Le chant en réserve : lecture de deux poèmes de Louise Glück

Marie Olivier

Université Paris Est Créteil

  1.  

  2. De façon générale, la littérature peut être perçue comme une dépense perverse, un dire « pour rien », flirtant sans cesse avec l’intransitivité. Le texte, quant à lui, constitue un espace de la réserve : espace de non-circulation, de stase mais aussi de fluctuations et de turbulences infinies, c’est un « pour rien » comme un « pour plus tard », une existence déjà lancée vers sa perte. L’écriture poétique n’échappe pas à cette perversité : parce que les poèmes ne racontent ni ne disent, l’on pourrait croire qu’ils gardent le sens dans leurs rets, celui-ci pouvant être dissimulé par la compacité formelle du genre, voire interdit par un certain hermétisme.

  3. L'écriture de la poète américaine contemporaine Louise Glück peut être lue dans l'oscillation entre épanchement de l’expression d’un je pourtant déjà délesté de sa référentialité et neutralisation du pathos, retenue de l’écriture et de ses effets. La langue dans laquelle elle écrit est d'une lisibilité et d'une clarté qui rendent son œuvre apparemment accessible ; son écriture explore la musicalité de la langue vernaculaire sans que l'on puisse la qualifier de musicale, toute prosodie et toute métrique formelles étant quasiment évacuées de sa poétique. Pour cette raison, le lecteur ne paraît avoir aucun moyen mnémotechnique1 d’accrocher, de retenir le poème qui s’écrit. Cela donne l’illusion de lire un poète qui écrit comme il parle et comme il pense, une sorte de langage-pensée transcrit directement sur la page dans toute sa clarté plutôt qu’un « langage-mémoire », pour reprendre l’expression de Jean-Louis Joubert2 :

L’évolution moderne risque de faire oublier certains traits originels, qui subsistent encore, plus ou moins manifestes, dans la poésie d’aujourd’hui. En effet, tout se passe comme si la poésie avait d’abord servi comme un outil : une technique de conservation de ce qui devait échapper aux défaillances de la mémoire. [...] Étant un langage-mémoire, elle suscite une forme qui protège, conserve, transmet. Le vers, soutenu par les régularités qui le constituent, les parallélismes, le retour de la rime, les allitérations et autres jeux de sonorités, a aussi pour fonction d’aider le travail de la mémoire.

La poésie de Glück s'écrit dans la doublure de ce langage-mémoire car elle ne s’attache pas prioritairement à susciter « une forme qui protège, conserve, transmet » le sens sans pour autant l'interdire : grammaticalement, le vers et l’expression de Louise Glück ne semblent jamais vouloir arrêter le sens, ni buter sur lui. Pourtant, ses poèmes gardent souvent leur signification en réserve, sous la surface d’une langue limpide mais impénétrable.

  1. En dépit d'une prosodie et d'une métrique peu marquées, sa poésie porte les traces d'une influence musicale que l'on qualifiera d'opératique. Ce lyrisme se veut plus qu'une influence, c'est une énergie structurante qui informe, forme et déforme sa poétique mais également sa vision de la poésie. Par exemple, tout au long de l’article « Story Tellers », Glück décrit la poésie de Robert Pinsky à l’aide de métaphores opératiques3 :

Pinsky seems invisible, more the impresario than the coloratura[...]; layer after layer, the poem builds. The tenor in his clown costume finishes his aria, applause, cheers, other stories, all accumulate into the long trance, the held note of Pleasure Bay […]. Lyric time pulses and quivers, like the tenor’s vibrato, shifting, adjusting.

  1. De la même manière, l’opéra donne à l’œuvre poétique de Louise Glück sa structure : dans le recueil The Wild Iris (1992) par exemple, un lyrisme symphonique et polyphonique fait dialoguer à la première personne plantes et fleurs avec le jardinier et avec Dieu ; les longs poèmes d'Averno (2006) prennent des tonalités de lieders mahleriens et finalement, les poèmes en vers libre oscillent avec ceux en prose dans son dernier recueil, Faithful and Virtuous Night (2014), vibrant entre récitatif et aria. Nous proposons donc de lire deux poèmes de Louise Glück à travers le prisme du lyrisme opératique : il s'agira de voir comment son écriture oscille entre la dépense perverse d’un dire pour rien à travers l’aria détourné voire impossible de « Penelope’s Song » dans Meadowlands, puis à travers l’usage du récitatif dans Faithful and Virtuous Night où l’objet du dire est toujours remis à plus tard, gardé précieusement en réserve.

Un aria qui sonne faux

  1.  

Let’s play choosing music. Favorite form.

Opera.

Favorite work.

Figaro. No. Figaro and Tannhauser. Now

it’s your turn: sing one for me.

