Du silence du polyglotte au bégaiement de la langue : vacillations et errances de la voix diasporique

Françoise Král

Université de Paris Ouest, Nanterre

  1. Dans un article du recueil de textes Gaze and Voice as Love Objects1 édité par Slavoj Zizek et Renata Saleci, Mladen Dolar replace la question de la voix mais également du rapport qu’elle entretient avec le corps dans une perspective diachronique, mettant en évidence l’interdépendance de ces deux notions dans la théorie contemporaine. Il oppose ainsi le phonocentrisme de Derrida dans De la Grammatologie à ce qu’il considère être un traitement réducteur de la voix par les linguistes depuis Saussure. Dolar va d’ailleurs plus loin en osant un jeu de mot sur phonè et phonos pour décrire l’acharnement meurtrier avec lequel, selon lui, les linguistes se sont intéressés de façon presque exclusive aux mécanismes de production des phonèmes. Pour lui, la voix et dans une mesure le mystère qui l’entoure – mystère de son statut aux confins de la matière et de l’immatériel (ce que Dolar appelle « the tricky transubstantiation »), de la trace et du fugitif, mais aussi de l’émotion par opposition à la raison – font d’elle un prisme d’une grande valeur dans lequel se reflètent fantasmes et jeux de pouvoir. Parmi ces fantasmes et jeux de pouvoir, il y la soi-disant fragilité de la voix, mais aussi le jeu de pouvoir entre le masculin et le féminin dans le rappel à l’ordre de la voix (appartenant au registre du féminin) par le logos (appartenant au registre du masculin).

  2. Symptomatiques d’une difficulté à définir ce qu’est la voix, ces oppositions la cernent, la localisent sans véritablement en rendre compte ; elles identifient ses modes d’apparition sans en saisir pour autant la spécificité, l’essence ou encore le grain, et encore moins, si l’on quitte cette perspective essentialiste, les mécanismes de production sociale du rapport corps/voix.

  3. Située aux confins du matériel et de l’immatériel, produite par un appareil phonologique mais infléchie par les émotions de celui qui la possède,  la voix est difficile à cerner. Dans le contexte de la littérature diasporique qui sert de cadre à ma réflexion, la fragilité de la voix se trouve exacerbée par l’exil de cette dernière dans une langue autre que la langue maternelle, alors que de sa survie même dépend la continuité ontologique du migrant dont la vie s’articule désormais à la rupture que constitue l’expérience migratoire. Pourtant, si les écrivains dits post-coloniaux ont souvent eu tendance à aborder la question de la voix sous l’angle de la voix détournée, contrainte de prononcer les sons et accents d’une langue étrangère imposée par le colon, la littérature diasporique2 travaille sur un registre plus large. Elle laisse surgir un spectre plus important de situations qui se déclinent comme autant de rapports à la langue dont cette voix se fait le porte-parole. Dépassant l’opposition binaire langue maternelle, qui est aussi la langue du peuple colonisé et langue du colon (imposée et qui reste étrangère), elle  explore les rapports entre la voix et le corps fantasmé que l’immigré se réinvente et qui hante son imagination. Cette voix est  porteuse d’accents et de sons étrangers qui n’évoquent pas seulement la nostalgie de la mère patrie, perdue ou pour un temps laissée de côté mais la promesse d’une vie sinon meilleure, du moins nouvelle. La voix n’y est pas seulement décrite comme portant les stigmates d’un exil linguistique mais comme l’instrument d’une réinvention programmée. Elle devient ce travesti qui permet à l’étranger de se faire passer pour autre, ou ce ventriloque qui ressurgit des tréfonds de l’individu et met en péril l’émergence d’un nouveau soi dans le pays d’adoption.

  4. Elle n’est pas toujours éteinte ou vacillante mais peut aussi se faire sonore voire tonitruante, témoignant ainsi de l’aspect libérateur de l’expérience diasporique, une voix pas seulement exilée dans un autre système phonologique et étrangère à elle-même (Kristeva), mais capable de faire bégayer la langue d’emprunt (Deleuze).

  5. Je propose de m’intéresser plus particulièrement à quatre questions : (1) la fragilité de la voix et son statut, aux confins du corporel et de l’immatériel ; (2) le « fantasme de la voix désincarnée », d’une voix sous-codifiée par rapport au corps ; (3) voix et jubilation vocale ; (4) jubilation vocale et dérapage du sens (ou la jouissance vocale sans le sens)

Voix/ontologie/affect : la voix comme critère définitoire

  1. Si le caractère immatériel de la voix évoque une certaine fragilité, voire une évanescence de la voix qui, à la différence de l’écriture ne fait pas trace, la voix peut aussi être envisagée comme le point d’orgue au développement du souffle vital, un souffle qui trouve son origine dans le corps mais qui se réalise au-delà. Elle serait pour reprendre une catégorie aristotélicienne l’aboutissement d’une pneuma, de ce souffle vital qui traverse les différentes formes de vie, du végétal à l’animal, et atteint son stade le plus achevé dans l’esprit humain, devenant alors ce critère définitoire qui permet de distinguer l’homme de l’animal, une sorte d’essence qui toucherait à la spécificité même de l’humain. Cette voix, qui peut rester muette ou bien se transformer en cri, cri de douleur ou de menace, cri d’exaspération, cri hystérique ou cri sauvage est en effet une sorte de rappel à l’ordre qui rappelle les limites et le caractère précaire de l’esprit humain, et laisse entrevoir ses régressions ou bien ses avancées.

