Un malaise générique ? mélange des genres et réception critique dans le cinéma américain classique

Chloé Delaporte

IRCAV, Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3

  1. Le genre cinématographique constitue une puissante norme socio-esthétique, particulièrement efficiente aux États-Unis. Renforcée par le studio system de l’ère classique1, cette catégorisation de la production cinématographique agit comme grille de lecture pour le spectatorat, et induit l’établissement et la maîtrise d’un certain nombre de codes de la part des instances productrices et interprétatives. Elle organise ainsi toute la cinématographie états-unienne, de la production des films (studios spécialisés dans certains genres) à leur réception (usage des catégories génériques par les spectateurs). Il est entendu que le genre est une catégorie mouvante et que les processus de genrification2 sont à étudier dans leur caractère dynamique. Certains films se situent aux croisements de plusieurs catégories génériques et témoignent de multiples généricités : films d’horreur comiques, comédies musicales fantastiques, westerns mélodramatiques, thrillers en costume d’époque, etc. Généralement associés aux B-movies, aux productions mineures et de moindre qualité, ces films hybrides sont d’un intérêt certain pour le chercheur : ils constituent des cas particuliers, des exceptions à la norme, et se présentent ainsi comme les supports potentiels de réceptions et d’interprétations3 singulières. En proie à une rupture des codes de lecture génériques, face à une difficulté à genrer4 l’œuvre contactée, le spectateur vit parfois une insatisfaction, que nous proposons de nommer « malaise générique ». Pour argumenter cette proposition, nous voulons prendre pour exemple le cas de la réception critique de certains films américains, parangons de l’hybridité générique. La critique suppose une spectature5 spécifique, le caractère cinéphile de la plupart des auteurs impliquant une intériorisation des normes particulièrement sensible — non que les critiques soient plus perméables que d’autres, mais bien parce que ce sont eux qui participent à l'établissement des normes via les instances légitimes (écoles, conseils, jurys, etc.). Nous voulons ainsi étudier comment les critiques cinématographiques vivent le rapport à l’œuvre hybride et interroger l’idée d’un malaise générique grâce à l’analyse de leurs textes publiés. Certains écrits de Bosley Crowther, le très influent critique du New York Times de 1940 à 1967, témoignent directement de ce malaise générique ; les films sont dépréciés parce qu’indéfinis génériquement, ayant prétention à s’élever au rang d’un genre plus noble ou, pis encore, ne revendiquant aucune inscription générique.

Le genre cinématographique, une catégorie de l’interprétation

  1. La notion de genre cinématographique correspond à une catégorisation très fréquemment mobilisée par certains acteurs, notamment les spectateurs et les producteurs de cinéma. Le sociologue du cinéma Emmanuel Éthis écrit ainsi : « [...] le genre fonctionne comme un contrat plus ou moins tacite entre ceux qui font le film — scénaristes, réalisateurs, producteurs, directeur de la photographie,  compositeur de la musique du film, preneurs de son, etc. — et ceux qui reçoivent ce film — distributeurs, exploitants, critiques, et, bien entendu, spectateurs.6». Notre propos est ici limité à la période qui nous concerne, soit à la période classique hollywoodienne ; l’importance de la mobilisation de la notion de genre est alors plus prégnante encore, ce que soulignent de nombreux chercheurs7. Notons cependant que, si les studios sont les premiers à catégoriser le cinéma qu’ils produisent en ensembles génériques, Rick Altman remarque que ce recours aux genres n’existe que dans une certaine mesure8. Grâce à l’analyse des campagnes publicitaires de certains films appartenant à la période classique, Altman souligne que les studios n’ont pas toujours intérêt à trop inscrire leurs films dans certains genres, car il est plus important pour eux de les différencier des films des autres studios ; Altman montre ainsi qu’ils cherchent donc plutôt à mettre en avant les caractéristiques spécifiques du film dans les campagnes publicitaires (acteurs vedettes, intrigue particulière, archétype racoleur, procédés techniques modernes, etc.). Les studios sont donc parmi les premiers acteurs de cette construction générique, et les premiers « usagers » à prendre leurs distances avec une catégorisation qui, si elle leur sert dans un premier temps à affirmer une spécificité et une « identité », les dessert dès lors qu’ils doivent définir chacun de leurs films.

  2. Plusieurs théoriciens, dans le cadre d’études spécifiques sur la notion de genre9 ou d’ouvrages sur des genres particuliers, insistent sur le caractère processuel de la notion. En effet, il ne s’agit pas de considérer le genre cinématographique comme une donnée empirique figée, offerte à l’ontologie, mais comme une construction sociale, résultant d’un processus interprétatif perpétuel10. Partant de ce postulat, il s’agit d’opérer, pour chaque étude de la réception d’un film, une contextualisation des interprétations génériques. Ainsi, pour « comprendre l’effet de genre11 », il nous faut « rapporter systématiquement et méticuleusement chaque production cinématographique à son contexte social et historique de production et de réception12 ». Penser l’interprétation des œuvres cinématographiques implique ainsi de prendre en compte le caractère opérant de la catégorisation générique, qui s’affirme comme une opération de sémiotisation13. C’est en fonction de certains marqueurs, de certains « indicateurs de genre14 », que le spectateur sémiotise génériquement le film qu’il est en train de regarder et lui confère une « identité générique ». Parfois, ce processus est enrayé par une difficulté à genrer le film regardé, et il résulte, au mieux, un intérêt particulier et, au pire, un agacement voire un profond malaise.