 

  1. Ainsi s’ouvre Meadowlands : avant le lever de rideau, avant de tourner la première page et d’en découvrir le titre, la poète américaine nous invite à lire ce recueil comme on écouterait un opéra. Entre la fantaisie mozartienne et le tragique Tannhäuser et ses concours de chants (« now it’s your turn, sing one for me »), Meadowlands présente le mythologique dans le trivial et le trivial dans la mythologie de l’Odyssée. En effet, la majorité des poèmes sont l’expression de figures homériques : Ulysse, Pénélope, Télémaque, Circé. Cependant, nombreux sont ceux où la voix n’est pas clairement identifiée : résolument moderne (comme la voix des poèmes « Anniversary », « Meadowlands I », « Midnight », « Void ») ou au contraire, plus impersonnelle (celle dans « Marina », « Parable of the Dove », « Nostos »), ces voix chantent la perte de l’être aimé, parfois avec ironie, parfois dans l’anéantissement de la solitude mais sans jamais se laisser aller à l’épanchement du pathos, ce que l'on peut observer dans le tout premier poème du recueil « Penelope’s Song » (10-24)4 :

[...] Therefore

call out to him over the open water, over the bright water

with your dark song, with your grasping,

unnatural song—passionate,

like Maria Callas. Who

wouldn’t want you? Whose most demonic appetite

could you possibly fail to answer? Soon

he will return from wherever he goes in the meantime,

suntanned from his time away, wanting

his grilled chicken. Ah, you must greet him,

you must shake the boughs of the tree

to get his attention,

but carefully, carefully, lest

his beautiful face be marred

by too many falling needles.

Le titre du poème montre du doigt la tradition romantique à vouloir présenter un poème écrit comme chant. Ainsi, l’aria de la Callas que l’on imagine bellinien ou donizettien, suspendu entre terre et mer, bien que passionné, sonne déjà faux : « call out with your dark song, with your grasping,/unnatural song—passionate,/like Maria Callas » (12-14). Le tiret cadratin au cœur du vers 13 cherche à lier la voix d’une Pénélope railleuse à celle de la soprano grecque tout en traçant une ligne d’horizon désespérément vide. Par ailleurs, la série ternaire d’adjectifs (« with your dark song, with your grasping,/ unnatural song »5) évoque un chant tourmenté désireux d’accrocher (« grasping ») l’auditeur et l’être aimé jusqu’à le faire (re-)venir à soi. Le tiret cadratin ricane ainsi d’une telle prédication, pointant un adjectif qui semble être la concentration des trois précédents en un syntagme si vague que l’objet qu’il qualifie (le chant) en paraît amoindri sémantiquement : « passionate ». Suivie d’une virgule et d’un enjambement, la comparaison à la Callas évoque ironiquement à l’oreille des airs du répertoire du bel canto que la cantatrice grecque a contribué à rendre célèbres (« Casta Diva » dans Norma ou encore « O mio babbino caro » dans Gianni Schicchi pour ne citer que deux des plus connus). Plus précisément, l’allusion renvoie aux rôles belliniens de femmes aliénées (Elvira des Puritani, Norma de l’opéra éponyme, Amina de La Sonnambula), personnages dont la folie se voit transcendée par la magie de la musique et du chant.

Le poème « Penelope’s Song » oscille entre appel inaugural (premier poème du recueil) et réponse à un appel silencieux (8-11 ; 15-16) :

with your troublesome body

you have done things you shouldn’t

discuss in poems. Therefore

call out to him over the open water, over the bright water

[. . .]Whose most demonic appetite

could you possibly fail to answer?

  1. Dans un geste double de récupération et de dérision, la voix semble s'interdire toute confession, « you have done things you shouldn’t/discuss in poems » (9-10), faisant semblant de la réserver pour un ailleurs qui s’avère être le poème lui-même. À travers la négation, voire la répression de la confession, « Penelope’s Song » oscille entre repli de la parole et appel ouvert à l’autre (« call out to him over the open water, over the bright water » 11). D’un côté, la voix poétique tente de se déployer dans un espace lyrique béant que constitue l’adresse lyrique romantique (je s’adresse à l’autre comme au monde entier) et de l’autre, la même voix se voit rétractée dans un pli énonciatif où le locuteur s'avère également être le destinataire, où la première personne est repliée sur la deuxième – les deux ayant le même antécédent, le je étant tu. Par ailleurs, dans « Visitors from Abroad » (Faithful and Virtuous Night, 23, 33), la voix du poème explique : « every time I say 'I,' it refers to you ».

Le corps inter-dit

  1. Le tiraillement entre épanchement et repli de la voix sur elle-même confère à l’adresse lyrique, à ses questions et injonctions une fausse résonance : « who wouldn’t want you? whose most demonic appetite/could you possibly fail to answer? » (14-16), « call out to him over the open water » (11), « ah, you must greet him,/you must shake the boughs of the trees » (19-20). Relégué au statut de troisième personne, (« he will be home soon » 5, « call out to him » 11, « he will return » 17, « you must greet him 19, « his beautiful face » 23) l’être aimé est également placé à sa juste place, c’est-à-dire à celle de l’absent idéal et absolu, celle que Benveniste appelle la non-personne6 :

[…] de la troisième personne, un prédicat est bien énoncé, seulement hors du “je-tu” ; cette forme est ainsi exceptée de la relation par laquelle “je” et “tu” se spécifient. Dès lors, la légitimité de cette forme comme “personne” se trouve mise en question. [...] La “troisième personne” n’est pas une personne; c’est même la forme verbale qui a pour fonction d’exprimer la “non-personne”.