  2. Je propose d’aborder cette question à partir du roman Feeding the Ghosts de Fred D’Aguiar. Tiré de faits réels, l’histoire raconte comment un groupe d’esclaves noirs est jeté à la mer sur ordre de leur propriétaire qui préfère percevoir l’argent de l’assurance plutôt que de voir les esclaves succomber à une épidémie. Réduits au statut de corps, de simples marchandises, il s’en faut de peu que les cent trente-et-uns esclaves ainsi sacrifiés n’emportent avec eux leur histoire. Cette dernière trouvera pourtant forme et prendra corps à la fin du récit grâce à la seule survivante qui sculpte cent trente-et -unes statues représentant les esclaves disparus. Chronique d’une histoire qui se transmet sans se dire, perdure sans s’écrire et s’en remet à la matérialité d’une statuaire qui semble attester de l’impossibilité d’exprimer un affect trop lourd, le roman nous invite à réfléchir à ce qui fait la spécificité de la voix, à sa fragilité, en particulier dans le cadre de l’expérience diasporique où le dire sert souvent de trait d’union entre les deux parties d’une vie (pré- et post-immigration) et assure une certaine continuité entre les deux. Fragile et dépendante, elle a souvent besoin d’un autre pour transmettre; tributaire d’une médiation, elle court le risque de s’éteindre avant de s’être fait entendre.

  3. Une des spécificités du traitement de la voix dans ce roman est son écriture, qui mobilise un réseau d’images qui joue sur l’articulation souffle, voix mais aussi sur leurs rapports avec le langage articulé et le langage pictural. Si le texte semble partir d’oppositions telles que corps/voix, parole/scripturalité, ces catégories sont davantage envisagées sur un mode dynamique que selon un registre d’oppositions figées. La description des corps jetés à la mer joue sur une série de déplacements (la charge affective est déplacée en direction du paysage), ce qui peut faire penser à un recours à la technique du corrélat objectif. Or ce qui est mis en place par Fred d’Aguiar est davantage une cosmologie au service d’un discours humaniste. En effet, plutôt que de sacrifier à la tentation du pathos ou de sombrer dans un sentimentalisme miévreux en essayant de rendre toute la charge affective de son sujet, d’Aguiar fait ressortir toute la fragilité de la vie humaine non pas en tant que vie biologique mais en tant que ce qui est véritablement le propre de l’humain. Les images qu’il utilise et qui évoquent la dissolution montrent toute la précarité de l’humain, de sa voix , menacée de quitter le corps, un corps devenu corps cadavre et corps abject au sens où l’entend Kristeva :

Over three days, 131 such bodies, no, 132, are flung at this sea. Each lands with a sound that the sea absorbs and silences. Each opens a wound in this sea that heals over each body without the evidence of a scar. » (…) When the wind is heard it is their breath, their speech.  (…) water replaces air in 131 of these bodies3.

 En effet, ces corps sont abjects précisément parce qu’ils sont tellement proches de nous et nous rappellent la possibilité ou même la certitude de notre propre mort. La question de la voix renvoie donc directement au statut ontologique ; elle n’est pas ce qui est défini en creux mais ce qui nous définit en tant qu’êtres de langage.

Le fantasme de la voix désincarnée

  1. Dans l’article que j’ai cité en guise d’entrée en matière, Mladen Dolar met en avant l’idée que si la voix est un sujet aussi fascinant, c’est non seulement en raison de son statut paradoxal mais aussi parce qu'elle constitue une sorte de clé de voûte interprétative qui permet de repenser notre rapport au monde. En effet, qu’arriverait-il si, au lieu de penser notre rapport au monde en fonction de nos sens et en particulier de la vue, nous le repensions à partir de la voix ? De même qu’arriverait-il si nous ne connaissions de l’autre que la voix, ou si nous n’avions comme premier contact avec autrui que le contact vocal ? La voix n’appelle-t-elle pas toujours un corps imaginaire que l’on cherche tant bien que mal à reconstruire ? L’autre question qui se pose est de savoir en quoi un premier contact vocal et non visuel peut modifier notre rapport à autrui. En effet, si le corps donne non seulement à voir mais dit aussi les origines et trahit l’âge tel un bavard invétéré, la voix, quant à elle peut passer sous silence l’histoire, les origines, les spécificités de celui qui la porte en lui. Elle peut à ce titre flotter librement et servir de cadre à un rapport à autrui plus faiblement codifié. Ceci explique en partie pourquoi le thème de la voix libératrice est devenu un des leitmotivs de la littérature diasporique contemporaine et en particulier des romans qui traitent de ceux que Arjun Appadurai a appelés la diaspora de l’espoir. Or le fantasme de la voix libératrice est un leitmotiv  qui trouve aussi très vite ses limites.