  3. Insistons ici sur le caractère rétroactif du genre comme « catégorie d’analyse15 ». La définition théorique d’un genre ne peut en effet intervenir qu’à partir d’un ensemble de films déjà réalisés. C’est à partir de cet ensemble premier de films, ordonnés et regroupés selon le partage de traits communs (thématiques, formels, diégétiques, stylistiques entre autres) que se définit un genre, ou qu’il est défini par ses théoriciens. Les films postérieurs à cette théorisation sont alors situés, par les usagers comme par les analystes, en fonction de l’affinité ou non de ces films avec des catégories génériques établies. Soit un film participe de la construction générique par le maintien de certains codes — il renforce ainsi la crédibilité numéraire du genre —, soit il participe de sa redéfinition et de son évolution, en prenant ses distances avec certains codes tout en introduisant des traits nouveaux (archétypes déviants des critères classiques, éléments formels en rupture, etc.). Certains films, sans remettre en cause une catégorie générique établie, jouissent d’un statut particulier au sein de cet ensemble. High Noon16 cultive ainsi avec le genre western une proximité évidente, mais est régulièrement décrit par les théoriciens comme en rupture avec certains codes normatifs classiques (le déroulement de l’intrigue en temps réel, les archétypes féminins renversés, le traitement visuel de l’image très contrasté, etc.). Nous allons voir que nombreux sont les films présentant une certaine hybridité générique à avoir joui d’une réception particulière, que nous proposons d’étudier dans cet article par le biais de la critique de presse. Nous nous intéresserons à la réception critique de films ostensiblement transgenres, comme d’œuvres plus subtilement métissées, et esquisserons  des éléments de typologie du malaise générique.

La critique et la norme générique

  1. Le respect des normes socio-esthétiques d’un genre peut être gage de succès pour un film, comme l’illustre, par exemple, la réception critique de The Power and the Prize17, qu’Henry Koster réalise en 1956. Ce dernier drama pour la MGM semble en effet remplir son rôle à merveille selon la critique de l’époque :

What should be a quite popular demonstration of true love conquering all, even the ruthless opposition of an American big-business tycoon, is literately and pleasingly presented in Metro-Goldwyn-Mayer's “The Power and the Prize,” a cupid-versus-corporation drama. […] Henry Koster has directed this picture crisply and composed it felicitously in Cinema-Scope black-and-white that is superfluous but appropriately reflective of the movie industry's own big ideas18.

Ce texte fut publié par Bosley Crowther, célèbre critique de cinéma qui officia pendant près de trente ans au New York Times. Il jouissait d’une grande reconnaissance à l’époque, tant de la part de ses pairs que du « monde de l’art19 » ou des lecteurs et spectateurs potentiels. Si Crowther avait le pouvoir de faire ou de défaire une carrière à Hollywood, c’est que d’aucuns plaçaient en haute estime ses considérations. Crowther était un homme cultivé, cinéphile et cinéphage, dont les prises de positions pendant le maccarthysme, alors qu’il n’hésita pas à s’insurger contre la politique engagée dans les milieux cinématographiques, firent sa renommée et invitèrent au respect20. C’est dire l’influence des textes de Crowther sur la société d’alors (et, de façon plus générale, des critiques du New York Times qui l’ont précédé, comme Frank S. Nugent, qui connut une carrière américaine comme scénariste), tant sur les modes de consommation que sur les projets cinématographiques eux-mêmes — Crowther était en effet présent à la plupart des sneak previews des films. La défiance de Crowther devant les films transgenres est sensible dans de nombreux écrits, et on note chez lui une tendance, qu’il serait trop rapide de considérer cependant comme passéiste ou réactionnaire, à aimer les films génériquement situés. Ceci ne l’empêche pas de railler la monotonie parfois induite par le profond respect des normes d’un genre, comme il le fit par exemple dans un texte critique de 1942 pour la sortie de The Footlight Serenade21, une comédie musicale réalisée par Gregory Ratoff dans la veine des backstage films :

One backstage musical per annum must be allowed every studio. That is a fair concession to habit and lassitude. So Twentieth Century-Fox (which has exceeded its quota occasionally) is taking its seasonal allowance with “Footlight Serenade,” which came to the Roxy yesterday. The occasion calls for indulgence; “Footlight Serenade” is pretty routine stuff. But, except for the long familiarity of virtually everything in it, including the gags, it is mildly diverting entertainment—in the backstage musical line22.

Le flou générique comme biais interprétatif

  1. Si le respect des normes génériques se pose ainsi comme un critère interprétatif de choix pour la critique, c’est parfois le flou autour de la généricité d’un film qui pose problème aux auteurs. En 1939, sort sur les écrans américains S.O.S. Tidal Wave23, une série B réalisée par John H. Auer pour la Republic Pictures, fer de lance de la Poverty Row. Présenté comme une œuvre cinématographique de science-fiction avant l’heure24, le film emprunte beaucoup aux codes du disaster film, le film catastrophe. Les critiques n’ont pas manqué de souligner ce flou générique, et ont ainsi évoqué un film entre la sci-fi et le disaster, perçu comme une redite de films précédents : « Was it “End of the World,” “Atlantis,” or another? It doesn't matter really.25». Dans le cas de S.O.S. Tidal Wave, c’est la prétention du film à être d’un « autre genre » que celui auquel il appartient (selon les critiques) qui pose problème. S.O.S. Tidal Wave est ainsi incriminé car malhonnête ; du coup, il ne remplit ni le contrat du disaster film  We have a vague recollection of seeing the destruction of New York by earthquake and flood once before. The shots of the Empire State Building crumbling, a liner piling up against the Subtreasury walls, Times Square melting away—these all have a familiar look.26»), ni celui du sci-fi film annoncé, car l’influence délétère de la nouvelle technologie, television, avancée comme le motif principal du film, n’est que secondaire (« The tidal wave is simply tagged onto the picture as a convenient method of winding up a childish yarn about a Mayoralty race, a crooked candidate and a television reporter27»). La sentence pour avoir mélangé les codes génériques est lourde, puisque l’auteur conclut sa critique par un humoristique et méprisant « S O S Criterion28», en référence au nom du cinéma dans lequel est projeté S.O.S. Tidal Wave. Parfois, le flou générique est tel que le film échappe en partie aux incriminations de la critique. C’est le cas, par exemple, de No Minor Vices29 de Lewis Milestone, qui sort en 1948, et se voit considéré comme un OVNI cinématographique :

It is what you might call cubist humor—or spoofing a la Gertrude Stein. Nobody in the picture seems to know what's going on. The characters talk to one another—but they talk quite as much to themselves. Art figures into the proceedings. Likewise psychology. Likewise intolerable boredom. A very original film30.