Cependant, par le même geste, en reléguant l’aimé au statut de troisième personne, le discours amoureux trace une ligne courbe jusqu’à lui : il n’est plus le destinataire de l’adresse lyrique devenue maladroite et maladressée. Ce poème déjoue le genre poétique et en expose les déficiences et les limites : « Penelope’s Song » ne peut accepter dans ses lignes les faits inavouables commis par la chair « you have not been completely/perfect either; with your troublesome body/you have done things you shouldn’t /discuss in poems » (7-10). Ces vers font semblant de présenter le poème comme un espace pur et chaste où le corporel n’aurait pas sa place. Cependant, l’argument se voit immédiatement contredit par la suite à travers des métaphores suggérant le corporel avec violence (« with your grasping, unnatural song—passionate » 12-13 ; « most demonic appetite » 15 ; « wanting/his grilled chicken » 18-19) jusqu’à l’image finale de défiguration et de scarification du visage de l’être aimé : « his beautiful face/be marred by too many falling needles » (23-24). L’enchevêtrement des fricatives en [f] (« carefully, carefully » 22, « beautiful face » 23, « falling ») trouble la planitude de la ligne d’horizon (« over the open water, over the bright water » 11) sur laquelle le chant semblait jeté. Ces allitérations dispersent la douleur insidieusement au travers des trois derniers vers en leur imprimant un rythme que Henri Meschonnic qualifie de « suites consonantiques-vocaliques qui dégagent des liens entre les mots »7 :

J’appelle ainsi les suites consonantiques-vocaliques qui dégagent des liens entre les mots. Ces liens [...] participent non tant à l’effet de sens qu’au rapport entre le sens et la force de ce qu’on appelle les mots. Aristote parlait, dans le De Interpretatione de ce qu’on appelle, « des choses qui sont dans la voix – ta en tê phonê’ ».

Ce travail dans le langage, à la différence du récit des signes, on peut l’appeler un récitatif. [...] Le récitatif est le sujet dans le poème. Son activité est une parabole du continu dans le langage.

  1. Dans la dernière strophe, le poème travaille à sa poétique, ou en d'autres termes à sa fabrication8 à travers des liens phonémiques et phonétiques. Le travail du poème devient alors récitatif dans le sens où l’entend Meschonnic, comme rare possibilité du continu dans le langage, tandis que les allitérations de la dernière image relient les points d’un portrait déjà défiguré de l’être aimé (19-24) :

[...]Ah, you must greet him,

you must shake the boughs of the tree

to get his attention,

but carefully, carefully, lest

his beautiful face be marred

by too many falling needles.

Les « suites consonantiques et vocaliques » participent donc simultanément à l’élaboration et à la scarification du visage, figuré et défiguré dans le même geste et à l’élaboration d’un récitatif au sein même de l’aria faussé.

  1. De la même manière, l’image fantasmée et lisse d’une Pénélope en haut de sa tour chantant son désarroi dans l’attente d’Ulysse est corrompue par le surgissement du sourire narquois de la modernité « suntanned from his time away, wanting/his grilled chicken » (18-19), jetant définitivement un sort au lyrisme éthéré romantique. Le chant de Pénélope crée une contradiction littérale entre forme et sens et fait de la forme poétique – le poème — sa propre marge, plaçant la parole tout contre le chant plutôt que l'un dans l'autre : si la voix préserve le poème d’un contenu bassement matériel et se présente à travers la prosopopée comme une âme dans sa plus stricte nudité (« little soul, little perpetually undressed one » 1, « with your troublesome body/you have done things you shouldn’t/discuss in poems » 8-10), cette même voix est également incarnée dans un corps physique grimpant vigoureusement après les branches d’un épicéa afin de remplir la fonction concrète de sentinelle : « climb/the shelf-like branches of the spruce-tree; wait at the top, attentive, like/a sentry or look-out » (2-5). Le poème oscille entre incarnation et abstraction, entre monologue et dialogue, entre écriture et oralité de la déclamation. La voix poétique s’aménage par conséquent un espace de réserve au sein même du genre lyrique ; à corps défendant, elle inter-dit pourtant celui-ci dans les deux sens du verbe : en arborant le chant comme titre, « Penelope’s Song » tisse un lien de réciprocité, un entrelacs entre le dire et le corps tout en mettant ce dernier en marge et à mal, au point de le lacérer dans la dernière image.

  2. Finalement, le chant de Pénélope n’a d’autre possibilité que d’être avide, artificiel (« grasping,/unnatural » 12-13) : le poème écrit sur la page ne pouvant être chant, il peut encore moins être chanté. Mais cette envie d'être chant éprouve le poème comme une nécessité et confère à l’écriture de Glück une immédiateté et une urgence que la simplicité et la fluidité de la langue soutiennent. L’aria n’est donc pas simple métaphore du poème : il constitue son au-delà et son fantasme, ce que l’on peut lire dans le dernier poème de Meadowlands, « Heart’s Desire », lequel s’achève également sur des allusions opératique et musicale (61, 31-36) :

If you can hear the music

you can imagine the party.

I have it all planned: first

violent love, then

sweetness. First Norma

then maybe the Lights will play.

  1. Réduits à une succession de deux mouvements sentimentaux, « first/violent love, then/sweetness » (33-35), l’opéra de Bellini, Norma, et le groupe contemporain, The Lights9 figurent l’oscillation à l’échelle du recueil – mais également au sein de son œuvre entière – entre tragédie classique et modernité.

  2. Encore une fois et tout comme l’adjectif « passionate » dans « Penelope’s Song », le caractère vague des expressions décrivant la musique « first/violent love, then/sweetness » ainsi que la brièveté de leurs vers (au maximum composés de trois mots) sont symptomatiques de l’impossibilité pour l’écriture de décrire ou de traduire ce qui aspire à être chant. La musique demeure néanmoins une condition essentielle au poème : « if you can hear the music » lit-on au vers 31, si tu peux entendre la musique... tu peux entendre10 le poème, aurait-on envie de poursuivre. La musicalité n’est donc pas tant à chercher dans des schémas prosodiques stricts ou dans des jeux allitératifs réguliers mais dans une structure et une pensée de la poésie comme aria mental, un lyrisme à la fois expressionniste et impressionniste. À l’instar de Stravinsky qui considérait « la musique, par son essence, impuissante à exprimer quoi que ce soit : un sentiment, une attitude, un état psychologique, un phénomène de la nature, etc. »11, la poétique de Glück flirte toujours avec cette transitivité, avec la limite entre impression et expression d’un sens, ne voulant rien dire d’autre que ce qu’elle dit, agissant en-deçà de la surface du texte et du langage, dans la doublure de la langue.

