lui conférer mobilité et hétérogénéité de sens. D'autre part, quand Pound définit le terme dans les années 1910, le soin qu'il prend à se démarquer indique que le terme est lourdement connoté en termes d'appartenance littéraire. En mai 1914, dans sa critique du recueil Responsibilities de Yeats, Pound indique : « Is Mr. Yeats an Imagiste ? No, Mr Yeats is a symbolist, but he has written des Images as have good poets before him27 ». Quelques mois plus tard, dans un article intitulé « Vorticism », Pound oppose l'utilisation du symbole chez les symbolistes (Yeats compris), qu'il juge statique et univoque, à l'image poundienne, dynamique et polysémique : « Imagisme is not symbolism. […] The symbolist's symbols have a fixed value28 ». L'image est ensuite redéfinie et abandonnée pour le vortex, plus dynamique et donc plus apte à rendre compte de l'expérience du temps. L'influence des arts visuels est palpable, et rappelle l'association temporaire de Pound avec les vorticistes. Cette période de définition et de positionnement par rapport à ses prédécesseurs littéraires est en partie rhétorique : vis-à-vis de Yeats notamment, la différence que Pound entend maintenir n'est pas aussi importante qu'il l'affirme avec une récurrence et une véhémence suspectes.

  28. Dans ces définitions, c'est la problématique du dynamisme et de l'hétérogénéité de l'expérience qui sont en jeu. Cette hétérogénéité a conduit Pound à souvent analyser la poésie en termes de pics d'intensité, que ce soit dans sa volonté de choisir « le mot juste » ou dans sa sélection d'épisodes mythiques qui concentrent l'intensité d'une image poétique. Or cette intensité passe notamment par le recours au mythe qui doit pour Pound traduire une révélation, comme il l'indique dans l'essai « Arnold Dolmetsch », publié pour la première fois en 1918 : les premiers mythes auraient été créés par des hommes face à l'impossibilité de communiquer une expérience. D'où un mythe, c'est-à-dire « an impersonal and objective story woven out of his emotion, as the nearest equation that he was capable of putting into words29 ». L'histoire racontée par le mythe produirait alors une copie de l'émotion ressentie. Pound utilise ensuite le terme « spell » (le sort jeté) pour décrire l'émotion que l'artiste communique au récepteur de l'œuvre d'art, par une sorte de magie. L'émotion ressentie par le poète, dans sa dimension pure, artistique et intense, plus que dans sa dimension temporelle, peut donc se transmettre par le mythe tout en résolvant l'apparente contradiction dans les temporalités entre mythe et histoire. L'expérience du moment historique pourrait donc se dire non en termes de temps mais en termes d'intensité. Chez Bunting, méfiant à l'égard de l'instrumentalisation possible du mythe, notamment chez le Pound des années 1930, les notions d'intensité sont transposées au niveau musical, que le poète tente de transposer en poésie.

  29. Saisir l'événement historique passe souvent chez les poètes modernistes par la « grille de lecture » et le précédent (humain et littéraire) que constitue le mythe, qui permet de tenter de donner un sens à l'histoire. Motifs et épisodes mythiques constituent un raccourci vers un intertexte à reconstruire par le lecteur. C'est également à ce lecteur de composer avec une temporalité complexe, faite de palimpsestes littéraires, de décalages, de va-et-viens entre un passé qui fait retour car il est invoqué et le présent des poètes. Il s'agit bien de montrer, chez Yeats et Pound comme chez Bunting, selon les mots de ce dernier, que « Then is diffused in Now » (CP 79).

Œuvres citées

Aji, Hélène. « The Ways of Oral Poetics : Poundian and Post-Poundian Poetics ». Paideuma 28.2-3 (1999) : 211-220.

Bunting, Basil. « Mr. Ezra Pound ». New English Weekly (26 mai 1932) : 137-138.

Boyer, Régis. « Existe-t-il un mythe qui ne soit pas littéraire ? ». Mythes et littérature. Dir. Pierre Brunel. Paris : Presses de l'Université Paris-Sorbonne, 1994. 153-164.

Bunting, Basil. Complete Poems. Newcastle upon Tyne : Bloodaxe Books, 2000. [Abrégé en CP]

Caddel, Richard, éd. A Note on Briggflatts. Durham : Basil Bunting Poetry Archive, 1989.

Deleuze, Gilles. Logique du sens. Paris : Éditions de Minuit, 1969.

Derrida, Jacques. Échographies de la télévision. Entretiens filmés. Paris : Galilée, 1996.

Derrida, Jacques. Spectres de Marx: l'état de la dette, le travail du deuil et la nouvelle Internationale. Paris : Galilée, 1993.