Le cas du genre fantasy

  1. La catégorie générique fantasy présente des éléments structurels qui rendent délicate la réception critique des films. Deux raisons principales peuvent être avancées. D’une part, le genre fantasy renvoie à un ancrage culturel anglo-saxon, et ne trouve pas d’équivalent direct en Europe. Certains réalisateurs ont du mal à aborder ce genre aux États-Unis, notamment les très nombreux expatriés européens qui sont installés à Hollywood. D’autre part, le genre entretient une certaine proximité avec l’horror film ou la science-fiction, tout en accédant à une noblesse et une légitimité artistique que l’on refuse à ses voisins. C’est que les genres ne jouissent pas tous de la même reconnaissance ; Jean-Loup Bourget écrit à ce propos :

Le goût de telles hiérarchies [Bourget se réfère ici aux hiérarchies établies dans d’autres domaines artistiques, comme le théâtre ou la littérature] caractérise sans doute tous les classicismes, et le classicisme hollywoodien n’échappe pas à cette règle. Adaptations littéraires, drames, films à grand spectacle jouissent d’un prestige plus éclatant que les comédies, les films d’horreur, les films d’aventure à petit budget31.

  1. Les films à rapprocher de la fantasie32, du merveilleux, sont relativement rares, et leur réception critique est souvent particulière. C’est le cas de The Diary of a Chambermaid33, adaptation cinématographique du roman d’Octave Mirbeau par Jean Renoir en 1946. Le film est éreinté par la critique américaine, comme européenne, notamment en raison de la moindre maîtrise du genre fantasy, qui impose des normes très strictes. Katherine Golsan considère que ces modalités interprétatives sont conséquentes du flou générique qui règne autour du film (trop fantastique pour un drama, trop réaliste pour un fantasy), et écrit ainsi au sujet de la réception du film :

Celestine's journey from chambermaid to wife of a wealthy man is certainly the stuff of fairytales, but it is also a product of Hollywood's dream factory, and the film takes an interesting detour through 1940s gothic romance and the women's film in its heyday. Viewed from this angle, Diary of a Chambermaid is less a case of what the critics saw as a failed realism than a fairytale in realist garb34.

  1. Notons également le cas de All That Money Can Buy35 de William Dieterle (plus connu sous le titre sous lequel il est ressorti aux États-Unis, The Devil and Daniel Webster, emprunté à l’œuvre originale de Stephen Vincent Benet), film sur un fermier du New Hampshire qui vend son âme pour sept années de bonheur. Le film, atypique, est un échec. Un élément permettant d’expliquer l’insuccès du film concerne sa catégorisation générique. Bosley Crowther discute ainsi la pertinence de l’appellation historical, promue par les publicitaires du studio. Le caractère fantastique de l’intrigue ne déplaît pas fondamentalement au critique, puisqu’il aime cette veine fantasy dans le roman original, mais elle ne semble pas exploitée à son goût dans le film de Dieterle :

This, we say, should be the substance of an extraordinary film. It is not. For Mr. Dieterle has failed to bring into related focus before our eyes that which is supposed to be real and that which is supernatural. The illusion of imaginative release is not properly created, so that one is likely to be confused by the constant interplay of shadow and substance without any explanations36.

  1. Intéressons-nous au cas de William Wyler, qui commence à faire parler de lui en 1935 avec la sortie de The Good Fairy37. Cette adaptation de la pièce de Ferenc Molnár, écrite par Preston Sturges, ne convainc pas la critique, qui juge cette comédie de très mauvaise facture et éreinte le réalisateur :

When it is hitting its stride, the film edition of Molnar's “The Good Fairy” is so priceless that it arouses in one the impertinent regret that it is not the perfect fantastic comedy which it might have been. […] It exhibits a disappointing lack of invention in its manipulation of the Molnar fantasy, which is rich in cinema opportunity for a director less earth-bound than William Wyler38.

Notons que le critique évoque lui-même un autre réalisateur dans son texte, qui se serait mieux acquitté d’une telle tâche : « What a brilliant opportunity resides in Molnar's comic whimsies for a directorial genius like Rene Clair, for example39» — René Clair fut pourtant loin de connaître le succès à Hollywood avec sa seule comédie40. Dans le cas de The Good Fairy, c’est l'ampleur de la généricité « comédie » au détriment de l’ancrage « fantasie » qui sonne le glas de la réception critique. Il est entendu que le simple flou générique ne suffit pas à expliquer l’insuccès de certains films — ce qui n’est en rien notre objectif dans cet article. Il s'agit en revanche de considérer que le discours critique cristallise une partie de l’interprétation collective des œuvres cinématographiques et leur rapport à la norme. En cela, étudier la critique et son activité interprétative, c’est analyser une représentation d’une représentation ; André Petitat résume très bien cela :

L’étude de l’activité interprétative nous met d’office dans une position « méta ». Nous voilà interprètes d’interprétations qui elles-mêmes témoignent déjà d’un surplomb réflexif, souvent à plusieurs étages. Cette posture dans la spirale réflexive nous pousse toujours au-delà, au-delà de l’objet à interpréter, au-delà de l’interprète, au-delà du bénéficiaire, au-delà des contextes généraux et particuliers des uns et des autres, jusqu’à une anthropologie du sens, et éventuellement au-delà de nous-mêmes41.