La confusion des genres de “A Sharply Worded Silence”

  1. Le lyrisme opératique structure formellement son dernier recueil, Faithful and Virtuous Night (2014), composé de poèmes de plus en plus longs (faisant plus de cinq pages en moyenne) et d’une veine plus narrative que ses recueils précédents, Averno (2006) ou A Village Life (2009), kaléidoscopique et constellaire, où les poèmes se voulaient déjà plus longs. Dans une interview accordée à Sandra Lim à l’occasion du National Book Award qu’elle se vit décerner en 2015, la poète explique le genre hybride de son dernier recueil, oscillant entre prose et poésie, mais ses poèmes demeurant résolument inspirés du chant12 :

I don’t know that there existed, before this book, a connection between poetry and prose in my work, unless you count the possible influence on my poems of the essays I began, some decades ago, to write intermittently. I felt, when I worked in that form, that some leftover elasticity seeped into my rather songlike intense poems, introducing sensations of space and variety. Also, I like to read prose—novels and biographies, mainly, but also pill bottles and cereal boxes. Prose absorbs me; toward poems my reactions are too fevered.

  1. Les poèmes s’étendant le long de l’horizon des lignes et des pages alternent avec les poèmes en prose, denses et à la mise en page justifiée. En dépit de cette évolution formelle, sa poétique résiste à l’épanchement, ce que démontre la strophe à l’initiale du long poème « A Sharply Worded Silence ». Composé de seize strophes inégales dont les vers comptent entre treize et dix-sept syllabes, le poème parcourt trois pages (Faithful and Virtuous Night, 19, 1-3) :

Let me tell you something, said the old woman.

We were sitting, facing each other,

in the park at _____, a city famous for its wooden toys.

  1. Ce blanc typographique est une originalité inédite dans la poésie de Glück : pour la première fois, l’enjeu du poème est rendu explicite par un signe graphique. « A Sharply Worded Silence » désigne notamment ce qui doit être deviné, tracé typographiquement sur la page: « _____, ». Le trait et la virgule semblent vouloir contenir un vide structurel et signifiant plutôt que suspensif. Le silence est présenté comme un outil aiguisé, un crayon tendu au lecteur, le trait signifie et rend le geste de l’écriture visible tout en gardant l’objet du dire en réserve. De plus, en s’ouvrant sur un discours indirect, le poème introduit un discours oral immédiatement interrompu par un point en fin de vers (1) :

Let me tell you something, said the old woman.

  1. Dans son oralité, l’expression « let me tell you something » annonce une petite vérité brève qui s’avère être une histoire plutôt longue – d’autant plus différée qu’elle ne commence que trois strophes et treize vers plus tard. Ce vers initial manifeste une oralité distante car au passé et au discours indirect. Alors qu'il se propose de dire quelque chose, (« let me tell you something, said the old woman »13 1) le troisième vers ancre le poème dans la matérialité de la page, dans ses règles typographiques et expose le travail de l’écriture, intransitif, non référentiel. Le point final du premier vers appuie cette non-référentialité et, paradoxalement, signe une suspension du dire et de la diction : un sort est fait au quelque chose du discours « let me tell you something », réservé à plus tard.

De pour plus tard à pour rien

  1. Tandis que le nom de la ville est à la fois souligné et rayé d’un même trait, le jardin, scène où se déroulent l’histoire et le poème, est nommé dans la troisième strophe (7-16) :

The park was my consolation, particularly in the quiet hours

after sunset, when it was often abandoned.

But on this evening, when I entered what was called the Contessa’s Garden,

I saw that someone had preceded me. It strikes me now

I could have gone ahead, but I had been

set on this destination; all day I had been thinking of the cherry trees

with which the glade was planted, whose time of blossoming had nearly ended.

 

We sat in silence. Dusk was falling,

and with it came a feeling of enclosure

as in a train cabin.

  1. L’insistance sur le nom du jardin est gauchie par le biais d’une périphrase impersonnelle au passif, « what was called the Contessa’s Garden ». Si cette précision semble à première vue aller à l’encontre de l'effacement du lieu au troisième vers (« at _____, » 3), la référence ne se veut cependant pas strictement géographique mais intertextuelle – le nom évoque l’opéra de Mozart, Le Nozze di Figaro, écho confirmé dans la narration de l’histoire de la vieille femme qui débute treize vers plus loin (17-23) :

When I was young, she said, I liked walking the garden path at twilight

and if the path was long enough I would see the moon rise.

That was for me the great pleasure: not sex, not food, not worldly amusement.

I preferred the moon’s rising, and sometimes I would hear,

at the same moment, the sublime notes of the final ensemble

of The Marriage of Figaro. Where did the music come from?

I never knew.

  1. La musique survient de façon presque incidentelle, s’immisçant dans un silence qui referme le paysage sur lui-même sans pour autant contaminer le vers de façon formelle, à l’exception d’une économie des mots à l’échelle du vers et de la strophe (14-16) :

we sat in silence. Dusk was falling,

and with it came a feeling of enclosure

as in a train cabin.