  2. Je propose d’aborder cette question à partir du roman Mona in the Promised Land de l’écrivain américain Gish Jen. Comme le titre le laisse entendre, le roman a pour sujet principal l’immigration aux Etats-Unis et l’intégration des minorités dans le « melting pot », en particulier les immigrés asiatiques (Gish Jen est elle-même issue d’une famille d’immigrés chinois). L’héroïne éponyme, Mona est une adolescente en prise à une double  crise de l’identité liée à la fois à son âge et à ses origines. En effet, elle est l’aînée de deux sœurs et à ce titre en première ligne lorsqu’il s’agit de conquérir certains droits dans une famille chinoise qui se veut traditionnelle. Mais Mona connaît aussi les difficultés d’une adolescente qui voit son corps changer, selon elle pas assez vite, et surtout pas de la façon dont ceux de ses camarades changent. Alors que ses camarades voient leur corps changer à l'adolescence, celui de Mona reste filiforme et asexué, un corps stagnant à l'âge de l'enfance et dont la différence vient renforcer la différence physique qui la distingue déjà des enfants de type européen.

But she doesn’t look like, say, Barbara. (…) Barbara’s is the body Mona is still waiting to grow into. Her breasts, for example, are veritable colonies of herself, with a distinct tendency toward independence. Whereas Mona’s, in contrast, are anything but wayward. A scant handful of each, hers are smooth and innocent – the result, you might think, of eating too much ice cream. They meld into the fat under her arms. […] How can she let her legs go natural when they already are natural? […] She feels condemned to be straight and narrow. […] She will one day discover that it is great to be nonhairy. […] Plus that she is yellow and beautiful – baby boobs, hammy calves, and all4.

  1. Ce corps qui trahit ses origines garde les marques d’une culture à laquelle Mona ne s’identifie plus, tout en l’éloignant de la culture américaine dont elle se sentait jusque là plus proche que de sa culture d'origine. Dans ce roman, Gish Jen nous invite à penser l’identité indépendamment d’un corps par le biais de la voix en tant qu’entité flottante et désincarnée et qui échapperait à toute détermination raciale ou sociale (même si on peut penser que l’accent est toujours porteur d’indications concernant la provenance géographique et le milieu social). Comme elle constitue une des modalités du rapport à autrui et peut remplacer le contact visuel, la voix pourrait offrir un nouvel espace sous-codifié, sous déterminé (d’un point de vue racial mais aussi social). C’est ce que suggère le chapitre dans lequel Mona se passionne pour son nouveau travail qui consiste essentiellement à répondre au téléphone. Mona se plaît dans sa nouvelle activité, et se met à surinvestir la voix comme si cette dernière permettait d’instaurer un autre type de rapport à autrui dans lequel l’apparence physique n’aurait qu'une très faible part. Pourtant, le roman nous amène à problématiser cette question. En effet, Mona entend un jour une voix qui lui rappelle son ami d’enfance japonais Sherman Matsumoto. S’en suit un jeu de cache-cache et de tromperies. Mais ce que ce passage montre est que si la voix permet ce décollement libérateur d’un corps que l’on peut trouver pesant car pétri à l’excès de marqueurs, la voix appelle toujours à la recréation d’un corps imaginaire racialement et socialement marqué.

Japanese (?) male calling for (is this prejudiced?) somewhat inscrutable but probably profound reasons. Although who knows, maybe also/just for language practice (English) […] Given caller’s depressed state of mind, probably ought also to have explored caller attitude toward hara-kiri, even if that’s a stereotype5. (Jen, 1996, 70)

  1. Confrontée à cette voix qui attire son attention, Mona ne peut s’empêcher d’essayer de deviner qui elle peut bien cacher. Elle recrée alors un corps imaginaire qui remplace le corps existant non visible. Or si l’on regarde la façon dont Mona esquisse le visage mystérieux de son interlocuteur, on s’aperçoit que les indices glanés renvoient tous à de grossiers stéréotypes. Le corps imaginaire, ce corps de substitution qu’elle produit est donc beaucoup plus codifié, marqué, emprisonné dans des catégories fixes que ne peut l’être le propriétaire de la voix anonyme. Le processus auquel Jen a recours ici, celui de la citation hyperbolique (Judith Butler, 1993, 232) a pour effet de saper le discours raciste qui le sous-tend. Mais l’on peut aussi penser qu’il en va de même que pour l’ironie dans l’analyse qu’en fait Linda Hutcheon dans A Poetics of Postmodernism et que si l’ironie critique et tourne en dérision, elle répète, réitère et dans une certaine mesure contribue à asseoir le discours en place.