L’incompatibilité des indicateurs de genre

  1. On observe fréquemment à l’étude de la réception critique des films génériquement hybrides que c’est l’incohérence du rassemblement des indicateurs de genre qui pose problème aux auteurs. La réunion de certains marqueurs génériques se révèle parfois incongrue, et l’emprunt de codes esthétiques à d’autres genres ne se fait pas sans difficulté. C’est notamment le cas lorsqu’un film, qui témoigne d’un ancrage générique dévalorisé, importe des normes d’un genre plus noble, et prétend ainsi s’élever à un autre rang au sein de la hiérarchie des genres cinématographiques. La réception critique de Sealed Verdict42, une romance réalisée par Lewis Allen en 1948, illustre cette idée. Le film se déroule dans l’Allemagne d’après-guerre, mais en présente une vision peu vraisemblable et édulcorée. La critique new-yorkaise reprocha à la Paramount cette mobilisation sentimentale d’un sujet important — notons que c’est bien à la Paramount, le studio de production, que furent adressées les remarques suivantes, et non au réalisateur, qui n’est même pas cité dans la critique43 :

Within the dark and gloomy area of occupied Germany—or, at least, within that area as imagined in Hollywood—the romantic people at Paramount have discovered a little light. That light is the fitful flicker of a singular, purifying love, and it is revealed in a film called “Sealed Verdict,” which came to the Paramount Theatre yesterday. It is the love which a young American major acquires for a fascinating girl who was the former sweetheart of a Nazi criminal. The people at Paramount seem to think it quite a flame. But, for this observer's money, it is a flash in the fictional pan, and it certainly does not illuminate any of the problems of post-war Germany as it is supposed to do. It simply serves as the takeout from an increasingly involuted plot which bears much more resemblance to make-believe than to documented fact44.

Si Bosley Crowther souligne l’invraisemblance de la diégèse et l’incohérence générique, il ne s’agit pas du reproche principal qu’il fait au film, puisqu’il note à plusieurs reprises le moindre rythme de la réalisation et déplore son caractère extrêmement normé (ce qui diffère en partie des précédentes critiques que nous avons étudiées) :

Maybe the people at Paramount believe in sympathy and trust; maybe they find it easy to forgive a pretty lady and forget. But to carry their thesis to the audience, they will have to present it in a more exciting way than it is put forth in this laborious picture which wanders slowly around in a circle and comes back. […] Indeed, the main trouble with this picture is that it is a conventional melodramatic romance. The boys of Paramount did a lot better in this area with “A Foreign Affair”45.

C’est donc le respect des normes d’un genre dévalué (la romance) et l’irrespect pour les normes d’un genre valorisé (le drame et/ou le film historique) qui est ici moqué par le critique. Échappe à ces considérations le film de Billy Wilder, A Foreign Affair46, qui avait, lui, joui d’une excellente réception critique en raison du caractère documentaire de la représentation de Vienne après les bombardements.

  1. Quelques années plus tard, Bosley Crowther pose le même problème dans une critique consacrée à Big Jim McLain47, un adventure film très politique d’Edward Ludwig. En effet, le film suit l’action de deux agents américains de la HUAC (la House of Un-American Activities Committee, chargée de surveiller les activités jugées anti-américaines) à Hawaï, investissant un congrès communiste pour démanteler des réseaux terroristes. Le film se présente, au vu de ces éléments descriptifs, comme un film très engagé. Ce point est confirmé par le contexte de production : le film est coproduit par John Wayne (qui incarne également le protagoniste), dont l’anticommunisme et les motivations idéologiques radicalement républicaines sont notoires. Néanmoins, le film tend plus à évoquer les codes de l’adventure film que du drame politique, et lorgne même vers le sea adventure, le jungle epic ou le goona goona48. Un texte de 1952, écrit par Bosley Crowther pour le NYT, pose la question de l’inscription générique de façon explicite. Nous reproduisons ci-dessous le texte dans sa quasi-intégralité :

It is hard to tell precisely whether the Warners' “Big Jim McLain,” which put in a bulky appearance at the Paramount yesterday, is supposed to be taken seriously as a documentation of the sort of work that is done by the House Un-American Activities Committee in its investigations of the Communist peril or whether it is merely intended to arouse and entertain.You might guess the former at the outset, for it starts with a serious, solemn quote from “The Devil and Dan'l Webster” of Stephen Vincent Bénet. “Neighbor, how stands the Union?” a troubled voice inquires as the screen is filled with a montage of rain-drenched country and the Capitol's glistening dome. And then there follows a tribute, apparently sincere in its intent, to the Congressmen of the committee who continue to pursue their anti-subversive inquiries, “undaunted by the vicious campaign of slander launched against them.” That sounds pretty serious, we would say. But the fiction which trails this rousing preface is such a vaporous and reckless romance that it might almost seem to the discerning to be a subtle travesty. For it makes the investigations of a supposedly experienced Congressional sleuth into some Communist activities in Hawaii appear to be nothing more than a minor preoccupation while he seriously woos a pretty girl. To be sure, there are running allusions to some sinister characters who ride in expensive autos and put up at the most exclusive clubs—these being, of course, the inevitable Communist villains in the piece. But John Wayne, who plays the manly hero, doesn't really get around to them until he has spent the better part of the picture seeing the sights of Hawaii and making love to a charmingly compliant Nancy Olson, whom he meets on his first day ashore. Then, when he does descend upon them, it is a direct, uncomplicated raid in which it is clearly demonstrated that the best medicine for a cowardly Communist is a sock in the nose. This is the nature of the picture, and, as straight entertainment fare, it merits a moderate rating in the classification of action-romance films. Mr. Wayne is rugged and genial, representative of the attitude that it is painful to think too deeply and the fist is mightier than the brain. Miss Olson is pretty and vacuous, James Arness is the same as another sleuth and Veda Ann Borg is raucous as a low-grade party girl type. But the over-all mixing of cheap fiction with a contemporary crisis in American life is irresponsible and unforgivable. No one deserves credit for this film. […] 49