Dumézil, Georges. Mythe et épopée. I. II. III. Paris : Gallimard (coll. Quarto), 1995.

Éliade, Mircéa. Aspects du mythe. Paris : Gallimard, 1963.

Eliot, T. S. Selected Essays. Londres : Faber and Faber, 1969.

Gillies, Mary Ann. Henri Bergson and British Modernism. Montréal, Londres, Buffalo : McGill-Queen's University Press, 1996.

Gregory, Lady Augusta. Complete Irish Mythology. Préface, W. B. Yeats. Londres : Chancellor Press, 2000.

Makin, Peter. Basil Bunting : The Shaping of his Verse. Oxford : Clarendon Press, 1992.

Pound, Ezra. ABC of Reading. 1934. New York : New Directions, 1987.

Pound, Ezra. Literary Essays. New York : New Directions, 1968.

Pound, Ezra. The Cantos. New York : New Directions, 1996. [Abréviation: C]

Pound, Ezra. « The Later Yeats ». Poetry 4.2 (mai 1914) : 64-69.

Pound, Ezra. « Vorticism ». The Fortnightly Review 96 (septembre 1914) : 461-471.

Rainey, Lawrence. « The Price of Modernism : Reconsidering the Publication of The Waste Land ». Critical Quarterly 31.4 (1989) : 21-47.

Shusterman, Ronald, dir. Des Histoires du temps : Conceptions et représentations de la temporalité. Bordeaux : Presses Universitaires de Bordeaux, 2003.

Yeats, W. B. The Poems. Ed. Daniel Albright. Londres : Everyman, 1994. [P]

1 R. Shusterman, Des Histoires du temps, 9 (« nos histoires du temps sont invariablement des récits des lieux et des espaces »), 11 (« [le] lien entre le lieu et l'histoire, entre topos et temporalité, est évidemment à relier au concept bakhtinien de chronotope »), 13 (« la topographie et le temporel sont […] irrévocablement mêlés »).

2 E. Pound, « Vorticism », 469.

3 E. Pound, ABC of Reading, 46.

4 T. S. Eliot, Selected Essays, 14-16.

5 L. Rainey, « The Price of Modernism », 21.

6 M. Éliade, Aspects du mythe, 29-30.

7 R. Boyer, « Existe-t-il un mythe qui ne soit pas littéraire ? », 159.

8 Dans sa différenciation de différents présents (de Chronos et de l'Aiôn) qui se « dilatent », se « contractent » ou « subsistent », le temps chez Deleuze est pluriel et hétérogène car il peut se lire sous différentes formes. C'est toujours le présent qui est au cœur des préoccupations, car c'est lui qui articule passé et futur qui en sont dépendants (G. Deleuze, Logique du sens, 190-7).

9 J. Derrida, Échographies de la télévision, 18. Voir aussi J. Derrida, Spectres de Marx, 42 : « [un temps] désarticulé, démis, déboîté, disloqué […], détraqué […], dérangé ».

10 W. B. Yeats, Poems, 62.

11 Voir la note de D. Albright dans W. B. Yeats, ibid., 440.

12 J'emprunte l'expression à Georges Dumézil dans Mythe et épopée, 40. L'auteur entend par là que malgré leur héritage et leur passé oraux, les mythes (en particulier gréco-romains ou irlandais) tels que nous les lisons aujourd'hui sont bien des objets écrits et textuels. De même, si la dimension orale et les voix sont largement présentes chez Yeats ou Pound par exemple, leur poésie demeure très (inter)textuelle, même lorsqu'elle aborde le mythe.

13 Les deux ouvrages sont réunis dans A. Gregory, Complete Irish Mythology.

14 B. Bunting, Complete Poems, 60.

15 P. Makin, Basil Bunting: The Shaping of his Verse, 137.

16 Lettre de B. Bunting (destinataire resté anonyme) du 13 janvier 1965, citée dans P. Makin, op. cit., 157.

17 Ibid.

18 R. Caddel, A Note on Briggflatts, 1.

19 E. Pound, The Cantos, 450.

20 H. Aji, « The Ways of Oral Poetics », 216.

21 E. Pound, Spirit of Romance, 6.

22 B. Bunting, « Mr. Ezra Pound », 137.

23 M. A. Gillies, Henri Bergson and British Modernism, 44 sq.

24 J. Derrida, Échographies de la télévision, 28, 19, 21.

25 T. S. Eliot, Selected Essays, 289.

26 E. Pound, Literary Essays, 4.

27 E. Pound, « The Later Yeats », 65.

28 E. Pound, « Vorticism », 463.

29 E. Pound, Literary Essays, 431.