Le fantasme de la langue libératrice

  1. Une autre variation autour de l’idée selon laquelle la voix serait socialement moins marquée que le corps est contenue dans le fantasme de la langue étrangère comme langue libératrice, que je propose d’aborder à partir de Brick Lane, le premier roman de Monica Ali, écrivain anglaise originaire du Bangladesh. Brick Lane décrit le parcours d’une famille d’immigrés venus du Bangladesh, Chanu et Nazneen, et de leurs deux enfants nés en Angleterre. Venu en premier, Chanu ne connaît pas le parcours glorieux auquel il avait aspiré mais vit une existence bien terne dans un appartement défraîchi du quartier de Brick Lane où Nazneen, sa jeune épouse vient le rejoindre. Ne parlant pas un mot d’anglais, Nazneen se sent très vite à l’écart d’une société dont elle ne connaît pas les codes les plus simples. Tout semble faire obstacle mais surtout la langue. Les quelques mots qu’elle parvient à déchiffrer et à comprendre au bout de quelques temps sont des interdictions ou des ordres : « The notice said: No Smoking, No Eating, No Drinking. All the signs, thought Nazneen, only tell you what not to do6. »

  2. L’épisode qui m’intéresse tout particulièrement est celui de sa rencontre avec Karim, un jeune homme du même pays qu’elle, et qui devient son amant. A la différence de Nazneen, Karim semble à l’aise dans la société  britannique contemporaine; il parle anglais et arbore fièrement les attributs de la modernité (en particulier le téléphone portable, même si son emploi est quelque peu détourné puisqu’il s’en sert comme d’un réveil matin pour se rappeler les heures de prière). Un jour, Nazneen croit remarquer que Karim bégaie lorsqu’il parle en Bengali, alors qu’il semble parfaitement à l’aise en anglais. Elle s'imagine alors que le poids des interdits pèse davantage sur lui lorsqu'il s'exprime dans sa langue maternelle que lorsqu'il parle anglais, le rendant plus timoré au point de le faire bégayer .

It was a strange thing, and it took her some time to realize it. When he spoke in Bengali he stammered. In English, he found his voice and it gave him no trouble. Having made the discovery, she went back to the beginning and made it afresh. She considered him. The way he stood with his legs wide and his arms folded. […] He wore his jeans tight and his shirtsleeves rolled up to the elbow. No. There was nothing there. No clue to the glitches in his Bengali voice7.

  1. Ce n’est que bien plus tard qu’elle réalisera que le bégaiement n’est pas un bégaiement habituel mais qu’il est lié à l’état de gêne dans lequel Karim se trouve lorsqu'il est en présence de Nazneen. Ce qui est intéressant ici est la projection affective qui fait naître ce fantasme chez Nazneen. Jeune fille issue d’un milieu modeste et n’ayant pas reçu de véritable éducation, Nazneen manque de confiance en elle dans sa propre langue. A la différence de sa sœur Hasina, qui lui envoie de longues lettres bourrées de fautes d’orthographe et de grammaire, Nazneen hésite, comme si la langue était sacrée, comme si elle avait peur de l’abîmer. Le fantasme de la langue libératrice vient donc d’un surinvestissement affectif de Nazneen qui voit en elle un no man’s land, un terrain vierge où elle ne serait liée à personne. Ce qui est particulièrement intéressant est que si la littérature post-coloniale insiste souvent sur la violence symbolique (Bourdieu) de la langue du colon, qui impose au colonisé sa vision du monde et ses propres catégories, la littérature diasporique explore tout le spectre des compossibles, y compris les fantasmes de la langue anciennement coloniale devenue outil d'émancipation sociale.

Le silence du polyglotte

  1. Je propose de comparer le traitement de ce thème dans le roman de Monica Ali à un roman d’une écrivain d’origine indienne qui vit aux Etats-Unis, Jhumpa Lahiri. Dans son roman The Namesake, Lahiri prend elle aussi pour objet la quête identitaire de jeunes immigrés de deuxième génération. D’origine indienne mais vivant aux Etats-Unis, Gogol et Moushumi viennent de deux familles amies. Pourtant leurs parcours sont différents. Dès son plus jeune âge Gogol connaît certaines difficultés avec son identité ; celle de porter un nom qui n’est ni américain ni indien, mais qui est celui de l’écrivain préféré de son père. Gogol changera plus tard de nom pour Nikkhil dans le but de s’américaniser et de rompre définitivement avec ses origines. Quant à Moushumi, partie étudier à Paris, elle prend plaisir à découvrir ce qu’elle considère être un terrain neutre, une troisième langue qui n’a pas de droits sur elle, une langue qui n’est ni celle du pays d’accueil ni celle du pays de ses ancêtres, une langue neutre. Là aussi, la quête identitaire est vue comme une fuite en avant.