  1. La musique des Noces parvient aux oreilles de l’auditeur comme le bruissement d’une langue inconnue ; c’est un langage qui ne dit rien mais parle à celui qui écoute : assez vague, l’expression nominale « the sublime notes of the final ensemble » (21) rend la musique fantomatique, discrète. Son ambiguité (était-ce la musique instrumentale, le chant ?) permet précisément de lire cette musique comme celle de l’orchestre combinée à celle du chant à plusieurs voix de la scène finale du quatrième acte. La musique que la vieille dame entend dans le parc est un langage lisse dont on ne peut accrocher la surface par le sens, et qui ne peut être appréhendée comme un discours, se laissant entendre sur et sous toutes ses surfaces à la fois sans que l’on ne puisse jamais véritablement la saisir. Le chant opératique déforme la langue, l’étire et la déploie pour en déformer les voyelles, en découper ou en attendrir les consonnes. Chantée, la langue est rendue inéluctablement étrangère, la musique l’enveloppe comme un fourreau, ce pourquoi l’ensemble final des Noces devient ici bruissement de la langue, touchant à une certaine asémie tout en gardant le sens précieusement en réserve. L’expérience que la vieille dame dit avoir eue dans le parc ressemble fort à celle que Barthes lui-même eut au visionnage d’une scène d’un film d’Antonioni14 :

L’autre soir, voyant le film d’Antonioni sur la Chine, j’ai éprouvé tout d’un coup, au détour d’une séquence, le bruissement de la langue : dans une rue de village, des enfants, adossés à un mur, lisent à haute voix, chacun pour lui, tous ensemble, un livre différent ; cela bruissait de la bonne façon, comme une machine qui marche bien ; le sens m’était doublement impénétrable, par inconnaissance du chinois et par brouillage de ces lectures simultanées dans une sorte de perception hallucinée tant elle recevait intensément toute la subtilité de la scène, j’entendais la musique, le souffle, la tension, l’application, bref quelque chose comme un but. Quoi ! Suffit-il de parler tous ensemble pour faire bruire la langue, de la manière rare, empreinte de jouissance, qu’on vient de dire ? Nullement, bien sûr ; il faut à la scène sonore une érotique (au sens le plus large du terme), l’élan, ou la découverte, ou le simple accompagnement d’un émoi.

  1. Dans le poème, la solitude du crépuscule et l’instant où la lune se lève conditionnent le bruissement, ils en sont l’érotique, « l’émoi » comme son « accompagnement ». Cette temporalité relève d’un kairos où l’émotion est projetée en-dehors de l’individu en une musique qui peut s’épancher uniquement dans l’envers d’un silence défini, limité, presque claustrophobique. Le kairos, instant crucial, s’inverse par la suite pour devenir l’instant où il n’est plus temps, où la musique attendue ne parvient à se faire entendre. Privée de l’ingrédient magique, celle-ci ne vient pas. Cette oscillation apparition / disparition fait de la musique des Noces un objet de désir, et de la promenade un pèlerinage (29-31 ; 60-63) :

But certain nights, she said, the moon was barely visible through the clouds

and the music never started. A night of pure discouragement.

And still the next night I would begin again, and often all would be well.

[...]

and it seemed to me I had not only returned to my lover

but was now returning to the Contessa’s Garden

in which the cherry trees were still blooming

like a pilgrim seeking expiation and forgiveness.

  1. Le poème se fait le lieu de l’impossibilité de dire et le texte finit par constituer un pour rien alors qu’il avait placé son objet dans la réserve d’un pour plus tard – le premier vers « let me tell you something » avait promis un message, une conversation qui n’adviendront jamais, ce que prouvent les derniers vers du poème (64-66) :

so I assumed there would be at some point,

a door with a glittering knob,

but when this would happen and where I had no idea.

  1. À trop vouloir raconter, la voix avoue son échec à communiquer : « let me tell you something, said the old woman » (1). Le récit suit le sillon de vers si longs qu’ils en deviennent circulaires, la vieille femme revient toujours devant la porte de sa maison, tout comme la première personne finit par revenir à sa ville natale auprès de son amant (24-27 ; 51-63) :

Because it is the nature of garden paths

to be circular, each night, after my wanderings,

I would find myself at my front door, staring at it,

barely able to make out, in darkness, the glittering knob.

[. . .]

But I never lost my taste for circular voyages.

Correct me if I’m wrong.

 

Above our heads the cherry blossoms had begun

to loosen in the night sky, or maybe the stars were drifting,

drifting and falling apart, and where they landed

new worlds would form.

 

Soon afterward I returned to my native city

and was reunited with my former lover.

And yet increasingly my mind returned to this incident,

studying it from all perspectives, each year more intensely convinced,

despite the absence of evidence, that it contained some secret

[. . .]

and it seemed to me I had not only returned to my lover

but was now returning to the Contessa’s Garden

in which the cherry trees were still blooming

like a pilgrim seeking expiation and forgiveness.

  1. En revenant sur ses pas, l’écriture revient sur ses propres traces tout en les effaçant. À l’instar du blanc typographique de la première strophe, ces pérégrinations nocturnes circulaires relèvent de la défaillance d’une écriture qui, à force de ne pas vouloir dire, finit par trop en dire. Le blanc typographique, notamment, est défini à l'aide d'une paraphrase : « at ___, a city famous for its wooden toys »). C'est comme si l’écriture ne pouvait s'empêcher de prédiquer, d'aller à l'encontre du silence qu'il venait pourtant de signifier : l'écriture de Glück va et vient, déjoue ses propres stratégies, rendant la désignation et le trajet direct impossibles. Le voyage circulaire est également symptomatique de l’affirmation d’une langue poétique qui refuse de retenir tout contenu, tout message en revenant toujours sur elle-même favorisant ainsi l'amenuisement de sa diction : comme Glück l’explique elle-même15, sa poésie n’est pas faite pour être lue à voix haute mais pour soi, ses vers explorant davantage le détail de leurs ramifications sur la page qu’une prosodie formelle.