  1. L’inscription générique du film est la problématique principale du critique dans ce texte. Le film est-il à considérer comme une œuvre politique (« supposed to be taken seriously as a documentation », « that sounds pretty serious, we would say »), ou comme un film d’aventure (« or whether it is merely intended to arouse and entertain ») ? Auquel cas, le peu de vraisemblance des arguments politiques (caricaturaux, d’après l’auteur : « some sinister characters who ride in expensive autos and put up at the most exclusive clubs—these being, of course, the inevitable Communist villains in the piece »), comme le fait qu’ils soient relégués au second plan par le réalisateur (« John Wayne, who plays the manly hero, doesn't really get around to them until he has spent the better part of the picture seeing the sights of Hawaii and making love to a charmingly compliant ») et la faiblesse des raisonnements idéologiques (« the best medicine for a cowardly Communist is a sock in the nose ») ne sont pas à mettre en cause. Si la volonté est le divertissement, point besoin de discours politique de qualité. Notons les assimilations faites par le critique, entre cinéma politique et sérieux et entre cinéma d’aventure et divertissement. Il semblerait que ce soit plus l’hybridité générique du film (« the over-all mixing of cheap fiction »), incarnée par les deux studios de production (la Warner intéressée par l’aspect adventure, Wayne par l’aspect politique), que le peu de précautions prises par rapport à une situation historique réelle et délicate pour les États-Unis qui gêne Bosley Crowther. La sentence pour avoir « mixé » des codes génériques hétéroclites est lourde, puisque « no one deserves credit for this film ».

  2. Le critique discute ainsi la pertinence de la classification du film, et en propose une autre qui lui semble mieux correspondre. L’auteur affirme que les éléments qui structurent et justifient cette classification sont intrinsèques au film, ils sont ses caractéristiques essentielles : « This is the nature of the picture, and, as straight entertainment fare, it merits a moderate rating in the classification of action-romance films. ». Cette critique de l’époque synthétise un nombre important de considérations sur l’inscription générique des films à l’époque, qui apparaît alors comme un enjeu d’importance, autant pour les studios (ne pas se tromper dans la classification de sa production au risque de perdre une partie du public et/ou des institutions) que pour les critiques, qui considèrent avec un grand intérêt les éléments classificatoires. À n’en pas douter, la critique de Crowther n’est pas isolée, et Big Jim McLain fut un échec total pour Edward Ludwig, en grande partie à cause de cette hybridité.

L’hybridité générique, outil de légitimation

  1. Parfois, l’hybridité générique de certains films leur est leur meilleur atout : empruntant certains codes à des genres plus nobles, ils bénéficient de leur brillance sociale, et ces derniers agissent comme outils de légitimation. On voit bien comme The Sea Hawk50, que Michael Curtiz réalise en 1940, fut plébiscité comme swashbuckler51 et non comme sea adventure, son inscription générique initiale (selon la volonté de la Warner, qui souhaitait marquer de son sceau le film de bateau, très à la mode depuis le milieu des années 193052). Le film bénéficia ainsi de la noblesse socialement et historiquement attribuée au swashbuckler. La critique fut très sensible à cet héritage, et y renvoya à de nombreuses reprises ; la version états-unienne du magazine Time publie ainsi : « Sea Hawk Thorpe begins his career by a swashbuckling attack [...] it gives the best swashbuckling role he has had since Captain Blood [...]53» et le New York Times, qui semble cependant considérer le genre avec moins de noblesse que son ascendant littéraire, évoque : « an overdressed “spectacle” film which derives much more from the sword than from the pen54».

  2. Certains emprunts sont donc bénéfiques, dès lors que le film accède aux exigences normatives du genre le plus noble. La crédibilité de la diégèse et le traitement historique de certains faits sociaux semble un critère prévalent à certains genres, comme le drame (à la différence du mélodrame55), du film historique ou, plus généralement, du film socially significant, à valeur (revendiquée) de discours sur la société. Cette crédibilité doit être préservée dans l’emprunt des codes, sans quoi, et nous l’avons bien vu dans le cas de Big Jim McLain, le film déchaîne les passions de la critique (et, de façon moins médiatique, du public).

  3. Nombreux sont les films américains classiques à avoir respecté cette norme socio-esthétique, et avoir ainsi bénéficié de leur emprunt à un genre plus noble que leur ancrage initial. C’est notamment le cas pour les films policiers développant des arguments légaux, qui mobilisent un savoir, ce qui ancre la diégèse dans une impression de réalité et conforte l’énonciateur dans une position légitime. Citons, pour illustrer cette idée, un des premiers crime films de John Brahm, Let Us Live56, sorti en 1939. La réception critique de Let Us Live nous permet de constater que les auteurs apprécient les socially significant crime films, même lorsque ceux-ci prennent directement appui sur des faits divers états-uniens qui mettent en lumière les incohérences du système judiciaire. Let Us Live est d’ailleurs l’un des seuls films à valoir à Brahm d’être encensé par la critique :

Under the goad of John Brahm's forceful and eloquent direction, it explores its familiar theme with anything but contempt. Mr. Brahm is as alert as any director of Class B melodrama to his opportunities for swift and exciting action, to the inherent suspense in a death-house deadline when a clock is ticking away the swift last hours of an innocent man's life, to the frenzy of the condemned's sweetheart as she tries to convince officialdom that justice has not been done. But, instead of stopping there, Mr. Brahm has underscored his physical drama with the psychological. What, after all, must happen to a man who finds himself victimized by a legal machine which he always had regarded as his protector? That is the essence of Mr. Brahm's drama, the quality which raises it above the death-house thriller class and gives it dignity and maturity57.

On note, cependant, que le film jouit ici d’une reconnaissance critique en tant que drama, pas en tant que crime film. C’est dire que le drama est autrement plus noble que le crime film, dont l’héritage littéraire ne parvient pas à restituer une quelconque légitimité sociale (il faut préciser que la tradition littéraire dans laquelle s’inscrit le crime film est populaire, et n’a jamais joui de quelque reconnaissance artistique que ce soit58).