Here [in Paris] Moushumi had reinvented herself, without misgivings, without guilt. He admires her, even resents her a little for having moved to another country and made a separate life. He realizes that this is what their parents had done in America. (233) […] At her parents’ insistence, she’d majored in chemistry, for they were hopeful she would follow in her father’s footsteps. Without telling them, she’s pursued a double major in French. Immersing herself in a third language, a third culture, had been her refuge – she approached French, unlike things American or Indian, without guilt, or misgiving, or expectation of any kind. It was easier to turn her back on the two countries that could claim her in favour of one that had no claim whatsoever8.

  1. C’est précisément parce que rien ne la rattache à la France que Moushoumi trouve sa voix dans une autre langue, même si sa quête d’un terrain neutre se révèle être une fuite en avant. Pour Kristeva cette prise de conscience se fait à travers le rapport au corps. Ce qu’elle appelle le silence du polyglotte est en fait son incapacité à être lui-même, à exister avec une certaine cohérence précisément car la continuité voix /corps - individu/parole - corps social a été brisée. Pour elle, le polyglotte parle certes des langues, mais il ne les parle pas comme sa propre langue. Il ne les possède pas comme il possède sa propre langue ; elles sont en lui comme des membres handicapés. D’ailleurs, sa propre langue meurt progressivement en lui ; son corps, sa bouche, occupés à former d’autres sons deviennent comme des instruments mal accordés.

Ne pas parler sa langue maternelle. Habiter des sonorités, des logiques coupées de la mémoire nocturne du corps, du sommeil aigre-doux de l’enfance. Porter en soi comme un caveau secret, ou comme un enfant handicapé —  chéri et inutile  — la langage d’autrefois qui se fane sans jamais vous quitter. Vous vous perfectionnez dans un autre instrument, comme on s’exprime avec l’algèbre ou le violon. Vous pouvez devenir virtuose avec ce nouvel artifice qui vous procure d’ailleurs un nouveau corps, tout aussi artificiel, sublimé — certains disent sublime. Vous avez le sentiment que la nouvelle langue est votre résurrection : nouvelle peau, nouveau sexe. Mais l’illusion se déchire lorsque vous vous entendez, à l’occasion d’un enregistrement par exemple, et que la mélodie de votre voix vous revient, bizarre, de nulle part, plus proche du bredouillis d’antan que du code d’aujourd’hui9. (Kristeva, 1988, 16)

  1. L’exemple que cite Kristeva du polyglotte qui entend sa voix sur un enregistrement pose la question de la conscience de soi. En effet, l’épiphanie qu'il a en entendant sa voix enregistrée est une sorte de  stade du miroir. Pourtant, à la différence du stade du miroir où l’image est face à moi, devant moi et me force à me projeter intellectuellement vers elle dans une sorte de dialectique de l’extériorisation et de l’ipséité, cette forme de stade du miroir opère selon le registre de l’intime dans un sens presque charnel. En effet, il y a une immédiateté de la voix, une présence originaire qui ne saurait se laisser oublier. La voix résonne en moi, et la parole n’est pas une projection abstraite et intellectuelle mais une expérience vécue et ressentie dans le corps et qui engage celui qui parle. La voix n’a pas seulement « un grain » selon l’expression de Barthes mais une mémoire charnelle du dire. Elle porte les traces des ses tressautements, de ses bégaiements et même le souvenir d’être un jour resté sans voix. Elle est si proche et si intime qu’on en oublie qu’elle est là, alors qu’elle est pourtant le premier objet de jouissance narcissique. Les babils du jeune enfant précèdent de loin la phase du stade du miroir ; les sons qui restent coincés dans la gorge du nourrisson ou au contraire qui s’enchaînent jusqu’à ce que le petit  enfant en perde son souffle montrent bien toute l’immédiateté de la jubilation vocale lorsque la voix n'a pas encore  une fonction de communication socialement codifiée.