  2. De façon générale, la musicalité du vers glückien est la musicalité neutre de la langue vernaculaire, oscillant entre écriture et parole : sa poétique fait ici apparaître le travail du poème en train de s’écrire, déploie la parole lors d’un dialogue crépusculaire tout en restant en conversation avec le lecteur. La voix s’installe alors dans le cadre narratif aménagé dès la première strophe (installation des lieux, dialogue entre deux personnages) et se fait récitative16 : contrairement à « Penelope’s Song », « A Sharply Worded Silence » veut « faire avancer l’intrigue » tout en évitant maladroitement la prédication, la référentialité. Car l’histoire de la vieille dame ne dit ni n’avance rien et reste suspendue à l’avènement de l’opéra fantasmé : « where did the music come from?/I never knew » (22-23), « this story, so pointless as I write it out,/was in fact interrupted at every stage with trance-like pauses/and prolonged intermissions, so that by this time night has started » (32-34).

  3. Comme dans « Penelope’s Song », l’écriture déjoue et trahit ses propres stratégies : le lyrisme du poème explore un à-côté du genre qui inscrit la parole dans le récit, le récit dans le poème. Son écriture travaille à tel point l’énonciation du je que celle-ci s’érode et s’efface au fur et à mesure qu’elle se sculpte sur la page : « carving by hand the tiny hands and feet » (6). À l’instar de la musique des Noces de Figaro, hallucinée et sans origine, la voix du poème est également le fantasme d’un je et d’un jeu double prenant toute la page : jouant d'une imposture, la voix profite du temps et de l’espace d’une interstrophe pour emprunter un je qui feint la similitude alors qu'il ne se réfère plus à la même personne. Seul le recours au code du genre fictionnel (à travers les verbes introducteurs au passé « said the old woman » 1, ou encore « she said » 17, 29, 39, 45) indique ce changement de locuteur que, par ailleurs, l’absence de guillemets passe sous silence. Ainsi, le récit enchâssé de la vieille dame double la voix du poème et la fait paraître hantée par plusieurs autres voix : celle de la vieille femme, celle de la vieille femme lorsqu’elle était jeune et l’ensemble final des Noces. Cela a pour effet de faire gonfler la voix du poème jusqu’à déborder du cadre de la conversation.

  4. L’indétermination des voix, des genres et la porosité des frontières entre fiction et poésie, oralité et écriture, entre les différentes temporalités (le présent d’énonciation du poème et le présent du récit de la vieille dame) sont soutenues par la fluidité du poème, cependant pris dans un ressac incessant, allant et venant sur la page comme des vagues léchant le rivage plus ou moins loin, effaçant graduellement mais inéluctablement la trace de son passage. Néanmoins, la continuité du raconter s’abîme dans des interruptions de la part de la vieille femme, notamment celles appelées « trance-like pauses » (33 ; 34), des transes silencieuses pouvant être interprétées à une lettre près comme les traces du dire dans le corps de la récitante. Le silence draine par conséquent toute l’énergie, les réserves d'un corps épuisé qui, paradoxalement, finit par prendre part à la conversation. Le corps en transe parle, communique sans jamais rien formuler mais réussit à projeter un signifié dans l’avenir et porte en lui les traces de ce qui reste à dire sans que cela même puisse jamais être énoncé, jamais articulé. Cela rappelle ce que Roland Barthes explique dans un court essai de 1974 intitulé « Au séminaire »17 :

L’écriture survient lorsqu’un certain effet (contradictoire) est produit : que le texte soit en même temps une folle dépense et une réserve inflexible – comme si au terme extrême de la perte, il restait encore, inépuisablement, quelque chose de retenu en vue du texte à venir. Peut-être Mallarmé suggérait-il cela, lorsqu’il demandait que le Livre fût analogue à une conversation. Car, dans la conversation, il y a toujours une réserve, et cette réserve, c’est le corps. Le corps est toujours l’avenir de ce qui se dit « entre nous ».

Le secret

  1. Tout comme le blanc typographique de la première strophe, les transes silencieuses font surgir l’écriture comme résistance au langage et soumission au corps, l’effacement vient en parallèle avec une incarnation littérale du sens. De la même manière, l’écriture de Glück est incorporée dans un récit tout en se projetant simultanément dans le gouffre de son propre silence, dans la confession d’un secret qui jamais ne se dit (36-37 ; 54-66) :

[...]I felt that some important secret

was about to be entrusted to me [...]

And yet increasingly my mind returned to this incident,

studying it from all perspectives, each year more intensely convinced,

despite the absence of evidence, that it contained some secret.

I concluded finally that whatever message there might have been

was not contained in speech–so, I realized, my mother used to speak to me,

her sharply worded silences cautioning me and chastising me—

 

and it seemed to me I had not only returned to my lover

but was now returning to the Contessa’s Garden

in which the cherry trees were still blooming

like a pilgrim seeking expiation and forgiveness,

 

so I assumed there would be, at some point,

a door with a glittering knob,

but when this would happen and where I had no idea.