  1. La réception critique de Let Us Live est similaire à celle d’Anatomy of a Murder59, que réalise Otto Preminger en 1959. Ce crime en forme de trial film (ou courtroom drama), avec James Stewart dans le rôle principal, est un très grand succès populaire et critique — celle-ci est cependant mitigée. Les différentes lignes éditoriales sont particulièrement sensibles à la lecture des critiques d’Anatomy of a Murder. À Life, le film est loué, mais les auteurs de la critique préviennent les spectateurs potentiels que le film n’est pas « everyone’s dish of tea60 » en raison de la teneur de certains dialogues. Rappelons que le film met en scène le procès d’un officier accusé du meurtre d’un homme qui, et c’est tout l’enjeu de l’intrigue, avait ou n’avait pas abusé de sa femme. Le viol y est abordé de façon bien plus crue que dans les (rares) autres films qui avaient déjà abordé le sujet ; si Life écrit « but good taste and morality aside, Anatomy is as tense and chilling a shocker as has come along for years61», c’est que le film posa en effet problème à l’influente Legion of Decency. Au New York Times, la question n’est pas évoquée, et c’est l’aspect socially significant du film qui retient l’attention des critiques, tout comme la probité des éléments légalistes. Ici, comme pour les premiers crimes à avoir initié cette forme sur la justice (on songe, par exemple, aux deux premiers films américains de Lang, Fury et You Only Live Once), le film est jugé à l’aune de sa capacité à témoigner des rapports sociaux américains de façon réaliste. À ce titre, il gagne en véracité, en « authentique » — cette notion-valise si chère aux journalistes et publicistes d’aujourd’hui —, et s’éloigne du melodrama pour revenir vers le crime, le social crime. Bosley Crowther, discutant la détermination générique du film, écrit :

It is the best courtroom melodrama this old judge has ever seen. Perhaps “melodrama” is the wrong word. Perhaps it would be better to say this is really a potent character study of a group of people involved in a criminal trial62.

La véracité des arguments juridiques qui jalonnent le film sont placés en haute estime par le critique, comme le fait qu’il offre un point de vue sur la société américaine : « [...] it is well nigh flawless as a picture of an American court at work, of small-town American characters and of the average sordidness of crime63».

  1. L’emprunt de codes à certains genres, lorsque les exigences de crédibilité sont satisfaites, peut ainsi se révéler bénéfique. Dans le cas du crime film, et du film socially significant, c’est toute l’histoire d’un genre qui est mise à jour par l’étude de l’interprétation générique des critiques ; le genre crime gagne en noblesse au fur et à mesure de ses évolutions, de son rapprochement avec des genres plus légitimes comme le drame, le film de guerre ou le documentaire.

Conclusion : le malaise générique à l’ère télévisuelle

  1. Avant de conclure, nous voulons présenter un cas d’étude, qui invite à poser la question, non pas des genres télévisuels, mais bien de la télévision comme catégorie générique d’usage. Il nous semble en effet que le genre est une catégorie tellement prégnante dans la sphère sociale américaine durant le classicisme hollywoodien qu’il en est venu à se subsumer à toute opération de catégorisation des objets audiovisuels (films et téléfilms). En somme, le genre n’est plus une catégorisation, il est la catégorisation, et la télévision, lors de son arrivée, est pensée comme un genre en soi. Il y a le western, le biopic, le film d’épouvante, et le téléfilm. Dans la hiérarchie des genres, cette place ne paraît pas la plus aisée. La réception critique de Around the World Under the Sea64, un parangon de la B-sci-fi réalisé par Andrew Marton en 1966, nourrit cette hypothèse. On note, dans une des dernières critiques de Bosley Crowther au sujet du film de Marton, une remarque particulièrement intéressante. Le critique évoque en effet le fait qu’une grande majorité des acteurs du film est constituée de stars des séries télévisuelles de l’époque (notamment produites par Ivan Tors, qui produit le film de Marton65) ; il regrette que ceci ne soit pas mis en avant dans le film de Marton, et raille leurs performances :

Does Brian Kelly, human star of “Flipper,” challenge Lloyd Bridges, late of “Sea Hunt” fame, for going away from the boat without radio equipment, which is something no intelligent dolphin would ever do? Or does Marshall Thompson, hero of “Daktari,” fire a withering blast of contempt at David McCallum, the creep in “The Man from U.N.C.L.E.,” for being inhumane to an eel? Not at all. They don't even mention their respective TV shows or occasionally make pointed reference to their ratings in order to assert themselves66.

Le critique octroie au film de Marton une place subalterne au genre télévisuel, suprême dévalorisation. On note l’ironie des formules du critique, dont on déduit assez aisément les considérations quant au talent des acteurs. Assurément, ce dernier sci-fi de Marton fut un échec cinglant (Crowther conclut sa critique par des formules assassines : « What a chance was missed by Andrew Marton and the fellows who wrote the script! What were they trying to make these actors act like—people? Didn't they realize these are personalities?67»).

  1. Ce texte est assez révélateur de l’interprétation critique des séries télévisuelles à l’époque (ce qui reste d’une certaine actualité), et pose la question du genre télévisuel. Plus largement, l’étude que nous avons menée a vocation à interroger un rapport œuvre/spectateur particulier, et postule le caractère déterminant de la norme socio-esthétique dans l’instauration du malaise interprétatif. Si le malaise générique doit être pensé, c’est donc comme une modalité d’interprétation et de sémiotisation des objets symboliques que sont les œuvres. Cette proposition, résolument sociologique, rejoint tant la nouvelle théorie du genre, pensé comme dynamique et fruit de perceptions collectivement normées, que le champ des reception studies où l’on incite à se départir d’une conception passive du spectateur, et à aller vers une spectature active, interprétante au moins autant qu’interprétable, initiant une figure de « spect-acteur » que nous défendons.

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1 L’ère classique est entendue comme étant la période du studio system, soit les années 1930-1949 (D. Gomery, L’Âge d’or des studios), autant que ce que Jean-Loup Bourget établit comme la période d’efficience du Production Code, soit les années 1934-1953 (J.-L. Bourget, Hollywood, la norme et la marge, 123). Cependant, parce que la catégorisation générique dépasse le simple cadre du classicisme hollywoodien et, bien qu'elle a vécu quelques ajustements et transformations, qu’elle perdure encore dans un certain cinéma américain, les films que nous prendrons pour exemple dans cet article pourront avoir été réalisés un peu en marge du classicisme, jusque dans les années 1960.