Sans voix ni lieu

  1. Ma réflexion dans la section qui suit prend appui sur les travaux de l’anthropologue Marc Augé et en particulier ses écrits sur la production et le fonctionnement de ce qu’il appelle les non-lieux dans Non-lieux : anthropologie d’une supermodernité. Ce que Augé appelle les non-lieux, ce sont ces espaces virtuels entre deux lieux, tels que les autoroutes, les aéroports, les supermarchés. Augé pose la question du statut ontologique du lieu : qu’est-ce-qui fait qu’un endroit devient un lieu, qu’il passe du statut d’espace abstrait à un espace non plus en puissance mais en acte et devient un lieu effectif ? (il reprend à son compte la distinction entre espace et lieu introduite par Michel De Certeau). En effet, ce qui fait qu’un espace devient un lieu est le facteur humain, la façon dont l’individu habite l’espace et le fait vivre. Or selon Augé, la supermodernité produit des lieux — ou plutôt des espaces qui se veulent être des lieux — et qui sont caractérisés par un déficit en facteur humain et un surinvestissement langagier. A ce premier paradoxe vient s’ajouter une autre difficulté : ce langage est sans voix, il est essentiellement écrit, et pourtant il prétend parler et joue parfois sur les marqueurs de l’oralité, renforçant par là même le sentiment d’une cruelle absence de voix. Parmi les exemples que prend Augé, il y a les panneaux qui, sur l’autoroute, captent l’attention du conducteur et l’encouragent à imaginer ce que précisément il ne peut pas voir car l’autoroute ne traverse pas les véritables lieux, elle passe à proximité. Ainsi sur l’autoroute peut-on voir des panneaux donnant des indications sur les spécificités du paysage traversé, sur l’architecture de Vézelay, etc. Un autre exemple est celui du terminal de carte de bleu dans un supermarché, lequel est souvent plus loquace que la caissière qui vous invite à mettre votre carte, à composer votre code, et parfois même vous souhaite une bonne journée.

  2. Ces lieux habités par des voix artificielles et désincarnées que nous décrit Augé correspondent assez bien à la peinture pessimiste que l’écrivain Hari Kunzru fait de l’entreprise dans laquelle son protagoniste travaille. Pour Arjun Mehta, le héros du « riches to rags narrative » de Kunzru le voyage vers la terre promise se transforme en une plongée de plus en plus profonde dans un univers hermétique et déshumanisé. En effet, Arjun, qui travaille dans l’informatique, évolue dans un milieu où la communication verbale directe (par le biais de la voix) a disparu, d’où l’ironie du titre ; il s’agit bien de transmettre mais pas de façon traditionnelle. La transmission est purement technique sans qu’il y ait de réelle communication ; les e-mails remplacent la communication directe avec leur semblant d’oralité.

People did their thing and other people left them to get on with it. (…) Everyone left their phones on voice mail and most wore headsets while they worked, creating a private space that was, according to custom, violated only in an emergency. Interaction was via e-mail, even if the participants occupied neighboring cubicles. This made sense to Arjun. Personal space is valuable. Interrupting someone to talk to them is a way of pushing your query to the top of the stack. It overrides someone’s access controls and objectively lessens their functionality, which was as close to an engineering definition of rudeness as he felt he was ever likely to come10.

  1. Pourtant, si toute forme de communication spontanée semble bannie, une nouvelle forme de lien social se développe par le biais du questionnaire que les employés remplissent et qui leur permet de se comparer à leurs semblables et d’entretenir l’illusion d’appartenir à une communauté d’individus.

  2. L’univers décrit par Hari Kunzru n’est pas sans rappeler celui de contre-utopies comme 1984, à plusieurs différences près. Dans Transmission, la communication horizontale n’est pas court-circuitée par la présence envahissante d’écrans géants qui sont le vecteur d’une communication verticale à sens unique (de Big Brother vers les habitants de Oceania). En revanche, on retrouve l’idée d’un langage normalisé, épuré pour ne pas dire simplifié, destiné à gommer toute possibilité de sous-entendus, un langage  sans implicite et dont la seule fonction est de donner l'illusion d'un lien social par la création d'une « communauté imaginaire11 » (Anderson, 1983) d'employés de Virugenix. Et pour reprendre l’analyse de Marc Augé et le fonctionnement paradoxal du langage de la supermodernité, qui dit pour ne pas être obligé de donner à voir, le questionnaire donne une illusion d’intimité, alors même que les humains qui habitent cet univers sont littéralement inaccessibles, emmurés dans leur sphère privée. La voix, ce prolongement naturel du corps, ce souffle articulé qui fait sens devient absente, comme pour rendre les rapports humains encore plus impersonnels.

En guise de conclusion : limites éthiques de la jouissance vocale

  1. Dans mon analyse du silence du polyglotte, j’ai évoqué l’idée d’un stade du miroir vocal. Que se passerait-il si à la place du stade du miroir nous passions par une phase d’éveil vocal ? Ceci pose plusieurs questions, notamment celle de l’impact que cette situation aurait sur notre rapport au monde et notre façon de nous y positionner.