  1. Le secret est toujours déjà sur le point d’être dévoilé (« I felt some important secret/was about to be entrusted to me » 36-37)18 : sur le bout de la langue, il se fait suspension de la parole dans ses longues interruptions comme dans le silence réprobateur de la mère (« her sharply worded silences » 59). Le secret se révèle au fur et à mesure que le poème se referme de façon circulaire, alors que l’individu revient au point d’origine de son voyage : « I never lost my taste for circular voyages » (46), « I would find myself at my front door, staring at it,/barely able to make out, in darkness, the glittering knob » (26-27). Néanmoins, le secret ne se transforme jamais en révélation, toujours pris dans la réserve d’un à-venir continuellement différé.

  2. But de la promenade, l’air des Noces de Figaro figure une sorte de rêve dont le présent correspond à l’après du secret : une fois que les notes se font entendre, la lune apparaît et suspend le temps comme le sens (d’où vient la musique ? Quelle est-elle ? Que signifie-t-elle pour moi ?) Le fantasme d’une telle musique est par conséquent à la fois suspension du monde réel et double résolution : résolution d’un accord musical et scène finale de rédemption collective dans l’opéra. En effet, le troisième acte s’achève sur un pardon accordé au comte par la comtesse (« Contessa perdono… ») repris par une dizaine de chanteurs sur scène. Dans le poème, par analogie, l’air des Noces mène à l’expiation et au pardon, la première personne finit par retourner auprès de son amant et se réconcilier avec lui (4-6 ; 52-53) :

At the time, I had run away from a sad love affair,

and as a kind of penance or self-punishment, I was working

at a factory, carving by hand the tiny hands and feet.

[. . .]

Soon afterward I returned to my native city

and was reunited with my former lover.

  1. Le silence en dit long, le vide typographique, les transes silencieuses de la vieille femme et l’oxymore éponyme, « her sharply worded silences », semblent indiquer à quel point le silence ne peut échapper au signe, celui-ci étant par ailleurs verbalement acéré. De la même façon, le sens ne peut être trouvé dans la parole : « I concluded finally that whatever message there might have been/was not contained in speech » (57-58). Le jet et le projet de l’écriture sont saisis dans le pli d’un kairos duplice, entre l’instant crucial où l’on ne peut que dire, où le dire se voudrait sans réserve, et l’instant où celui-ci n’est plus possible, où le silence règne déjà et où le corps a prise sur ce qui reste, les transes silencieuses éprouvant le corps du récitant (« trance-like pauses » 33) autant que si celui-ci chantait éperdument. Blanchot explique dans l’essai « Combat avec l’ange » cet instant crucial, vacillement entre projection et retenue du dire19 :

Le drame – et le côté fort – dans toutes confessions « vraies », c’est que l’on ne commence de parler qu’en vue de cet instant où l’on ne peut continuer : il y a quelque chose à dire qu’on ne peut pas ; ce n’est pas nécessairement scandaleux ; c’est peut-être banal, une lacune, un vide, une région qui ne supporte pas la lumière parce que sa nature est de ne pouvoir être éclairée : secret sans secret dont le sceau rompu est le mutisme même.

  1. En effet, depuis le vers initial, la parole paraît vouloir s’abandonner mais sans rien pouvoir concéder, « let me tell you something, said the old woman », déjà insatiable et épuisée, détachant à peine le fond de la forme à travers l’absence de guillemets. Le labeur manuel et minutieux (« carving by hand the tiny hands and feet » 6) est présenté comme mise en œuvre auto-punitive, substitut de la confession, comme travail d’écriture invitant à l’introspection, à un repli sur soi comme à une fuite hors de soi-même, loin de tout, dans le vide d’un lieu à méticuleusement chercher dans le blanc du blanc de la page, lieu que seul le travail de l’écriture parvient à délimiter : « at ____, a city famous for its wooden toys » (3).

  2. Si le poète donne l’illusion de ne pas vouloir éprouver la langue en évitant d'en travailler la sonorité de façon appuyée, sa poétique travaille la langue jusqu’à l’épuisement : au lieu de s’attarder sur la surface de celle-ci, elle en excave le revers jusqu'au silence. La clef du poème, sa petite vérité – s’il en est une – est à trouver sous la langue, en-deçà du langage. La poésie de Glück est donc l’envers d’un langage-mémoire, c’est un langage-pensée qui, au lieu d’utiliser la langue comme simple outil de remémoration du poème, la présente comme épuisement d’elle même : c’est une langue qui se souvient de ce qu’elle est et qui, se connaissant presque trop, s’essouffle jusqu’au silence sans jamais avoir rien dit. Après avoir tiré le langage hors du silence par l’écriture, Glück, comme tout poète et écrivain, l’y ramène inéluctablement par le même geste.

  3. En cela, la poète fait de son instance lyrique une pure présence, un état d'urgence à dire qui n'exprime rien d'autre que ceci : l'élan d'une écriture qui court à sa perte, entre « folle dépense » et « réserve inflexible ». Cet élan lyrique que l'on a qualifié d'opératique, qu'il soit aria dans « Penelope's Song » ou faux récitatif dans « A Sharply Worded Silence », forme chez Glück une énergie structurante ainsi qu'un fantasme : c'est une projection, un ailleurs qui oscille dans le cœur d'une pré-diction impossible, toujours au bord de la diction (« about to be entrusted to me » 37). L'écriture de Glück a déjà passé l'instant de la révélation : jetée à corps perdu dans son après, elle retient l'objet du dire tel un secret, gardant ainsi le rêve du chant en réserve pour le transformer en chant du rêve.