2 Le terme « genrification » est proposé par Rick Altman pour signifier le caractère processuel et dynamique du genre cinématographique, dans une perspective pragmatique : R. Altman, Film/Genre.

3  Dans cet article, nous entendons « interprétation » au sens que lui accorde notamment Francis Farrugia : « Ce terme d’“interprétation” est compris au sens le plus large de donation de sens, de dévoilement de signification, de transposition et de traduction d’un système dans un autre, à des fins d’élucidation, de production et de maîtrise du sens. L’interprétation est une opération individuelle et collective à la fois. Elle s’exerce d’abord à l’égard de ce que l’on nomme “la réalité”. Cette dernière est en premier lieu entendue comme le donné ordinaire, comme ce qui se présente au regard de l’observateur dans son immédiateté et son identité certaine. » (F. Farrugia, « La Connaissance comme interprétation : pour une sociologie critique et perspectiviste de la connaissance », F. Farrugia, dir., L’Interprétation sociologique : les auteurs, les théories, les débats, 16.)

4 Nous proposons ici le terme « genrer » pour signifier l'opération d'interprétation d'une œuvre selon des critères génériques.

5 La spectature est entendue ici comme « posture spectatorielle », dans la voie de Martin Lefebvre qui définit la spectature comme « une activité, un acte, à travers quoi un individu qui assiste à la présentation d’un film — le spectateur — met à jour des informations filmiques, les organise, les assimile et les intègre à l’ensemble des savoirs, des imaginaires, des systèmes de signes qui le définissent à la fois comme individu et comme membre d’un groupe social, culturel. » (M. Lefebvre, Psycho : de la figure au musée imaginaire : théorie et pratique de l’acte de spectature, 25).

6  E. Éthis, Sociologie du cinéma et de ses publics, 74.

7  T. Schatz, The Genius of the System: Hollywood Filmmaking in the Studio Area.

8  R. Altman, Film/genre, 200-222.

9  Voir notamment : S. Neale, Genre and Hollywood ; R. Moine, « L’Évitement des genres : un fait critique ? ». J.-P. Bertin-Maghit, G. Sellier (dir.), La Fiction éclatée : études socioculturelles, Volume 1, 105-119 ; R. Moine, Les Genres du cinéma ; B. Langford, Film genre: Hollywood and Beyond ; T. K. Grodal, Moving Pictures: A New Theory of Film Genres, Feelings, and Cognition ; W. Gehring, Handbook of American Film Genres.

10  Dans cette voie, voir : J.-P. Esquenazi, « Du genre (littéraire, etc.) comme catégorie de l’enquête sociologique », S. Girel, dir., Sociologie des arts et de la culture, un état de la recherche.

11  E. Éthis, Sociologie du cinéma et de ses publics, op. cit., 77. Les auteurs de Esthétique du film évoquent eux aussi « l’effet-genre » : J. Aumont, A. Bergala, M. Marie, M. Vernet, Esthétique du film, 102 sq.

12  E. Éthis, op. cit.

13 Nous avons mis en lumière la catégorisation générique comme opération de sémiotisation des objets symboliques dans de précédents travaux ; C. Delaporte, Genres et socialisation à Hollywood : sociologie des films américains des réalisateurs de cinéma d'origine européenne expatriés aux États-Unis entre 1900 et 1945.

14  J. Nacache, Le Film hollywoodien classique, 16.

15  Nous entendons ici « catégorie d’analyse » par opposition à « catégorie de pratique » ou « catégorie d’usage ». Le genre cinématographique correspond aux deux, ce qui justifie la prudence à convoquer pour son étude : il est autant mobilisé dans la sphère sociale par les usagers pour désigner une production cinématographique que par les théoriciens qui en font une notion analytique pour décrire une réalité perceptive.

16  F. Zinneman, High Noon.

17  H. Koster, The Power and the Prize.

18 B. Crowther, « The Power and the Prize (1956). Screen: Love Conquers in “Power and the Prize”; Big Business Succumbs in Drama at State Acting Is Impressive in a Rather Trite Story ».

19  H. Becker, Les Mondes de l'art.

20  F. E. Beaver, Bosley Crowther: Social Critic of a Film.

21  G. Ratoff, Footlight Serenade.

22 B. Crowther, « Footlight Serenade (1942). THE SCREEN; “Footlight Serenade,” Another Backstage Musical Film, With Betty Grable and Victor Mature, at the Roxy ».

23 J. H. Auer, S.O.S. Tidal Wave.

24 La science-fiction comme genre cinématographique ne se constitue en effet comme tel qu’à partir des années 1950. Très rares sont les films à revendiquer cette inscription générique avant, S. O. S. Tidal Wave se présente ainsi comme une exception générique.

25  F. S. Nugent, « S.O.S. Tidal Wave (1939). THE SCREEN; At the World Cinema ».

26  Ibid.

27  Ibid.

28  Ibid.

29  L. Milestone, No Minor Vices.

30 B. Crowther, « No Minor Vices (1948). “No Minor Vices,” Starring Dana Andrews, Lilli Palmer, Louis Jourdan, Bows at Rialto ».

31  J.-L. Bourget, Hollywood, la norme et la marge, 12.

32  Fantasie est la francisation officielle du terme anglo-saxon fantasy depuis sa préconisation par l’Académie Française et l’Association pour la Promotion du Français des Affaires, et sa publication conséquente au Journal Officiel du 23 décembre 2007.

33  J. Renoir, The Diary of a Chambermaid.

34  K. Golsan, « A Hollywood Fairytale: Renoir’s Diary of a Chambermaid », 45 [l’auteure souligne].

35  W. Dieterle, All That Money Can Buy.

36  B. Crowther, « The Devil and Daniel Webster (1941). “All That Money Can Buy,” a New England Legend, at the Music Hall —  “Texas” at Loew's State ».