  2. En effet, lorsque je vois, je me situe par rapport à un paysage extérieur que je regarde et ramène à moi. En revanche, lorsque je parle, c’est bien de jubilation qu’il est question et d’une jouissance d'entendre sa propre voix. En d’autres termes, la vision nous positionne dans le registre de l’extériorité et potentiellement dans celui du rapport à autrui, tandis que la voix nous ramène à une certaine réflexivité à travers la jouissance vocale et l'immédiateté de cette expérience. N’y a-t-il pas alors  un risque de jouissance sans qu'il y ait pour autant du sens ? En effet, lorsque le sujet diasporique parle une autre langue, il se plaît à prendre les inflexions de cette langue étrangère, se perd dans ses rythmes et son schéma intonatif, place sa voix différemment, se modèle un autre corps autour de cette nouvelle langue. D'autre part, il se peut que lorsqu'il parle sa langue maternelle devant des anglophones qui ne la parlent pas il se laisse aller au plaisir de la parole gratuite et qu'il croit — à tort — sans conséquences. Cette situation est d'autant plus intéressante qu'elle crée un décalage dans le schéma de communication et distend ainsi l'articulation entre le corps individuel du locuteur en tant qu'il est positionné dans un espace public, et l'espace public, habité par un corps social. Une des questions que pose la diasporisation est celle des conséquences sociales et éthiques sur le corps politique dont l'interstice entre le corps du locuteur et le corps social est à la fois la fois l'une des causes et l'un des symptômes.

  3. Je propose d’envisager cette question à partir d’un extrait de Fury de Salman Rushdie. Dans ce roman, Rushdie brosse un tableau sonore de New York, ville aux mille accents, patch-work sonore qui reflète le melting-pot, mais aussi cacophonie de voix qui se croisent mais ne se répondent pas alors que les bribes de conversations dans des téléphones portables, donnent la réplique à des bribes de conversations entendues au coin d’une rue.

  4. Dans l’épisode qui raconte une altercation entre un chauffeur de taxi qui s’exprime en ourdou et un autre conducteur, Rushdie aborde la question de l’aspect jubilatoire de la langue sortie de sa situation de communication normale, par exemple lorsqu'un immigré s’exprime dans sa langue et que cette dernière est étrangère à ceux qui l'écoutent. Lorsque le chauffeur déverse un flot d’insultes sur l’autre conducteur, il donne libre cours à un défoulement verbal dans une langue que l’autre ne comprend pas ; d’ailleurs cette tirade n’est pas prononcée dans le but de faire sens et d’être comprise de son récepteur. Ce dernier jouit d’un espace de liberté linguistique où les mots peuvent être prononcés librement car ils sont détachés de toute implication :

“Islam will cleanse this street of godless motherfucker bad drivers,” the taxi driver screamed at a rival motorist. “Islam will purify this whole city of Jew pimp assholes like you and your whore roadhog of a Jew wife two.” All the way up Tenth Avenue the curses continued. “Infidel fucker of your underage sister, the inferno of Allah awaits you and your unholy wreck of a motorcar as well.” “Unclean offspring of a shit-eating pig, try that again and the victorious jihad will crush your balls in its unforgiving fist.” Malik Solanka, listening in to the explosive, village-accented Urdu, was briefly distracted from his inner turmoil by the driver's venom. ALI MANJU said the card. Manju meant beloved.[...] In between curses, he spoke to his mother's brother on the radio – “yes Uncle. Yes, courteously, always, Uncle, trust me. Yes, best policy — “and also asked Solanka sheepishly for directions.’’12

  1. Ce qui ressort de ce passage est un décrochage entre la voix et le corps – le corps en propre mais aussi le corps social et politique. En effet, le passage prend tout son sens dans le paragraphe qui suit. Loin d’être un défenseur de l’Islam, Ali Manju apparaît ensuite sous un jour bien différent :

“Sahib, if you heard it, then it must be so. But Sir, you see, I am not aware.” Solanka lost patience, turned to go. “It doesn't matter,” he said. [....] As he walked off along Broadway, Beloved Ali shouted after him, needily asking him to be understood. [...] “its means nothing. Me, I don’t even go to the mosque. God bless America, okay? It’s just words.” “Yes, and words are not deeds,” Solanka allowed, moving off fretfully. Though words can become deeds. If said in the right place and at the right time, they can move mountains and change the world. Also, Uh-huh, not knowing what you’re doing — separating deeds from the words that define them — was apparently becoming an acceptable excuse. To say “I didn’t mean it” was to erase meaning from your misdeeds, at least in the opinion of the Beloved Alis of the world13.

  1. En effet, si le premier passage montre un décrochage dans la continuité langue-message-récepteur dans la mesure où la langue de l’émetteur diffère de celle du récepteur, le deuxième passage rétablit cette continuité, lorsque en se déclarant locuteur de la même langue, Malik Solanka rétablit la continuité entre le locuteur le message et l’émetteur, mais aussi entre le corps individuel et le message porté par la voix qui en émane et le corps social. Au lieu de tomber dans l’oubli comme le babil dont la finalité n’est pas de communiquer un message ni d’être compris, mais de s’écouter gazouiller, les propos sont raccordés au corps social et leur sens est souligné. Dans cette oeuvre post-fatwa qui laisse entendre toutes les inquiétudes de Rushdie face à la montée de l’intégrisme, Rushdie pose aussi une question cruciale à l’heure actuelle, celle de la dimension éthique de la réinvention de soi dans une autre langue. Cette réinvention passe par un décollement, un saut hors du tissu social et du corps politique auquel l’individu était attaché pour évoluer  dans un milieu où la nouvelle voix, plus libre et moins contrainte n’a pas la même résonance car elle n’est plus chevillée à un corps politique devant lequel elle doit répondre de ses actes. Elle s’échappe alors, se soustrait à tout contrôle et s’abîme dans une jubilation vocale d'autant plus dangereuse qu'elle peut faire sens à l'insu du locuteur.

