Photographies de mode américaines à partir des années 1960 : images ou objets du désir ?

  • Alice Morin Université Paris III-Sorbonne Nouvelle

Résumé

La mode, modélisation de l’apparence, opère principalement par le biais de la séduction. Alors qu’elle est de plus en plus fréquemment interrogée dans le champ universitaire de manière transversale, cela n’a pas manqué d’être relevé, commenté et analysé par des auteurs comme Gilles Lipovetsky, qui, à la suite de Baudrillard, l’explicite à l’aide du concept de « simulacre », voire de « fantomalisation ». C’est particulièrement vrai dans le cas des photographies de mode, produites puis diffusées par des magazines spécialisés. Ces publications sont une interface où s’articule et tente de se résoudre la tension première entre tentation artistique et nécessité commerciale, à travers le désir - certes mimétique, mais désir aussi de continuer à compulser ces images séductrices. Des mensuels américains haut-de-gamme comme Vogue et Harpers Bazaar, notre corpus, disposant à la fois de grands moyens et d’influence auprès de plusieurs millions de lecteurs, illustrent un glissement du jeu de séduction, depuis les années 1960 (période de bouleversements créatifs, sociaux mais aussi économiques), vers une fascination de plus en plus hypnotique, voire obsessionnelle.

Pour une analyse des spécificités et des fonctionnements de ce système, il faudra d’abord dégager ce qui fait son succès - et ce auprès de deux publics, les lecteurs et les annonceurs, alors que les magazines tentent de conserver leur attrait et leur pertinence dans un monde qui évolue, tout comme le(s) public(s) d’ailleurs. Il leur faut d’une part séduire en proposant des formes esthétiques cristallisant un « moment », et assorties d’un discours de la nouveauté, et d’autre part proposer un idéal qui, en raison d’impératifs économiques, est en fait inaccessible. En offrant aux lectrices un jeu de fascination et d’admiration, les magazines se posent en sublimateurs d’un consumérisme dans lequel ils peuvent conserver leur rôle d’ « intercesseurs de féminité ».

En cela et pour cela, les photographies de mode dans les magazines construisent en fait un système propre, autonome, qu’il conviendra aussi d’étudier. On observe de fait un processus d’iconisation de l’image de mode, qu’il nous faut rapprocher du Pop Art et de ses pratiques, mais aussi d’un « reportage » sur une personnalité, un corps, et bien plus sur un imaginaire qui nourrit la fascination d’actualité à l’ère de la Pop Culture. Comme dans d‘autres mouvements, le lecteur est d’ailleurs ainsi invité à participer à l’action, qui a d’autant plus d’impact qu’elle est sérielle et répétée. L’image originale est à la fois renforcée et dissoute dans ses multiples relectures. Bien plus, à travers un système d’intericonicité, les magazines créent un réseau puissant et autonome, dont le but est triple: se positionner par rapport au monde extérieur (avec tous ses événements socio-politiques), avec les lecteurs (par un processus d’identification) et, de manière inconsciente, comme des objets uniques (ce qui justifie l’existence même des supports). Ainsi, ils créent rapidement de nouveaux modèles forts sur lesquels ils peuvent ensuite s’appuyer pendant des décennies, et ce de manière très fiable à travers un réseau propre de réflexivité qui continuera à se nourrir lui-même de manière endémique.

Biographie de l'auteur

Alice Morin, Université Paris III-Sorbonne Nouvelle
Ayant obtenu un contrat doctoral en civilisation américaine à l'Université Paris III, Alice Morin prépare actuellement une thèse intitulée « Représentation(s) de la mode aux Etats-Unis : la mise en scène des différences. Vers une étude esthétique, économique et socio-politique, des années 1960 aux années 1980 » sous la direction d’Hélène Le Dantec-Lowry. Ce projet bénéficie du soutien du LARCA (Laboratoire de recherches sur les cultures anglophones - axe Cultures visuelles) de l’université Paris VII-Diderot et du Musée de la Mode de la Ville de Paris-Palais Galliera.
Publiée
2017-12-23