37  W. Wyler, The Good Fairy.

38  A. Sennwald, « The Good Fairy (1935). THE SCREEN; The Radio City Music Hall Presents a Screen Version of Molnar's Fantastic Comedy, “The Good Fairy” ».

39 Ibid.

40  René Clair, qui ne réalise que quatre films aux États-Unis durant son exil, consacre une réalisation au genre comique. En 1941, il tourne ainsi un premier film américain pour la Universal, The Flame of New-Orleans, qui fut un désastre critique.

41  A. Petitat (dir.), La Pluralité interprétative : aspects théoriques et empiriques, 9.

42  L. Allen, Sealed Verdict.

43  Cet élément témoigne directement de l’importance des studios dans la catégorisation générique. Chaque société de production était en effet génériquement spécialisée ; bien sûr, ces spécialisations évoluaient, comme c’est le cas, par exemple, pour la Warner et le gangster film au cours des années 1930. Que les critiques s’adressent aux studios plus qu’aux réalisateurs renvoie donc tant à la prévalence du producteur sur le réalisateur à l’époque qu’à la généricité effective des studios.

44  B. Crowther, « Sealed Verdict (1948). THE SCREEN IN REVIEW; “Sealed Verdict,” With Milland and Florence Marly, New Bill at the Paramount ».

45  Ibid.

46  B. Wilder, A Foreign Affair.

47  E. Ludwig, Big Jim McLain.

48  Sur les codes génériques du jungle epic et du goona-goona, très liés à la mode des films coloniaux, nous renvoyons à É. Schaeffer, “Bold! Daring! Shocking! True!": a history of exploitation films, 1919-1959.

49  B. Crowther, « Big Jim McLain (1952). THE SCREEN IN REVIEW, “Big Jim McLain,” Film Study of Congressional Work Against Communism, at Paramount ».

50  M. Curtiz, The Sea Hawk.

51  La catégorie des swashbucklers désigne les films se déroulant en Europe occidentale entre le xve et le xixe siècle (la catégorie élargie intègre néanmoins le Moyen-âge, et donc les medieval films ou Middle-Age films), articulés autour de combats à l’épée, souvent pour servir les intérêts d’un personnage féminin. Si l’équivalent français du swashbuckler est ainsi le film de cape et d’épée, son équivalent chinois pourrait être le wu xia pian, genre mêlant arts martiaux et Chine impériale, ou son équivalent japonais le chambara, catégorie qui intègre les films de sabre nippons. Le terme swashbuckler renvoie à une expression populaire anglo-saxonne du xvie siècle désignant, par cet adjectif, les soldats fanfarons, les matamores. La catégorie s’est élargie au fil du temps, les définitions varient, et d’aucuns tendent aujourd’hui à inclure dans cette délimitation les films de pirates.

52 René Noizet écrit à ce sujet : « L’année 1935 fut, pour Hollywood, celle d’une compétition maritime sans précédent : les plateaux de la M.G.M étaient, comme ceux de la Warner, hérissés de mâts dont les voiles ne frémissaient qu’aux alizés dispensés par des souffleries de studio. Le sujet des films en cours de tournage obéissait aux mêmes règles : le vent de la révolte secouait la hune des voiliers ayant à leur bord Clark Gable et Errol Flynn. » ; R. Noizet, Tous les chemins mènent à Hollywood : Michael Curtiz, 181.

53 Anonyme, « Cinema: The New Pictures ».

54 B. Crowther, « The Return of Frank James (1940). THE SCREEN IN REVIEW; “The Sea Hawk,” a Warners Production, and “The Return of Frank James,” Both Action Dramas, at the Strand and the Roxy ».

55 Jean-Loup Bourget insiste en effet sur l’importance d’une distinction entre drame et mélodrame : J.-L. Bourget, Le Mélodrame hollywoodien.

56  J. Brahm, Let Us Live.

57  F. S. Nugent, « Bulldog Drummond's Secret Police (1939). THE SCREEN; Fact Adds Its Bit of Drama to “Let Us Live,” at the Globe--Bulldog Drummond Returns to Criterion ».

58  Nous pouvons ici renvoyer aux travaux menés par Jean-Pierre Esquenazi sur le roman-feuilleton, qui montre le peu de reconnaissance dont jouissaient les textes ; les auteurs, eux-mêmes, considérant faire de la littérature de seconde zone : J.-P. Esquenazi, Sociologie des œuvres, de la production à l’interprétation.

59  O. Preminger, Anatomy of a Murder.

60  Anonyme, « Tense Time on Stand on a Court Drama ».

61  Ibid.

62  B. Crowther, « Anatomy of a Murder (1959). Screen: A Court Classic ».

63  Ibid.

64  A. Marton, Around the World Under the Sea.

65  L’actrice Celeste Yarnall, qui devient peu de temps après une grande star des séries télévisuelles américaines (elle joue notamment dans plusieurs épisodes de Columbo, Star Trek, Mannix, Knots Landing — connue en France sous le titre Côte Ouest —, Papa Schultz ou même, plus récemment, dans Melrose Place), incarne une secrétaire dans le film de Marton et raconte dans une interview comme les passerelles entre séries télévisuelles et B-movie étaient opérantes : L. Paul, Tales from the Cult Film Trenches: Interviews With 36 Actors from Horror, Science Fiction And Exploitation Cinema, 309.

66  B. Crowther, « Around the World Under the Sea (1965). Screen: Submarine Saga Hits Bottom: “Under the Sea” Sails Into Neighborhoods ».

67  Ibid. Ce dernier extrait de la critique de Crowther est particulièrement intéressant, et mériterait de plus amples développements ; l’émergence de la notion de « personnalité » (on évoquerait aujourd’hui les « people »), en liaison avec l’univers télévisuel, est ici ostensible.