 

  1. De par les problématiques qu’elle pose, en particulier en ce qui concerne le rapport aux langues, la langue première et la langue secondaire, la littérature diasporique invite à repenser le rapport corps/voix dans un contexte plus large et selon d’autres articulations qui font éclater la continuité corps/voix/langue/corps social. De la richesse et de la variété de ces situations surgit un éventail de nouveaux rapports possibles entre la voix et le corps du locuteur, la voix devenant parfois un espace d’expression et de production d’une identité indépendamment du corps du locuteur comme dans le roman de Gish Jen. Dans ce contexte, l’expression « trouver sa voix » prend tout son sens, posant alors la question des limites de la jubilation vocale et de la responsabilité du locuteur comme dans le roman Fury de Rushdie. Si cette problématique met en évidence la responsabilité éthique du sujet social en nous invitant à repenser le rapport corps/voix, elle nous invite également à réactiver le sens propre d’expressions telles que « donner de la voix », « faire entendre sa voix » ou encore « prêter sa voix à », dans la mesure où le sens figuré tend à occulter le caractère fondamental du corps humain comme du corps social qui servent d’assise et de contexte à l’émergence de cette voix et en conditionnent le timbre mais aussi la portée.

Œuvres citées

 

Ali, Monica. Brick Lane. New York: Scribner, 2003.

Anderson, Benedict. Imagined Communities: Reflections on the Origin and Spread of Nationalism. 1983. London : Verso, 1991.

Appadurai, Arjun. Modernity at Large: Cultural Dimensions of Globalization. Minneapolis : University of Minnesota Press, 1996.

Augé, Marc. Non-lieux : introduction à une anthropologie de la  supermodernité. Paris : Seuil, 1992.

Butler, Judith. Bodies that Matter: On the Discursive Limits of Sex. New York : Routledge, 1993.

D’Aguiar, Fred. Feeding the Ghosts. London : Vintage, 1997.

Deleuze, Gilles. Critique et Clinique. Paris :  Minuit, 1993.

Derrida, Jacques. De la Grammatologie. Paris : Minuit, 1967.

Hutcheon, Linda. A Theory of Parody: The Teachings of Twentieth-Century Art Form. University of Illinois Press. 1985.

Jen, Gish. Mona in the Promised Land. New York : Vintage, 1996.

Král, Françoise. Critical Identities in Contemporary Anglophone Diasporic Literature. Palgrave Macmillan, 2009.

Kristeva, Julia. Étrangers à nous-mêmes. Paris : Fayard, 1988.

Kunzru, Hari. Transmission. New York : Plume, 2004.

Lahiri, Jhumpa. The Namesake. New York : Houghton Mifflin, 2003.

Rushdie, Salman. Fury. Londres : Random House, 2001.

Saleci, Renata, et Slavoj Zizek, dir. Gaze and Voice as Love Objects. Durham : Duke University Press, 1996.

1 R. Saleci et S. Zizek. Gaze and Voice as Love Objects.

2 La grande diversité de l’expérience diasporique et l’hétérogénéité du genre appellent quelques précisions méthodologiques. Les études diasporiques sont un champ d’étude en plein essor depuis une vingtaine d’années et leur développement répond à l’émergence d’un nouveau type de littérature anglophone difficile à répertorier – car aux confins du mainstream et du post-colonial. Or le terme diasporique continue de poser problème. Deux définitions et derrière elles deux clans s'opposent : d’une part, les partisans d’une utilisation restreinte et rigoureuse du terme (Safran) et de l’autre, ceux qui prônent un emploi plus large et presque métaphorique du terme, incluant ainsi une grande diversité d’expériences diasporiques allant de l’exile forcé et permanent à l’expérience migratoire librement entreprise et parfois de courte durée (Stuart Hall, Paul Gilroy, Homi Bhabha).

3 F. d’Aguiar, Feeding the Ghosts, 3.

4 G. Jen, Mona in the Promised Land, 75-77.

5 G. Jen, op. cit., 70.

6 M. Ali, Brick Lane, 46.

7 Ibid., 170.

8 J. Lahiri, The Namesake, 214.

9 J. Kristeva, Étrangers à nous-mêmes, 16.

10 H. Kunzru, Transmission, 54.

11 Anderson, 1983.

12 S. Rushdie, Fury, 65.

13 Ibid., 67.