     

Bibliographie

  1. Arnold, Denis. Dir. Université d'Oxford : Le Dictionnaire encyclopédique de la musique Tome II. Trad. Pâris, Marie-Stella. 1983. Bouquins. Paris : Robert Laffont, 1988.

    Barthes, Roland. « Au séminaire ». L’Arc 56.74 (1974). Œuvres Complètes, tome IV. Paris : Seuil, 2002.

    Barthes, Roland. « Le Bruissement de la langue ». Vers une esthétique sans entraves : Mélanges Mikel Dufrenne. UGE 10-18. 1975. Œuvres Complètes tome IV. Paris: Seuil, 2002.

    Benveniste, Émile. Problèmes de Linguistique Générale I. 1966. Paris : Gallimard, 2008.

    Blaise, Marie. « Les Voix d'Orphée ». Voix et Création au XXe Siècle: Actes du colloque de Montpellier, 26, 27 et 28 janvier 1995. Paris : Honoré Champion, 1997.

    Blanchot, Maurice. « Combat avec l’ange ». L’Amitié. Paris : Gallimard, 1971.

    Glück, Louise. Faithful and Virtuous Night. Manchester: Carcanet Press, 2014.

    Glück, Louise. Meadowlands. New York: HarperCollins, 1996.

    Glück, Louise. « Story Tellers » PN Review. 24.1 (1997).Glück, Louise. Reading. Academy of Achievement. VIDEO, 27 Octobre 2012.

    Joubert, Jean-Louis. La Poésie. 5e édition. 1988. Paris : Armand Colin, 2015.

    Lim, Sandra. « Interview with Louise Glück, 2014 National Book Award Winner, Poetry ». http://www.nationalbook.org/nba2014_p_gluck_interv.html#.VaKJJVa50Vx

    Meschonnic, Henri. « Le Sujet comme récitatif ou le continu de la langue ». Modernités 8 : Le Sujet lyrique en question. Bordeaux : Presses Universitaires de Bordeaux, 2001.

    Stravinsky, Igor. Chroniques de ma vie. 1935. Paris : Denoël, 2000.

     

1 Dans l’article « Les Voix d’Orphée », Marie Blaise rappelle : « à l’origine, rappelle-t-on, la poésie est chant. La particularité de son rapport au langage tient à ce caractère oral archaïque. Oralité et archaïsme sont ainsi généralement renvoyés l’un à l’autre : la poésie est orale parce qu’elle est archaïque, de là son caractère chantant dans l’écriture encore, ses rimes, ses assonances et autres allitérations. On remarquera aussi qu’en l’absence de l’écriture, la fonction de la poésie est d’aider à la mémoire ; les rimes sont donc mnémotechniques » (M. Blaise, « Les Voix d'Orphée », 125).

2 J.-L., Joubert, La Poésie, 29.

3 L. Glück, « Story Tellers », 13-14.

4 L. Glück, Meadowlands, 3.

5 Nous soulignons.

6 É. Benveniste, Problèmes de Linguistique Générale I, 228.

7 H. Meschonnic, « Le Sujet comme récitatif ou le continu du langage », 17.

8 Nous renvoyons « poétique » à son étymologie grecque, du verbe ποιεῖν dont il provient, qui signifie « faire, fabriquer » (Bailly).

9 The Lights peut être une petite formation d'instrumentistes, le nom revient dans le poème « Moonless Night », répétant de la musique klezmer : « the Lights are practising klezmer music » (Ibid., 9, 4).

10 Nous utilisons ici le verbe « entendre » dans ses deux acceptions de « comprendre » et « entendre ».

11 I. Stravinsky, Chroniques de ma vie, 63.

12 S. Lim, « Interview with Louise Glück, 2014 National Book Award Winner, Poetry ». Nous soulignons.

13 Nous soulignons.

14 R. Barthes, « Le bruissement de la langue », 802.

15 Comme Glück l’affirme lors d’une lecture à Washington D.C., dans le cadre de l’Academy Achievement, ses poèmes ne sont pas faits pour être lus à voix haute, elle-même n’aime pas les lectures de poésie et n’aime pas qu’on lui fasse la lecture : « for me, poetry is not something that can be had in this sort of experience. I do not like being read to – I suppose I liked it when I was really little, I loved it. But as soon as I could read myself, I wanted to read myself. For me, the poem is alive on the page. This form (the form of poetry reading) I deplore. It seems like form of salesmanship. I do not want to hawk my wares. A poem on the page makes a kind of net, or web. The eye moves up and down the line, braiding sound-patterns together, and seeing intellectual correspondences. You can’t get that in a reading which moves chronologically, sequentially. Complicated, nuanced words have to be read in a single focused dramatic way to move through the text. The poem is simplified… simplified, diminished in my feeling. And I don’t like reading my own work, and I don’t like hearing work that I love read aloud. I hear it with my eyes. » L. Glück, Academy of Achievement Reading.

16 Nous utilisons ici le terme « récitatif » tel qu'il est défini dans le Dictionnaire encyclopédique de la musique : « une « forme de chant déclamatoire en rythme libre, utilisé particulièrement dans les opéras et les oratorios. Le récitatif peut servir de dialogue ou de narration (pour faire avancer l’intrigue), alors que l’aria est souvent statique ou réfléchi » (D. Arnold, Le Dictionnaire encyclopédique de la musique, 556).

17 R. Barthes, « Au Séminaire », 505.

18 Nous soulignons.

19 M. Blanchot, « Combat avec l'ange », 151-152.